— De mieux en mieux ! dit-il.

Cependant, M. Havard considérait le policier d’un air un peu interloqué.

— M’expliquerez-vous maintenant pourquoi ce cabinet vous intéresse, et dans quel but vous faites ces expériences ?

— Je vous dirai cela tout à l’heure ! dit Juve, ce sera ma conclusion. Mais auparavant permettez que je vous fasse connaître le but de ma visite, que je vous explique pourquoi je vous ai demandé ce rendez-vous…

M. Havard interrompait :

— À mon tour, Juve, de vous demander pourquoi, il y a quarante-huit heures, vous m’avez fait retenir une voiture cellulaire en recommandant qu’elle vienne ce soir à neuf heures trente-cinq se ranger devant la porte de ma maison et qu’elle se tienne prête à partir pour la prison de la Santé sitôt qu’un prisonnier y aurait été amené ?

Juve souriait :

— Il me semble que c’est facile à comprendre, monsieur le chef de la Sûreté. J’ai pris mes précautions pour conduire quelqu’un en lieu sûr, j’ai agi avec prudence et perspicacité ! Voyons, je vous le demande, quand vous menez une femme au théâtre, ne vous précautionnez-vous pas d’une voiture de remise à l’avance pour la ramener ?

M. Havard éclatait de rire.

— Vous avez des comparaisons, Juve, vraiment inattendues ! Et peut-on savoir quel est le personnage qui doit jouer le rôle de la jolie femme, étant admis que le fourgon cellulaire représentera la voiture de remise ?

— Ceci, fit Juve, c’est encore mon secret ! Permettez-moi de ne point le dévoiler, vous le découvrirez vous-même… J’aime mieux cela. Mais à mon tour de vous poser une question. C’est bien ce soir, n’est-il pas vrai, monsieur Havard, que vous allez recevoir la visite de ce détective privé, M. Mix, dont la vive intelligence vous a séduit et dont les déclarations vous ont permis d’arrêter avant-hier ce malheureux Léon Drapier ?

— Léon Drapier, s’écriait le chef de la Sûreté, est un misérable qui nous a donné du fil à retordre, mais dont nous aurons raison quoiqu’il se renferme, depuis qu’il est bouclé, dans un mutisme absolu !

— Pardon ! fit Juve, là n’est pas la question ! Est-ce bien ce soir que doit venir ce Mix ?

— Vous le savez, Juve, fit M. Havard, je l’attends à huit heures, c’est-à-dire dans dix minutes.

— Bien, fit le policier, maintenant, monsieur Havard, permettez-moi de dégrader votre appartement !

— Ah çà, s’écria le chef de la Sûreté, qu’est-ce qui vous prend ?

Juve venait de sortir de sa poche une sorte de petit poinçon qu’il enfonçait dans la cloison séparant le cabinet de travail du petit cabinet noir qu’il était allé explorer. En l’espace de quelques instants, il avait fait un trou dans le mur, il souffla précautionneusement autour de l’orifice pour en faire disparaître les quelques brindilles de papier, de plâtre et de bois qui l’entouraient.

Puis, s’étant reculé pour juger de l’effet, il articula d’une voix joyeuse :

— Voilà du beau travail ! On n’y voit rien !

M. Havard était accoutumé aux excentricités du policier. Il grogna cependant, pour le principe :

— Vraiment, Juve, fit-il, vous allez m’attirer des histoires avec mon propriétaire, j’avais là un panneau de mur à peu près convenable et vous le détériorez !

Juve comprenait que le chef plaisantait et il rétorqua sur le même ton :

— Je paierai les dégâts, vous m’enverrez la facture !

Toutefois, redevenant sérieux, il articula :

— Dans cinq minutes, M. Mix va être ici. Faites-moi un plaisir, M. Havard, passez dans ce cabinet noir et demeurez-y jusqu’à ce que vous jugiez utile d’apparaître ! En collant votre oreille au mur vous entendrez ce qui se dira dans votre cabinet, en mettant l’œil au trou que je viens de faire dans la cloison vous verrez ce qui se passera dans cette pièce !

— Qu’entendrai-je donc et que se passera-t-il ? demandait alors M. Havard, de plus en plus intrigué.

— Voici, fit Juve. Je recevrai M. Mix à votre place. Nous causerons tous les deux, vous me verrez faire certaines choses qui vous étonneront d’abord et qui vous rassureront ensuite !

— Ma foi ! je ne vous comprends pas du tout ! fit Havard.

Mais Juve insistait d’un ton persuasif :

— Vous allez comprendre ! commença-t-il, lorsqu’il s’arrêta net.

Un coup de sonnette venait de retentir à la porte d’entrée ; les deux hommes se regardèrent.

— Eh bien ! fit Juve.

— Eh bien, articula Havard, c’est lui, mais qui donc ira ouvrir, si je dois me dissimuler ?

— Ne vous en inquiétez pas ! fit Juve, je me charge de tout !

La porte d’entrée s’ouvrait quelques secondes après.

L’antichambre était obscure et Juve, qui venait de remplir l’office de valet de chambre, aperçut, sur le palier, M. Mix.

— Entrez donc, monsieur ! fit-il.

Le détective privé s’avança.

Il ne voyait point Juve dans l’obscurité, il passa sans faire attention à l’homme qui venait de lui ouvrir la porte et qu’il prenait pour un domestique.

Sans enlever son pardessus, se contentant de tenir son chapeau à la main, Mix, machinalement se dirigea vers une pièce au fond de l’antichambre, qui lui apparaissait éclairée et dont la porte était entrebâillée.

Il était suivi de près par le personnage qui lui avait ouvert.

Tous deux entraient dans le cabinet de travail de M. Havard et dès lors M. Mix, s’étant retourné pour voir l’homme qui le suivait, s’arrêta interdit.

— Juve ! s’écria-t-il, Juve ! Monsieur Juve ! Ah ! par exemple, quelle bonne surprise !

Il semblait que M. Mix, en prononçant ces paroles, éprouvait une certaine gêne et Juve, qui observait tout, remarquait qu’instinctivement M. Mix avait porté la main à la poche de son veston à la manière de quelqu’un qui y cherche un objet familier.

— Oh ! oh ! pensa Juve, le gaillard est armé !

À l’exclamation de Mix, Juve, toutefois, répondait par une inclinaison de tête :

— Je suis heureux, monsieur, fit-il, de me trouver en votre présence !

— Tout le plaisir est pour moi ! fit aigrement Mix.

— Pas du tout, précisa Juve, je vous affirme qu’il est pour moi !

Les deux hommes se regardaient comme deux adversaires qui se cherchent. Ils voulaient respectivement lire leurs pensées dans leurs yeux et tous deux avaient évidemment l’habitude de dissimuler leurs sentiments, car ils restaient impénétrables l’un pour l’autre.

Juve, cependant, reprenait la parole :

— Monsieur Mix, vous avez rendez-vous avec M. Havard, ce soir à son domicile ?

— En effet !

Juve continuait :

— M. Havard m’a chargé de l’excuser auprès de vous s’il est en retard de quelques instants, mais, vous savez, un chef de la Sûreté ne fait pas du tout ce qu’il veut ! Vous êtes au courant d’ailleurs des choses de la police étant vous-même détective privé et, si je ne me trompe, sur le point de devenir mon collègue en qualité d’inspecteur de la Sûreté ?

— En effet, monsieur ! articula Mix.

Juve se faisait de plus en plus aimable :

— Tous mes compliments ! dit-il.

Il désignait un siège à son interlocuteur, mais, au moment où celui-ci allait s’asseoir, Juve, brusquement, se précipitait sur lui.

— Je suis un bien mauvais maître de maison ! fit-il. Il est vrai que je le suis par intérim ! En tout cas je m’excuse, M. Mix, de ne pas vous avoir invité à ôter votre pardessus ! Il fait une chaleur ici… M. le chef de la Sûreté est d’un frileux… Permettez que je vous aide ?

Et, sans attendre de réponse, Juve obligeait pour ainsi dire le détective privé à quitter son pardessus.

Certes, à ce moment, si M. Havard regardait par le trou percé dans le mur, il voyait quelque chose de bien extraordinaire…

En même temps que Juve, aimablement, posait le pardessus de M. Mix, il le dépouillait du portefeuille que celui-ci avait dans la poche intérieure de son veston !

Et cela était fait, d’ailleurs, avec une rapidité telle, une habileté si grande, qu’il était à peu près impossible de s’en apercevoir !

M. Mix n’avait rien remarqué, il s’asseyait dans un fauteuil ; Juve se mettait en face de lui.

Il y eut un léger silence, après quoi le célèbre inspecteur, considérant son interlocuteur, se mit à bavarder.

— Quelle étrange affaire, n’est-ce pas, monsieur Mix, que celle du directeur de la Monnaie qui vient de s’achever par l’arrestation de M. Léon Drapier ?

— En effet ! déclara Mix.

Juve poursuivit :

— Ce qui me paraît fort original dans cette aventure, c’est que ce soit un homme qui, comme vous, monsieur Mix, était tout d’abord préoccupé de prouver l’innocence de Léon Drapier, qui soit la cause, en somme, en définitive, de l’arrestation de ce dernier !

— Évidemment ! reconnut Mix d’un air évasif. J’avais cru à son innocence, mais M. le chef de la Sûreté m’a démontré sa culpabilité et, comme je suis un honnête homme, que je cherche surtout le châtiment des coupables, je n’ai pas cru devoir m’opposer à l’arrestation de M. Léon Drapier, bien au contraire !

Juve fixait dans les yeux M. Mix.

— Croyez-vous cependant que Léon Drapier soit réellement un voleur ? réellement un assassin ?

— Je le crois ! naturellement ! fit Mix interloqué.

— Eh bien, dit Juve en se levant, moi je ne partage pas votre opinion !

— Vraiment ! dit-il ; expliquez-vous…

— C’est ce que je vais faire ! poursuivit Juve, mais auparavant, monsieur Mix, acceptez une cigarette ; M. Havard, qui est fumeur, ne verra aucun inconvénient à ce que nous remplissions son cabinet de fumée en l’attendant !

Juve venait d’ouvrir son étui à cigarettes, il le présentait à son interlocuteur ; mais, au moment où celui-ci, de sa main droite, puisait dans l’étui, Juve, qui le présentait à plat sous le visage de Mix, comme pour masquer ses propres mains à lui, effleurait la poche de Mix et en extrayait un browning qu’il mettait dans la sienne !

Décidément Juve était passé maître en l’art du vol à la tire, car Mix, détective privé, policier de métier, du moins il le disait, ne s’apercevait absolument de rien.

Les cigarettes ayant été allumées, Juve reprit :

— Je commence par vous dire, monsieur Mix, que je ne crois pas à la culpabilité de Léon Drapier, pour cette bonne raison que cet homme riche et tranquille n’avait aucun motif pour commettre un assassinat et voler, ensuite, l’établissement dont il était le directeur !

— Pardon, fit Mix, peut-être était-il jaloux de ce Firmain qu’il croyait être l’amant de sa maîtresse ?

— Non ! fit Juve, il ne le connaissait pas et il ignorait, au moment du crime, que Firmain connût Paulette de Valmondois !

Mix insistait :

— M. Léon Drapier, cependant, était chez lui à l’heure du crime, et il a déclaré n’avoir rien entendu de ce qui s’est passé ! Ce qui paraît bien étrange.

— M. Drapier n’était pas chez lui ! rétorqua Juve, il était chez sa maîtresse, cette nuit-là, tout entière !

— C’est à prouver ! gronda Mix.

— C’est tout prouvé, déclara Juve, il a été vu par la concierge de la rue Blanche à l’heure précise où X… assassinait Firmain !

M. Mix tourna la tête, puis il articula :

— Vous parlez de la rue Blanche… Paulette de Valmondois y a reçu un coup de revolver… Qui donc a tiré avec ce revolver si ce n’est Léon Drapier ?

— Oh ! c’est bien simple, rétorqua Juve, ce n’est pas Léon Drapier, c’est X…

— Voyons, monsieur, fit le détective privé, parlons alors du vol, des vols si vous voulez bien. Il apparaît nettement que c’est Léon Drapier qui volait, dans les caves de l’hôtel des Monnaies, puisqu’on y a relevé ses traces.

— Cela ne prouve rien ! fit Juve, X…, le véritable voleur, s’est introduit à maintes reprises dans ces caves, mais il a eu soin, chaque fois, de faire disparaître les traces de son passage. Un voleur prend toujours ses précautions !… Un honnête homme laissera derrière lui les charges les plus accablantes, car il ne se méfie pas…

— Mais enfin, articula M. Mix, si vous croyez que Léon Drapier est innocent, qui donc soupçonnez-vous ?

Alors Juve, nettement, considérant son interlocuteur dans les yeux, déclara d’une voix brève et sèche :

— Qui je soupçonne ? toujours le même bandit ! toujours le même audacieux criminel, toujours le même monstre de cruauté et de duplicité ! Je soupçonne Fantômas d’être l’auteur de ces crimes et de ces vols !

Mix sursauta :

— Fantômas ! dites-vous ? Pourquoi Fantômas ?

— Parce que, déclara Juve, dans toute cette affaire, je reconnais la façon de procéder de Fantômas ; le sinistre bandit n’aime guère jouer à visage découvert !

« Pour détourner les soupçons il a l’habitude de compromettre un honnête homme et de faire tomber sur lui toutes les responsabilités.

— Dans les hypothèses formulées à l’heure actuelle, rien ne justifie l’attitude de Léon Drapier, accusé d’être le coupable… Rien n’explique pourquoi Léon Drapier se serait fait assassin…

« Mais, monsieur Mix, mêlez Fantômas à l’affaire, et vous verrez comme tout devient lumineux !

« Fantômas a besoin d’argent, il veut se procurer de grosses sommes et se dit qu’il va voler dans les caves de l’hôtel des Monnaies…

« La chose n’est pas facile… Il faut pour y parvenir avoir ses grandes et petites entrées dans la maison. Comment faire ?

« Fantômas ne va pas directement au but, car ses intentions seraient alors trop faciles à découvrir…

« Fantômas se dit qu’avant d’attaquer une place forte, il faut en connaître le point faible, tout au moins le point le plus accessible…

« Fantômas est en relations avec un certain individu d’une allure très louche et qui a été jadis valet de chambre ; il va l’employer…

« Précisément, le couple Drapier cherche un domestique. Fantômas fait embaucher son homme, Firmain… et, pour détourner les soupçons de cet homme, lui dit :

« “Tu m’ouvriras dans la nuit, afin que nous puissions cambrioler ensemble !”

« “D’accord !” répond Firmain. Le faux domestique entre dans la place, s’entend avec Fantômas et précisément, M. Drapier étant absent, Firmain ouvre à Fantômas !

« Fantômas ne vient pas là pour voler, mais pour compromettre Léon Drapier par une première aventure singulière. Que fait-il donc ? Il tue Firmain, dont il connaît la parenté avec Paulette de Valmondois !

« Enquêtes, comme vous le savez, découverte des faux certificats rédigés par Paulette… Je ne reviendrai pas sur ces faits ! Léon Drapier, furieux, se rend chez sa maîtresse et lui fait une scène violente.

« Paulette s’écarte un instant de son amant… Que se passe-t-il alors ? Fantômas, qui était dissimulé dans l’appartement, l’ajuste d’un coup de revolver, pour faire croire que c’est Léon Drapier qui vient de l’assassiner !

« La malheureuse femme ne meurt pas, Fantômas lui envoie son enfant lui porter des fleurs empoisonnées !

« Vous allez me dire, monsieur Mix : “Pourquoi tout cela ?” Je vous répondrai : pour compromettre Léon Drapier ! Pour que cet homme aux abois, terrifié à l’idée qu’un scandale va éclater, épouvanté en songeant que peut-être sa femme apprendra qu’il a une maîtresse, ne sache plus à quel saint se vouer… Qu’il finisse par confier la défense de son innocence au premier homme qui se présentera !

« Cet homme se présente !

« M. Mix, il arrive à point nommé !…

« Il dit à Léon Drapier, au moment où celui-ci est dans un état de dépression morale absolue : “Mon cher monsieur ! vous êtes perdu si je ne vous sauve pas !…”

« Cet homme, aidé de Léon Drapier, lui fait faire une quantité de bêtises qui, loin de l’innocenter, le compromettent !

« Drapier, toutefois, ne s’aperçoit de rien. Il a engagé ce personnage au nombre de ses collaborateurs les plus intimes, il l’introduit à la Monnaie. Ah ! c’est ce que voulait Fantômas !

« Vous m’avez compris, monsieur Mix ? Le protecteur de Léon Drapier et Fantômas ne font qu’un !

« Une fois Fantômas à la Monnaie, il vole ! Il se trouve que chacun des vols qu’il commet retombe sur Léon Drapier, et dans l’espèce Fantômas n’a pas trop mal agi, car les autorités policières les plus intelligentes se disent, non sans justesse :

« Parbleu, cet homme qui dérobe les trésors dont il a la garde et que nous avons déjà suspecté d’attitude bizarre lors des crimes commis dans son entourage est parfaitement capable d’être un voleur et un assassin… Il faut donc l’arrêter !

« Et c’est ce que l’on fait, monsieur Mix ! Toutefois, je dois vous dire que les plus subtils raisonnements risquent parfois de se désagréger à la moindre petite faute, le moindre petit incident !

« Certes, Fantômas est un homme habile ! Certes ! il est capable des combinaisons les plus machiavéliques, mais il ne faut pas qu’il oublie qu’il a sans cesse et toujours à ses trousses un adversaire irréductible et implacable ! Il ne faut pas que Fantômas oublie que moi, Juve, je suis toujours là !

Mais, à ce moment, M. Mix se redressait.

Et, d’une voix tonitruante, il hurla :

— Fantômas ne l’oublie pas, Juve ! et Fantômas n’a pas peur de vous !

Pendant tout le temps que Juve avait parlé, celui qui passait pour être M. Mix était demeuré impassible… Toutefois son visage avait quelque peu pâli !

En l’espace de quelques secondes, en effet, le célèbre inspecteur de la Sûreté avait démasqué le bandit et prouvé de la façon la plus formelle que M. Mix et Fantômas ne faisaient qu’un !

Juve, dès lors, se précipitait vers Fantômas, lequel s’était reculé jusqu’au mur. Il braquait sur lui son revolver. Le bandit fouilla sa poche, comptant y trouver une arme… Ce fut en vain !

Fantômas aussitôt devint blafard !

— Malédiction ! grommela-t-il, Juve m’a volé !

Le policier n’abaissait point son arme.

— Je vous ai volé, en effet, fit-il, et je m’en vante ! J’ai acquis une certaine habitude du vol à la tire, dans un milieu que je fréquente depuis quelque temps ! Je me félicite d’avoir débuté par des exercices, par des vols commis sur la personne de Fantômas !

« Vous voilà donc hors d’état de nuire ! Tenu en respect sous la menace de mon revolver…

« Le vôtre est dans ma poche. N’essayez point de venir l’y prendre ! Je possède également votre portefeuille, Fantômas ! Allons ! allons ! tout va bien !…

« Il ne vous reste plus qu’à vous rendre !

— Jamais ! commença Fantômas.

Mais à ce moment le bandit poussait un cri rauque. Il trébuchait en arrière ; le mur contre lequel il s’était appuyé venait, semblait-il, de s’effondrer sous la poussée ! En réalité, c’était la porte dissimulée dans la boiserie qui s’ouvrait, et M. Havard surgissait !

Le chef de la Sûreté n’était pas de ces hommes qui dédaignent d’agir par eux-mêmes !

Profitant du désarroi de Fantômas et de la chute qu’il faisait en arrière, aidé de Juve qui bondissait sur lui à son tour, M. Havard, en l’espace d’un clin d’œil, passait au célèbre inspecteur des menottes et un cabriolet, qui servaient à Juve pour immobiliser Fantômas !

Désormais le redoutable bandit était pris ! réduit à l’impuissance ! presque à l’immobilité !

Juve et Havard l’avaient obligé à se relever, ils le considéraient les yeux dans les yeux, haletants.

Nul ne proférait une parole. Au surplus qu’auraient-ils pu dire, dans ce tragique tête-à-tête où trois hommes se trouvaient en présence, parmi lesquels deux implacables adversaires, Juve et Fantômas ?

Il semblait toutefois que le bandit était capturé… bien capturé, et que désormais on pouvait être assuré que les précautions les plus grandes seraient prises pour qu’il ne s’échappât point !

Les trois hommes frémissaient. Fantômas toutefois, après son émotion première, laissait errer sur ses lèvres un sourire railleur.

— Eh bien, interrogea-t-il, que faisons-nous ici ?

M. Havard toutefois félicitait le policier :

— Je comprends, maintenant, fit-il, tout votre plan ! Vous aviez démasqué Fantômas depuis quarante-huit heures, et vous vouliez l’arrêter ici, chez moi ! C’est bien, Juve ! Je vous félicite ! Je comprends également, ajoutait le chef de la Sûreté, pourquoi vous avez fait venir cette voiture cellulaire qui doit être actuellement à la porte de ma demeure. C’est pour lui confier Fantômas ?

— Confier, n’est pas le mot ! fit Juve. Je me propose, monsieur le chef de la Sûreté, d’accompagner notre prisonnier jusqu’à la Santé dans cette voiture cellulaire !

« Fantômas est un homme habile… Je me plais à le reconnaître, et je tiens à le surveiller jusqu’au cachot !

M. Havard exultait.

— Je vous accompagnerai Juve, et peut-être ne serons-nous pas trop de deux pour surveiller le bandit !

Havard se précipitait sur l’appareil téléphonique, demandait la communication avec la permanence de la préfecture. Il entrait en rapport avec l’inspecteur Michel.

— Une capture intéressante ! criait-il ; venez d’urgence à la prison de la Santé, avec votre collègue Léon !

Fantômas avait entendu cela. Ironiquement, il railla :

— Que de précautions, messieurs ! Vraiment on dirait que vous avez bien peur de moi !…

M. Havard ne daignait point répondre. Quant à Juve, haussant les épaules, il se contentait d’articuler :

— Allons ! en route ! Descendons !

L’escalier était large. Ce fut un spectacle tragique que celui de ces trois hommes qui le descendaient lentement. Fantômas s’avançait les mains liées derrière le dos, étroitement maintenu par Juve et par Havard, qui se tenaient de part et d’autre devant lui…

Il semblait que tout d’un coup, depuis qu’on descendait l’escalier, le Génie du crime avait compris qu’il était arrêté, que sa capture était chose faite et que, malgré toute son intelligence et sa volonté, il ne saurait triompher d’une solide paire de menottes, d’un robuste cabriolet ! Son visage avait quelque chose de sinistre et de farouche ; une expression qui n’échappait ni à Juve, ni à Havard…

Les trois hommes passaient inaperçus devant la loge enfumée du concierge, petite soupente qui, dans cette vieille maison, donnait sur la cour.

Lorsqu’ils arrivèrent sur le trottoir, les trois hommes poussèrent un cri.

Juve et Havard manifestaient leur satisfaction : la voiture cellulaire était là, avec un garde municipal debout près de la porte entrouverte.

Chose étrange, Fantômas, à la vue de cet appareil, ne semblait pas autrement ennuyé… Son visage, qui jusqu’alors semblait inquiet, exprima également la satisfaction.

— Eh bien ! articula-t-il, feignant l’indifférence, montons, messieurs !

M. Havard passait le premier, s’en allait au fond du couloir. Fantômas gravissait ensuite les marches de là voiture et venait se placer dans une des petites cellules réservées aux prisonniers qu’on transporte.

Juve montait ensuite, non sans avoir crié au cocher :

— À la Santé !

Puis, c’était au tour du municipal de s’installer dans le vestibule, qui démarra lourdement…

Quarante minutes s’étaient écoulées, que la voiture cellulaire roulait toujours.

On était horriblement secoué, elle allait à très vive allure ; les chevaux, perpétuellement stimulés par le fouet du cocher, sans cesse galopaient…

Juve et Havard, qui se tenaient dans le couloir étroit du véhicule, à deux ou trois reprises s’étaient dit :

— Quel drôle de chemin prend cet homme ! comment se fait-il que nous ne soyons pas arrivés, surtout du train dont nous marchons ?

À vrai dire ce n’était pas là leur principale préoccupation : ils s’inquiétaient surtout de Fantômas.

Il ne se passait pas de minute qu’ils ne jetassent un coup d’œil sur leur prisonnier. Or, celui-ci ne bronchait pas, demeurait impassible dans se petite cellule.

À un moment donné, la voiture s’arrêta.

Mais la voix du cocher retentit. L’homme criait :

— Porte, s’il vous plaît !

On attendit quelques secondes :

— Nous sommes arrivés ! dit Juve en se penchant à l’oreille de M. Havard.

La voiture cellulaire s’ébranlait à nouveau ; il y eut une violente secousse, faisant remarquer qu’on passait sur un caniveau… Puis, ayant franchi une voûte sonore, la voiture s’arrêta dans une cour…

Le garde municipal ouvrait la porte, Juve descendit d’abord et s’arrêta net, regardant autour de lui d’un air stupéfait !

— Ah çà ! où donc ce cocher les avait-il menés ?

D’ordinaire, les voitures s’arrêtaient dans la première cour de la Santé, juste en face la maison du greffe, pittoresque immeuble tout garni de lierre. Or voici que ce paysage, familier à Juve, ne lui apparaissait point. Au même instant, le policier poussait un hurlement !

Il se sentait saisi, appréhendé par derrière, immobilisé par de robustes liens, puis renversé sur le sol !

— Ah ! nom de Dieu ! jura Juve.

Au même instant, toutefois, le policier s’arrêtait de se démener, pour voir ce qui se passait…

Et ses yeux s’écarquillèrent au spectacle extraordinaire qui se déroulait devant eux.

Au moment où M. Havard descendait à son tour de la voiture cellulaire, c’était le garde municipal lui-même qui se précipitait sur lui et qui le ficelait !

Enfin, du véhicule sortait Fantômas, non sans difficulté, car le bandit avait encore aux mains les menottes et le cabriolet ! Mais quelqu’un s’approchait… lui enlevait ses chaînes…

Et Juve reconnaissait l’individu à la face farouche, aux épaules de taureau, qui venait de libérer Fantômas !

— Le Bedeau ! pensa-t-il, c’est le Bedeau ! Ah çà ! Où sommes-nous donc ?…

Et, comme s’il avait deviné la question que se posait le policier, Fantômas s’approcha de Juve :

— J’ai l’honneur, dit-il en lui souriant d’un air féroce, de vous souhaiter la bienvenue, monsieur Juve !

« Contrairement à ce que vous pensiez, vous n’avez pas conduit Fantômas à la prison de la Santé, dans l’omnibus de la préfecture ! C’est Fantômas qui, dans sa propre voiture cellulaire qu’il a fait attendre à la porte du domicile de M. Havard, vous a conduits ici tous les deux ! chez lui ! Messieurs, j’ai l’honneur de vous informer que vous êtes désormais les hôtes, pardon… les prisonniers de Fantômas !


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