à Michel Bulteau
Nous étions arrivés à un moment de notre vie où se faisait sentir l'impérieuse nécessité de négocier une nouvelle donne,
Ou simplement de crever.
Quand nous étions face à face avec nous-mêmes sur la banquette arrière dans le fond du garage il n'y avait plus personne,
On aimait se chercher.
Le sol légèrement huileux où nous glissions une bouteille de bière à la main,
Et ta robe de satin
Mon ange
Nous avons traversé des moments bien étranges
Où les amis disparaissaient un p a r un et où les plus gentils devenaient les plus durs,
S'installaient dans une espèce de fissure
Entre les longs murs blancs de la dépendance pharmaceutique
Ils devenaient des pantins ironiques,
Pathétiques.
Le lyrisme et la passion nous les avons connus mieux que personne,
Beaucoup mieux que personne
Car nous avons creusé jusqu'au fond de nos organes pour essayer de les transformer de l'intérieur
Pour trouver un chemin écarter les poumons pénétrer jusqu'au cœur
Et nous avons perdu,
Nos corps étaient si nus.
Répétition des morts et des abandons et les plus purs montaient vers leur calvaire,
Je me souviens de ton cousin le matin où il s'était teint les cheveux en vert
Avant de sauter dans le fleuve,
Sa vie était si neuve.
Nous n'aimons plus beaucoup maintenant les gens qui viennent critiquer nos rêves,
Nous nous laissons lentement investir par une ambiance de trêve
Nous ne croyons plus beaucoup maintenant aux plaisanteries sur le sens du cosmos,
Nous savons qu'il existe un espace de liberté entre la chair et l'os
Où les répétitions les plaintes
Parviennent atténuées;
Un espace d'étreintes,
Un corps transfiguré.
Quand il fait froid,
Ou plutôt quand on a froid,
Quand un centre de froid s'installe avec un mouvement [mou
Au fond de la poitrine
Et saute lourdement entre les poumons
Comme un gros animal stupide;
Quand les membres battent faiblement,
De plus en plus faiblement
Avant de s'immobiliser sur le canapé
De manière apparemment définitive;
Quand les années tournent en clignotant
Dans une atmosphère enfumée
On ne se souvient plus de la rivière parfumée,
La rivière de la première enfance
Je l'appelle, conformément à une ancienne tradition: la rivière d'innocence.
Maintenant que nous vivons dans la lumière,
Maintenant que nous vivons à proximité immédiate de la lumière,
Dans des après-midi inépuisables
Maintenant que la lumière autour de nos corps est devenue palpable,
Nous pouvons dire que nous sommes parvenus à destination
Les étoiles se réunissent chaque nuit pour célébrer nos souffrances et leur transfiguration
En des figures indéfiniment mystérieuses
Et cette nuit de notre arrivée ici, entre toutes les nuits, nous demeure infiniment précieuse.
Il y a toujours une ville, des traces de poètes
Qui ont croisé leur destinée entre ses murs
L'eau coule un peu partout, la mémoire murmure
Des noms de villes, des noms de gens, trous dans la [tête.
Et c'est toujours la même histoire qui recommence,
Horizons effondrés et salons de massage
Solitude assumée, respect du voisinage,
Il y a pourtant des gens qui existent et qui dansent.
Ce sont des gens d'une autre espèce, d'une autre race,
Nous dansons tout vivants une danse cruelle
Nous avons peu d'amis mais nous avons le ciel,
Et l'infinie sollicitude des espaces;
Le temps, le temps très vieux qui prépare sa vengeance,
L'incertain bruissement de la vie qui s'écoule
Les sifflements du vent, les gouttes d'eau qui roulent
Et la chambre jaunie où notre mort s'avance.
Une lumière bleue s'établit sur la ville,
Il est temps de faire vos jeux;
La circulation tombe. Tout s'arrête. La ville est si tranquille.
Dans un brouillard de plomb, la peur au fond des yeux,
Nous marchons vers la ville,
Nous traversons la ville.
Près des voitures blindées, la troupe des mendiants,
Comme une flaque d'ombre
Glisse en se tortillant au milieu des décombres
Ton frère fait partie des mendiants
Il fait partie des errants
Je n'oublie pas ton frère,
Je n'oublie pas le jeu.
On achète du riz dans des passages couverts,
Encerclés par la haine
La nuit est incertaine,
La nuit est presque rouge
Traversant les années, au fond de moi, elle bouge,
La mémoire de la mer.
Reptation des branchages entre les fleurs solides,
Glissement des nuages et la saveur du vide:
Le bruit du temps remplit nos corps et c'est dimanche
Nous sommes en plein accord, je mets ma veste blanche
Avant de m'effondrer sur un banc de jardin
Où je m'endors, je me retrouve deux heures plus loin.
Une cloche tinte dans l'air serein
Le ciel est chaud, on sert du vin,
Le bruit du temps remplit la vie;
C'est une fin d'après-midi.
L'aube grandit dans la douceur
Le lait tiédit, petites flammes
Vibrantes et bleues, petites sœurs
Lait gonflé comme un sein de femme
Et le bruit du percolateur
Dans le silence de la ville;
Vers le Sud, l'écho d'un moteur
Il est cinq heures, tout est tranquille.
J'ai toujours eu l'impression que nous étions proches, comme deux fruits issus de la même branche. Le jour se lève au moment où je t'écris, le tonnerre gronde doucement; la journée sera pluvieuse. Je t'imagine te redressant dans ton lit. Cette angoisse que tu ressens, je la ressens également.
La nuit nous abandonne,
La lumière délimite
À nouveau les personnes,
Les personnes toutes petites.
Couché sur la moquette, j'observe avec résignation la montée de la lumière. Je vois des cheveux sur la moquette; ces cheveux ne sont pas les tiens. Un insecte solitaire escalade les tiges de laine. Ma tête s'abat, se relève; j'ai envie de fermer vraiment les yeux. Je n'ai pas dormi depuis trois jours; je n'ai pas travaillé depuis trois mois. Je pense à toi.
Quand la pluie tombait en rafales
Sur notre petite maison
Nous étions à l'abri du mal,
Blottis auprès de la raison.
La raison est un gros chien tendre
Et c'est l'opposé de la perte
Il n'y a plus rien à comprendre,
L'obéissance nous est offerte.
Donnez-moi la paix, le bonheur,
Libérez mon cœur de la haine
Je ne peux plus vivre dans la peur,
Donnez-moi la mesure humaine.
Il existe un pays, plutôt une frontière,
Où la lumière est douce et pratiquement solide
Les êtres humains échangent des fragments de lumière,
Mais ils n'ont pas la moindre appréhension du vide.
La parabole du désir
Remplissait nos mains de silence
Et chacun se sentait mourir,
Nos corps vibraient de ton absence.
Nous avons traversé des frontières de craie
Et le second matin le soleil devint proche
Il y avait dans le ciel quelque chose qui bougeait,
Un battement très doux faisait vibrer les roches.
Les gouttelettes de lumière
Se posaient sur nos corps meurtris
Comme la caresse infinie
D'une divinité – matière.
Les couleurs de la déraison,
Comme un fétiche inachevé
Définissent de nouvelles saisons,
L'inexistence remplit l'été.
Le soleil du Bouddha tranquille
Glissait au milieu des nuages
Nous venions de quitter la ville,
Le temps n'était plus à l'orage.
La route glissait dans l'aurore
Et les essuie-glaces vibraient,
J'aurais aimé revoir ton corps
Avant de partir à jamais.
Dehors il y a la nuit
La violence, le carnage
Viens près de moi, sans bruit,
Je distingue une image Mouvante.
Et les contours se brouillent,
La lumière est tremblante
Mon regard se dépouille
Je suis là, dans l'attente, Sereine.
Nous avons traversé
Des époques de haine,
Des temps controversés
Sans dimension humaine
Et le monde a pris forme,
Le monde est apparu
Dans sa présence nue,
Le monde.
À l'Ouest de Clifden, promontoire
Là où le ciel se change en eau
Là où l'eau se change en mémoire
Tout au bord d'un monde nouveau
Le long des collines de Clifden,
Des vertes collines de Clifden,
Je viendrai déposer ma peine.
Pour accepter la mort il faut
Que la mort se change en lumière
Que la lumière se change en eau
Et que l'eau se change en mémoire.
L'Ouest de l'humanité entière
Se trouve sur la route de Clifden
Sur la longue route de Clifden
Où l'homme vient déposer sa peine
Entre les vagues et la lumière.
Montre-toi, mon ami, mon double
Mon existence est dans tes mains
Je ne suis pas vraiment humain
Je voudrais une existence trouble
Une existence comme un étang, comme une mer
Une existence avec des algues
Et des coraux, et des espoirs, et des mondes amers
Roulés par la pureté des vagues.
L'eau glissera sur mon cadavre
Comme une comète oubliée
Et je retrouverai un havre,
Un endroit sombre et protégé.
Avalanche de fausses raisons
Dans l'univers privé de sens,
Les soirées pleines de privation,
Les murailles de la décadence.
Comme un poisson de mer vidé,
J'ai donné mes organes aux bêtes
Mes intestins écartelés
Sont très loin, déjà, de ma tête.
La chair fourmille d'espérance
Comme un bifteck décomposé,
Il y aura des moments d'errance
Où plus rien ne sera imposé.
Je suis libre comme un camion
Qui traverse sans conducteur
Les territoires de la terreur,
Je suis libre comme la passion.
La clarté paraît dangereuse
Et les femmes ont rarement besoin
D'être satisfaites de leur sexe,
Évidemment.
L'avantage d'avoir des organes sexuels internes,
Je le lis avec clarté dans ton regard
Au demeurant presque innocent.
Tu attends ou tu provoques,
Mais au fond tu attends toujours
Une espèce d'hommage
Qui pourra t'être donné ou refusé,
Et ta seule possibilité en dernière analyse est d'attendre.
Pour cela, je t'admire énormément.
En même temps tu es si faible et si soumise,
Tu sais qu'une quantité excessive de sueur diminuera le [désir
Que je suis seul à pouvoir te donner
Car tu n'en veux pas d'autre,
Et tu as besoin de ce désir.
Pour cela, aussi, je t'admire énormément.
En même temps tu as cette force terrifiante
De ceux qui ont le pouvoir de dire oui ou de dire non
Cette force t'a été donnée
Beaucoup peuvent te chercher, certains peuvent te trouver
Ton regard est la clef de différentes possibilités d'existence et de différentes structurations du monde
Tu es la clef offerte par la vie pour un certain nombre d'ailleurs
À ton contact, je deviens progressivement meilleur
Et j'admire, également, ta force.
Je suis en présence de toi
Comme devant un autre monde
Pourtant je vais au fond de toi
Je m'arrête, j'écoute les secondes
Et il y a un autre monde.
Il y a d'abord cet acte qu'il faut bien qualifier de charnel,
Faute d'un meilleur terme
Acte où nous engageons pourtant une bonne partie de nos ressources spirituelles
Et de nos croyances
Car nous créons les conditions, non seulement pour un être, mais aussi pour le monde, d'une nouvelle naissance,
Nous en fixons l'initiation et peut-être le terme.
Il y a ensuite cette espèce d'être animal
Qu'on a bien du mal à mettre en rapport avec la femme
Telle que nous la connaissons
Je veux dire, la femme de nos jours,
Celle qui prend le métro
Et qui n'est plus capable d'amour.
Il y a ce geste de l'embrassement qui remonte si naturellement vers les lèvres et vers les mains
Devant l'objet fripé qui sort
Qui était protégé il y a quelques instants encore
Qui vient brutalement de tomber en direction de l'humain
De manière irrémédiable
Et nous pleurons, nous aussi, cette chute.
Il y a cette espèce de croyance en un monde délivré du mal
Et des cris, et de la souffrance,
Un monde où envisager l'horreur de la naissance
Comme un acte amical
Je veux dire, un monde où l'on pourrait vivre
Depuis le premier instant
Et jusqu'à la fin, jusqu'au terme naturel;
Un tel monde n'est en aucun cas décrit dans nos livres.
Il existe, potentiel.
C'est comme une veine qui court sous la peau, et que l'aiguille cherche à atteindre,
C'est comme un incendie si beau qu'on n'a pas envie de l'éteindre,
La peau est endurcie, par endroits presque bleue, et pourtant c'est un bain de fraîcheur au moment où pénètre l'aiguille
Nous marchons dans la nuit et nos mains tremblent un peu, pourtant nos doigts se cherchent et pourtant nos yeux brillent.
C'est le matin dans la cuisine et les choses sont à leur place habituelle,
Par la fenêtre on voit les ruines et dans l'évier traîne une vague vaisselle,
Cependant tout est différent, la nouveauté de la situation est proprement incommensurable,
Hier en milieu de soirée tu le sais nous avons basculé dans le domaine de l'inéluctable.
Au moment où tes doigts tendres petites bêtes ont accroché les miens et ont commencé à les presser doucement
J'ai su qu'il importait très peu que je sois à tel moment ou à tel autre ton amant
J'ai vu quelque chose se former, qui ne pouvait être compris dans les catégories ordinaires,
Après certaines révolutions biologiques il y a vraiment de nouveaux cieux, il y a vraiment une nouvelle Terre.
Il ne s'est à peu près rien passé et pourtant il nous est impossible de nous délivrer du vertige,
Quelque chose s'est mis en mouvement, des puissances avec lesquelles il n'est pas question qu'on transige, Comme celles de l'opium ou du Christ, les victimes de l'amour sont d'abord des victimes bienheureuses Et la vie qui circule en nous ce matin vient d'être augmentée dans des proportions prodigieuses.
C'est pourtant la même lumière, dans le matin, qui s'installe et qui augmente,
Mais le monde perçu à deux a une signification entièrement différente
Je ne sais plus vraiment si nous sommes dans l'amour ou dans l'action révolutionnaire
Après que nous en avons parlé tous les deux, tu as acheté une biographie de Maximilien Robespierre.
Je sais que la résignation vient de partir avec la facilité d'une peau morte,
Je sais que son départ me remplit d'une joie incroyablement forte,
Je sais que vient de s'ouvrir un pan d'histoire absolument inédit
Aujourd'hui et pour un temps indéterminé nous pénétrons dans un autre monde, et je sais que dans cet autre monde tout pourra être reconstruit.
Il y a eu des nuits où nous avions perdu jusqu'au sens [du combat
Nous frissonnions de peur, seuls dans la plaine [immense,
Nous avions mal aux bras
Il y a eu des nuits incertaines et très denses.
Comme un oiseau blessé tournoie dans l'atmosphère
Avant de s'écraser sur le sol du chemin
Tu titubais, disant des mots élémentaires,
Avant de t'effondrer sur le sol de poussière; Je te prenais la main.
Nous devions décider d'un autre angle d'attaque,
Décrocher vers le Bien
Je me souviens de nos pistolets tchécoslovaques,
Achetés pour presque rien.
Libres et conditionnés par nos douleurs anciennes
Nous traversions la plaine
Et les mottes gercées résonnaient sous nos pieds;
Avant la guerre, ami, il y poussait du blé.
Comme une croix plantée dans un sol desséché
J'ai tenu bon, mon frère;
Comme une croix de fer aux deux bras écartés.
Aujourd'hui, je reviens dans la maison du Père.