DEUXIÈME PARTIE

CHAPITRE VIII J’observe le SECRET

Lorsque je suis de retour au laboratoire, tout le monde marne. Je monte à ma chambre, et je m’allonge un moment sur le pageot pour gamberger à la meilleure façon de faire avaler le bocon au vieux chnock… C’est triste de bousiller un vieillard, même lorsqu’il a mérité son châtiment. On aurait dû amnistier le savant, ne serait-ce qu’en considération de ses services passés. C’est fou ce que les hommes sont impitoyables. Ils sont leur propre malheur. Le mal de vivre vient des autres vivants…

Je me lève dix minutes plus tard et je mets ma belle blouse blanche immaculée. Cette fois je me suis décanté de mes scrupules pour ne plus m’attacher qu’à l’exécution[33] de ma mission.

Je me heurte à un petit problo d’un genre nouveau : faire avaler une certaine quantité de liquide nocif à un homme qui ne boit presque pas. La seule possibilité, c’est celle du déjeuner du matin. Seulement c’est le cul-de-singe qui fait le service et je ne vois guère la possibilité de placer ma bonne marchandise dans la tasse de thé du Vieux… À moins que…

Ça y est : j’ai une idée… Une bonne.

Je me taille du pavillon sans crier gare[34]. Je vais à l’annexe et j’aperçois le cul-de-singe par la petite fenêtre de la cuisine. Il est occupé à essuyer la vaisselle. Il le fait de très bon cœur, à preuve, il chante d’une superbe voix de fausset : « Que ne t’ai-je connue au temps de ma jeunesse ».

Je demeure derrière un arbre, un bon moment, à l’observer… Ensuite je contourne le bâtiment et j’entre dans le living-room. Ce que je supposais — à voir sa trogne — m’a été confirmé par mon quart d’heure de surveillance. L’ancien cavalier Lafleur biberonne comme une tonne de papier buvard. Il s’arrête parfois de chanter et d’essuyer la vaisselle pour s’entifler une lampée de picrate à même le goulot de la bouteille.

Je saisis mon crayon à bille et je me macule l’extrémité des doigts. Ceci fait j’avance jusqu’à la cuisine.

— Salut, Vieux, dis-je au ténor-plongeur… Regardez ce que je viens de me faire. Vous n’auriez pas un détachant ?

— De l’essence, ça colle ?

— Parfait !

Il me donne sa bouteille d’essence. Je me frotte les doigts. Puis, tandis qu’il sort avec sa pile d’assiettes afin de la remiser dans le placard du réfectoire, je verse de l’essence sur le réchaud à gaz puis sur le sol en prenant soin que la coulée soit continue.

Ceci fait, je passe dans le living.

— Dites, Vieux, fais-je en lui attriquant un billet de cent balles en haillons, vous seriez gentil de me faire chauffer un peu d’eau, j’ai un remède à prendre pour l’estomac.

Il accepte le billet et la mission de confiance dont je le charge. Je n’ai plus qu’à attendre.

Le temps de compter jusqu’à quatre et je perçois une clameur d’épouvante. Je me rue à la cuisine. Le bougre est environné de flammes. Il se croit déjà déguisé en Jeanne d’Arc à l’acte final, dernier tableau !

Je le chope en arrière comme pour le sortir de ce brasier-bidon ! Mais je m’arrange de telle façon — je suis prof de judo à mes heures — que je lui démets l’épaule droite.

Ses cris redoublent, naturellement. Moi, très Pont d’Arcole, j’éteins ce début d’incendie qui, — soit dit entre nous et la cage d’ascenseur —, mourait déjà de sa bonne mort…

Je reviens à ce brave cul-de-singe. Il se tient l’épaule en hurlant que ça lui fait mal.

— Ben, qu’est-ce qu’il y a, mon petit père ? Vous vous êtres gravement brûlé ?

— Non, c’est vous…

— Comment, c’est moi ! je renaude.

Je chique au gars très mécontent.

— Je vous tire d’un incendie et vous rouscaillez parce que je ne vous ai pas pris entre le pouce et l’index !

Il s’excuse, mais son bras le fait terriblement souffrir. C’est une mauvaise blague pour lui, j’en ai un peu honte, mais un petit coup d’assurance ne lui fera pas de mal.

On prévient Thibaudin de l’accident. Il est décidé que j’emmènerai cul-de-singe chez lui, à Évreux, et qu’en attendant je m’occuperai de la bouffe. Très habilement j’ai proposé ça au Prof, alléguant qu’il serait imprudent de faire appel à un remplaçant dont on ne serait pas sûr.

Donc, tout va bien de ce côté-là. Le soir je me charge de la jaffe, aidé par Martine qui saute sur l’occasion de se faire pétrir le balancier en loucedé. J’ai beaucoup pensé au cours de l’après-midi et je me suis injurié copieusement pour n’avoir pas pigé plus tôt que tout désignait Thibaudin comme coupable. L’impossibilité pour un autre d’avoir accès au coffre et aussi le fait qu’il gardait jalousement pour lui les fruits de ses recherches… J’ai même découvert, en musardant dans les étages, que sa chambre possède une seconde issue lui permettant de sortir du pavillon sans passer par le hall.

Dommage que ces Messieurs, en Haut-Lieu, aient décidé d’en finir discrètement avec lui. J’aurais aimé lui poser certaines questions… Maintenant j’enrage à la pensée qu’il va claboter en croyant nous avoir floués !


Le dîner n’est pas plus mauvais que les autres soirs. Martine dessert la table et je lui file rambour pour un avenir très immédiat dans sa carrée.

Ensuite je harponne le vieux discrètement.

— Je voudrais vous parler, Professeur.

Il a un vacillement dans les lampions.

— Ah oui…

— Retrouvons-nous tout à l’heure dans votre bureau, d’accord ?

— Entendu.


Une heure plus tard, après avoir conseillé à la môme Martine de grimper la première, je passe dans l’antre du père Thibaudin. Il est assis dans le fauteuil Voltaire et ses paluches tremblent sur les accoudoirs.

Apparemment il est anxieux.

Je m’efforce de sourire.

— Mon chef voulait me voir aujourd’hui pour tenir un conseil de guerre, mais hélas je dois avouer que nous n’avons guère avancé…

Il fait la grimace, cet hypocrite. Ah ! on peut dire qu’il cache bien ses brèmes.

— Je n’ai pas revu votre laboratoire depuis hier, j’aimerais y jeter un coup d’œil, maintenant que nous sommes seuls.

— Venez !

Il me lâche à regret. Visiblement, il ne tient pas à cette visite touristique.

Nous retournons dans l’immense pièce aux ustensiles barbares.

— Vous avez changé la combinaison du coffre, ce soir ?

— Non, pas encore…

— Ça vous ennuierait de le faire ? Je voudrais me rendre compte de quelque chose…

— Entendu…

Il écarte le bassin et tripatouille le bouton à système.

— Voilà, fait-il…

— Puis-je demander le mot de passe que vous venez de choisir ?

— LIDO.

— Pas mal…

Je feins de me désintéresser de la question.

Seulement je triomphe intérieurement, les potes ! Car voyez-vous, je prévois tout, c’est le secret du travail bien torché. Je me dis que demain matin je lui ferai prendre sa potion calmante ; seulement après il faudra que je mette la main en douce sur tous les documents enfermés dans cette boîte d’acier. Conclusion, pour ne pas avoir à entreprendre de grands travaux, mieux vaut connaître la combinaison.

Nous repartons du labo, le Vieux et moi.

Je le raccompagne, comme chaque soir, jusqu’à sa lourde. Ensuite je redescends trouver le veilleur de nuit, et je dis au bull-dog de me prévenir si, par hasard, le Professeur retournait à son labo au cours de la nuit.

Ces dispositions arrêtées, je me consacre pendant une bonne heure à Martine. Je ne sais pas où elle a fait ses classes, mai je peux vous affirmer qu’elle trouve toujours du nouveau. C’est une petite merveille que cette gosse. Elle aurait été élevée au One two two qu’elle n’en saurait pas davantage sur l’art et la manière de vous faire visiter le septième ciel.

Un feu d’artifice, mes z’enfants ! joint aux grandes eaux de Versailles ; multiplié par Paris-by night ; majoré de la Kermesse aux Etoiles, avec la participation gracieuse de la revue du Lido et des Petits chanteurs à la Croix de Bois !

Quand on sort de sa couche, on se demande si on vient de passer à travers un engrenage ou si Sugar Robinson ne vous a pas confondu avec le type qui faisait du gringue à sa femme !

Lorsque je regrimpe dans mon pigeonnier[35] j’ai les cannes en coton à repriser. Au point que je suis obligé de m’agripper à la rampe pour ne pas m’affaler dans l’escadrin.

J’ai connu bien des escaladeuses, mais jamais des comme Martine.

Va falloir que je me fasse vulcaniser si je continue à la fréquenter, cette petite portion pour Monsieur esseulé !

CHAPITRE IX J’observe encore le SECRET, mais d’un peu plus près

Aux aurores je m’éveille, ayant pris soin de remonter la sonnerie de mon Jaz !

Je lève illico le panneau vitré de ma tabatière, ce qui me permet de constater qu’une belle journée se prépare. Le ciel est rose-praline, l’air est léger comme le compte en banque d’un producteur de film, et il ferait assez bon vivre si je n’étais obligé de tuer un homme ce matin.

Je vais faire ma toilette dans la salle de bains commune. Et, muni du flacon que vous savez, je me dirige vers l’annexe.

Deux de ces Messieurs sont déjà levés : Duraître et Planchoni. Le torse nu, ils font de la culture physique dans le parc pour se maintenir en forme ! Le gros Berthier, qui n’a pas eu la patience de m’attendre, tortore une demi-douzaine d’œufs sur le plat. Il me rappelle Bérurier !

Promu cuistot par mes bons soins, comme vous le savez, je m’active dans l’officine. Le flacon fatal[36] dans ma pocket pèse une tonne et me brûle la peau à travers l’étoffe de mon grimpant.

Je fais chauffer de l’eau et beurre les toasts en attendant que tout mon petit monde de poseurs et de résolveurs d’équations soit réuni.

Les uns prennent du café, d’autres — et c’est le cas du vieux saligaud — préfèrent du thé. Le jeu (si je puis dire) consiste à isoler la théière du père Thibaudin et à ne pas se gourer dans le service. Ce serait une bien sale blague à faire au pauvre zig qui ferait l’objet de cette erreur. Il aurait droit à sa paire d’ailes et à son luth doré, le frangin… Et le récital n’aurait pas lieu salle Gaveau, je vous le fais remarquer, mais chez Saint Pierre…

Enfin, tout le monde est attablé. C’est le moment c’est l’instant, musique please ! Que le maestro fasse gaffe, surtout ! Un coup de baguette malencontreux et on joue la « Pavane pour un assistant défunt » !

Le hic, c’est que les préséances m’obligent à servir Thibaudin le premier…

J’ai mon idée… Elle vaut ce qu’elle vaut, c’est à l’usage qu’elle prouvera si elle est bonne ou si elle ne mérite pas plus de considération qu’un billet perdant de la Loterie Nationale.

Je sers les caouas en premier afin d’en être débarrassé. Ensuite je m’occupe des thés. Ici c’est « Thé et antipathie » que je joue… Ils sont trois à en boire : le Vieux, Martine (because la ligne) et Minivier…

Je leur verse trois tasses normales, bien fumantes, et, au moment où ils se sont sucrés, je leur présente un plateau de toasts… Mais ce faisant, je m’arrange de façon à renverser le bol du Professeur…

Je m’excuse, j’éponge le sinistre et j’ai envie de gifler Martine, parce que cette espèce de petite crétine propose sa tasse au Vieux. Heureusement, un reliquat de galanterie française incite Thibaudin à refuser la proposition. Minivier qui se fout quatre sucres dans son thé ne peut offrir un échange standard à son boss qui, lui, n’en met que deux…

Je retourne à la cuisine et je prépare moi-même une tasse de ma composition… La moitié du flacon y passe. Avant de servir, je renifle un grand coup pour voir si ce liquide étranger n’est pas décelable, mais non… Ça chlingue le thé, uniquement.

Frémissant tout de même, je porte ce petit déjeuner mortel à ma victime. Thibaudin parle d’abondance des travaux de la journée.

Je surveille attentivement sa tasse ; quand il la porte à ses lèvres j’ai un petit choc au cœur. Lui ne tardera pas à en avoir un aussi, mais beaucoup plus violent !

Il boit une gorgée et s’arrête un instant de parler. Le v’là qui tique car le breuvage a sûrement un goût. Puis il passe outre, s’étant sans doute dit que je suis un piètre cuistot intérimaire, et il finit d’avaler le contenu de sa tasse. Comme disait une couturière de mes amies qui avait abandonné le métier : « Cette fois les dés sont jetés ». Il est en route pour la terre glaise… Après-demain, les fleuristes vont travailler ferme !

Je regarde s’éloigner la caravane de savants. Martine reste seule avec moi pour m’aider à déblayer le terrain.

— Tu parais tout triste ? observe-t-elle.

— Je pense à la vie, fais-je en haussant les épaules.

— C’est cela qui te déprime ?

— Oui. Je la trouve difficile à vivre par moment…

Elle me coule une de ses œillades friponnes qui flanqueraient des envies à un bonhomme de neige.

— Pourtant elle a ses bons côtés, mon chéri… Souviens-toi…

Allusion très nette à nos galipettes de la nuit précédente, mes z’enfants. Les femmes aiment bien vous émoustiller par des allusions qui vous vont droit au baigneur.

Je lui mets une caresse sur le popotin.

— Tu as raison, beauté brune, lui fais-je.

Elle secoue sa chevelure dorée.

— Pourquoi brune ? dit-elle avec un petit sourire pour hépatique guéri.

— Pourquoi blonde ? je rétorque d’une voix tellement lourde de sous-entendus que je suis obligé de laisser tomber la dernière syllabe.

Elle éclate de rire. Un quart d’heure plus tard nous retraversons le parc pour gagner le pavillon.

Grosse effervescence dans la casba… Nous trouvons le Vieux étendu sans connaissance sur les carreaux du hall. Tout son état-major fait cercle autour de lui avec des visages sinistres.

Les deux docteurs l’auscultent et s’interrogent du regard.

— Le cœur, fait Minivier.

Duraître approuve d’un hochement de tête.

Martine pousse les exclamations d’usage. J’ai tout de même un regard apitoyé pour ce pauvre bonhomme que je viens de rayer de la liste des vivants.

— Il vit toujours, déclare Duraître… Je pense qu’on devrait le transporter à l’hôpital d’Évreux, non ?

Minivier est sceptique…

— Il vaudrait mieux ne pas le bricoler… Je vais lui faire une piqûre d’huile camphrée…

Le voilà parti en courant. Les autres s’activent, trottent chercher des couvertures, des oreillers pour arranger Thibaudin… Le gros Berthier lui palpe le pouls d’un air navré…

— Ça bat encore, murmure-t-il…

— Crise cardiaque ? j’interroge.

— Oui.

Hypocritement je demande :

— Il y a de l’espoir ?

Le gros tas de lard fait la grimace…

— Faudra voir, après la piqûre… Mais je ne crois pas !

C’est alors que je pense au laboratoire. À mon avis, je dois profiter de la confusion et de l’inattention générale pour aller chouraver les documents du coffre…

Mine de rien je m’esbigne par le bureau du vieux. Il a eu le temps d’ouvrir la porte blindée avant de tomber… J’entre dans la vaste pièce et je galope droit au coffre. Je tourne l’écrou qui commande le déplacement du bassin, et je m’active sur la mollette… LIDO…

Facile… Ce n’est pas le premier coffre de ce genre que j’ouvre, mais là : échec et mat ! Il reste bouclé. Le vieux a dû changer la combinaison du coffre. Je remets le bassin dans sa position normale.

Je regarde autour de moi ce laboratoire où est né l’un des plus beaux remèdes qu’un homme ait jamais mis au point. Et dire que pour des nécessités de politique obscure, il a fallu que je liquide l’homme en question…

Un grand désenchantement s’empare de moi. Je pense au vieux Thibaudin qui clabote dans le hall… C’est rudement mochard !

J’ai un regard navré à sa table de travail où s’est matérialisé son génie !

Quelque chose me fait froncer les sourcils… C’est une petite tache ronde au beau milieu du sous-main. Une tache qui se trouve être un reflet très pâle… Un reflet de jour… C’est d’autant plus curieux que, je l’ai dit par ailleurs, la salle n’a pas de fenêtre… S’agit-il d’un trou ?

Je lève la tête et j’aperçois une pastille de lumière au plafond. Oui, juste au-dessus de la table de travail de Thibaudin, il existe un petit trou minuscule. La lumière qui tombe de là n’est pas perceptible en temps ordinaire parce qu’on allume l’électricité ! Or, maintenant, voulant éviter d’attirer l’attention, je me suis servi de ma lampe électrique pour me mouvoir dans le labo…

Troublé par cette constatation, je mets une table sur le large bureau de Thibaudin, une chaise sur cette table, et j’escalade le tout au risque de me défoncer le cigare…

Juché sur cette pyramide, je parviens à la hauteur de l’orifice. Je constate alors qu’il ne s’agit pas d’un trou normal, mais d’une petite lentille… Et tout à coup je pige tout !

Au-dessus du labo, grâce à cette lentille placée dans le plaftard, on peut voir, grossie, la table de travail du Vieux…

Il est possible de photographier le dessus de son bureau. Vous me suivez ?

Quelque chose de hideux, de glacé, de fou, de mortel, me choit dessus. La situation est si affreuse que j’ai envie de me filer une olive dans le chignon.

Et pourtant la réalité est là, tangible : il y a eu maldonne ! Le prof a été victime des gens qui le trahissent. On a dû s’apercevoir de la substitution des pigeons, et on a retourné ma ruse contre moi ! Le salaud qui pillait le cerveau de Thibaudin s’est servi de notre machination pour transformer le pauvre homme en coupable !

J’ai empoisonné un innocent !

Voilà !

CHAPITRE X L’escalier SECRET !

Comme la gonzesse qui avait filé un coup de périscope derrière elle, me voilà transformé en statue de sel ; ce qui donne soif, chacun sait ça et personne ne l’ignore !

Puis, brusquement, je prends une décision héroïque. Vite, je cavale hors du labo, jusqu’au hall…

Thibaudin est toujours allongé par terre. On l’a enveloppé dans des couvrantes et son personnel statue sur la conduite à tenir. Après tout ils sont toubibs, les gars, et je n’ai qu’à les laisser jouer…

— Il vit toujours ? je demande.

On répond à peine à ma question. Je vois la poitrine du Vieux se soulever faiblement… Oui, il tient encore le choc peut-être à cause de la piquouze qu’on vient de lui faire pour lui soutenir le palpitant.

Je fonce dans le bureau du mourant et je demande en priorité la communication avec Pantruche. Je l’ai illico. Heureusement, mon Chef n’est pas en conférence.

— Allô ! boss !

— Ah ! bonjour, mon cher… Alors ?

Je mugis :

— Alors j’ai fait le nécessaire, patron, mais je viens de découvrir qu’il y a erreur…

— Vous vous êtes trompé en administrant le…

— Non ! Erreur judiciaire. Thibaudin est innocent !

Pour la première fois il sort de sa légendaire réserve.

— Quoi !

— Je vous raconterai tout par le menu… Il faut faire quelque chose pour essayer de le sauver, Chef ! C’est horrible ! Il est étendu dans le hall, inanimé… N’existe-t-il pas un antidote à la saloperie que vous m’avez fait lui administrer ?

Il ne proteste pas.

— Restez à l’écoute, San-Antonio, je vais demander à notre toxicologue ce qu’il en pense…

J’attends en piaffant d’impatience. Je perçois faiblement la voix du Boss jactant sur une autre ligne. Vite ! Vite ! Oh mon Dieu, faites qu’on puisse tirer Thibaudin de ce mauvais pas. Je me dis que s’il clabote je file ma démission au Vieux !

Il ne sera pas dit que j’aurai contribué à la mort d’un homme de bien et que je continuerai mon petit bonhomme de chemin ! Ah non alors ! J’en veux à mon supérieur. Moi qui l’avais toujours jugé infaillible… Les hommes qui se croient si malins, si fortiches, ne sont dans le fond que de pauvres animaux livrés à eux-mêmes…

Misère ! Il pourra aller se boucler à la Trappe, ce grand toquard de Chauve ! Ou bien s’engager comme caporal ordinaire à l’armue du salé ! Excusez, je suis troublé !

— Allô ! San-Antonio ?

— Oui…

— Passez-moi l’un des médecins qui entourent Thibaudin, on va lui donner des instructions…

— O.K.

Je cavale dans le hall. Là je marque un poil d’hésitation… Le sacré métier, toujours lui, qui reprend le dessus et me fait réfléchir.

Suivez le raisonnement de l’acrobate, tas de gnafs ! Puisque le Professeur n’est pas coupable, quelqu’un de son entourage l’est, ainsi que nous l’avions primitivement pensé.

En appelant un des gars qui sont là, j’ai une chance sur six de tomber sur le vrai coupable ! Vous mordez le cas cornélien du San-Antonio joli ?

À moi de choisir… À moi de décider en trois secondes lequel est innocent…

Je regarde Minivier et Duraître…

— Docteur Duraître, m’entends-je appeler…

Voilà, je m’en suis remis à mon instinct. Tant pis s’il me fout dedans !

Duraître lève sa frite anxieuse. Il est plus pâlot que jamais…

— On vous demande au fil…

Il radine, l’air ennuyé et surpris…

— Qui ? me demande-t-il…

Je le pousse en loucedé dans le bureau et lui montre ma carte.

— Police ! ne cherchez pas à comprendre… Vous allez vous conformer exactement aux prescriptions qu’on va vous donner…

Hébété, il s’empare du bigophone sans me quitter du regard. Je ne sais pas s’il joue les incrédules, en tout cas sa stupeur est bien imitée.

Il se présente :

— Allô, Docteur Duraître…

L’autre balance son blaze et ça paraît impressionner le jeune médecin, car il cesse de me regarder pour fixer respectueusement son combiné.

Il écoute attentivement en hochant la tête et répond par monosyllabes.

— Oui, oui, fait-il, j’en ai… Oui… très faible… Bon… Bien, monsieur le Professeur.

Il raccroche et s’élance vers la porte. Je lui chope le bras.

— Motus en ce qui me concerne, hein ?

Il a une brève affirmation et s’en va.

Notez qu’il est inutile que j’espère conserver l’incognito. Le message trouvé sur le second pigeon prouve que l’espion est au courant de mon identité…


Le branle-bas continue à emplir le hall, transformé en infirmerie, d’une agitation échevelée. Cette fois, Duraître a pris la direction des opérations… J’espère ne pas m’être gouré en l’estimant innocent.

Je sors sur l’esplanade et je fais un examen approfondi de la casba pour essayer de voir à quelle pièce du premier correspond la lentille fixée dans le plafond du laboratoire.

Mon exercice topographique me permet de délimiter le secteur. Je pénètre dans la baraque et je grimpe à l’étage au-dessus… Au bout de quelques minutes de recoupements, je finis par dénicher le judas… Il se trouve tout simplement dans les gogues !

Il n’existe pas d’endroit plus anonyme et d’utilisation plus générale, vous en conviendrez ?

Le trou à la lentille se trouve juste derrière la cuvette. On ne peut absolument pas le découvrir si on ignore son existence. Je m’accroupis au-dessus et j’aperçois le sous-main du Professeur grâce à la clarté qui arrive par la porte ouverte du labo. Ce sous-main me semble être à cinquante centimètres de moi ! Je vous parie un deux cents de valets contre un valet de chambre qu’on peut, d’ici, presque lire ce que le bonhomme écrit. Les photos qui sont tirées doivent être agrandies…

Je me redresse : photo !

L’un des membres du personnel possède donc un attirail de photographe, la chose ne fait pas de pli !

Je me barre du pavillon au moment où l’on transporte le père Thibaudin dans sa chambre.

Au passage je jette un regard éperdu à Duraître. Il me répond par une petite moue incertaine qui ne me dit rien qui vaille ! Pourvu qu’il arrive à sauver son patron !

Je suis peinard pour explorer les chambres de ces Messieurs… Je commence par la plus petite annexe. Celle qui héberge les trois sous-fifres : Berthier, Berger et Planchoni.

J’entre dans la première carrée et je me rue sur une valise glissée sous le lit. Elle ne renferme que du linge sale… Aucune trouvaille digne d’intérêt non plus dans le petit placard… Je reconnais l’identité du locataire à l’ampleur des fringues.

C’est la piaule de Berthier, l’obèse…

Je ressors, bredouille, et j’entre dans la chambre de Planchoni. Pas d’hésitation, c’est bien la sienne, il y a, fixée au-dessus du lit, une photo qui le représente aux côtés de sa bonne vieille môman. Ils ont, l’un et l’autre, la même frime chevaline. Ils pourraient servir d’enseigne à une boucherie hippophagique, c’est vous dire…

En explorant dans le placard, je trouve un appareil photographique, mais il n’est vraiment pas fameux. C’est un vieux machin carré, en boîte, comme on en gagnait avant-guerre dans les loteries ou comme vous en proposaient les bons de la Semeuse contre une flopée de timbres-réclame…

C’est certainement pas avec ce vieux 6x9 qu’il a pu photographier les documents… Pour faire ce boulot, on a utilisé sans doute un appareil perfectionné, avec flash…

Je quitte la seconde chambre pour pénétrer dans la troisième, à savoir celle de Berger. Mon attention est illico sollicitée par un attirail complet de photographe dans une sacoche de cuir accrochée à un clou.

Je farfouille avec délectation dans la sacoche. Pas de doute, je tiens le bon bout.

Tout à coup, un bruit de pas me fait tressaillir. Je vais pour me planquer, mais c’est trop tard, la lourde s’ouvre et Berger paraît. Le petit pruneau plein de tics a des yeux qui remplaceraient au pied-levé un poêle par catalyse !

La chaleur qui s’en dégage me brûle le derme !

Au lieu de me demander ce que je maquille chez lui, il me fonce dessus, bille en tête ! Il a agi avec tant de brusquerie que je n’ai pas pu éviter la charge, du reste je suis coincé entre le lit et l’armoire. Je déguste un formide coup de boule dans le parc à huîtres ! J’ai l’impression de n’être plus qu’un mauvais estomac hors d’usage…

Je produis un couic lamentable et je glisse en avant. Il me met alors un crochet droit à la pointe du menton, tellement sec que j’en oublie qui je suis…

Je pars à dame sans avoir eu le temps de me demander quelle pouvait bien être la couleur. du cheval blanc d’Henri IV ! Good-night ![37]

Je m’écroule dans de l’opaque, tandis que le chœur céleste des vierges entonne : « Tu m’as donné le grand frisson, celui qui fait perdre la tronche ! »

Je récupère très vite. Simple question de contact, vous le savez. La main délicate de mon ange gardien rétablit le circuit et l’électricité revient dans ma gamberge. Je me redresse péniblement en me massant le menton. Le noiraud, furax comme un péquenod qui trouverait un troupeau de mouflons dans son champ de luzerne, me considère sans parvenir à comprimer ses tics.

Son regard coagulé ressemble à deux morcifs d’ébonite.

— Votre gueule ne me revenait pas, dit-il, je me doutais bien que vous étiez un type pas catholique… Vous mériteriez que j’appelle les flics…

Je réfléchis aussi vite que le permet ma citrouille perturbée.

Est-ce lui le coupable ? M’a-t-il filé une toise parce qu’il savait que j’étais le poulet-maison et qu’il a vu là une occasion de s’innocenter en chiquant au cambriolé ; ou bien au contraire ressent-il vraiment l’indignation de l’homme qui surprend un Monsieur dans sa chambre à pioncer ?

Perplexe, je m’avance vers lui.

— Dites, mon vieux, avant de tirer, on fait les sommations d’usage !

— Quoi !

— Je vous dis qu’au lieu de me biller dans le lard et de m’insulter vous auriez mieux fait de me poser des questions très élémentaires, je vous aurais répondu et le nuage se serait dissipé…

Il accentue ses tics. Maintenant sa gueule saute toutes les deux secondes, comme si on y avait enfermé un boisseau de grenouilles. Profitant de son indécision je poursuis :

— Si c’est votre chambre, excusez du peu, l’erreur est une chose humaine, dit-on. Le Docteur Duraître m’avait demandé d’aller chercher un remède pour le Professeur dans ses bagages.

— La chambre de Duraître est dans le bâtiment voisin ! crache le noiraud.

— Comment le saurais-je ? Ça fait à peine trois jours que je suis ici et je crèche dans le pavillon à l’autre bout du parc, faut être gentil, non ? Monsieur Robinson !

Il commence à se détendre… J’ignore toujours s’il joue ou s’il est sincère. Vraiment il n’y a pas mèche de se faire une opinion sur ce petit bonhomme à ressort.

— Le Docteur Duraître m’a dit que sa chambre était à gauche… Bon, je suis venu à gauche… Vous ne pensez pas que je m’amuserais à jouer les mignonnes souris d’hôtel !

Cette fois, il est convaincu — ou il semble l’être. Il a un vague sourire que j’attrape au vol avant que sa bouille ne parte en l’air sous l’effet de son sacré tic.

— Bon, excusez-moi… Mais quand on voit un garçon qu’on connaît mal farfouiller dans vos affaires…

— Oui, je comprends… J’allais dire y a pas de mal, mais bonté, qu’est-ce que vous m’avez filé comme avoinée… Dites, vous avez été champion de France des légers ?

Il rigole.

— J’ai fait un peu de boxe, à la Fac, avec des amis que ça intéressait.

— Vous auriez dû continuer. À cette heure, vous franchiriez le ring du square Garden…

Là-dessus on se quitte. Il m’indique la vraie chambre de Duraître et je profite de l’occase pour y faire une inspection rapide… Pas d’attirail photo…

Voyant s’éloigner Berger, je me risque dans celle du Docteur Minivier… Il n’y a pas non plus d’appareil photographique dans sa carrée… Conclusion, Berger serait-il le coupable ?

C’est sur cette énigme que je regagne le pavillon. J’y apprends que Thibaudin va mieux. Duraître, que je chope à part, me dit qu’il espère le sauver, il me pose des questions embarrassantes. Évidemment, tout ceci ne lui paraît pas catholique, ni même apostolique ou romain ! Il est stupéfait de savoir que le Prof a été empoisonné, et plus encore de constater que j’étais au courant de la nature du poison…

Je m’en tire en lui montant un barlu qui ne déparerait pas les aventures de Tintin. Je lui explique que nos services ont arrêté dans les parages un suspect, lequel avait en sa possession un flacon du poison en question. En voyant le Vieux inanimé, j’ai fait un rapprochement et j’ai téléphoné à Paris… Il me félicite pour mon esprit de déduction et pour la décision dont j’ai fait preuve. J’accepte ses fleurs sans plaisir. Avouez que c’est vexant de farcir un éminent savant de merdouille et de se faire tresser des lauriers parce qu’après on est revenu de son erreur !

Je lui dis que je soupçonne l’homme arrêté d’avoir eu une complicité dans la taule. J’ajoute que je viens de fouiller les chambres des assistants et je mentionne le flagrant délit et la manière dont je me suis tiré de ce mauvais pas. Il m’assure qu’il ne me contredira pas lorsque Berger lui touchera deux mots de l’incident.

En partie rassuré — parce que je ne sais toujours pas si Duraître est innocent — je m’en vais dans la propriété voisine rendre une visite de politesse au deuxième pigeon.

L’animal roucoule tristement en essayant de sortir de sa cage. On ne lui a pas apporté à becqueter et il devient anémique, le pauvre chéri. Évidemment, le criminel n’a plus besoin de lui.

J’attache les pattes du volatile avec un morceau de ficelle et je gagne ma voiture sans repasser par la propriété de Thibaudin…

Il faut que j’aille à Paris. Je veux vérifier quelque chose, car j’aime m’assurer de la fermeté du sol sur lequel je pose mes nougats quand j’avance en terrain inconnu.


Le Vieux ne fait pas le mariolle. Il a des plis plein son vélodrome à mouches. C’est du cross que les noirs insectes peuvent faire maintenant. Son regard bleu est éteint comme une vitrine après la fermeture du magasin.

Je m’assieds sans qu’il m’en ait prié.

— Comment va-t-il ? balbutie le Vieux.

— Légèrement mieux, fais-je. J’ai mis un des deux toubibs dans le secret ; il s’occupe de lui et espère le sauver si le cœur du Prof se montre à la hauteur des circonstances.

— Quelle catastrophe ! soupire le Boss.

J’en profite pour lui distiller mon filet de vinaigre.

— Je pense honnêtement, Chef, que la décision qui a été prise au sujet de Thibaudin était un peu… hâtive. Nous n’avions contre lui que ce billet… Le fait qu’il soit signé aurait dû nous faire tiquer… Un homme qui trahit son pays et qui confie un message à un pigeon voyageur, en sachant qu’un précédent pigeon a été intercepté, se serait méfié…

L’homme à la casquette en peau de fesse ne répond pas. Il assimile son désappointement et couve sa honte. Il est rare que le Vieux se cloque le doigt dans l’œil à ce point.

— Maintenant, fais-je, il faut que nous étudions les choses en détail. Primo, les pigeons.

Vous avez conservé les deux que Magnin a ramenés ?

— Bien sûr…

— Pouvez-vous dire qu’on les amène, ainsi que celui qui se trouve dans mon bureau ?

Il décroche son tubophone intérieur et donne des instructions.

Quelques instants plus tard nous avons les pigeons. Un seul coup d’œil me révèle le « désastre ». Je ne pouvais pas faire prendre les miens pour les autres à l’espion… Les miens ont les pattes grises. La différence est si criante qu’elle saute aux yeux ! De nuit, elle ne nous est pas apparue, mais évidemment, à la lumière du jour c’est la première chose que notre mystérieux type a remarqué…

— Un mauvais point pour moi, dis-je au Vieux…

Ça lui va droit à la bille. Il ratifie mon mea-culpa d’une grimace réprobatrice.

— Cette question me tourmentait, poursuis-je, la voici donc éclaircie…

« Maintenant, montrez-moi le second message, peut-être nous apprendra-t-il quelque chose…

De bonne grâce, il le sort de son tiroir inépuisable.

Je fais la grimace, comme si je posais pour la publicité d’un laxatif. Il est écrit en caractères d’imprimerie. Vous allez me dire qu’un éminent graphologue arriverait à situer le rédacteur de ce billet en le comparant avec les écritures des gars du labo ; mais moi je n’aime pas beaucoup les rapports d’experts. Ces Messieurs ne sont jamais d’accord. Ils se prennent pour des magiciens alors que ce ne sont que des bricoleurs !

Je rends le billet au Vieux.

— Zéro pour cette question… Passons à autre chose…

— À quoi ?

— Au raisonnement pur et simple. Celui qui a adressé ce message pensait que nos services prendraient la décision qu’en effet ils ont prise… N’est-ce pas ?

Le bandonéon du Vieux se déplisse. Son regard éteint se rallume.

— Ensuite ? fait-il.

— Donc, celui qui trahit n’a plus besoin de Thibaudin, vous comprenez ?

— Ça se tient, admet le Boss.

— Alors, nous sommes en droit de nous poser la question suivante, chef : « Pourquoi n’a-t-il plus besoin du Prof ? »

— Parce qu’il a en sa possession tout ce qu’il désire ! répond mon éminent supérieur, lequel n’a rien sur le dessus du bol mais possède en revanche beaucoup de choses à l’intérieur…

— Voilà !

Un silence tendu comme la peau des Peter Sisters s’établit à son compte.

— Dites, Chef…

— Oui ?

— Comment l’homme en question, appelons-le provisoirement Monsieur X si vous le voulez bien…

Ça n’est pas fait pour lui déplaire. Lui qui vit les affaires d’espionnage les plus formides de l’époque, il se repaît de termes faussement mystérieux qui n’amuseraient même plus des garnements de douze ans.

— Comment ce Monsieur X, reprends-je, aurait-il l’invention complète alors que Thibaudin lui-même ne l’a pas !

Ça pose une vache équation, les potes, non ?

Mais il n’existe pas de mystère pour le Boss. Tout en massant son suppositoire, il suggère :

— San-Antonio, les gens qui travaillent avec le Professeur Thibaudin sont pour la plupart ses élèves… Il les a formés… Il a dirigé leurs travaux… Pourquoi l’un de ces scientifiques, mis sur la voie par la besogne qui lui est confiée, ne serait-il pas allé plus loin que son maître ?

Je sursaute :

— Mais c’est vrai, Patron, pourquoi pas !

Les lampions mi-clos, je lis dans le marc de Bourgogne[38]. « Oui, un jeune ambitieux… Ces gars sont tous des dingues de travail. À preuve : ils ont une belle secrétaire à portée de la main et ils lui disent à peine bonjour !

Sourire du Vieux qui connaît les faiblesses de son San-Antonio bien-aimé.

Je continue :

— … Monsieur X a pigé ce que cherchait le père Thibaudin. Mis sur la voie, en effet, il prend l’initiative… Il cherche, va plus vite que son Maître… Grâce au judas qu’il a percé au plafond, il suit la progression de celui-ci, ce qui lui permet d’orienter la sienne… Parbleu… Seulement les travaux du Professeur sont patronnés par l’État. De ce côté-ci, rien à faire… Lui veut monnayer ses travaux… Il peut gagner une fortune, s’installer en grand, devenir une gloire scientifique…

Le Chef se lève !

— San-Antonio, vous ne devriez pas être ici !

— Pourquoi ?

— Mais parce que votre Monsieur X possède l’invention… Il va la communiquer à ceux qui le paient… Il faut trouver Monsieur X. Il faut lui reprendre ses documents…

Il n’a pas terminé sa phrase que je suis déjà dehors…

Comme quoi, le raisonnement est un escalier, mes z’enfants. Un escalier secret qui vous donne accès à des vérités apparemment inaccessibles[39].

J’ai bien fait d’en gravir les marches. Cette fois, je vous parie que je tiens bon la rampe.

Il a eu tort, le gars X, de penser qu’on pouvait me faire des sonotones aux lanternes sourdes !

Tiens, au fait, comment a-t-il percé à jour mon identité ?

CHAPITRE XI Je rate une marche de l’escalier SECRET sans le savoir !

Tout en pilotant mon tréteau à cent trente chrono sur l’autoroute de l’Ouest[40], je fais le point de la situation. Une idée géniale, comme un escargot ou un agent cycliste, ne vient jamais seule, j’en ai une autre, encore plus balaise !

Encordez-vous, prenez vos piolets à pleine main et suivez-moi dans mon ascension morale. Surtout faites gaffe aux peaux de banane.

Avec l’impérissable génie qui a fait ma popularité, je pense de la façon suivante : « Monsieur X[41] a percé un trou dans le plafond[42] et y a collé une lentille grossissante. Bravo ! il a procédé ainsi pour pouvoir suivre les travaux du Vieux. Re-bravo ! Mais alors, mes belins chéris, ça prouve une chose, ça : c’est que Monsieur X ne pouvait se trouver dans le laboratoire… Puisqu’il était au-dessus ! Or, pendant que Thibaudin œuvrait, trois de ses employés travaillaient dans la même salle que lui, vous y êtes ?[43] Ceci me permet d’éliminer systématiquement les trois gars suivants : Duraître, Berthier et Berger… Reste donc comme suspects Minivier et Planchoni… Je peux vous avouer que ce sont deux des moins sympathiques, ce qui ne me fâche pas outre mesure. Je me fie à mon vieil instinct et quand la frite d’un gnace ne me revient pas, vous pouvez parier une peau d’ogre contre la peau de Job que l’intéressé n’est pas intéressant.

Je finis la route à tombereau ouvert sans cesser de me répéter ces deux blazes : Minivier ou Planchoni… Minivier ou Planchoni… Et qui sait ? Peut-être sont-ils coupables l’un et l’autre ? J’en doute fortement car, à mon avis, le gars qui a goupillé ça est un arriviste, et un arriviste tâche d’arriver tout seul…


On vient de transporter Thibaudin à l’hosto d’Evreux quand je stoppe devant la propriété du malheureux savant. Je suis bien déterminé à lui valoir une éclatante compensation.

Ayant appris qu’il avait retrouvé connaissance, je poursuis ma route jusqu’à Evreux. À l’hôpital, on me dit que le savant est isolé et qu’il n’est pas visible pour le moment. J’insiste et demande à parler au directeur de l’établissement. On finit par me donner satisfaction, sans doute grâce à mon charme efficace !

Le Diro est un Monsieur d’allure aimable. Il paraît sensible à ma qualité de bourdille, non parce qu’il a une prédilection pour les draupers, mais il a lu quelques-uns de mes souvenirs au cours de ses nuits de veille.

Je lui demande où en est Thibaudin…

Il m’offre alors une lippe qui ne pourrait pas me donner l’heure exacte.

— Il a absorbé une trop grosse quantité de (X)[44] murmure le médecin-chef. Je ne sais pas s’il s’en tirera. Je viens d’alerter le Professeur Ménendon, de Paris. C’est le premier toxicologue de France, il arrive… Nous aviserons…

— On m’a dit que Thibaudin avait repris connaissance, pensez-vous que je puisse lui parler ?

Il secoue la tronche…

— Lui parler, oui… Il vous entendra mais ne pourra pas vous répondre…

— J’aimerais cependant essayer…

— Comme vous voudrez, mais ne le fatiguez pas trop… Il est dans un état de délabrement total… À son âge, c’est grave !

Il m’accompagne jusqu’à une chambre isolée des salles communes. La pièce est plongée dans une pénombre reposante.

Une écœurante odeur règne.

— On vient de lui faire un tubage d’estomac, m’avertit le médecin-chef. Je ne suis pas certain que ça donne des résultats positifs !

Je m’approche du lit. Le visage émacié du Professeur repose sur l’oreiller. Ses cheveux gris ressemblent à de la moisissure. Il a les yeux clos et sa respiration est courte…

Je regarde mon beau travail la gorge serrée.

— Monsieur le Professeur ! appelé-je doucement…

L’une de ses paupières se soulève à demi, mais l’autre reste baissée.

— Vous m’entendez ? Je suis le Commissaire San-Antonio…

Sa paupière soulevée a comme un papillotement.

— Quelqu’un vous a administré un poison, dis-je, mais rassurez-vous, nous nous en sommes aperçus à temps et vous serez sauvé…

Aucune réaction. On dirait qu’il se désintéresse complètement de la question…

— Je vais vous demander de faire un effort, Professeur… Essayez de vous souvenir si vous avez parlé de moi, sur le plan professionnel, à quelqu’un de votre entourage. Avez-vous dit à l’un des vôtres que j’étais un policier ?

Il reste figé comme un masque. Son visage semble sculpté dans de la pierre ponce. Il est gris et poreux…

— Vous ne pouvez pas répondre, Professeur…

Je lui prends la main.

— Si vous le pouvez, remuez un doigt !

Je sens dans la paume un léger frémissement.

— Parfait. Je repose ma question. Si vous bougez le doigt, ça voudra dire oui…

« Avez-vous dit au laboratoire que j’étais un policier ?

Sa main reste inerte comme un bout de mou dans la mienne.

— À personne, vous êtes certain ?

Il ne bronche pas…

Le Directeur de l’hosto me fait des petits signes[45]. Visiblement, il trouve que je charrie. Je vais buter le pauvre vieillard une nouvelle fois.

— Très bien, je soupire, laissez-vous bien soigner, Monsieur le Professeur. Et ayez confiance, je suis sur le point d’arrêter le coupable.

Sur cette promesse bien risquée, je me trisse, escorté du Médecin-chef.

— Je le trouve bien bas, fais-je…

— Oui, ça m’étonnerait qu’il en réchappe !

Je lui prends le bras.

— Je veux que vous le sauviez !

— C’est au Bon Dieu qu’il faut demander ça, Commissaire, pas à moi !

— Alors faites-lui la commission…

Je continue à me poser des questions embarrassantes. Dans le message-bidon, Monsieur X dit qu’un policier est dans la place. Comment a-t-il été mis au courant de ma véritable identité ?

Ai-je été reconnu, ou bien…

Décidément, ça continue à ne pas tourner rond…

J’entre dans un bureau de poste et je téléphone au Vieux pour qu’il m’envoie Pinaud, Bérurier et Magnin en renfort. Je suis décidé à frapper le grand coup !


Au pavillon, ces Messieurs se sont mis au charbon. Ils travaillent en attendant les nouvelles. C’est leur façon à eux de tuer le temps. Je demande à Martine de m’appeler le Docteur Duraître et, quand ce dernier me rejoint, je l’entraîne dans le parc afin d’avoir une conversation à bâtons rompus.

— Docteur, lui dis-je… Il y a dans cette maison six personnes dont l’une est un criminel.

Ce préambule lui fait ouvrir une bouche grande comme le tunnel de Saint-Cloud.

— Vous dites ?

— La vérité. Et je vous compte dans ces six personnes, excusez-moi.

Ma franchise lui fait refermer le bec. Il le rouvre aussitôt pour demander :

— Qu’appelez-vous un criminel ?

— Un espion ! On s’intéresse à l’invention de Thibaudin… L’un de vous le trahissait, il n’y a rien de nouveau depuis les apôtres, vous le voyez…

— C’est insensé !

— C’est surtout immoral.

— L’un de nous !

— Oui. Puisque je vous ai choisi comme confident, sans trop savoir pourquoi au juste…

Je m’interromps et je souris… Si, je sais pourquoi je me suis adressé à Duraître plutôt qu’à Minivier… Il a les yeux de Félicie, ma vieille Môman… Vous savez : de grands yeux étonnés et craintifs qui pardonnent tout…

— Donc, puisque vous êtes dans le secret, je vous pose l’embarrassante question que voici : étant donné qu’un de vos collègues est un traître, lequel seriez-vous le moins surpris de voir démasquer ?

Il fronce les sourcils, regarde la pointe de ses godasses mal cirées, puis me regarde.

— Il m’est impossible de répondre à une semblable question, Monsieur ! Vous devez bien le penser… Ce serait faire un choix ignoble… Laissez-moi vous dire que si l’un des nôtres avouait avoir trahi, je serai pareillement surpris pour tous !

C’est la réaction d’un homme bien. Je ne puis que l’approuver.

— N’en parlons plus. Je voudrais maintenant vous poser une seconde question…

— Je vous écoute.

— Savez-vous à quelle invention travaillait Thibaudin ?

Il rougit, puis détourne le regard.

— Hmm ?

— Eh bien…

Il sourit tout à coup.

— Le bon Maître est très maniaque, vous l’avez certainement remarqué… Il faisait des mystères, prenait un excès de précautions… Mais il oubliait que Minivier et moi sommes des spécialistes des questions nucléaires et que c’est précisément ce pourquoi il nous a choisis…

— Alors ?

— Alors, dès le premier mois de collaboration, nous avons compris qu’il s’agissait d’un produit de protection contre les radiations atomiques…

— Il entretenait un secret de polichinelle, en somme ?

— En somme, oui !

C’est bien ce que j’avais gambergé dans ma petite tronche à détecter la couleur des dessous de dame !

— Et vos trois aides, ils savent eux aussi ?

— Bien que nous ne leur ayons jamais fait part de nos incertitudes, Minivier et moi, je pense que oui…

— Mouais… O.K., Docteur, je vous remercie.

Je regarde s’éloigner sa silhouette blanche, étriquée et dansante à travers les arbres… Il vient de me fortifier dans une impression : Minivier savait ! Et Planchoni aussi, sans doute !

Je continue de gravir l’escalier, les Jules… Suivez-moi ! Je vous rattrape !


La nuit descend par l’échelle de secours… Il fait un temps superbe et ça renifle bon les feuilles…

À l’instant où je gravis le perron, je vois radiner une bagnole noire des services… Au volant, devinez qui ? Cette bonne enflure de Bérurier… Il est congestionné comme un steak tartare et il fait de grands gestes en descendant de l’auto.

Magnin et l’ineffable Pinuche l’accompagnent. Je m’avance vers eux.

— Tiens, v’là le trio Royco, fais-je…

Bérurier se précipite vers un arbre dont il se met à compisser le pied avec une générosité qui éloigne de son entourage toute idée de prostate.

— Y a de la verdure, dans le coin, brame-t-il.

Je regarde Pinaud.

— Dis donc, il est blindé, le Gros, non ?

— Oui. Il a été invité à déjeuner par son copain le coiffeur, tu sais, l’amant de sa femme ? Et depuis il a beau boire des petits blancs il n’arrive pas à se dessaouler…

— Qu’est-ce qui parle de saouler ? interroge Béru qui revient de son arbre avec son pantalon défait…

— J’ai demandé du renfort, pas des ivrognes ! fais-je d’un ton glacé, tandis que Magnin rit sous cape[46].

Le gros a des yeux injectés de sang et son haleine ferait reculer une ménagerie.

— C’est… heug… pour moi que tu dis ça ? fait-il d’une voix outragée !

— Pour qui serait-ce, bougre de sac à vin !

— C’est honteux ! J’ai jamais été saoul de ma vie… Je voudrais me saouler que je n’y arriverais pas…

— Ta gueule ! Fais ce que je te dis et respire moins fort, on dirait que t’as bouffé un cimetière !

Il se renfrogne. Je fais claquer mes doigts agiles afin d’attirer l’attention de mes équipiers.

— Voilà où nous en sommes, dis-je. Il y a dans cette propriété six personnes. L’une d’elles est un traître et détient des documents. Ceux-ci sont bien cachés, car notre coupable sait qui je suis et a dû prendre ses précautions. Il s’agit de le forcer à aller à la cachette, vous mordez ?

Magnin et Pinaud opinent. Bérurier éructe, ce qui revient au même.

— Alors vous allez suivre mes instructions à la lettre, dis-je…

CHAPITRE XII C’est un SECRET pour personne seule

Il me faut un bon quart de plombe pour affranchir mes pieds nickelés de mes desiderata ![47] Dans l’état euphorique de ma grosse gonfle de Bérurier, c’est plutôt coton de lui faire apprendre un rôle. Il est tellement congestionné qu’on dirait qu’il va éclater. Il y a un jaune d’œuf entier sur sa cravate et le col de sa chemise qui fut blanche dans un passé très ancien est agrémenté d’éclaboussures de vin du plus pittoresque effet. De temps à autre il passe sur ses lèvres violettes une langue de bœuf trouée comme ses chaussettes et si écœurante qu’un tigre affamé préférerait s’inscrire à la ligue des végétariens plutôt que de se la tortorer.

Ayant dressé un solide plan de campagne, je quitte mes archers afin de les laisser jouer.

Je contourne la bicoque pour rentrer et, en attendant que se déclenche le gros bidule, je vais vérifier si les deux hémisphères de Martine sont toujours accrochés là où il faut.

Elle paraît toute triste, la pauvrette. Elle me dit qu’elle a du chagrin de ce qui est arrivé à Thibaudin. Il était maniaque, ronchon, râleur, exigeant, mais elle avait pris l’habitude de marner pour lui et elle avait appris à l’estimer… Son cafard rejoint le mien. Une fois encore, j’adresse à Celui d’en haut qui tire les ficelles des pantins que nous sommes une fervente prière pour le prompt rétablissement du vieux savant…

Nous sommes en train d’essuyer nos pleurs respectifs lorsque le trio Parapluie fait une entrée très remarquée pour donner son récital.

Pinuche, dans sa gabardine souillée, ressemble à un épouvantail qui en aurait eu sa claque de faire le pied de grue dans un champ de maïs. Sa moustache élimée ressemble à deux petits morceaux de ficelle noués bout à bout sous son nez torturé. Son chapeau gondolé, ses falzars en tire-bouchon et le pan de sa chemise qui sort du grimpant complètent harmonieusement sa silhouette up to date. S’il n’y avait pas le petit Magnin, sec et strict pour rétablir l’équilibre, on prendrait mes deux boy-scouts pour des clodos de la Maube en rupture de boîtes à ordures !

Pinuche qui, en sa qualité d’inspecteur Principal, se croit autorisé à prendre les initiatives qui s’imposent, va droit au gardien.

— Inspecteur Principal Pinaud, déclare-t-il d’une voix caverneuse.

Là-dessus il éternue, ce qui agrémente aussitôt son nez d’une stalactite que son interlocuteur considère avec indécision.

— Réunissez-moi tout le personnel, poursuit Pinaud, j’ai une communication importante à faire…

Le gardien déhote en faisant fissa, impressionné par cette armada de pieds plats. J’en profite pour apparaître, avec la taille de Martine à l’intérieur du bras droit.

Bérurier pose sur le beau couple que nous formons un regard plus lourd qu’un sac de pommes de terre.

— Y en a qui s’en font pas, bredouille-t-il.

Je le fustige d’un œil sec. Il met une soupape de sûreté à son moulin à débloquer.

— Qui êtes-vous ? me demande Magnin, jouant les poulardins sans se marrer.

— Le garçon de laboratoire du Professeur Thibaudin.

— Et Mademoiselle ?

— Sa secrétaire…

— Veuillez attendre ici que tout le monde soit réuni.

La convocation des États Généraux ne tarde pas à s’effectuer.

Nous voilà tous groupés dans le hall. Pinaud prend alors la parole.

— Mademoiselle, attaque-t-il galamment, Messieurs, j’ai une pénible nouvelle à vous apprendre… Le Professeur Thibaudin a été victime d’une tentative d’empoisonnement…

Rumeur dans l’assistance. Chacun regarde les autres avec stupéfaction. Pinuche, satisfait de son effet oratoire, enchaîne :

— Nous avons pu l’interroger un peu à l’hôpital et il nous a fait certaines révélations de la plus haute importance. De ces dernières, il appert que l’invention qu’il mettait au point se trouverait en danger…

Pinaud, dit Pinuche, dit la Pinette, se gargarise de ce mot « appert » qui lui confère une certaine culture, du moins le croit-il très fermement.

Il lisse le bout de sa moustache miteuse dans les poils de laquelle adhèrent un reliquat de sauce tomate et des brins de tabac.

Puis, très noble dans sa simplicité, il continue :

— Quelqu’un, parmi vous, saurait-il où se trouve le coffre secret de M. Thibaudin ? Il aurait placé à l’intérieur des documents très circonstanciés que nous devons récupérer au plus tôt.

Le regard terne du père Pinuche parcourt l’assistance muette. Nous secouons négativement la tronche. Non, personne ne sait où se trouve le coffre, du moins c’est ce que tendent à assurer nos faces soucieuses et figées.

— Eh bien, fait Pinaud, mes collègues et moi-même allons procéder t’à une fouille complète du laboratoire… Il est dommage que Monsieur le Professeur Renaudin…

— Thibau… heug… din, rectifie Béru qui, malgré son ivresse, a une mémoire plus solide que son collègue.

— … Que Monsieur le Professeur Thibauchin, voulais-je dire, continue emphatiquement la Pinette, ait perdu connaissance avant que d’avoir pu nous révéler l’emplacement dudit coffre…

Il a fini. Une sueur généreuse perle à son front de vieux rat minable… Pinaud époussette une poussière imaginaire sur le col ignoble de sa gabardine qui donnerait des cauchemars à un teinturier.

— Mademoiselle, Messieurs, en attendant les résultats de nos investigations (il trébuche sur le terme, mais passe outre[48]), je vous serais reconnaissant de ne pas quitter la propriété… L’encours suit sa quête !

Bérurier lui touche le bras :

— Qu’est-ce que tu débloques ? fait-il.

— Hein ?

Pinuche se ravise.

— Je voulais dire : l’enquête suit son cours, excusez-moi, la fourche m’a langué ! Bon, conduisez-nous au laboratoire ! demande-t-il au gardien.

Les trois équipiers filent le train au bull-dog. Nous restons entre « employés » à nous regarder un bon moment. Je ne sais pas si vos maigrichonnes cellules grises vous permettent de piger, mais c’est maintenant, les gars, qu’on doit vérifier si ce bijou de San-Antonio est vraiment le superman réputé du Cap Nord à la Terre de Feu, ou bien s’il n’est qu’une vieille savate éculée. Parce que, mettez-vous dans l’épiderme de Monsieur X.

Que pense-t-il en ce moment ? Que ça va chauffer d’ici peu pour sa pomme reinette ! Les commentaires choisis du père Pinaud ont dû l’inquiéter… Cette histoire de documents enfermés dans le coffre lui bouffe la cervelle. Il a les chocottes que les enfants de troupe de la Maison Poulardin mettent la main sur la planque… Pour s’assurer du Chizboque, il va grimper à l’étage au-dessus et mater ce qui se passe dans le labo par le voyant des toilettes ! Pas plus duraille que ça ! Il suffisait de créer cette situation… L’essayer c’est l’adopter, faites vos jeux ! La couleur qui sort est la couleur gagnante !

Attendons…

Nous restons groupés un petit moment, à faire les commentaires qui s’imposent. Puis c’est la dislocation… Pour ma part, je sors et vais m’embusquer derrière le rosier touffu qui flanque le perron ; de ma planque, je peux voir ce qui se maquille dans le hall…

Le gros Berthier sort peu de temps après moi et passe à mes côtés sans soupçonner ma présence… Il se dirige vers l’annexe de sa démarche sautillante d’obèse… Planchoni le suit bientôt. Il le hèle, l’autre l’attend dans l’allée, et les deux collègues s’éloignent dans l’ombre en parlant de ce qui se passe.

Berger et ses tics commente la même question, je suppose, avec Duraître… Martine me cherche, ne me trouve pas et monte… Oh ! Oh ! qu’est-ce à dire ? Elle est suivie de Minivier… Du coup, je n’hésite plus. Je réapparais dans le hall et m’engage dans l’escalier… Je m’applique à ne pas faire grincer les marches… Je vois ma petite môme d’amour pénétrer dans sa chambre… Ouf, j’ai eu chaud… Minivier, par contre, va droit aux « ouatères ». Le San-Antonio n’est pas du tout dévalué, mes chéris… Il tient son cours en bourse, vous le voyez ! N’avait-il pas, par recoupements successifs et pertinents, accroché un énorme point d’interrogation à la personnalité du jeune médecin ?

J’attends qu’il soit entré dans les toilettes et qu’il ait refermé la porte… Je n’ai plus qu’à attendre maintenant en montant la garde devant cet endroit peu romantique.

Quelques minutes s’écoulent… Un bruit caractéristique et très niagaresque retentit. Minivier sort en ajustant ses fringues. Il est fortiche pour donner le change, seulement c’est l’enfance de lard !

— Alors, doc, fais-je en lui barrant la route, on vient de faire sa petite inspection !…

Il me toise sans paraître comprendre.

Je sors mon pétard, un gros machin tout noir qui vous crache des noyaux de prunes longs comme ça !

Il pâlit et a un mouvement de recul.

— Sage ! je grogne, tu es fait, mon gars…

Nature, le voilà qui me joue l’acte deux de « Je suis un innocent ».

Fallait s’y attendre.

— Qu’est-ce que c’est que cette plaisanterie ? demande-t-il d’une voix pointue…

— C’est la fin d’une plaisanterie, mon lapin… Allez, oust, tes pognes, inutile de faire du mélo, je te dis que tu es fait !

— Mais enfin, c’est insensé…

Tandis qu’il proteste, je lui passe le cabriolet.

Il regarde ses poignets enchaînés comme si c’était la première fois qu’il voyait des mains.

— Ah ! ça, allez-vous m’expliquer ?

— Pas de salades, tu sais très bien que je suis de la police !

— Vous !

— Oh ! finis de jouer les candides, tu ne fais pas vrai ! Allez, descends…

Il ne bronche pas. Ses mâchoires sont crispées.

— Vous allez m’enlever ça immédiatement, sinon il vous en cuira !

— Cause toujours, mon petit Pasteur ! Je te répète qu’il est inutile de nier…

Pour le confondre, je le pousse d’un coup de genou dans le réduit qu’il vient de quitter. Je vais à l’orifice du plancher et j’aperçois mes bons potes en train de farfouiller sans ardeur le laboratoire…

— Ça t’a rassuré, de voir l’incompétence des flics, hein, Trognon ?

Il se penche à son tour.

— Qu’est-ce que c’est que ça ?

— Un gentil travail d’optique, Monsieur l’astronome !

— Mais…

— Viens…

— Vous ne pensez pas que je me suis amusé percer le plancher ?

— Non, je ne pense pas que ce soit par jeu que tu l’aies fait !

Malgré ses protestations, je l’entraîne au rez-de-chaussée. Je dis au bull-dog éberlué d’avertir mes hommes, et le trio Parapluie se radine…

— Suffit, les enfants, la ruse a réussi… Embarquez-moi ce loustic dans la bagnole, je vous rejoins…

Bérurier, qui commence à se dessaouler, met un ramponneau-express au plexus de Minivier qui se casse en trois. Le Gros est très farceur. Dès qu’il voit un inculpé, il faut qu’il le chahute un brin pour s’entretenir la pogne. Un jour, il a cassé la frite d’un juge d’instruction de province qu’il avait pris pour un malfrat.

Minivier cesse de bramer à l’erreur judiciaire. Il paraît accablé. Lorsqu’il s’est éloigné, escorté par mes sbires, je me tourne vers Berger et Duraître qui ont assisté à l’arrestation sans piper.

— Voilà, leur dis-je… Le coupable est arrêté… La Justice est triomphante… Vous pouvez aller dans vos appartements. Suivant l’état de santé du Professeur, je vous dirai ce que vous devrez faire… Allez prévenir vos collègues.

Ensuite, je vais rejoindre les miens.

Ils sont tous les trois dans la bagnole avec Minivier qui ne moufte pas. Je dis à Magnin de sortir pour me laisser sa place. Il le fait et en profite pour allumer une cigarette de la Régie Française des tabacs.

Je me mets à l’avant, près de Pinaud. Béru est installé aux côtés de notre prisonnier.

— Avant de vous embarquer, Monsieur Minivier, dis-je, j’aimerais récupérer les documents que vous savez. Voulez-vous avoir l’extrême obligeance de m’indiquer où ils se trouvent ?

— Je vous répète que vous faites fausse route, déclare le jeune médecin. J’ignore tout de cette affaire…

Il n’a pas le temps d’en dire plus long. Béru vient de lui coller un revers de main qui a écrasé les lèvres du jeune toubib.

— Bouscule pas le docteur, dis-je, chiquant à la bonne âme… Il n’est pas sensible à ces procédés brutaux, pas vrai, doc… Je suis certain que vous allez parler sans nous obliger à ces pénibles voies de fait !

— Parler pour clamer mon innocence, murmure le jeune gars à travers les deux limaces sanglantes qui lui servent de lèvres…

C’est pas une mauviette, malgré son aspect fragile. Il sait bien que tant que je n’aurai pas la main sur les documents, il pourra nier, car il m’est impossible de faire la preuve de sa culpabilité.

Je décide de lui faire le grand jeu. Pour commencer, une nuit au placard spécial de la grande cabane lui fera du bien.

— Emmenez ce client chez Plumeau, dis-je à mes subordonnés… On l’interviewera demain ! Toi, Pinaud, reste avec moi !

Le Vieux descend en maugréant.

Je cède ma place à Magnin et le convoi s’ébranle. Je ne souhaite à personne la gâche de Minivier. Faire un voyage dans ces conditions, avec un Bérurier rendu maussade par la gueule de bois, c’est une remise assurée de cent ans de purgatoire !


Je désigne l’annexe à Pinuche et je lui demande d’aller surveiller un peu les quatre zigs qui s’y trouvent.

Maintenant, le pavillon est sans âme… Je vais dans le bureau du Vieux afin de téléphoner à l’hôpital d’Évreux. Le diro m’apprend que l’état du malade est stationnaire. Le fameux toxicologue est à son chevet et on tente l’impossible !

Je raccroche. Indécis, je passe dans le labo qui est resté éclairé… Je vais au coffre et j’essaie de l’ouvrir encore, mais macache ! Lido ne répond plus…

Tout à coup, une petite sonnerie d’alerte carillonne sous ma coiffe. Je pars à la recherche du bull-dog et je le trouve occupé à consommer un casse-croûte de voyou[49] sur son lit de camp qu’il vient de déplier.

Je m’assieds près de lui sur le pucier.

— Dites voir, Vieux, vous vous souvenez qu’hier au soir je vous ai demandé de me prévenir si le Professeur Thibaudin retournait dans la nuit à son laboratoire ?

— Oui, Monsieur le Commissaire…

— Well ! Pourquoi ne l’avez-vous pas fait ?

— Parce qu’il n’y est pas retourné…

Je me rembrunis[50].

— Vous voulez dire que personne n’est entré ici entre l’instant où nous en sommes sortis, le Prof et moi, hier soir et ce matin ?

— Non, personne !

— Vous êtes sûr ?

— Voyons, Monsieur le Commissaire, j’étais en travers de la porte, vous savez bien que pour entrer il faut que je m’écarte… Je n’ai pas fermé l’œil un instant ! J’ai lu…

— Attendez, ne nous affolons pas. Ce matin, vous étiez à votre poste encore quand le Professeur a… a eu sa crise ?

— Je m’apprêtais à partir.

— Comment cela s’est-il passé ?

— Il est entré… Il a porté la main à son cœur. L’un de ces Messieurs, je crois que c’est le docteur Duraître, lui a demandé ce qu’il avait. Il a répondu… « Oh ! un point au cœur sans doute ! » Il est allé à la porte du labo, l’a ouverte, et c’est alors qu’il est tombé raide…

Je suis saisi d’un étrange malaise. Ce n’est donc pas Thibaudin qui a modifié le mot de passe de la combinaison.

— Allez me chercher votre collègue de jour…

L’homme s’éloigne. Je prends sa place sur le lit. Je croise les mains derrière ma tête et je gamberge sérieusement ! Décidément ça continue à ne pas tourner rond. Quelque chose me trouble… Je reste sur ma faim… L’arrestation de Minivier ne m’a pas satisfait complètement. Vous savez, tas de betteraves moisies, combien je fonctionne à l’intuition ? Non, il y a un truc pas ordinaire à découvrir… Mais quoi ?

Le bull-dog revient avec son collègue du jour, un bourru aux cheveux gris.

— Vous êtes demeuré en permanence dans le hall aujourd’hui ? je demande à celui-ci.

— P’faitement, M’sieur !

— Qui est entré au laboratoire ?

— Ben, les ceusses de d’habitude…

— C’est-à-dire ?

— Ben les trois, quoi ! Duraître, Berger, Berthier…

— C’est tout ?

— Plus la petite demoiselle qui est allée et venue…

— Le Docteur Minivier n’est pas entré ?

— Non…

— Sûr ?

— Certain !

L’arrestation du jeune toubib commence à me peser sur la conscience. Vous voyez pas qu’il soit allé aux toilettes tout à l’heure pour des raisons tout à fait naturelles ?

— Planchoni non plus ?

— Non…

— Très bien, allez me chercher Duraître…

— Bien m’sieur…

Je regarde le bull-dog tandis que son collègue disparaît.

— J’ai l’impression de collectionner l’erreur judiciaire, lui dis-je.

C’est plus à moi qu’à lui que je m’adresse.

J’ai besoin de dire à haute voix mes pensées intimes… Je dois avoir le courage de mes erreurs.

Nous n’échangeons plus une parole avant l’arrivée de Duraître. J’entraîne le médecin au laboratoire.

— Vous avez travaillé ici avec vos assistants aujourd’hui ?

— Nous avons bricolé plutôt. Vous savez, le cœur n’y était pas, avec cette histoire du vieux Maître !

— Je comprends… Vous êtes toujours restés tous les trois dans cette salle ?

— Comment cela ?

— Je vous pose ma question autrement : l’un de vous est-il demeuré seul à un moment ou à un autre ?

— Non…

— Réfléchissez bien, Docteur, c’est très grave…

Il se chope le menton entre deux doigts et s’abîme dans une gamberge prolongée. À la fin, il redresse la citrouille.

— Non, répète-t-il. Je suis certain que personne n’est demeuré seul…

— Pas même la petite Martine ?

— Elle n’a jamais séjourné ici plus de quelques minutes… Du reste, elle n’a rien à y faire…

— Je m’en doute… Ça va, doc, c’est tout ce que je voulais savoir…

CHAPITRE XIII Puisqu’il s’agit d’un coffre à SECRETS

Duraître est un peu surpris de voir l’entretien tourner court. Seulement, j’ai besoin de me concentrer comme une boîte de lait Nestlé.

Personne n’a pu toucher ce satané coffre depuis que nous avons quitté le labo la veille au soir, le Professeur Thibaudin et moi. Cela signifie une chose : le Vieux n’a pas réglé le système de sécurité du coffre sur le mot Lido, ainsi qu’il l’avait dit. Pourquoi ? Parce qu’il n’avait pas confiance en moi ! Il est trop méfiant pour confier un tel secret à une autre personne, fût-ce à un flic… Si le vieux savant clabote, on va être obligé de découper le coffre au chalumeau pour l’ouvrir ; à moins que…

Ça me donne une idée plus lumineuse que les Champs-Élysées par une nuit d’Entente Cordiale !

Je décroche le bigophone et je demande le numéro du « Bar Baras » à Montrouge… C’est un troquet minable qui possède, en fait d’attraction, une taulière de cent trente kilos et un billard électrique tellement « bricolé » par les malfrats qui hantent l’établissement qu’il suffit de le regarder pour qu’il fasse Tilt !

La voix barrissante du tas de viande qui dirige cette usine à petits blancs demande ce que je veux. Je dis que je suis un pote de la province et que j’aimerais parler à Landolfi-la-Béquille.

Il y a la classique minute d’hésitation ; le non moins classique « Attendez-je-vais-voir-si-qu’il-est-là »… Puis la voix nasale de Landolfi me froisse les trompes d’Eustache.

— Allô !

— C’est toi, Lando ?

— Qui est à l’appareil ?

— Commissaire San-Antonio…

— Tiens…

Nouveau silence aussi poisseux qu’un berlingot sucé. Un vieux pébroque comme Landolfi a beau se tenir les pieds au sec, ça lui coupe toujours la parlote lorsqu’un perdreau le relance.

— J’ai besoin de toi, Lando…

— Ah vraiment ?

— Oui… Seulement je suis dans les Provinces franchecailles… Tu as ta tire dans les horizons ?

— Oui, mais…

— Pas de mais… Précipite-toi au volant et cramponne la route d’Évreux…

— Évreux !

— Oui, le pays où la bonne femme de la chanson voulait vendre des œufs avant de s’endormir dans le train… Fais pas comme elle !

— Mais, Monsieur le Com…

— Je t’ai dit que je ne voulais pas t’entendre bêler… À dix bornes de la ville tu verras une maison écroulée sur le bord de la route… Tout de suite après y a un chemin… Chope-le ! Tu le suis sur trois bornes et à main droite tu apercevras une grande propriété avec plein de bagnoles arrêtées… C’est là que je t’attendrai… Tâche de ne pas me faire faux bond, sinon j’irai de mes propres mains te casser ta béquille sur le bol, vu ?

Je raccroche. Je sais qu’il viendra. Ça n’est pas la première fois que je fais appel aux talents particuliers du père Landolfi. Le vieux rital est renaudeur comme point, mais il ne voudrait pas me jouer « Cruelle absence »… Il y a une dizaine d’années, je l’ai crevé dans une affaire où il avait joué un rôle secondaire… Mais les durs de son espèce ne gardent jamais rancune à un Royco de lui avoir filé la paluche au colback. Ils savent que c’est la règle du jeu.


Pinuche fait une entrée discrète dans le burlingue du Prof. Il éternue violemment, chaque fois on dirait qu’il explose.

— T’as pris froid ? m’enquiers-je…

Il fait un signe négatif qui a pour résultat de projeter l’une de ses stalactites sur le mur le plus proche.

— Ce sont les beuilles, dit-il, le nez obstrué.

— Quoi ?

— Les beuilles tes arbres ! En zette zaizon, elles zont une oteur qui be bonte au nez !

— Tu devrais ramper…

Il hausse les épaules. Puis, d’une voix geignarde :

— Tis, qu’est-ze qu’on vait ? Boi j’ai vaim !

— Tu as faim ?

— Foui.

— Demande à la jeune fille de te préparer un en-cas !

— Où est-d’elle ?

— Sa chambre est au second, la première lourde après l’escadrin.

Pinuche s’éloigne… Je reste en compagnie de mes pensées. Celles-ci sont de plus en plus nombreuses et insistantes. L’atmosphère de cette propriété commence à me peser vachement. Moi qui aime l’action, je supporte mal cette longue claustration, ce climat lourd, ce mystère bizarre, à facettes, devrais-je dire, qui n’a jamais le même aspect…

Je perçois des clameurs dans l’escalier…

Et j’identifie sans mal la voix chevrotante de mon collaborateur.


— San-Antonio ! Arribefite ! Arribefite !

Je m’élance, comprenant qu’il vient de se produire du nouveau.

Pinaud se tient au sommet de l’escalier, le chapeau en bataille, la morve étirée, le regard flottant.

— La jeune fille, fite !

Je cours à l’escalier en criant au bull-dog de surveiller l’entrée du labo…

Pinaud me chuchote à l’oreille.

— Je grois qu’elle est emboisonnée !

Seigneur ! Qu’est-ce que ça veut dire, ça encore !


J’entre en trombe dans la chambre où je me complus naguère à batifoler[51]. Mon regard embrasse[52] un spectacle déprimant.

Martine est allongée sur le parquet. Elle est secouée de spasmes terribles et vomit comme tous les passagers d’un ferry-boat un jour où la Manche débloque. Pas de doute, quelqu’un se l’est farcie au barbiturique…

Je me précipite et je la saisis dans mes bras…

— On va vite l’embarquer à l’hosto, dis-je à Pinuchet… Soutiens sa tête…

Et nous voilà partis avec ce délicat chargement. Le veilleur de noye en est une fois de plus médusé[53].

Nous faisons fissa à travers le parc jusqu’à ma voiture… Et fouette cocher : en route pour l’hosto. Décidément on les fait marner dur, les carabins d’Évreux… Ils vont appeler des renforts si ça continue.


Le diro s’apprêtait à monter dans sa voiture lorsque je stoppe dans un miaulement de freins qui ferait croire à l’arrivée du cirque Barnum. Il s’avance vers moi.

— Vous venez prendre des nouvelles, mon cher ?

— Oui et non. Je vous amène surtout une nouvelle cliente !

Il nous regarde sortir Martine.

— Que lui est-il arrivé ?

— Je pense qu’elle a été empoisonnée. Mais ça ne doit pas être le même poison que pour le Professeur car elle a des nausées violentes alors que lui n’en avait pas…

Il donne des instructions pour faire transporter la jeune fille dans une chambre. Puis il entre à la suite de la malade en nous priant de l’attendre.

— Qu’est-ce que ça veut dire ? demande Pinaud…

— J’aimerais le savoir. Qui a pu l’empoisonner, et pourquoi ? Sait-elle quelque chose que le vrai coupable voulait l’empêcher de révéler ?

— Peut-être s’agit-il d’un accident ?… propose mon éminent collègue dont le calme aime se satisfaire d’explications naturelles.

Le médecin-chef revient.

— Je ne crois pas que ce soit grave, dit-il… Le pouls est normal… Le fait qu’elle ait vomi l’a sans doute sauvée… On va lui faire un lavage d’estomac.

— Faites analyser ses déjections, je recommande. Et dès qu’elle aura repris connaissance, prévenez-moi !

— Entendu.

— Comment va le Professeur ?

— Le toxicologue de Paris s’occupe de lui, mais très franchement il est impossible de se prononcer… Il est toujours dans un demi-coma… On a l’impression qu’il réalise ce qui se passe, mais il n’a pas la force de se manifester… Demain sera décisif…

— Je vous ai déjà dit que je voulais qu’on le sauve ! Docteur…

Je commence à l’agacer.

Il me le fait savoir d’un haussement d’épaules.


Landolfi n’est pas encore arrivé lorsque nous sommes de retour à la propriété. Le hall est encombré par Messieurs les assistants qui commentent avec énervement les multiples incidents de cette journée fertile en incidents.

L’empoisonnement de Thibaudin, la disparition des documents, l’arrestation de Minivier, l’empoisonnement encore de Martine, c’est plus qu’il n’en faut pour perturber l’existence de braves et paisibles savants…

Braves et paisibles ? Savoir… M’est avis que je me suis gourré sur toute la ligne. Le vrai coupable se trouve parmi ceux-ci. C’est l’un de ces quatre hommes qui a empoisonné Martine, Minivier n’étant plus là !

Lequel ? Le gros Berthier ? Le petit Berger à ressorts ? Le taciturne Planchoni ? Ou bien… Duraître, mon confident ? Si jamais c’était lui, je ne croirais plus du tout en mon fameux instinct.

J’évoque brusquement l’attirail photographique de Berger… Pourquoi n’ai-je pas repris le dessus après qu’il m’a eu mis K.O. pour essayer de lui faire dire ce qu’il avait dans le bide ?

Enfin, je suis toujours à temps de m’occuper de lui maintenant. Mais auparavant[54] je veux savoir ce que contient le coffre de Thibaudin…

Justement, le gardien du portail radine, escortant Landolfi. Le vieux rital porte un costar d’alpaga gris clair, tout taché, un feutre à larges bords et il a troqué sa légendaire béquille contre une canne pourvue d’une tige métallique sur quoi peut s’appuyer l’avant-bras.

— Ce monsieur veut vous parler, déclare le garde.

Je m’avance vers le malfrat, la main tendue.

— Salut, Lando, c’est chic à toi d’être venu… Dis donc, t’as fait des frais, te voilà sapé comme un dandy…

Il sourit.

— Faut soigner son standing de nos jours M. le Commissaire…

— Arrive, je veux te montrer quelque chose.

On s’enferme tous les deux dans le labo et je lui montre le coffre. Il a pigé. Pourtant je le chambre un peu.

— Landolfi, pendant cinquante piges, t’as été le roi du coffre blindé. Tu possèdes un toucher d’accoucheuse et même les ricains ont fait appel à tes dons, d’après ce que je me suis laissé dire…

Il rosit de plaisir…

— Oh, vous me faites trop d’honneur, Monsieur le Commissaire…

— Ça va, restez couvert, Monsieur le Baron !

Redevenant grave, je lui désigne le coffre.

— Faudrait t’expliquer avec ce Monsieur-là, mon gars. Je vais te rancarder sur ce que je sais de sa vie privée : le bouton moleté est à quatre combinaisons de chiffres et quatre de lettres. Le type qui se servait de lui changeait tous les jours de combine. Il prenait tantôt les lettres ; tantôt les chiffres… Et il composait, autant que possible des mots cohérents et des nombres fastoches à retenir… Alors, amuse-toi…

Je tire une chaise à moi et m’assieds à califourchon dessus. Landolfi sort des lunettes à monture de fer de sa poche et en chausse son nez pointu. Puis il extrait de son portefeuille un petit morceau de peau de daim… Il s’astique le bout des doigts de la main droite dessus, très longuement… Ceci, je le sais, afin d’affûter son sens tactile ultradéveloppé.

Il se penche enfin sur le bouton moleté. Il examine pendant dix bonnes minutes ce simple objet comme si c’était un kaléidoscope à l’intérieur duquel il peut voir des choses pharamineuses… Ensuite il se met à le tripoter doucement, doucement, de ses doigts si sensibles. Il a le masque ravagé par l’attention. Sa bouche entrouverte exhale un souffle très court, très haletant…

Lorsqu’il a bien caressé le bouton[55], il se met à le tourner dans un sens puis dans un autre, très légèrement. Ce gars-là serait capable de peindre sur des bulles de savon !

Ça dure un bout de temps. Je transpire d’énervement. Dans le silence du labo, on ne perçoit que le bruit de nos respirations inégales et le menu cliquetis du bouton moleté.

Enfin Landolfi se redresse. Il pose ses lunettes et décrit plusieurs mouvements de manivelle avec son bras droit, pour le désankyloser.

— Ça ne va pas ? fais-je, inquiet.

— Mais si, dit le vieux truand, ça y est…

— Comment, ça y est ?

— Vous pouvez ouvrir…

J’en reste asphyxié. Comment sait-il qu’il a réussi ?

Je saute de ma chaise et je vais saisir la lourde du coffre. Elle s’ouvre en effet sans opposer la moindre résistance.

Je me tourne vers Landolfi. Appuyé sur sa canne à changement de vitesse, il me considère de ses petits yeux malins.

— Toi, lui fais-je, t’es une épée !

Je sors mon portefeuille et je pique deux grands formats célébrant la jeunesse du sieur Bonaparte.

— Chope ça et décarre, je le mettrai sur ma note de frais…

Il repousse les biftons.

— Pas entre nous, M’sieur le Commissaire… Quand on peut se rendre des petits services réciproques, on ne doit pas se les faire payer. On est sur terre pour s’entraider…

J’éclate de rire.

— Bougre de vieux farceur, va !

Il cligne des yeux et part en claudiquant…


Lorsque la porte du labo s’est refermée sur lui, je me penche sur le coffre et je saisis la chemise de bristol emplie de papiers qui s’y trouve. L’idée que je tiens dans mes robustes mains une invention aussi considérable me fait trembler d’émotion.

Je dépose la chemise sur le marbre d’une table à manipulation. Je l’ouvre et je reste knock-out debout : elle ne contient que des feuilles de papier blanc…

C’est dur à piger. C’est dur à admettre… Pourtant je dois convenir que lorsque le roi des céhoènes mourra, comme il s’agit d’une monarchie constitutionnelle, je pourrai espérer lui succéder ! D’un geste rageur, je flanque les paperasses dans la corbeille.

CHAPITRE XIV Il n’y a plus de SECRET

— Tu es tout pâle, observe Pinaud, on ne t’aurait pas empoisonné, toi aussi ?

— Si, lui dis-je. On m’a empoisonné l’âme… Il secoue la tête.

— Si ce n’est que l’âme, c’est pas dangereux. Ce mot « empoisonnement » calme ma fureur et me fait songer à la petite môme Martine. Comment lui a-t-on fait avaler le bocon, au fait ?

Je décide de grimper à sa chambre. J’ai besoin pendant un moment d’oublier cette sacrée chiatique invention. Je ne veux plus penser au secret du coffre. Son secret, c’était justement de ne pas en contenir. Il était placé là pour capter l’attention. Il m’obnubilait et ce n’était qu’une boîte à papiers !

Donc, j’escalade les marches et j’entre dans la chambre de la jeune fille. Il y flotte une odeur pénible. Je me dégrouille d’aller ouvrir la fenêtre pour aérer un peu…

Ensuite, je regarde autour de moi, cherchant un indice quelconque qui pourrait me mettre sur la voie. Ce poison, il a bien fallu le véhiculer jusqu’à l’estomac de la petite. Alors, comment l’empoisonneur s’y est-il pris ?

J’ai beau chercher, je ne vois ni verre, ni bouteille, ni tasse… Rien ! Je fouille la pièce, j’explore le cabinet de toilette : en vain…

Chaviré par l’odeur, je vais m’accouder à la croisée… La nuit est immobile. On entend un rossignol qui joue dans les taillis à Marino Marini. Tant de paix me trouble. Comment le drame peut-il croître et se multiplier dans ce calme quasi céleste ?

Mon regard soudain est attiré par quelque chose de brillant dans l’herbe, sous la croisée… Je fixe attentivement cette direction, mais je n’arrive pas à me faire une opinion quant à la nature dudit objet. Le mieux c’est d’aller regarder de près.

Je descends et je vais sous la fenêtre de Martine. Je constate alors que ce qui brillait n’était pas d’or, mais de verre puisqu’il s’agit d’un petit flacon caressé par un petit rayon de lune. Je le ramasse et porte le goulot à mes narines… Ça me fait froncer à la fois le tarin et les sourcils…

J’examine attentivement ma trouvaille et il se passe alors dans ma centrale portable un phénomène de cristallisation…

Oui, tous les éléments épars, tous les faux pas, toutes les pensées saugrenues que j’ai eus précédemment se mettent à danser une ronde effarante sous ma coiffe et prennent une place qui leur était assignée depuis longtemps…

Je cavale en galopant dans le laboratoire… Je ramasse dans la corbeille à fafs le dossier contenant les feuillets blancs et je me trotte jusqu’à ma voiture…

Pinuche radine à ce moment-là, porteur d’un formidable sandwich qu’il a réussi à dénicher quelque part.

— Où vas-tu ?

— À l’hosto… Que font ces bons Messieurs ?

— Ils se couchent…

— Très bien… Le sommeil est le meilleur des passe-temps Attends-moi, je reviens, et ne laisse partir personne…


Nouveau trajet à fond de ballon jusqu’à l’hôpital d’Évreux où mes arrivées en trombe commencent à être connues…

Une infirmière en chef sort, furax.

— Dites donc, hurle-t-elle, vous devriez penser que des malades dorment ! En voilà des façons de freiner…

— Criez pas comme ça, M’dame ! imploré-je, j’ai eu une fissure au tympan et vous allez la faire péter !

Elle ne prise pas la plaisanterie[56].

— Malhonnête !

Je m’élance dans les couloirs…

— Où allez-vous ? crie-t-elle.

— Aux fraises, j’ai justement apporté une échelle…

Vous savez comme mon sens de l’orientation est développé. Bien que j’aie été passablement désorienté ces trois jours, je retrouve aisément la chambre de Martine.

Une infirmière assez moche de hure, mais assez bien carrossée pourtant, se lève.

— Monsieur ? fait-elle…

— Comment se porte notre malade ?

— Mais…

— Police !

— Ah ! Eh bien je crois qu’elle est hors de danger…

— Je le crois aussi, dis-je…

Je m’avance vers le lit où Martine repose, les yeux clos.

Je chope le couvre-lit et le jette par terre.

— Mais qu’est-ce que vous faites ? s’écrie l’infirmière.

En guise de réponse, je rabats les couvertures de Martine. Cette dernière ouvre les yeux. Elle paraît me reconnaître ! D’une toute petite voix elle soupire…

— Oh ! c’est toi, mon chéri…

Je me penche sur elle, je la chope comme un sac de linge sale et je la fous par terre.

Le brouhaha est inexprimable. L’infirmière crie à la garde, Martine pousse des glapissements suraigus… Brèfle, c’est le gros patacaisse !

Moi, je soulève son oreiller, puis son matelas… Et je trouve alors ce que j’étais certain d’y trouver : un étui pour pigeon voyageur… J’ouvre celui-ci… Il contient un très petit rouleau de papier argenté. Je le palpe, c’est mou… Je sais ce que c’est…

Affalée sur la couvre-pointe, Martine paraît beaucoup moins malade, et beaucoup moins gentille. Ses yeux sont aussi cordiaux que ceux d’un lion qui s’est fait prendre la queue dans l’engrenage d’un moulin à café.

L’infirmière qui était sortie en courant revient escortée de deux solides infirmiers. Comme les manipulateurs de chairs malades s’apprêtent à me foncer dessus, je leur montre mon feu.

— Stop, je suis de la police et j’arrête cette gonzesse, remisez vos biscotos, les gars !

On s’entend très bien, eux et moi. Surtout que l’attitude de Martine est éloquente.

Galant, je l’aide à se redresser. Elle s’assied sur le lit.

— Maintenant, lui dis-je, faut passer à la caisse, ma jolie… J’ai tout pigé !

Je tire de mon mouchoir le flacon trouvé au bas de sa fenêtre.

— Tu as été un peu hâtive, tu vois… Si tu avais envoyé ce flacon dans un fourré au lieu de le jeter simplement dans l’herbe, je n’aurais sans doute rien découvert…

Elle me regarde, intéressée malgré sa fureur véhémente.

— De l’ipéca ! poursuis-je… C’est-à-dire un vomitif très puissant et vieux comme mes robes ! Tu l’as avalé toi-même… Regarde, il y a encore des traces de ton rouge à lèvres après le goulot. C’est ça qui m’a ouvert les yeux… Tu étais la seule bonne femme du pavillon, je ne pouvais pas me tromper !

Elle a un sale sourire.

— Hum, très fort, le policier… Et alors, qu’est-ce que ça prouve ?

Je la gifle. Ça fait un petit moment déjà que j’en ai envie et on ne doit jamais se refouler trop longtemps, après ça vous colle des complexes…

— Crâne pas, fillette…

Et votre San-Antonio génial de continuer son brillant exposé.

— Quand tu as vu la maison occupée par la police, tu as compris qu’on allait passer la boîte au peigne fin… Alors tu as voulu planquer tes films, hein ?

Je fais sauter le rouleau de papier argenté dans ma main.

— Des microfilms… Tu as un appareil photo minuscule… Un truc bidon que je dénicherai bien, maintenant que je sais… Peut-être est-ce une broche truquée, peut-être…

Elle lève son poignet.

— Ce n’est qu’une montre, Monsieur le flic !

— Parfait, mignonne, ça m’évitera de chercher… Donc, tu avais les films des travaux du Prof et tu voulais les évacuer. Seulement, si tu avais quitté la maison par des voies normales, ça aurait attiré l’attention de Messieurs les poulets, hein ? Alors tu as joué les empoisonnées. Comme ça, ce sont les bignolons eux-mêmes qui t’emmenaient… Et ils ne pensaient pas à te fouiller, ma belle, vu que tu avais l’air d’une pauvre victime…

Elle sourit encore.

— Exact…

— Vois-tu, fais-je, lorsque j’ai découvert la lentille dans le plancher…

Elle a un haut-le-corps.

— Mais oui, je l’ai trouvée, tu vois ! À partir de cet instant j’ai fait mille suppositions, mais quelque chose me chiffonnait. Je me disais que pour photographier le travail du Vieux, il fallait se trouver en permanence près du judas, or personne dans la maison, pas même toi, ne pouvait se barricader dans les gogues à longueur de journée, of course ! C’est ce soir que j’ai pigé…

Elle a un tressaillement des paupières.

— Oui, amour joli, j’ai compris ça itou…

Et j’y vais de ma grosse trouvaille.

— Thibaudin est un maniaque, on l’a dit cent fois… Un forcené de la prudence… Il avait tellement les chocotes qu’on chourave son invention que non seulement il bouclait ses papiers dans un coffre secret, mais, de plus, il les transcrivait à l’encre sympathique !

Ce travail-là, il l’effectuait le soir, lorsque tout le monde était couché ; ou du moins, lorsque Thibaudin croyait que tout le monde était couché. Mais toi, à ce moment-là, toi qui habitais dans la maison… toi qui surveillais ses faits et gestes, tu allais prendre position près du trou du plancher et tu photographiais ces fameuses notes qu’il mettait bien en évidence devant lui pour les recopier. Tu pouvais prendre tout ton temps, pas vrai, chérie ?

Elle soupire.

— Dix sur dix, Commissaire. Je ne vous croyais pas si fort.

— Dès le premier jour, tu as su qui j’étais parce que tu as assisté de ton judas à ma visite du labo avec Thibaudin, pas vrai ?

— Oui.

— De même, le coup des pigeons était magnifique… Tu t’es aperçue sans mal de la substitution… Nous avions, de nuit, commis une grave erreur avec la couleur des pattes… Tu as vu l’occasion rêvée de nous pousser à des décisions extrêmes…

Je m’assieds sur le lit.

— Dis-moi, tu te doutais que nous allions liquider le Prof ?

— Naturellement…

— En agissant ainsi, tu l’empêchais d’achever ses travaux…

Elle a un indéfinissable sourire… Je la secoue.

— Il les avait finis, hein ?

— Oui, dit-elle, depuis déjà huit jours…

— Mais pourtant…

Son curieux sourire s’accentue.

— Il était en pourparlers pour les céder à une puissance étrangère…

Je me mets à hurler :

— Tu mens !

— Non. Vous savez que ses fils ont été tués… Ce que vous ignorez c’est qu’ils sont morts dans un bombardement américain… Le Professeur en avait une haine forcenée pour les Américains. En vieillissant, ça tournait à l’idée fixe… Il savait que, par le jeu des alliances, la France communiquerait sa découverte aux U.S.A. Il s’y refusait… Il préférait la donner aux autres…

Soudain le problème change d’aspect.

— Ce qui veut dire que toi, tu travailles pour l’Occident ?

Elle sourit.

— Je travaille pour une organisation qui vend à qui paie le mieux.

— Ah bon… Je vois…

La révélation qu’elle vient de me faire, touchant la traîtrise du Vieux, me secoue.

— Tu es sûre de ce que tu avances au sujet de Thibaudin ? Il voulait remettre aux Russes sa découverte…

— Oui. J’ai surpris une communication téléphonique qu’il a eue avec l’ambassade soviétique… Il a téléphoné le jour de votre arrivée en demandant d’annuler un certain rendez-vous…

Je reste un moment sans penser… Vous savez, on a comme ça, après de trop fortes périodes de tension nerveuse, des passages à vide.

— Bon, habille-toi ! On rentre à Paris…

— Qu’allez-vous faire de moi ?

— Je l’ignore, mes Chefs décideront…

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