On a bien rigolé

Cet après-midi, en allant à l’école, j’ai rencontré Alceste qui m’a dit : « Si on n’allait pas à l’école ? » Moi, je lui ai dit que ce n’était pas bien de ne pas aller à l’école, que la maîtresse ne serait pas contente, que mon papa m’avait dit qu’il fallait travailler si on voulait arriver dans la vie et devenir aviateur, que ça ferait de la peine à maman et que ce n’était pas beau de mentir. Alceste m’a répondu que cet après-midi on avait arithmétique, alors j’ai dit « bon » et nous ne sommes pas allés à l’école.

Au lieu d’aller dans la direction de l’école, nous sommes partis en courant dans l’autre sens. Alceste, il s’est mis à souffler et il n’arrivait pas à me suivre. Il faut vous dire qu’Alceste c’est un gros qui mange tout le temps, alors, bien sûr, ça le gêne pour courir, surtout que moi, je suis très fort pour le quarante mètres, qui est la longueur de la cour de l’école. « Dépêche-toi, Alceste », j’ai dit. « Je ne peux plus », m’a répondu Alceste, il a fait des tas de « pouf-poufs » et puis il s’est arrêté. Alors moi, je lui ai dit qu’il valait mieux ne pas rester là, parce que, sinon, nos papas et nos mamans risquaient de nous voir et nous priveraient de dessert et puis qu’il y avait des inspecteurs de l’école et ils nous emmèneraient au cachot et on nous donnerait à manger du pain et de l’eau. Quand il a entendu ça, Alceste, ça lui a donné un drôle de courage et il s’est mis à courir tellement vite, que je n’arrivais pas à le rattraper.

On s’est arrêtés très loin, bien après l’épicerie de monsieur Compani qui est très gentil et chez qui maman achète la confiture de fraises qui est chouette parce qu’il n’y a pas de pépins, ce n’est pas comme les abricots. « Ici, on est tranquilles », a dit Alceste, et il a sorti des biscuits de sa poche et il a commencé à les manger, parce que, il m’a dit, de courir tout de suite après le déjeuner, ça lui avait donné faim.

« Tu as eu une bonne idée, Alceste, j’ai dit, quand je pense aux copains qui sont à l’école en train de faire de l’arithmétique, j’ai envie de rigoler ! – Moi aussi », a dit Alceste et nous avons rigolé. Quand on a eu fini de rigoler, j’ai demandé à Alceste ce qu’on allait faire. « Je ne sais pas, moi, a dit Alceste, on pourrait aller au cinéma. » Ça aussi, c’était une drôlement bonne idée, mais on n’avait pas de sous. Dans nos poches, on a trouvé de la ficelle, des billes, deux élastiques et des miettes. Les miettes on ne les a pas gardées, parce qu’elles étaient dans la poche d’Alceste et il les a mangées. « Peuh, j’ai dit, ça ne fait rien, même sans cinéma, les autres voudraient bien être avec nous ! – Ouais, a dit Alceste, après tout, je n’avais pas tellement envie d’aller voir la Revanche du Shérif. – Ouais, j’ai dit, ce n’est qu’un film de cow-boys. » Et on est passés devant le cinéma pour regarder les images. Il y avait un dessin animé aussi.

« Si on allait au square, j’ai dit, on pourrait faire une balle avec du papier et on pourrait s’entraîner. » Alceste m’a répondu que ce n’était pas bête, mais qu’au square il y avait le gardien et que, s’il nous voyait, il nous demanderait pourquoi on n’est pas à l’école et qu’il nous emmènerait au cachot et qu’il nous ferait le coup du pain et de l’eau. Rien que d’y penser, ça lui a donné faim à Alceste et il a sorti un sandwich au fromage de son cartable. On a continué à marcher dans la rue et quand Alceste a fini son sandwich, il m’a dit : « Les autres, à l’école, ils ne rigolent pas ! – C’est vrai, j’ai dit, et puis, de toute façon, il est trop tard pour y aller, on serait punis. »

On a regardé des vitrines. Alceste m’a expliqué celle de la charcuterie et puis on a fait des grimaces devant celle de la parfumerie où il y a des glaces, mais on est partis, parce qu’on s’est aperçu que les gens dans le magasin nous regardaient et qu’ils avaient l’air étonnés. Dans la vitrine de l’horloger on a vu l’heure et c’était encore très tôt. « Chouette, j’ai dit, on a encore le temps de rigoler avant de rentrer à la maison. » Comme on était fatigués de marcher, Alceste m’a proposé d’aller dans le terrain vague, là-bas, il n’y a personne et on peut s’asseoir par terre. Il est très bien, le terrain vague, et on a commencé à s’amuser en jetant des pierres contre les boîtes de conserves. Et puis, on en a eu assez des pierres, alors, on s’est assis et Alceste a commencé à manger un sandwich au jambon, le dernier de son cartable. « A l’école, il a dit, Alceste, ils doivent être en plein dans les problèmes. – Non, j’ai dit, à l’heure qu’il est, ça doit être la récré.

— Peuh, tu trouves ça amusant, la récré ? » il m’a demandé Alceste. « Peuh ! » je lui ai répondu et puis je me suis mis à pleurer. C’est vrai, ça, à la fin, c’était pas rigolo d’être là, tout seuls, et de ne rien pouvoir faire et d’être obligés de se cacher et moi j’avais raison de vouloir aller à l’école, même avec les problèmes, et si je n’avais pas rencontré Alceste, je serais à la récré maintenant et je jouerais aux billes et au gendarme et au voleur et je suis terrible aux billes. « Qu’est-ce qui te prend à pleurer comme ça ? » il m’a demandé Alceste. « C’est de ta faute si je ne peux pas jouer au gendarme et au voleur », je lui ai dit. Alceste, ça ne lui a pas plu. « Je ne t’ai pas demandé de me suivre, il m’a dit, et puis, si tu avais refusé de venir, eh bien, j’y serais allé à l’école, tout ça, c’est de ta faute ! – Ah oui ? » j’ai dit à Alceste, comme dit papa à monsieur Blédurt qui est un voisin qui aime bien taquiner Papa. « Oui », a répondu Alceste, comme monsieur Blédurt répond à papa, et on s’est battus, comme Papa avec monsieur Blédurt.

Quand on a eu fini de se battre, il a commencé à pleuvoir. Nous sommes partis en courant du terrain vague, parce qu’il n’y avait pas où se mettre pour ne pas être mouillés et ma maman m’a dit qu’elle ne veut pas que je reste sous la pluie et moi, je ne désobéis presque jamais à ma maman.

Alceste et moi on est allés se mettre contre la vitrine de l’horloger. Il pleuvait très fort et on était tout seuls dans la rue, ce n’était pas très rigolo. On a attendu comme ça l’heure de rentrer à la maison.

Quand je suis arrivé à la maison, maman dit que j’étais tout pâlot et que j’avais l’air fatigué et que, si je voulais, demain je pourrais ne pas aller à l’école, mais moi j’ai refusé et maman a été bien étonnée.

C’est que demain, quand Alceste et moi on va leur raconter comme on a bien rigolé, les copains de l’école, ils vont être drôlement jaloux !


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