2L’Ombre du passé










Les bavardages ne s’arrêtèrent pas en neuf jours ni même en quatre-vingt-dix-neuf. On parla de la seconde disparition de M. Bilbo Bessac à Hobbiteville, et dans tout le Comté, en fait, pendant un an et un jour ; et on s’en souvint bien plus longtemps encore. On en fit une histoire à raconter aux jeunes hobbits, le soir, au coin du feu ; et Bessac le Fou, qui avait l’habitude de disparaître avec une explosion et un éclair pour mieux réapparaître avec des sacs d’or et de joyaux, finit par devenir un personnage de légende, si connu et apprécié qu’il survécut longtemps après que les véritables événements eurent été oubliés.

Mais pour l’heure, l’ensemble du voisinage était d’avis que Bilbo, qui avait toujours été un peu fêlé, avait fini par perdre complètement la raison et était disparu dans la nature. Là, il avait dû tomber dans un étang ou une rivière, trouvant ainsi une fin tragique, mais guère prématurée. On s’accorda généralement à dire que c’était la faute de Gandalf.

« Si ce fichu magicien veut bien laisser notre jeune Frodo tranquille, peut-être qu’il finira par se fixer et qu’il prendra de la graine de hobbit », disaient-ils. Et selon toute apparence, le magicien laissa Frodo tranquille, et celui-ci se fixa bel et bien ; mais de la graine de hobbit, il n’en prit pas de manière évidente. En effet, le jeune hobbit s’attira immédiatement la même réputation d’excentrique que Bilbo. Il refusa de porter le deuil ; et l’année suivante, il donna une fête en l’honneur des cent douze ans de Bilbo, qu’il baptisa le Festin du Long Quintal, soit cent douze livres de poids. Mais c’était peu dire, car il y eut vingt invités et plusieurs repas où la nourriture neigea et où les boissons plurent, comme disent les hobbits.

Certains en furent plutôt choqués, mais Frodo continua de célébrer année après année l’anniversaire de Bilbo jusqu’à ce qu’on s’y habitue. Il disait qu’il ne pensait pas que Bilbo était mort. Quand on lui demandait : « Où est-il, alors ? », il haussait les épaules.

Il vivait seul, comme Bilbo avant lui ; mais il avait bon nombre d’amis, en particulier chez les plus jeunes hobbits (surtout des descendants du Vieux Touc) qui avaient bien connu Bilbo et Cul-de-Sac durant leur enfance. Folco Boffine et Fredegar Bolgeurre en faisaient partie ; mais ses plus proches amis étaient Peregrin Touc (communément appelé Pippin) et Merry Brandibouc (son vrai nom était Meriadoc, mais on s’en souvenait rarement). Frodo faisait des randonnées avec eux dans le Comté, mais il partait le plus souvent seul ; et à la stupéfaction des gens sensés, on l’apercevait parfois en train de marcher loin de chez lui, à travers les bois et les collines, à la lumière des étoiles. Merry et Pippin le soupçonnaient de rendre visite aux Elfes à l’occasion, comme Bilbo avant lui.

À mesure que le temps passait, on commençait à remarquer que Frodo montrait lui aussi des signes de « bonne conservation » : extérieurement, il gardait son allure robuste et énergique, tel un hobbit à peine sorti de la vingtescence. « C’est toujours les mêmes qui ont de la chance ! » disait-on ; mais il fallut attendre que Frodo soit au seuil de la cinquantaine, âge d’ordinaire moins exubérant, pour qu’on commence à trouver cela bizarre.

Frodo lui-même constata, après le choc initial, que le fait d’être son propre maître et le M. Bessac de Cul-de-Sac était plutôt agréable. Il vécut tout à fait heureux pendant plusieurs années sans vraiment s’inquiéter de l’avenir. Mais il regrettait de plus en plus, à moitié à son insu, de ne pas être parti avec Bilbo. Il lui arrivait de songer, en particulier à l’automne, à l’immensité des terres sauvages ; et d’étranges visions de montagnes inconnues peuplaient ses rêves. Il commençait à se dire : « Peut-être traverserai-je un jour le Fleuve, moi aussi. » Ce à quoi l’autre moitié de sa conscience répondait toujours : « Pas tout de suite. »

Il passa le cap de la quarantaine, et les choses continuèrent ainsi jusqu’à l’approche de son cinquantième anniversaire. Le nombre cinquante représentait à ses yeux quelque chose d’important (ou d’inquiétant) ; c’était à cet âge, en tout cas, que l’aventure avait surpris Bilbo. Frodo devenait de plus en plus agité, et les vieux sentiers lui paraissaient trop rebattus. Il consultait des cartes et se demandait ce qu’il y avait au-delà des bords : les cartes dessinées dans le Comté montraient surtout des espaces blancs au-delà de ses frontières. Il se mit à errer de plus en plus loin, le plus souvent seul ; et Merry et ses autres amis se faisaient du souci pour lui. On le voyait souvent marcher et discuter avec les étranges voyageurs qui commençaient alors à apparaître dans le Comté.

Il y avait des rumeurs de choses étranges se produisant dans le monde extérieur ; et comme Gandalf n’avait pas donné signe de vie depuis plusieurs années, Frodo allait aux nouvelles le plus souvent possible. Fait alors rare, on pouvait désormais apercevoir des Elfes dans le Comté, passant vers l’ouest à travers les bois, le soir : ils passaient et ne revenaient pas, mais quittaient la Terre du Milieu pour ne plus jamais se soucier de ses malheurs. Sur les routes, on croisait cependant des nains en nombre inhabituel. L’ancienne Route Est-Ouest traversait le Comté pour se rendre aux Havres Gris à son extrémité, et des nains l’avaient toujours empruntée pour regagner leurs mines situées dans les Montagnes Bleues. C’était surtout auprès d’eux que les hobbits cherchaient des nouvelles de l’extérieur – quand ils en voulaient ; en règle générale, les nains étaient peu bavards et les hobbits n’en demandaient pas plus. Mais à présent, Frodo rencontrait souvent des nains d’allure étrange, venus de pays lointains pour chercher refuge dans l’Ouest. Ils étaient inquiets, et certains chuchotaient des choses au sujet de l’Ennemi et du Pays de Mordor.

Ce nom n’était connu des hobbits qu’à travers les légendes d’un passé obscur, comme une ombre dans l’arrière-fond de leur mémoire ; mais il avait quelque chose de sinistre et de troublant. Il semblait que le pouvoir maléfique établi à Grand’Peur n’avait été chassé par le Conseil Blanc que pour resurgir, plus puissant encore, au sein des anciennes forteresses du Mordor. La Tour Sombre était désormais reconstruite, disait-on. De là, le pouvoir se répandait dans toutes les directions ; et loin à l’est et au sud, il y avait des guerres, de même qu’une peur grandissante. Les orques se multipliaient à nouveau dans les montagnes. Des trolls rôdaient en maints endroits, non plus stupides, mais rusés et munis de redoutables armes. Et l’on évoquait à demi-mot des créatures plus terribles encore mais qui, pour lors, n’avaient aucun nom.

Bien peu de ces choses parvenaient aux oreilles des hobbits ordinaires, évidemment. Mais même les plus sourds et les plus casaniers commencèrent à entendre d’étranges histoires ; et ceux qui avaient affaire tout près des frontières étaient témoins de choses bizarres. La conversation entendue au Dragon Vert de Belleau, un soir de printemps, l’année où Frodo eut cinquante ans, montrait que, même au cœur du tranquille Comté, on avait eu vent de rumeurs, quoique tournées en ridicule par la plupart des hobbits.

Sam Gamgie était assis dans un coin de l’auberge, près du feu, et face à lui se trouvait Ted Sablonnier, le fils du meunier. Divers autres campagnards prêtaient une oreille attentive à leur discussion.

« Y a de ces choses bizarres qu’on entend ces jours-ci, assurément », dit Sam.

« Entend qui veut bien écouter, dit Ted. Mais des contes pour enfants et des histoires qu’on raconte au coin du feu, je peux en entendre chez moi, si je veux. »

« Ça j’en doute pas, répliqua Sam, et je gage qu’il y en a qui sont plus vrais que tu l’imagines. Mais qui les a inventées, ces histoires ? Prends les dragons, par exemple. »

« Non merci, dit Ted. J’ai entendu bien des choses sur eux quand j’étais gamin, mais y a pas de raison d’y croire maintenant. Y a qu’un seul Dragon à Belleau, et il est Vert ! » dit-il, provoquant l’hilarité générale.

« D’accord, dit Sam, riant avec les autres. Mais qu’est-ce que tu penses de ces Hommes-arbres, ces géants, qu’on pourrait dire ? J’en connais qui disent qu’ils en ont vu un y a pas si longtemps, plus gros qu’un arbre, à l’autre bout des Landes du Nord. »

« Qui ça, ils ? »

« Mon cousin Hal, pour commencer. Il travaille pour M. Boffine à Suscolline, et il monte souvent dans le Quartier Nord pour la chasse. Il en a vu un. »

« C’est ce qu’il dit. Ton Hal dit tout le temps qu’il a vu des choses ; peut-être qu’il voit des choses qui sont pas vraiment là. »

« Mais ç’ui-là était grand comme un orme, et il marchait – il faisait vingt pieds à chaque pas, si c’était un pouce. »

« Alors je parie que c’était même pas un pouce. Ce qu’il a vu était un orme, si ça se trouve. »

« Mais celui-là marchait, je te dis ; et y a pas d’ormes sur les Landes du Nord. »

« Alors ton Hal a pas pu en voir un », dit Ted. Il y eut des rires et des applaudissements : l’assistance semblait penser que Ted venait de marquer un point.

« Quand même, dit Sam, notre Halfast est pas le seul à avoir vu des gens bizarres traverser le Comté. J’ai dit traverser, remarque : y en a d’autres qui sont refoulés à la frontière. Les Garde-frontières ont jamais été aussi occupés.

« Et j’ai entendu dire que les Elfes se déplacent vers l’ouest. Y en a qui disent qu’ils s’en vont là-bas aux ports, de l’autre côté des Tours Blanches. » Sam agita le bras d’un geste vague : ni lui ni aucun d’entre eux ne savaient à quelle distance se trouvait la Mer, au-delà des vieilles tours qui bordaient le Comté à l’ouest. Mais c’était là que se trouvaient, selon une vieille tradition, les Havres Gris d’où partaient à l’occasion des navires elfiques, pour ne plus jamais revenir.

« Ils voguent, voguent, voguent sur la Mer, ils s’en vont dans l’Ouest et nous quittent », dit Sam, chantonnant à moitié, secouant la tête avec gravité et tristesse. Mais Ted rit.

« Eh bien, c’est pas nouveau, si on en croit les vieux contes. Et je vois pas ce que ça change pour toi ou moi. Qu’ils voguent ! Mais je gage que tu les as jamais vus faire, ni personne d’autre dans le Comté. »

« Eh bien, j’en sais trop rien », dit Sam d’un air songeur. Il croyait avoir aperçu un Elfe une fois, dans les bois, et il espérait un jour en voir d’autres. De toutes les légendes qu’il avait entendues dans son enfance, les bribes de contes et d’histoires sur les Elfes dont les hobbits pouvaient encore se souvenir l’avaient toujours le plus ému. « Il y en a même ici qui connaissent les Belles Gens et qui en ont des nouvelles, dit-il. Il y a M. Bessac, par exemple, pour qui je travaille. Il m’a dit qu’ils prenaient la mer, et il en connaît un bout sur les Elfes. Et le vieux M. Bilbo en savait encore plus long : eh ! que j’en ai eu des discussions avec lui quand j’étais petit. »

« Ouais, ils sont tous les deux fêlés, dit Ted. Ou plutôt, le vieux Bilbo était fêlé, et Frodo est proche de l’être. Si c’est de là que tu tiens tes nouvelles, tu seras jamais à court de sornettes. Sur ce, mes amis, je rentre chez moi. À votre santé ! » Il vida sa chope et sortit bruyamment.

Sam resta assis en silence et ne dit plus rien. Il avait ample matière à réflexion. Pour commencer, il y avait beaucoup à faire là-haut, dans le jardin de Cul-de-Sac, et une longue journée l’attendait demain si le temps s’éclaircissait. L’herbe poussait rapidement. Mais le jardinage n’était pas sa seule préoccupation. Au bout d’un moment, il se leva en soupirant et sortit.

On était début avril, et le ciel se dégageait après de fortes pluies. Le soleil s’était couché, et un soir pâle et frais se fondait doucement dans la nuit. Sam rentra chez lui à la lueur des premières étoiles. Il traversa Hobbiteville et gravit la Colline en sifflant doucement et pensivement.

Ce fut précisément à ce moment-là que Gandalf réapparut après une longue absence. Trois années s’étaient écoulées après la fête durant lesquelles on ne l’avait plus revu. Puis il avait brièvement rendu visite à Frodo, et, après l’avoir regardé dans le blanc des yeux, il était reparti. Pendant un an ou deux, il s’était présenté assez souvent, arrivant inopinément après la tombée de la nuit et repartant sans prévenir avant l’aube. Il refusait de parler de ses propres affaires ou de ses voyages, et semblait surtout intéressé à prendre des nouvelles de Frodo, comment il allait et ce qu’il faisait.

Puis, soudain, ses visites avaient cessé. Cela faisait plus de neuf ans que Frodo ne l’avait vu ou n’avait eu de ses nouvelles ; et il commençait à penser que le magicien ne reviendrait plus et qu’il avait perdu tout intérêt envers les hobbits. Mais ce soir-là, tandis que Sam rentrait chez lui et que le crépuscule faiblissait, Frodo entendit ces petits coups naguère familiers à la fenêtre de son bureau.

Frodo, surpris, accueillit son vieil ami avec grand plaisir. Les deux s’étudièrent longuement.

« Ça va, hein ? dit Gandalf. Vous ne changez pas, Frodo ! »

« Vous non plus », répondit Frodo ; mais il se dit en lui-même que Gandalf paraissait plus vieux et usé par les soucis. Il lui demanda instamment des nouvelles de lui et du vaste monde ; et ils furent bientôt en grande conversation et veillèrent tard dans la nuit.

Le lendemain matin, après un déjeuner tardif, le magicien était assis avec Frodo devant la fenêtre ouverte du bureau. Un grand feu brûlait dans l’âtre, mais le soleil était chaud et le vent soufflait du sud. Tout était éclatant de fraîcheur, et le jeune verdoiement du printemps chatoyait dans les prés et au bout des doigts des arbres.

Gandalf rêvassait d’un printemps vieux de près de quatre-vingts ans, quand Bilbo était parti de Cul-de-Sac sans même son mouchoir de poche. Ses cheveux étaient peut-être plus blancs qu’ils ne l’étaient alors, sa barbe et ses sourcils peut-être plus longs, et son visage plus marqué par les soucis et la sagesse ; mais ses yeux étaient tout aussi brillants que jamais, et il fumait et lançait des ronds de fumée avec la même énergie et le même plaisir qu’autrefois.

Il fumait à présent en silence, car Frodo était assis immobile, plongé dans ses pensées. Même à la lumière du matin, il ressentait l’ombre oppressante des nouvelles que Gandalf lui avait apportées. Enfin, il brisa le silence.

« La nuit dernière, vous avez commencé à me raconter d’étranges choses au sujet de mon anneau, Gandalf, dit-il. Puis vous vous êtes arrêté en disant qu’il valait mieux attendre le jour avant d’évoquer de pareilles choses. N’est-il pas temps de finir ce que vous avez commencé ? Vous dites que mon anneau est dangereux, bien plus dangereux que je ne l’imagine. De quelle façon ? »

« De plusieurs façons, répondit le magicien. Il est beaucoup plus puissant que je ne me suis permis de le croire au début, si puissant, en fait, qu’il finirait par subjuguer complètement tout individu de race mortelle venant à le posséder. C’est l’anneau qui, en fin de compte, le posséderait.

« En Eregion, il y a longtemps, on fabriqua de nombreux anneaux elfiques, des anneaux magiques, comme vous les appelez ; et il y en eut évidemment de diverses sortes, certains plus puissants que d’autres. Les anneaux moindres n’étaient que des essais avant que cet art ne parvienne à maturité, et pour les forgerons elfes il ne s’agissait que de colifichets – tout de même dangereux pour les mortels, à mon sens. Mais les Grands Anneaux, les Anneaux de Pouvoir, ceux-là étaient périlleux.

« Un mortel, Frodo, qui conserve l’un des Grands Anneaux, ne meurt pas, mais il ne s’en trouve pas grandi ou vivifié, il ne fait que durer, jusqu’à ce qu’enfin, chaque minute soit un fardeau. Et s’il utilise souvent l’Anneau pour se faire invisible, il s’évanouit : il finit par devenir invisible pour toujours, marchant dans le crépuscule sous l’œil du Pouvoir Sombre qui régit les Anneaux. Oui, tôt ou tard – tard, s’il est fort ou bienveillant de nature, mais ni la force ni les bonnes intentions ne peuvent durer – tôt ou tard, le Pouvoir Sombre le dévorera. »

« Comme c’est terrifiant ! » dit Frodo. Il y eut encore un long silence. On pouvait entendre Sam en train de tailler la pelouse dans le jardin.

« Depuis quand savez-vous tout cela ? finit par demander Frodo. Et qu’en savait Bilbo ? »

« Bilbo n’en savait pas plus que ce qu’il vous a dit, j’en suis convaincu, dit Gandalf. Jamais il ne vous aurait transmis quelque chose de nuisible en toute connaissance de cause, même si je lui ai promis de veiller sur vous. Il trouvait l’anneau très beau et par moments très utile ; et si quelque chose n’allait pas ou paraissait bizarre, c’était lui-même. Il disait que l’anneau prenait “beaucoup de place dans son esprit”, et qu’il s’en préoccupait constamment ; mais il ne pensait pas que l’anneau lui-même était en cause. Pourtant, il s’était rendu compte qu’il fallait y faire attention : l’anneau ne semblait pas toujours avoir la même taille ou le même poids ; il rétrécissait ou se dilatait de curieuse façon, et pouvait subitement glisser d’un doigt sur lequel il était parfaitement serré. »

« Oui, il m’en a averti dans sa dernière lettre, dit Frodo, alors je l’ai toujours gardé au bout de sa chaîne. »

« C’est très sage, dit Gandalf. Mais quant à sa longue existence, Bilbo n’a jamais fait le lien avec son anneau. Il s’en attribuait tout le mérite et en était très fier. Mais il devenait agité et mal dans sa peau. Amaigri et distendu, disait-il. Signe que l’anneau consolidait son emprise. »

« Quand avez-vous su tout cela ? » demanda Frodo une nouvelle fois.

« Su ? dit Gandalf. Je sais bien des choses dont seuls les Sages ont connaissance, Frodo. Mais si vous entendez “su pour cet anneau”, eh bien, je ne le sais toujours pas, pourrait-on dire. Il reste une dernière épreuve à faire. Mais je ne doute plus de ma supposition.

« Quand donc ai-je commencé à le supposer ? dit-il rêveusement, fouillant dans sa mémoire. Voyons voir : c’est dans l’année où le Conseil Blanc a chassé le Pouvoir Sombre du bois de Grand’Peur, juste avant la Bataille des Cinq Armées, que Bilbo a trouvé son anneau. Une ombre est tombée sur mon cœur à ce moment-là, même si je ne savais pas encore ce que je craignais. Souvent me suis-je demandé comment Gollum avait pu trouver un Grand Anneau, puisque c’en était visiblement un – voilà au moins une chose que je sus dès le départ. Puis, j’ai entendu l’étrange histoire de Bilbo, comment il l’avait “gagné”, et j’ai été incapable d’y croire. Quand je lui ai enfin soutiré la vérité, j’ai tout de suite compris qu’il avait voulu affermir sa prétention à l’anneau. Exactement comme Gollum, avec son “cadeau d’anniversaire”. Ces mensonges se ressemblaient trop pour que je sois tranquille. Manifestement, l’anneau avait un pouvoir malsain qui agissait aussitôt sur son détenteur. Ce fut pour moi le premier véritable avertissement que quelque chose n’allait pas. Je disais souvent à Bilbo qu’il valait mieux ne pas utiliser de tels anneaux ; mais cela l’agaçait, et il ne tardait pas à se mettre en colère. De mon point de vue, il n’y avait pas grand-chose d’autre à faire. Je ne pouvais pas le lui prendre sans causer un plus grand tort ; et je n’avais aucun droit de le faire de toute façon. Je pouvais seulement observer et attendre. J’aurais pu, peut-être, consulter Saruman le Blanc, mais quelque chose m’en a toujours dissuadé. »

« Qui est-ce ? demanda Frodo. Je n’ai jamais entendu parler de lui. »

« Peut-être pas, dit Gandalf. Il ne s’est jamais intéressé aux hobbits – jusqu’ici du moins. Pourtant, il est grand parmi les Sages. C’est le chef de l’ordre auquel j’appartiens, et c’est lui qui dirige le Conseil. Sa science est profonde, mais son orgueil a grandi avec elle, et il supporte mal l’ingérence des autres. La connaissance des anneaux elfiques, petits et grands, est son domaine. Il les a longtemps étudiés, cherchant à découvrir les secrets perdus de leur fabrication ; mais quand nous avons débattu des Anneaux au Conseil, tout ce qu’il consentit à nous révéler de son savoir contredisait mes craintes. Ainsi, mes doutes sommeillèrent – mais d’un sommeil inquiet. Je continuai d’observer et d’attendre.

« Et tout semblait au mieux chez Bilbo. Et les années passaient. Oui, elles passaient, et elles semblaient ne pas le toucher. Il ne montrait aucun signe de vieillesse. L’ombre m’étreignit de nouveau. Mais je me dis : “Après tout, ses ancêtres jouissaient d’une grande longévité du côté de sa mère. Il y a encore le temps. Attends !”

« Et j’ai attendu. Jusqu’au moment où il a quitté cette maison. Ce soir-là, ses paroles et ses actes éveillèrent en moi une peur qu’aucune parole de Saruman ne pouvait apaiser. J’avais enfin la certitude que quelque chose de sombre et de funeste était à l’œuvre. Et j’ai passé le plus clair de ces dernières années à découvrir la vérité. »

« Il n’y a pas eu de dommage irrémédiable, n’est-ce pas ? demanda Frodo avec affolement. Il s’en sera remis avec le temps, pas vrai ? Pour pouvoir reposer en paix, je veux dire ? »

« Il s’est tout de suite senti mieux, dit Gandalf. Mais il n’y a en ce monde qu’un seul Pouvoir qui sache tout sur les Anneaux et leurs effets ; et à ma connaissance, il n’est même pas un seul Pouvoir qui sache tout des hobbits. Parmi les Sages, je suis le seul qui s’intéresse à la science des hobbits : c’est une branche de la connaissance très peu explorée, mais pleine de surprises. Tantôt, ils sont mous comme du beurre, et tantôt coriaces comme de vieilles souches. J’ai idée que certains pourraient résister bien plus longtemps aux Anneaux que la plupart des Sages ne le croiraient. Je ne pense pas qu’il faille vous inquiéter pour Bilbo.

« Bien sûr, il a possédé l’anneau pendant de nombreuses années, et s’en est servi, alors il faudra peut-être du temps pour que son influence disparaisse – pour que Bilbo soit en mesure de le revoir sans que ce soit dangereux pour lui, par exemple. Il peut très bien, par ailleurs, continuer à vivre pendant des années, parfaitement heureux : exactement comme il était quand il s’est départi de l’anneau. Car il y a renoncé de son plein gré : c’est un point important. Non, j’ai cessé de me tracasser pour ce cher Bilbo, après qu’il s’en fut débarrassé. C’est envers vous que je me sens une responsabilité.

« Depuis le départ de Bilbo, je n’ai jamais cessé de m’inquiéter pour vous – et pour tous ces charmants hobbits, insensés, sans défense. Ce serait une perte cruelle pour le monde si le Pouvoir Sombre conquérait le Comté ; si tous ces gentils et stupides Bolgeurre, Sonnecornet, Boffine et autres joyeux Serreceinture, sans oublier les ridicules Bessac, étaient réduits en esclavage. »

Frodo frissonna. « Mais pourquoi le serions-nous ? Et à quoi lui serviraient de pareils esclaves ? »

« À vrai dire, répondit Gandalf, je crois que jusqu’ici – jusqu’ici, remarquez –, l’existence des hobbits lui a complètement échappé. Vous devriez en être reconnaissants. Toutefois, vous n’êtes plus en sécurité. Il n’a pas besoin de vous – il a bien d’autres serviteurs autrement plus utiles –, mais il ne vous oubliera plus, à présent. Et des hobbits rabaissés au rang de misérables esclaves lui plairaient bien davantage que des hobbits heureux et libres. La méchanceté et la vengeance sont des choses qui existent. »

« La vengeance ? La vengeance de quoi ? Je ne comprends toujours pas en quoi tout cela concerne Bilbo ou moi, ou notre anneau. »

« Cela vous concerne au plus haut point, dit Gandalf. Vous n’êtes pas encore conscient du véritable danger ; mais vous le serez forcément bientôt. Je n’en étais pas moi-même complètement sûr, la dernière fois que je me suis trouvé ici ; mais il est temps de parler plus clairement. Donnez-moi l’anneau un moment. »

Frodo sortit l’anneau de la poche de sa culotte : il pendait au bout d’une chaîne accrochée à sa ceinture. Frodo le détacha et le tendit lentement au magicien. Il lui parut soudain très lourd, comme si l’anneau, ou Frodo lui-même, hésitait à laisser Gandalf le toucher.

Gandalf le tint en l’air. Il semblait fait d’or pur et massif. « Y voyez-vous quelque inscription ? » demanda-t-il.

« Non, dit Frodo. Il n’y en a aucune. Il est tout à fait uniforme, et on n’y voit jamais une égratignure, ni aucune marque d’usure. »

« Eh bien, regardez ! » À la stupéfaction de Frodo et à son grand désarroi, le magicien jeta soudain l’anneau au milieu des braises. Frodo poussa un cri et se rua vers les pincettes ; mais Gandalf le retint.

« Attendez ! » dit-il d’un ton impérieux, lançant un rapide coup d’œil à Frodo sous des sourcils hérissés.

Aucun changement apparent ne se produisit sur l’anneau. Au bout d’un moment, Gandalf se leva, referma les volets extérieurs et tira les rideaux. La pièce devint sombre et silencieuse, quoique le claquement des cisailles de Sam, qui s’étaient rapprochées des fenêtres, leur parvînt faiblement du jardin. Pendant un instant, le magicien resta à observer le feu ; puis il se pencha, et, à l’aide des pincettes, ramena l’anneau sur le devant de l’âtre et le ramassa sans attendre. Frodo étouffa un cri.

« Il est tout à fait froid, dit Gandalf. Prenez-le ! » Frodo le reçut dans sa main crispée : il semblait plus dense et plus lourd que jamais.

« Élevez-le ! dit Gandalf. Et regardez-y de plus près ! »

Ce faisant, Frodo vit alors des lignes très fines, plus fines qu’aucun trait de plume, courant tout autour de l’anneau, tant à l’extérieur qu’à l’intérieur : des traits flamboyants qui semblaient former les lettres d’une écriture très fluide. Ils brillaient d’un éclat perçant, et pourtant lointain, comme s’ils émanaient d’une grande profondeur.










« Je ne peux lire les lettres de feu », dit Frodo d’une voix tremblotante.

« Non, dit Gandalf, mais moi, si. Ces lettres sont de l’elfique, d’un mode ancien, mais la langue est celle du Mordor, que je ne prononcerai pas ici. Voici cependant ce qui est dit, à peu de chose près, dans la langue commune :





Un Anneau pour les dominer tous, Un Anneau pour les trouver,

Un Anneau pour les amener tous et dans les ténèbres les lier.

Ce sont seulement deux vers d’un poème connu depuis longtemps dans la tradition elfique :





Trois Anneaux pour les rois des Elfes sous le ciel,

Sept aux seigneurs des Nains dans leurs salles de pierre,

Neuf aux Hommes mortels enchaînés à leur sort,

Un pour le Seigneur Sombre au trône de ténèbres

Au pays de Mordor où s’étendent les Ombres.

Un Anneau pour les dominer tous, Un Anneau pour les trouver,

Un Anneau pour les amener tous et dans les ténèbres les lier

Au pays de Mordor où s’étendent les Ombres. »

Il s’interrompit, puis dit lentement d’une voix profonde : « Ceci est l’Anneau Maître, l’Anneau pour les dominer tous. C’est l’Anneau Unique qu’il a perdu il y a fort, fort longtemps, ce qui a grandement affaibli son pouvoir. Il le désire ardemment – mais il ne doit pas l’obtenir. »

Frodo demeura assis, silencieux et immobile. La peur semblait étendre un long bras, comme un nuage noir se levant dans l’Est et s’avançant pour l’engloutir. « Cet anneau ! balbutia-t-il. Co… comment donc est-il arrivé jusqu’à moi ? »

« Ah ! dit Gandalf. C’est une très longue histoire. Son commencement remonte aux Années Noires, dont seuls les maîtres en tradition se souviennent à présent. Si je vous en faisais le récit complet, nous serions encore ici quand le printemps aura fait place à l’hiver.

« Mais je vous ai parlé hier soir de Sauron le Grand, le Seigneur Sombre. Les rumeurs qui vous sont parvenues disent vrai : il a bel et bien refait surface, quittant son repaire à Grand’Peur pour regagner son ancienne place forte dans la Tour Sombre du Mordor. Ce nom-là, même vous, les hobbits, vous l’avez déjà entendu, comme une ombre en marge des vieilles histoires. Chaque fois, après une défaite et un moment de répit, l’Ombre prend une forme nouvelle et se remet à croître. »

« J’aurais voulu que cela n’ait pas à arriver de mon temps », dit Frodo.

« Moi aussi, dit Gandalf, et il en va de même pour tous ceux qui vivent en de pareils temps. Mais il ne leur appartient pas de décider. Tout ce qu’il nous appartient de décider, c’est ce que nous comptons faire du temps qui nous est imparti. Et déjà, Frodo, notre temps s’annonce funeste. L’Ennemi prend rapidement des forces. Ses projets sont loin d’être mûrs, à mon avis, mais ils mûrissent. Nous serons mis à rude épreuve. Nous serions mis à très rude épreuve, même sans ce terrible hasard.

« Il manque encore à l’Ennemi une chose qui lui donnerait la force et la connaissance nécessaires pour écraser toute résistance, abattre les dernières défenses et recouvrir toutes les terres de secondes ténèbres. Il lui manque l’Anneau Unique.

« Les Trois, les plus beaux de tous, les Seigneurs des Elfes les ont soustraits à sa vue, et sa main ne les a jamais touchés ou souillés. Sept étaient en possession des rois des Nains, mais il en a récupéré trois, et les autres, les dragons les ont consumés. Neuf ont été octroyés par lui à des Hommes mortels, fiers et puissants, qui furent alors pris au piège. Ils tombèrent il y a longtemps sous la domination de l’Unique et devinrent des Spectres de l’Anneau, ses plus redoutables serviteurs, comme des ombres sous sa grande Ombre. Il y a bien longtemps. Cela fait maintes années que les Neuf n’ont été vus de par le monde. Mais qui sait ? Tandis que l’Ombre recommence à croître, eux aussi pourraient de nouveau fouler les terres. Mais allons donc ! Nous ne parlerons pas de pareilles choses, même dans le matin du Comté.

« Il en est encore ainsi aujourd’hui : les Neuf, il les a rassemblés à lui, les Sept aussi, ou ils ont été détruits. Les Trois demeurent cachés. Mais il ne s’en préoccupe plus. Il a seulement besoin de l’Unique ; car il a fabriqué lui-même cet Anneau, c’est le sien ; et il y a versé une bonne part de sa puissance d’autrefois, de manière à pouvoir dominer tous les autres. S’il le recouvre, alors il les maîtrisera tous de nouveau, où qu’ils soient, même les Trois : tout ce qui a été façonné avec eux sera mis à nu, et il sera plus fort que jamais.

« Et voici le terrible hasard, Frodo. Il croyait que l’Unique avait péri, que les Elfes l’avaient détruit, comme ç’aurait dû être fait. Mais il sait désormais qu’il n’a pas péri, qu’il a été retrouvé. Alors il le cherche, il le cherche, et toute sa pensée est braquée sur lui. C’est son grand espoir et notre grande crainte. »

« Pourquoi, pourquoi n’a-t-il pas été détruit ? s’écria Frodo. Et comment l’Ennemi en est-il venu à le perdre, s’il lui était si précieux, et si lui-même était si puissant ? » Il serra l’Anneau dans sa main, comme s’il voyait déjà des doigts noirs prêts à le saisir.

« Il lui a été dérobé, dit Gandalf. La force que lui opposaient les Elfes était jadis plus grande ; et tous les Hommes et les Elfes n’étaient pas encore aliénés. Ainsi, les Hommes de l’Occidentale vinrent à leur secours. C’est un chapitre de l’Histoire ancienne qu’il serait bon de rappeler ; car il fut lui aussi fait de chagrin et de ténèbres croissantes, mais également de bravoure et de hauts faits qui ne furent pas entièrement vains. Un jour, peut-être, je vous raconterai toute l’histoire, ou bien vous l’entendrez dans son intégralité de la bouche de celui qui la connaît le mieux.

« Mais puisque vous devez avant tout savoir comment cette chose vous est parvenue, ce qui est en soi un récit assez long, voici tout ce que j’en dirai pour le moment. Ce furent Gil-galad, roi des Elfes, et Elendil de l’Occidentale qui renversèrent Sauron, bien que cet exploit ait entraîné leur mort ; et Isildur fils d’Elendil trancha l’Anneau de la main de Sauron et se l’appropria. Sauron fut alors vaincu, et son esprit s’enfuit et resta caché de longues années, jusqu’au jour où son ombre se mit à reprendre forme à Grand’Peur.

« Mais l’Anneau fut perdu. Il tomba dans le Grand Fleuve, l’Anduin, et disparut. Car Isildur faisait mouvement vers le nord sur les berges orientales du fleuve, et non loin des Champs de Flambes il fut assailli par les Orques des Montagnes, et presque tous les siens furent tués. Il plongea dans les eaux, mais l’Anneau glissa de son doigt tandis qu’il nageait, et alors les Orques le virent et le tuèrent à coup de flèches. »

Gandalf marqua une pause. « Et là, dans les sombres étangs au milieu des Champs de Flambes, poursuivit-il, l’Anneau disparut de toute connaissance et de toute légende ; ainsi une bonne partie de son histoire n’est désormais connue que de quelques-uns, et le Conseil des Sages n’a pu en découvrir davantage. Mais je puis enfin compléter l’histoire, je crois.

« Longtemps après, mais c’était tout de même il y a très longtemps, vivait près des rives du Grand Fleuve, à la lisière de la Contrée Sauvage, un groupe de petites gens aux mains habiles et à la démarche silencieuse. Je suppose qu’ils étaient du genre hobbit : apparentés aux ancêtres des Fortauds, car ils aimaient beaucoup le Fleuve et y nageaient souvent, ou construisaient de petites embarcations de roseaux. Il se trouvait parmi eux une famille très réputée, car nombreuse et plus riche que la plupart ; et elle était sous l’autorité d’une grand-mère de leur tribu, sévère, et versée dans ce qu’ils avaient de traditions anciennes. L’esprit le plus curieux et le plus incisif de toute cette famille se nommait Sméagol. Il s’intéressait aux racines et aux commencements : il plongeait dans de profonds étangs, fouissait sous les arbres et à la base des plantes, creusait des tunnels dans les monticules verts ; bientôt, il ne leva même plus les yeux vers les collines, les feuilles des arbres ou les fleurs en train d’éclore : sa tête et son regard étaient dirigés vers le bas.

« Il avait un ami appelé Déagol, sensiblement du même genre : l’œil plus aiguisé, mais pour le reste, moins agile et moins fort que lui. Ils prirent une fois un bateau et descendirent jusqu’aux Champs de Flambes, où se trouvaient de grands parterres d’iris et de roseaux en fleurs. Là, Sméagol partit fureter le long des rives, mais Déagol demeura dans l’embarcation et mit sa ligne à l’eau. Soudain, un gros poisson mordit à l’hameçon, et avant qu’il ait su ce qui lui arrivait, il fut attiré hors de la barque et entraîné jusqu’au fond de l’eau. Il lâcha alors sa canne, car il crut voir quelque chose scintiller dans le lit du fleuve ; et, retenant son souffle, il tendit la main pour s’en emparer.

« Puis il remonta, crachotant, les cheveux remplis d’algues et la main pleine de boue ; et il nagea jusqu’à la rive. Et une fois la boue lavée, voici que se trouvait dans sa main un bel anneau d’or : celui-ci brillait et chatoyait au soleil, et son cœur s’en réjouit. Mais Sméagol avait observé la scène, caché derrière un arbre ; et tandis que Déagol jubilait, Sméagol se faufila dans son dos.

« “Donne-nous ça, Déagol, très cher”, dit Sméagol derrière l’épaule de son ami.

« “Pourquoi ?” demanda Déagol.

« “Parce que c’est mon anniversaire, très cher, et je le voulons”, répondit Sméagol.

« “Je m’en fiche, dit Déagol. Je t’ai déjà offert un cadeau bien au-dessus de mes moyens. J’ai trouvé ça et je vais le garder.”

« “Ah, tu crois ça, très cher ?” dit Sméagol ; et il saisit Déagol par le cou et l’étrangla, tellement l’or était merveilleux et brillant. Puis il mit l’anneau à son doigt.

« Personne ne sut jamais ce qui était arrivé à Déagol : il avait été tué loin de chez lui et son corps avait été savamment dissimulé. Mais Sméagol revint seul ; et il s’aperçut qu’aucun de ses proches ne pouvait le voir quand il mettait l’anneau. Cette découverte l’enchanta et il n’en souffla mot à personne ; il s’en servit pour découvrir ce qui devait rester secret, utilisant ces renseignements à des fins déloyales et malveillantes. Sa vue et son ouïe devinrent sensibles à tout ce qui pouvait nuire. L’anneau lui conférait un pouvoir à sa mesure. Pas étonnant qu’il soit devenu très impopulaire auprès des siens et que ceux-ci aient voulu l’éviter (quand il était visible). Ils lui donnaient des coups de pied, et lui leur mordait les orteils. Il se mit à chaparder et à se promener un peu partout en grommelant entre ses dents, produisant un glougloutement dans sa gorge. Alors ils l’appelèrent Gollum et le maudirent, et ils lui ordonnèrent de s’en aller ; et sa grand-mère, pour que la paix revienne, l’expulsa de la famille et le jeta hors de son trou.

« Il erra dans la solitude, versant quelques larmes sur son sort et sur la cruauté du monde ; et il remonta le Fleuve jusqu’à un ruisseau qui descendait des montagnes, et décida de le suivre. Il y avait là de profondes mares où, de ses doigts invisibles, il attrapait des poissons et les dévorait crus. Un jour qu’il faisait très chaud, il se pencha à la surface d’un étang et sentit une brûlure sur l’arrière de sa tête, tandis que sur l’eau, un reflet aveuglant blessait ses yeux mouillés. Il s’en étonna, car il avait presque oublié le Soleil. Alors, pour la dernière fois, il leva la tête et brandit le poing en sa direction.

« Mais tandis qu’il baissait les yeux, il vit au loin les cimes des Montagnes de Brume d’où provenait le ruisseau. Et il se dit soudain : “On doit être à l’ombre et au frais sous ces montagnes. Là-bas, le Soleil ne pourrait plus me guetter. Les racines de ces montagnes-là doivent être immenses ; il doit y avoir de grands secrets d’enterrés là qui n’ont pas été découverts depuis le commencement.”

« Ainsi il voyagea de nuit jusqu’aux épaulements ; et, arrivant à une petite caverne d’où sortait le sombre ruisseau, il se faufila comme un ver au cœur des montagnes, et plus personne n’eut connaissance de lui. L’Anneau disparut dans l’ombre avec lui, et même son créateur, quand son pouvoir se mit à croître de nouveau, n’en sut absolument rien. »

« Gollum ! s’écria Frodo. Gollum ? Vous voulez dire que c’est cette même créature que Bilbo a rencontrée ? Comme c’est horrible ! »

« Je trouve cette histoire plutôt triste, dit le magicien ; et elle aurait pu arriver à d’autres, même à certains hobbits que j’ai connus. »

« Je n’arrive pas à croire qu’il puisse y avoir un lien entre Gollum et les hobbits, aussi éloigné soit-il, dit Frodo avec une certaine fébrilité. Quelle idée abominable ! »

« Elle n’en est pas moins vraie, répondit Gandalf. Pour ce qui est de leurs origines, à tout le moins, j’en sais plus que ce que les hobbits savent eux-mêmes. Et même l’histoire de Bilbo tend à confirmer cette parenté. Il y avait bien des similitudes au plus profond de leur conscience et de leurs souvenirs. Ils se comprirent remarquablement bien, beaucoup mieux qu’un hobbit comprendrait un Nain, disons, ou un Orque, ou même un Elfe. Songez aux énigmes qu’ils connaissaient tous les deux, par exemple. »

« Oui, dit Frodo. Mais les hobbits ne sont pas les seuls à poser des énigmes du même genre. Et les hobbits ne trichent pas. Gollum ne pensait qu’à tricher. Il essayait seulement de prendre ce pauvre Bilbo au dépourvu. Je dirais même que cela amusait sa méchanceté de proposer un jeu susceptible de lui procurer une proie facile, mais qui ne lui nuirait en rien. »

« Ce n’est que trop vrai, j’en ai peur, dit Gandalf. Mais il y avait là quelque chose d’autre, je pense, que vous ne voyez pas encore. Même Gollum n’était pas encore complètement perdu. Il s’était révélé plus coriace que ce que même l’un des Sages aurait pu supposer – comme certains hobbits peuvent l’être. Il y avait encore une parcelle de son esprit qui lui appartenait, où la lumière filtrait, comme une fente dans l’obscurité : la lumière du passé. Je pense qu’il lui fut agréable, en fait, d’entendre de nouveau une voix bienveillante, une voix qui lui rappelait le vent, les arbres, le soleil sur l’herbe, toutes ces choses qu’il avait oubliées.

« Mais il était évident que cela finirait par irriter encore plus son côté mauvais – sauf s’il y avait moyen de le vaincre. De le guérir. » Gandalf soupira. « Hélas ! il y a peu d’espoir de guérison pour lui. Peu, mais pas aucun espoir. Non, pas même en ayant possédé l’anneau si longtemps, presque aussi loin qu’il se souvienne. Car il y avait longtemps qu’il ne l’avait beaucoup porté : dans les ténèbres noires, il en avait rarement besoin. En tout cas, il ne s’est jamais “évanoui”. Il est maigre et toujours aussi coriace. Mais cette chose lui dévorait l’esprit, évidemment, et ce supplice était devenu quasi insoutenable.

« Tous les “grands secrets” au creux des montagnes n’étaient finalement que nuit noire : il n’y avait rien d’autre à découvrir, rien de bon à faire, à part croquer furtivement une pauvre pitance et ressasser ses souvenirs aigris. Il était absolument misérable. Il haïssait l’obscurité, et la lumière plus encore : il haïssait tout, et l’anneau plus que toute autre chose. »

« Que voulez-vous dire ? demanda Frodo. L’Anneau était son Trésor et la seule chose qui lui tenait à cœur, non ? Mais s’il le haïssait, pourquoi ne s’en est-il pas débarrassé ? Pourquoi ne pas s’en aller et l’abandonner ? »

« Vous devriez commencer à comprendre, Frodo, après tout ce que vous avez entendu, répondit Gandalf. Il le haïssait et il l’aimait, comme il se haïssait et s’aimait lui-même. Il ne pouvait pas s’en débarrasser. Il ne lui restait plus aucune volonté à cet égard.

« Un Anneau de Pouvoir voit à ses propres intérêts, Frodo. Lui-même peut glisser traîtreusement d’un doigt, mais son détenteur ne l’abandonne jamais. Tout au plus caresse-t-il l’idée de le confier à quelqu’un d’autre – et cela seulement au début, quand l’anneau commence tout juste à exercer son emprise. Or, pour autant que je sache, Bilbo est la seule personne à ce jour à ne pas s’être contenté d’en caresser l’idée, mais à le faire vraiment. Il lui a fallu toute mon aide, d’ailleurs. Et même alors, il ne lui serait jamais venu l’idée de simplement l’abandonner ou de le jeter. Ce n’est pas Gollum, Frodo, mais l’Anneau lui-même qui prenait les décisions. L’anneau l’a abandonné, lui. »

« Quoi, juste à temps pour rencontrer Bilbo ? dit Frodo. Un Orque ne lui aurait-il pas mieux convenu ? »

« Il n’y a pas là matière à rire, dit Gandalf. Pas pour vous. Ce fut l’événement le plus étrange, jusqu’à présent, dans toute l’histoire de l’Anneau : que Bilbo soit arrivé à ce moment précis, sa main se refermant sur lui à l’aveuglette, dans le noir.

« Il n’y avait pas qu’un seul pouvoir à l’œuvre, Frodo. L’Anneau tentait de retourner auprès de son maître. Il avait glissé de la main d’Isildur, le trahissant ; puis, quand l’occasion se présenta, il piégea le pauvre Déagol, qui le paya de sa vie ; et ensuite Gollum, qu’il dévora à la longue. Mais il finit par n’avoir plus rien à en tirer : Gollum était trop misérable et mesquin ; et tant et aussi longtemps qu’il avait l’anneau en sa possession, il n’allait plus jamais quitter son étang souterrain. Ainsi, quand son maître se fut de nouveau éveillé, sa sombre pensée émanant de Grand’Peur, l’anneau abandonna Gollum… pour être ramassé par la personne la plus improbable qui soit : Bilbo du Comté !

« Il y avait là quelque chose d’autre à l’œuvre, en dehors de la volonté de l’Anneau et des desseins de son créateur. Je ne puis l’exprimer plus clairement qu’en disant qu’on a voulu que Bilbo trouve l’Anneau, sans toutefois que son créateur y soit pour quelque chose. Auquel cas, on a voulu aussi que vous l’ayez. Et c’est peut-être là une pensée encourageante. »

« Ça ne l’est pas, dit Frodo. Même si je ne suis pas sûr de vous comprendre. Mais comment avez-vous appris tout cela au sujet de l’Anneau, et de Gollum ? Le savez-vous vraiment, ou vous ne faites toujours que supposer ? »

Gandalf regarda Frodo et un éclair passa dans ses yeux. « Je savais beaucoup de choses et j’en ai appris beaucoup, répondit-il. Mais je ne vais pas rendre compte de tous mes faits et gestes, pas à vous. L’histoire d’Elendil, d’Isildur et de l’Anneau est connue de tous les Sages. La présence de l’écriture de feu montre, à elle seule, que votre anneau est bel et bien l’Unique, indépendamment de toute autre preuve. »

« Et quand avez-vous découvert cela ? » demanda Frodo, lui coupant la parole.

« À l’instant, ici même dans cette pièce, bien sûr, répondit le magicien avec brusquerie. Mais je m’y attendais. Je suis revenu d’une longue quête et de sombres chemins pour tenter cette ultime épreuve. C’est l’assurance qu’il me manquait ; tout n’est que trop clair, à présent. Comprendre le rôle de Gollum, et la manière dont il vient combler les lacunes de l’histoire, a nécessité quelque réflexion. J’ai peut-être commencé par des suppositions pour ce qui est de Gollum, mais je ne suppose plus rien. Je le sais avec certitude. Je l’ai vu. »

« Vous avez vu Gollum ? » s’écria Frodo avec stupéfaction.

« Oui. C’était la chose à faire, évidemment, dans la mesure du possible. J’ai essayé il y a longtemps ; mais j’y suis enfin arrivé. »

« Alors que lui est-il arrivé après l’évasion de Bilbo ? Le savez-vous ? »

« Pas très bien, pas avec autant de détails. Je ne vous ai dit que ce que Gollum a bien voulu me raconter – encore qu’il ne l’ait pas raconté tout à fait de cette manière, bien sûr. Gollum est un menteur, et il faut en prendre et en laisser. Il prétendait par exemple que l’Anneau était son “cadeau d’anniversaire” et n’en démordait pas. Il disait le tenir de sa grand-mère, qu’elle avait beaucoup de belles choses comme celles-là. Une histoire ridicule. Je ne doute pas que la grand-mère de Sméagol ait été, à sa manière, une personne importante, une matriarche ; mais prétendre qu’elle possédait de nombreux anneaux elfiques était absurde, et dire qu’elle les distribuait était un mensonge. Un mensonge qui n’en contenait pas moins une pointe de vérité.

« Le meurtre de Déagol hantait Gollum, et il s’était trouvé une justification qu’il répétait sans cesse à son “Trésor” tandis qu’il rongeait des os dans l’obscurité, au point de presque y croire lui-même. C’était son anniversaire. Déagol aurait dû lui donner l’anneau. Celui-ci était apparu, de toute évidence, pour être offert en cadeau. C’était son cadeau d’anniversaire, et ainsi de suite, à n’en plus finir.

« J’ai enduré son verbiage aussi longtemps que j’en étais capable, mais il importait plus que tout de découvrir la vérité, alors j’ai dû, finalement, être sévère. Éveillant chez lui la peur du feu, je lui arrachai la véritable histoire, morceau par morceau, et de nombreux geignements et grognements. Il se disait incompris et maltraité. Mais quand il m’eut enfin raconté son histoire, jusqu’au Jeu des Énigmes et à l’évasion de Bilbo, il refusa d’en dire plus, sauf par de sombres allusions. Il y avait chez lui une autre peur, plus grande que celle que je lui inspirais. Il marmonnait qu’il allait récupérer ce qui lui appartenait. On verrait bien s’il accepterait d’être roué de coups, chassé au fond d’un trou et enfin volé. Gollum avait de bons amis, à présent, de bons amis et très forts. Ils l’aideraient. Bessac le paierait cher. C’était chez lui une idée fixe. Il haïssait Bilbo et maudissait son nom. Qui plus est, il savait d’où il venait. »

« Mais comment a-t-il découvert cela ? » demanda Frodo.

« Eh bien, pour ce qui est de son nom, Bilbo le lui a très sottement donné lui-même ; après cela, il devenait facile pour Gollum de découvrir son pays d’origine, une fois sorti de son trou. Eh oui, il en est sorti. Son désir de retrouver l’Anneau s’est avéré plus fort que sa crainte des Orques, ou même de la lumière. Au bout d’un an ou deux, il a quitté les montagnes. Car voyez-vous, même s’il était encore lié par le désir de le posséder, l’Anneau ne le dévorait plus : il commençait à revivre un peu. Il se sentait vieux, terriblement vieux, quoique moins timoré, et il avait mortellement faim.

« La lumière, celle du Soleil et de la Lune, il la craignait et la haïssait encore, comme il le fera toujours, je pense ; mais il ne manquait aucunement de ruse. Il s’aperçut qu’il pouvait se cacher de la lumière du jour et du clair de lune, et avancer furtivement et rapidement à la faveur de la nuit en s’aidant de ses yeux pâles et froids, tout en attrapant de petites créatures apeurées ou imprudentes. Toute cette nourriture et cet air frais lui redonnèrent des forces et du courage. Il finit par aboutir à Grand’Peur, comme on pouvait s’y attendre. »

« C’est là que vous l’avez trouvé ? » demanda Frodo.

« Je l’y ai vu, répondit Gandalf ; mais il avait longuement erré avant de s’y trouver, suivant la trace de Bilbo. Son discours était ponctué de jurons et de menaces, et il était difficile d’en tirer quelque certitude que ce soit. “Qu’est-ce qu’il avait dans ses poches ? pestait-il. Il ne voulait pas le dire, non, trésor. Ssale petit tricheur. Pas une vraie question. Il a triché en premier, ça oui. Il a enfreint les règles. On aurait dû lui tordre le cou, oui, trésor. Et on le fera, trésor !”

« Voilà un peu comment il parlait. Je ne pense pas que vous ayez envie d’en entendre davantage. J’ai dû endurer cela pendant plusieurs jours. Mais à partir d’indices qu’il laissait tomber dans sa hargne, j’ai fini par comprendre que ses pas feutrés l’avaient enfin conduit à Esgaroth, et même dans les rues du Val, épiant les gens et tendant l’oreille. Or, la rumeur des grands événements avait gagné toute la Contrée Sauvage, et bien des gens connaissaient le nom de Bilbo et savaient d’où il venait. Nous n’avions fait aucun mystère de notre voyage de retour jusqu’à sa demeure dans l’Ouest. Les oreilles affûtées de Gollum ne tardèrent pas à lui apprendre ce qu’il désirait savoir. »

« Alors comment se fait-il qu’il n’ait pas continué à chercher Bilbo ? demanda Frodo. Pourquoi n’est-il pas venu dans le Comté ? »

« Ah, dit Gandalf, nous y voilà. Je pense que Gollum a essayé. Il est reparti vers l’ouest, jusqu’au Grand Fleuve. Mais là, il s’est détourné. La longueur du trajet ne lui faisait pas peur, j’en suis convaincu. Non, quelque chose d’autre l’a détourné. C’est ce que pensent mes amis, ceux qui l’ont pris en chasse pour moi.

« Les Elfes sylvains ont été les premiers à suivre sa piste, qui ne présentait pour eux aucune difficulté, car elle était alors encore fraîche. Elle sillonnait Grand’Peur dans tous les sens, mais ils ne purent jamais l’attraper. Sa rumeur hantait partout les bois : des histoires horribles, même parmi les bêtes et les oiseaux. Les Hommes des Bois disaient qu’une nouvelle terreur rôdait, un fantôme qui s’abreuvait de sang. Il grimpait aux arbres pour trouver des nids, rampait dans des trous pour dérober les petits, se glissait par les fenêtres à la recherche de berceaux.

« Mais à la lisière occidentale de Grand’Peur, la piste bifurquait. Elle partait vers le sud et sortait du domaine des Elfes sylvains, qui perdirent la trace de Gollum. Alors j’ai commis une grave erreur. Oui, Frodo, et pas la première, encore qu’elle puisse s’avérer la pire, je le crains. Je n’ai rien fait. Je l’ai laissé partir ; car j’avais à ce moment-là bien d’autres préoccupations, et je me fiais encore à la science de Saruman.

« Enfin, cela se passait il y a des années. J’en ai expié depuis par de sombres et périlleuses journées. La piste était depuis longtemps refroidie quand je décidai de la reprendre, après le départ de Bilbo. Et ma quête eût été vaine sans l’aide que je reçus d’un ami : Aragorn, le plus grand voyageur et traqueur de cet âge du monde. Ensemble, nous avons cherché Gollum à travers toute la Contrée Sauvage sans espoir de le trouver, et sans succès, d’ailleurs. Mais quand j’eus abandonné la chasse pour suivre d’autres chemins, Gollum tomba entre nos mains. Mon ami avait affronté de graves dangers pour ramener avec lui cette misérable créature.

« Gollum refusa de nous dire ce qu’il avait fabriqué. Il ne faisait que se lamenter, dénonçant notre cruauté avec plus d’un gollum dans la gorge ; et quand nous le pressions, il gémissait et se recroquevillait, frottant ses longues mains et se léchant les doigts comme s’ils lui faisaient mal, comme s’il se rappelait quelque torture qu’il avait endurée. Mais je crains qu’il n’y ait aucun doute possible : il avait cheminé lentement, furtivement, pas à pas, mille après mille, vers le sud… vers le Pays de Mordor. »

Un lourd silence s’abattit sur la pièce. Frodo pouvait entendre son cœur battre. Même à l’extérieur, tout semblait immobile. Les cisailles de Sam s’étaient tues.

« Oui, jusqu’au Mordor, dit Gandalf. Hélas ! Le Mordor attire toutes choses mauvaises ; et le Pouvoir Sombre exerçait toute sa volonté pour les y rassembler. L’Anneau de l’Ennemi ne pouvait manquer non plus de laisser son empreinte, Gollum restant plus sensible à ces appels. Et tous murmuraient à l’époque qu’une nouvelle Ombre s’était levée dans le Sud, et combien elle haïssait l’Ouest. Voilà donc qui étaient ses nouveaux amis, ceux qui l’aideraient à se venger !

« Le pauvre fou ! En ce pays-là, il apprendrait beaucoup de choses, trop pour être tranquille. Et tôt ou tard, en continuant à rôder près des frontières, il finirait par être pris et emmené – pour interrogatoire. C’est ainsi que les choses se passèrent, j’en ai peur. Quand ils le surprirent, cela faisait déjà longtemps qu’il se trouvait là : il était sur le chemin du retour, cherchant un mauvais coup à faire. Mais cela n’a guère d’importance, à présent. Il avait déjà fait le pire de ses mauvais coups.

« Oui, hélas ! c’est par lui que l’Ennemi a appris que l’Unique avait été retrouvé. L’Ennemi sait où Isildur est tombé. Il sait où Gollum a trouvé son anneau. Il a la certitude qu’il s’agit d’un Grand Anneau, car celui-ci a donné longue vie à son détenteur. Il sait qu’il ne s’agit pas d’un des Trois, car ils n’ont jamais été perdus et ne tolèrent aucun mal. Il sait qu’il ne s’agit pas d’un des Sept, ni des Neuf, car il sait où ils se trouvent. Il sait qu’il s’agit de l’Unique. Et il a, je pense, fini par entendre parler des hobbits et du Comté.

« Le Comté… Il est peut-être à sa recherche en ce moment même, s’il n’a pas déjà découvert où il se trouve. Pire, Frodo, je crains même qu’il pense que le nom Bessac, longtemps passé inaperçu, revêt désormais une grande importance. »

« Mais tout cela est affreux ! s’écria Frodo. Pire que ce que j’avais imaginé de pire, à la lumière de tous vos sous-entendus et avertissements. Ô Gandalf, meilleur des amis, que vais-je donc faire ? Car maintenant, j’ai vraiment peur. Que vais-je donc faire ? C’est pitié que Bilbo n’ait pas poignardé cette ignoble créature quand il en avait l’occasion ! »

« Pitié ? C’est la Pitié qui a retenu son bras. La Pitié et la Clémence : celle de ne pas frapper sans nécessité. Et il en a été bien récompensé, Frodo. Soyez assuré que si le mal l’a si peu atteint et qu’il a pu en réchapper en fin de compte, c’est parce qu’il a commencé ainsi sa possession de l’Anneau. Avec de la Pitié. »

« Je suis désolé, dit Frodo. Mais j’ai peur ; et je ne ressens aucune pitié pour Gollum. »

« Vous ne l’avez pas vu », l’interrompit Gandalf.

« Non, et je ne veux pas, dit Frodo. Je n’arrive pas à vous comprendre. Êtes-vous en train de dire que vous lui avez laissé la vie sauve, vous et les Elfes, après tous ces horribles méfaits ? Maintenant, en tout cas, le voilà aussi mauvais qu’un Orque ; ce n’est plus qu’un ennemi. Il mérite la mort. »

« Mérite la mort ! Je suppose que oui. Nombreux sont ceux qui vivent et méritent la mort. Et certains meurent qui méritent la vie. Pouvez-vous la leur donner ? Alors ne soyez pas si empressé d’infliger la mort en jugement. Car même les plus sages ne peuvent percevoir toutes les fins. J’ai peu d’espoir que Gollum puisse être guéri avant sa mort, mais cela n’est pas exclu. Et son sort est lié à celui de l’Anneau. Mon cœur me dit qu’il lui reste encore un rôle à jouer, pour le meilleur ou pour le pire, avant la fin ; et quand la fin viendra, la pitié de Bilbo pourrait décider du destin d’un très grand nombre – à commencer par le vôtre. Quoi qu’il en soit, nous ne l’avons pas tué : il est très vieux et très malheureux. Les Elfes sylvains le gardent en prison, mais ils le traitent avec toute la bonté qu’ils peuvent trouver dans leurs sages cœurs. »

« Il n’empêche, dit Frodo, que si Bilbo n’a pas pu tuer Gollum, j’aurais voulu au moins qu’il ne conserve pas l’Anneau. J’aurais voulu qu’il ne l’ait jamais trouvé, et qu’il ne me soit pas parvenu ! Pourquoi m’avez-vous laissé le conserver ? Pourquoi ne pas m’avoir obligé à le jeter, ou à… à le détruire ? »

« Laissé ? Obligé ? dit le magicien. N’avez-vous donc rien entendu de ce que je vous ai dit ? Vous parlez sans réfléchir. Mais pour ce qui est de le jeter, c’eût été de toute évidence une mauvaise idée. Ces Anneaux ont le don d’être retrouvés. En de mauvaises mains, il aurait pu causer grand mal. Pire que tout, il aurait pu tomber entre les mains de l’Ennemi. En fait, cela ne manquerait pas d’arriver ; car il s’agit de l’Unique, et l’Ennemi emploie tout son pouvoir à le retrouver ou à l’attirer jusqu’à lui.

« Évidemment, mon cher Frodo, cela vous exposait à un certain danger et j’en étais profondément troublé. Mais l’enjeu était si grand que je devais courir le risque – bien qu’il ne se soit passé une journée, même quand j’étais absent, sans que le Comté ne soit sous la surveillance de regards vigilants. Tant que vous ne vous en serviez pas, je ne pensais pas que l’Anneau aurait sur vous aucun effet durable, pas en mal, du moins pas avant très longtemps. Et il faut vous rappeler qu’il y a neuf ans, lors de ma dernière visite, je n’avais pas encore autant de certitudes. »

« Mais pourquoi ne pas le détruire, comme cela aurait dû être fait selon vous ? s’écria encore Frodo. Si vous m’aviez averti, ou même envoyé un message, je l’aurais fait disparaître. »

« Ah bon ? Comment feriez-vous cela ? Avez-vous déjà essayé ? »

« Non. Mais je suppose qu’on pourrait le marteler ou le fondre. »

« Essayez ! dit Gandalf. Essayez maintenant ! »

Frodo tira de nouveau l’Anneau de sa poche et l’examina. Il était à présent lisse et uniforme, sans aucune marque ou devise visible. L’or semblait très clair, très pur, et Frodo s’émerveilla de sa couleur admirable et riche, de sa rondeur parfaite. C’était un objet fabuleux, d’une très grande valeur. En le sortant, son intention était de le lancer dans la partie la plus brûlante de l’âtre. Mais il se rendit compte à présent qu’il n’y parvenait pas, pas sans lutter de toutes ses forces. Il soupesa l’Anneau dans sa main, hésitant, et prit sur lui de se rappeler tout ce que Gandalf lui avait dit ; puis, par un effort de volonté, il fit un mouvement comme pour le jeter – mais il s’aperçut qu’il l’avait remis dans sa poche.

Gandalf eut un rire sinistre. « Vous voyez ? Déjà, vous non plus, Frodo, ne pouvez facilement y renoncer, ni chercher à l’abîmer volontairement. Et je ne pourrais pas vous y “obliger” – sauf par la force, ce qui briserait votre esprit. Mais pour ce qui est de briser l’Anneau, la force est inutile. Même si vous lui asseniez un violent coup de marteau, vous ne lui feriez pas une égratignure. Il ne peut être détruit par vos mains, ni par les miennes.

« Votre petit feu, cela va de soi, ne fondrait même pas de l’or ordinaire. Cet Anneau en est déjà sorti indemne, sans même s’échauffer. Mais il n’existe dans ce Comté aucun fourneau de forgeron qui puisse l’altérer de quelque façon. Pas même les enclumes et les fours des Nains ne le pourraient. On disait autrefois que le feu des dragons pouvait fondre et consumer les Anneaux de Pouvoir, mais il n’est plus désormais aucun dragon sur terre en qui le feu soit encore assez chaud ; et il ne fut jamais aucun dragon, pas même Ancalagon le Noir, capable d’endommager l’Anneau Unique, le Maître Anneau, car c’est l’œuvre de Sauron lui-même.

« Il n’y a qu’un seul moyen : trouver les Failles du Destin dans les profondeurs de l’Orodruin, la Montagne du Feu, et y jeter l’Anneau, si vous souhaitez réellement le détruire, le mettre hors de portée de l’Ennemi pour toujours. »

« Oui, je souhaite réellement le détruire ! s’écria Frodo. Ou, plutôt, le faire détruire. Je ne suis pas fait pour les quêtes dangereuses. J’aimerais ne jamais avoir posé les yeux sur l’Anneau ! Pourquoi est-il venu à moi ? Pourquoi ai-je été choisi ? »

« À de telles questions on ne saurait répondre, dit Gandalf. Soyez assuré que ce n’est pas pour un quelconque mérite que d’autres ne posséderaient pas : ni la puissance, ni la sagesse, à tout le moins. Mais vous avez été choisi : vous devez donc mettre à profit toute la force, le courage et l’intelligence dont vous disposez. »

« Mais j’ai si peu de toutes ces qualités ! Vous êtes sage et puissant. Ne voulez-vous pas prendre l’Anneau ? »

« Non ! s’écria Gandalf, se levant d’un bond. Cet objet me conférerait un pouvoir terrible, démesuré. Et sur moi, l’emprise de l’Anneau serait encore plus grande et plus mortelle. » Un éclair passa dans ses yeux et son visage s’illumina comme d’un feu intérieur. « Ne me tentez pas ! Car je ne souhaite ressembler au Seigneur Sombre lui-même. Pourtant, les voies de l’Anneau trouvent mon cœur par la pitié, la pitié pour les faibles, et par le désir de pouvoir faire le bien. Ne me tentez pas ! Je n’ose le prendre, pas même pour le garder en sécurité, inutilisé. Le désir de le porter viendrait à bout de mes forces. J’aurai tant besoin de son pouvoir. De grands périls m’attendent. »

Allant à la fenêtre, il ouvrit les rideaux et les volets. La lumière du jour inonda de nouveau la pièce. Dehors, Sam passa le long du chemin en sifflant. « Maintenant, dit le magicien en se retournant vers Frodo, la décision vous revient. Néanmoins, je serai toujours là pour vous aider. » Il posa sa main sur l’épaule du hobbit. « Je vous aiderai à porter ce fardeau, aussi longtemps qu’il vous appartiendra de le porter. Mais nous devons agir, et sans tarder. L’Ennemi bouge. »

Il y eut un long silence. Gandalf se rassit et tira sur sa pipe, comme perdu dans ses pensées. Ses yeux semblaient clos, mais, sous ses paupières, il observait Frodo avec attention. Frodo regardait fixement les braises rougeoyantes, de telle sorte qu’elles envahirent toute sa vision et qu’il lui semblait regarder dans des abîmes de feu. Il songea aux légendaires Failles du Destin et à l’horreur de la Montagne du Feu.

« Eh bien ! dit enfin Gandalf. À quoi pensez-vous ? Avez-vous décidé de ce que vous comptez faire ? »

« Non ! » répondit Frodo, émergeant des ténèbres pour constater qu’à sa grande surprise il ne faisait pas noir, que le jardin ensoleillé lui souriait à la fenêtre. « Ou peut-être que si. De ce que j’ai pu comprendre de votre discours, je suppose qu’il est de mon devoir de garder l’Anneau et de le protéger, du moins pour l’instant, quoi qu’il puisse me faire à moi. »

« Quoi qu’il puisse faire, il sera lent, lent à faire le mal, si vous le conservez dans cette intention », dit Gandalf.

« Je l’espère, dit Frodo. Mais je voudrais que vous lui trouviez bientôt un meilleur dépositaire. En attendant, il semble que je sois devenu un danger, un danger pour tous ceux qui vivent près de chez moi. Je ne puis conserver l’Anneau et rester ici. Il me faudra laisser Cul-de-Sac, laisser le Comté, tout laisser et partir. » Il soupira.

« J’aimerais sauver le Comté, si je le pouvais – même s’il m’est arrivé de trouver ses habitants ennuyeux et bêtes à pleurer, et de penser qu’un tremblement de terre ou une invasion de dragons leur ferait du bien. Mais je ne le pense pas, à présent. J’ai l’impression que, tant que j’aurai la certitude que le Comté demeure, sûr et confortable, mes errances me paraîtront plus supportables : je saurai qu’il existe quelque part un endroit où me poser, même si je ne peux plus y mettre les pieds.

« Bien sûr, j’ai souvent songé à partir, mais j’envisageais plutôt cela comme des vacances : une suite d’aventures comme celles de Bilbo, ou bien en mieux, avec une fin heureuse. Mais ici, cela signifierait l’exil, une succession de dangers que j’attirerais en essayant de les fuir. Et je suppose qu’il me faudrait partir seul, si je devais partir et sauver le Comté. Mais je me sens tout à fait insignifiant, complètement déraciné, et, ma foi… désespéré. L’Ennemi est si fort, si terrible. »

Il ne le dit pas à Gandalf, mais tandis qu’il parlait, une profonde envie de suivre Bilbo embrasa son cœur – suivre Bilbo, et peut-être même le retrouver. Ce désir était si fort qu’il triompha de sa peur : il aurait presque pu se précipiter dehors et partir à toutes jambes sans son chapeau, comme Bilbo l’avait fait longtemps auparavant, par un matin semblable.

« Mon cher Frodo ! s’écria Gandalf. Les hobbits sont vraiment des créatures étonnantes, comme je ne me lasse pas de le dire. Vous pouvez apprendre tout ce qui a trait à leurs coutumes en un mois, et après cent ans, ils peuvent encore vous surprendre au moment opportun. Je ne m’attendais guère à une telle réponse, même de votre part. Mais Bilbo ne s’est pas trompé en choisissant son héritier, même s’il n’avait pas idée de l’importance de son choix. Je crains que vous n’ayez raison. L’Anneau ne pourra rester caché dans le Comté encore longtemps ; et par égard pour vous et pour les autres, vous devrez partir, en laissant derrière vous le nom de Bessac. Car il sera risqué de porter un tel nom, en dehors du Comté ou dans la Sauvagerie. Je vais vous donner un nom pour voyager. Quand vous partirez, vous serez M. Souscolline.

« Mais je ne crois pas que vous soyez obligé de partir seul. Pas si vous connaissez quelqu’un de confiance, quelqu’un qui serait prêt à aller à vos côtés – et que vous seriez prêt à exposer à des périls inconnus. Mais si vous cherchez un compagnon, choisissez avec prudence ! Et prudence dans ce que vous dites, même à vos plus proches amis ! L’ennemi a de nombreux espions et de nombreuses façons d’entendre. »

Il s’arrêta soudain comme pour écouter. Frodo s’aperçut que tout était très silencieux, à l’intérieur comme à l’extérieur. Gandalf s’approcha furtivement d’un côté de la fenêtre. Puis, tout à coup, il s’appuya sur le rebord et tendit un long bras à l’extérieur et vers le bas. Il y eut un cri rauque, et la tête frisée de Sam Gamgie apparut, tirée par une oreille.

« Tiens, tiens, par ma barbe ! dit Gandalf. Sam Gamgie, c’est cela ? Mais que faites-vous donc là ? »

« Bénie soit vot’ barbe, M. Gandalf, m’sieur ! dit Sam. Rien ! J’étais juste en train de tailler la bordure d’herbe en dessous de la fenêtre, si vous me suivez. » Il ramassa ses cisailles et les exhiba comme preuve.

« Pas tellement, dit Gandalf d’un ton sévère. Cela fait un moment que je n’entends plus le bruit de vos cisailles. Depuis quand êtes vous aux aguets ? »

« Au guet, m’sieur ? Vous m’excuserez, m’sieur, j’vous suis pas. Y a pas de guet à Cul-de-Sac, et ça, c’est un fait. »

« Ne faites pas l’innocent ! Qu’avez-vous entendu et pourquoi écoutiez-vous ? » Les yeux de Gandalf jetèrent des éclairs et ses sourcils se dressèrent sur son front.

« Monsieur Frodo, m’sieur ! s’écria Sam, tremblant comme une feuille. Le laissez pas me faire du mal, m’sieur ! Le laissez pas me changer en quelque chose de pas naturel ! Ça ferait un tel choc à mon vieux papa. Je pensais pas à mal, m’sieur, sur mon honneur ! »

« Il ne te fera pas de mal, dit Frodo, ayant peine à étouffer un rire, quoiqu’il fût lui-même surpris et plutôt perplexe. Il sait aussi bien que moi que tu ne penses pas à mal. Mais dépêche-toi de répondre à ses questions, et tout de suite ! »

« Eh bien, m’sieur, commença Sam, tergiversant un peu. J’ai entendu pas mal de choses que j’ai pas très bien comprises, rapport à un ennemi, et des anneaux, et M. Bilbo, m’sieur, et des dragons, et puis une montagne de feu, et… les Elfes, m’sieur. J’écoutais parce que j’étais incapable de faire autrement, si vous voyez ce que je veux dire. Qu’on me bénisse, m’sieur, mais j’aime tellement les histoires de ce genre-là. Et qui plus est, j’y crois, qu’importe ce que dit Ted. Les Elfes, m’sieur ! Comme j’aimerais les voir, eux. Pourriez pas m’emmener voir des Elfes, m’sieur, quand vous partirez ? »

Soudain, Gandalf se mit à rire. « Entrez donc ! » s’écria-t-il ; et sortant les deux bras, il hissa le jardinier stupéfait à travers la fenêtre, cisailles et brins d’herbe compris, et le déposa à l’intérieur sur ses deux pieds. « Vous emmener voir les Elfes, hein ? » dit-il en l’observant attentivement ; mais un sourire flottait sur ses lèvres. « Donc, vous avez appris que M. Frodo doit s’en aller ? »

« Oui, m’sieur. Et c’est pour ça que je me suis étouffé, comme vous avez entendu, à ce qu’il semblerait. J’ai essayé de me retenir, m’sieur, mais ça m’a échappé : j’étais si bouleversé. »

« On ne peut rien y faire, Sam », dit Frodo avec tristesse. Il venait de se rendre compte que son départ du Comté entraînerait des séparations plus pénibles que le simple fait de dire adieu au confort familier de Cul-de-Sac. « Je devrai partir. Mais » – à ce moment, il regarda Sam dans le blanc des yeux – « si tu te soucies vraiment de moi, tu n’en souffleras pas un traître mot. Tu comprends ? Sinon, si tu répètes une seule syllabe de ce que tu as entendu ici, alors j’espère que Gandalf te changera en crapaud tacheté et qu’il remplira le jardin de couleuvres. »

Sam tomba à genoux, tremblant de peur. « Debout, Sam ! dit Gandalf. J’ai pensé à quelque chose de mieux. Quelque chose qui vous clouera le bec et qui vous servira de correction pour avoir écouté. Vous allez partir avec M. Frodo ! »

« Moi, m’sieur ! s’écria Sam, bondissant comme un chien invité à faire une promenade. Moi, aller voir les Elfes et tout ? Hourra ! » s’écria-t-il, puis il fondit en larmes.

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