APPENDICE II. AUTRES PIÈCES

Bribes

Orgueil

Anges habillés d’or, de pourpre et d’hyacinthe.

Le génie et l’amour sont des devoirs faciles.

Le goinfre

En ruminant je ris des passants faméliques.

Je crèverais comme un obus,

Si je n’absorbais comme un chancre.

J’ai pétri de la boue et j’en ai fait de l’or.

Il portait dans les yeux la force de son cœur.

Dans Paris son désert vivant sans feu ni lieu,

Aussi fort qu’une bête, aussi libre qu’un Dieu.

Son regard n’était pas nonchalant, ni timide,

Mais exhalait plutôt quelque chose d’avide,

Et, comme sa narine, exprimait les émois

Des artistes devant les œuvres de leurs doigts.

Ta jeunesse sera plus féconde en orages

Que cette canicule aux yeux pleins de lueurs

Qui sur nos fronts pâlis tord ses bras en sueurs,

Et soufflant dans la nuit ses haleines fiévreuses,

Rend de leurs frêles corps les filles amoureuses,

Et les fait au miroir, stérile volupté,

Contempler les fruits mûrs de leur virginité.

Mais je vois à cet œil tout chargé de tempêtes

Que ton cœur n’est pas fait pour les paisibles fêtes,

Et que cette beauté, sombre comme le fer,

Est de celles que forge et que polit l’Enfer

Pour accomplir un jour d’effroyables luxures

Et contrister le cœur des humbles créatures.

Affaissant sous son poids un énorme oreiller,

Un beau corps était là, doux à voir sommeiller,

Et son sommeil orné d’un sourire superbe

L’ornière de son dos par le désir hanté.

L’air était imprégné d’une amoureuse rage;

Les insectes volaient à la lampe et nul vent

Ne faisait tressaillir le rideau ni l’auvent.

C’était une nuit chaude, un vrai bain de jouvence.

Grand ange qui portez sur votre fier visage

La noirceur de l’Enfer d’où vous êtes monté;

Dompteur féroce et doux qui m’avez mis en cage

Pour servir de spectacle à votre cruauté,

Cauchemar de mes nuits, Sirène sans corsage,

Qui me tirez, toujours debout à mon côté,

Par ma robe de saint ou ma barbe de sage

Pour m’offrir le poison d’un amour effronté

Damnation

Le banc inextricable et dur,

La passe au col étroit, le maëlstrom vorace,

Agitent moins de sable et de varech impur

Que nos cœurs où pourtant tant de ciel se reflète;

Ils sont une jetée à l’air noble et massif,

Où le phare reluit, bienfaisante vedette,

Mais que mine en dessous le taret corrosif;

On peut les comparer encore à cette auberge,

Espoir des affamés, où cognent sur le tard,

Blessés, brisés, jurant, priant qu’on les héberge,

L’écolier, le prélat, la gouge et le soudard.

Ils ne reviendront pas dans les chambres infectes;

Guerre, science, amour, rien ne veut plus de nous.

L’âtre était froid, les lits et le vin pleins d’insectes;

Ces visiteurs, il faut les servir à genoux!

Spleen.

Ébauche d’un épilogue pour la 2e édition

Tranquille comme un sage et doux comme un maudit,

… j’ai dit:

Je t’aime, ô ma très belle, ô ma charmante…

Que de fois…

Tes débauches sans soif et tes amours sans âme,

Ton goût de l’infini

Qui partout, dans le mal lui-même, se proclame,

Tes bombes, tes poignards, tes victoires, tes fêtes,

Tes faubourgs mélancoliques,

Tes hôtels garnis,

Tes jardins pleins de soupirs et d’intrigues,

Tes temples vomissant la prière en musique,

Tes désespoirs d’enfant, tes jeux de vieille folle,

Tes découragements;

Et tes jeux d’artifice, éruptions de joie,

Qui font rire le Ciel, muet et ténébreux.

Ton vice vénérable étalé dans la soie,

Et ta vertu risible, au regard malheureux,

Douce, s’extasiant au luxe qu’il déploie…

Tes principes sauvés et tes lois conspuées,

Tes monuments hautains où s’accrochent les brumes.

Tes dômes de métal qu’enflamme le soleil,

Tes reines de théâtre aux voix enchanteresses,

Tes tocsins, tes canons, orchestre assourdissant,

Tes magiques pavés dressés en forteresses,

Tes petits orateurs, aux enflures baroques,

Prêchant l’amour, et puis tes égouts pleins de sang,

S’engouffrant dans l’Enfer comme des Orénoques,

Tes anges, tes bouffons neufs aux vieilles défroques

Anges revêtus d’or, de pourpre et d’hyacinthe,

Ô vous, soyez témoins que j’ai fait mon devoir

Comme un parfait chimiste et comme une âme sainte.

Car j’ai de chaque chose extrait la quintessence,

Tu m’as donné ta boue et j’en ai fait de l’or.

Poèmes divers

I

N’est-ce pas qu’il est doux, maintenant que nous sommes

Fatigués et flétris comme les autres hommes,

De chercher quelquefois à l’Orient lointain

Si nous voyons encore les rougeurs du matin,

Et, quand nous avançons dans la rude carrière,

D’écouter les échos qui chantent en arrière

Et les chuchotements de ces jeunes amours

Que le Seigneur a mis au début de nos jours?

II

Il aimait à la voir, avec ses jupes blanches,

Courir tout au travers du feuillage et des branches,

Gauche et pleine de grâce, alors qu’elle cachait

Sa jambe, si la robe aux buissons s’accrochait.

III – Incompatibilité

Tout là-haut, tout là-haut, loin de la route sûre,

Des fermes, des vallons, par delà les coteaux,

Par delà les forêts, les tapis de verdure,

Loin des derniers gazons foulés par les troupeaux,

On rencontre un lac sombre encaissé dans l’abîme

Que forment quelques pics désolés et neigeux;

L’eau, nuit et jour, y dort dans un repos sublime,

Et n’interrompt jamais son silence orageux.

Dans ce morne désert, à l’oreille incertaine

Arrivent par moments des bruits faibles et longs,

Et des échos plus morts que la cloche lointaine

D’une vache qui paît aux penchants des vallons.

Sur ces monts où le vent efface tout vestige,

Ces glaciers pailletés qu’allume le soleil,

Sur ces rochers altiers où guette le vertige,

Dans ce lac où le soir mire son teint vermeil,

Sous mes pieds, sur ma tête et partout, le silence,

Le silence qui fait qu’on voudrait se sauver,

Le silence éternel et la montagne immense,

Car l’air est immobile et tout semble rêver.

On dirait que le ciel, en cette solitude,

Se contemple dans l’onde, et que ces monts, là-bas,

Écoutent, recueillis, dans leur grave attitude,

Un mystère divin que l’homme n’entend pas.

Et lorsque par hasard une nuée errante

Assombrit dans son vol le lac silencieux,

On croirait voir la robe ou l’ombre transparente

D’un esprit qui voyage et passe dans les cieux.

IV

Tout à l’heure je viens d’entendre

Dehors résonner doucement

D’un air monotone et si tendre

Qu’il bruit en moi vaguement,

Une de ces vielles plaintives,

Muses des pauvres Auvergnats,

Qui jadis aux heures oisives

Nous charmaient si souvent, hélas!

Et, son espérance détruite,

Le pauvre s’en fut tristement;

Et moi je pensai tout de suite

À mon ami que j’aime tant,

Qui me disait en promenade

Que pour lui c’était un plaisir

Qu’une semblable sérénade

Dans un morne et long loisir.

Nous aimions cette humble musique

Si douce à nos esprits lassés

Quand elle vient, mélancolique,

Répondre à de tristes pensers.

– Et j’ai laissé les vitres closes,

Ingrat, pour qui m’a fait ainsi

Rêver de si charmantes choses,

Et penser à mon cher Henri!

V

Hélas! qui n’a gémi sur autrui, sur soi-même?

Et qui n’a dit à Dieu: «Pardonnez-moi, Seigneur,

Si personne ne m’aime et si nul n’a mon cœur?

Ils m’ont tous corrompu; personne ne vous aime!»

Alors lassé du monde et de ses vains discours,

Il faut lever les yeux aux voûtes sans nuages,

Et ne plus s’adresser qu’aux muettes images,

De ceux qui n’aiment rien consolantes amours.

Alors il faut s’entourer de mystère,

Se fermer aux regards, et sans morgue et sans fiel,

Sans dire à vos voisins: «Je n’aime que le ciel,»

Dire à Dieu: «Consolez mon âme de la terre!»

Tel, fermé par son prêtre, un pieux monument,

Quand sur nos sombres toits la nuit est descendue,

Quand la foule a laissé le pavé de la rue,

Se remplit de silence et de recueillement.

VI

Vous avez, compagnon dont le cœur est poète,

Passé dans quelque bourg tout paré, tout vermeil,

Quand le ciel et la terre ont un bel air de fête,

Un dimanche éclairé par un joyeux soleil;

Quand le clocher s’agite et qu’il chante à tue-tête,

Et tient dès le matin le village en éveil,

Quand tous pour entonner l’office qui s’apprête,

S’en vont, jeunes et vieux, en pimpant appareil;

Lors, s’élevant au fond de votre âme mondaine,

Des sons d’orgue mourant et de cloche lointaine

Vous ont-ils pas tiré malgré vous un soupir?

Cette dévotion des champs, joyeuse et franche,

Ne vous a-t-elle pas, triste et doux souvenir,

Rappelé qu’autrefois vous aimiez le dimanche?

VII

Je n’ai pas pour maîtresse une lionne illustre:

La gueuse, de mon âme, emprunte tout son lustre;

Invisible aux regards de l’univers moqueur,

Sa beauté ne fleurit que dans mon triste cœur.

Pour avoir des souliers elle a vendu son âme.

Mais le bon Dieu rirait si, près de cette infâme,

Je tranchais du Tartufe et singeais la hauteur,

Moi qui vends ma pensée et qui veux être auteur.

Vice beaucoup plus grave, elle porte perruque.

Tous ses beaux cheveux noirs ont fui sa blanche nuque;

Ce qui n’empêche pas les baisers amoureux

De pleuvoir sur son front plus pelé qu’un lépreux.

Elle louche, et l’effet de ce regard étrange

Qu’ombragent des cils noirs plus longs que ceux d’un ange,

Est tel que tous les yeux pour qui l’on s’est damné

Ne valent pas pour moi son œil juif et cerné.

Elle n’a que vingt ans; – la gorge déjà basse

Pend de chaque côté comme une calebasse,

Et pourtant, me traînant chaque nuit sur son corps,

Ainsi qu’un nouveau-né, je la tette et la mords,

Et bien qu’elle n’ait pas souvent même une obole

Pour se frotter la chair et pour s’oindre l’épaule,

Je la lèche en silence avec plus de ferveur

Que Madeleine en feu les deux pieds du Sauveur.

La pauvre créature, au plaisir essoufflée,

A de rauques hoquets la poitrine gonflée,

Et je devine au bruit de son souffle brutal

Qu’elle a souvent mordu le pain de l’hôpital.

Ses grands yeux inquiets, durant la nuit cruelle,

Croient voir deux autres yeux au fond de la ruelle,

Car, ayant trop ouvert son cœur à tous venants,

Elle a peur sans lumière et croit aux revenants.

Ce qui fait que de suif elle use plus de livres

Qu’un vieux savant couché jour et nuit sur ses livres,

Et redoute bien moins la faim et ses tourments

Que l’apparition de ses défunts amants.

Si vous la rencontrez, bizarrement parée,

Se faufilant, au coin d’une rue égarée,

Et la tête et l’œil bas comme un pigeon blessé,

Traînant dans les ruisseaux un talon déchaussé,

Messieurs, ne crachez pas de jurons ni d’ordure

Au visage fardé de cette pauvre impure

Que déesse Famine a par un soir d’hiver,

Contrainte à relever ses jupons en plein air.

Cette bohème-là, c’est mon tout, ma richesse,

Ma perle, mon bijou, ma reine, ma duchesse,

Celle qui m’a bercé sur son giron vainqueur,

Et qui dans ses deux mains a réchauffé mon cœur.

VIII

Ci-gît, qui pour avoir par trop aimé les gaupes,

Descendit jeune encore au royaume des taupes.

IX

Noble femme au bras fort, qui durant les longs jours

Sans penser bien ni mal dors ou rêves toujours,

Fièrement troussée à l’antique,

Toi que depuis dix ans qui pour moi se font lents

Ma bouche bien apprise aux baisers succulents

Choya d’un amour monastique -

Prêtresse de débauche et ma sœur de plaisir

Qui toujours dédaignas de porter et nourrir

Un homme en tes cavités saintes,

Tant tu crains et tu fuis le stygmate alarmant

Que la vertu creusa de son soc infamant

Au flanc des matrones enceintes.

X

Tous imberbes alors, sur les vieux bancs de chêne

Plus polis et luisants que des anneaux de chaîne,

Que, jour à jour, la peau des hommes a fourbis,

Nous traînions tristement nos ennuis, accroupis

Et voûtés sous le ciel carré des solitudes,

Où l’enfant boit, dix ans, l’âpre lait des études.

C’était dans ce vieux temps, mémorable et marquant,

Où forcés d’élargir le classique carcan,

Les professeurs, encor rebelles à vos rimes,

Succombaient sous l’effort de nos folles escrimes

Et laissaient l’écolier, triomphant et mutin,

Faire à l’aise hurler Triboulet en latin. -

Qui de nous en ces temps d’adolescences pâles,

N’a connu la torpeur des fatigues claustrales,

– L’œil perdu dans l’azur morne d’un ciel d’été,

Ou l’éblouissement de la neige, – guetté,

L’oreille avide et droite, – et bu, comme une meute,

L’écho lointain d’un livre, ou le cri d’une émeute?

C’était surtout l’été, quand les plombs se fondaient,

Que ces grands murs noircis en tristesse abondaient,

Lorsque la canicule ou le fumeux automne

Irradiait les cieux de son feu monotone,

Et faisait sommeiller, dans les sveltes donjons,

Les tiercelets criards, effroi des blancs pigeons;

Saison de rêverie, où la Muse s’accroche

Pendant un jour entier au battant d’une cloche;

Où la Mélancolie, à midi, quand tout dort,

Le menton dans la main, au fond du corridor, -

L’œil plus noir et plus bleu que la Religieuse

Dont chacun sait l’histoire obscène et douloureuse,

– Traîne un pied alourdi de précoces ennuis,

Et son front moite encore des langueurs de ses nuits.

– Et puis venaient les soirs malsains, les nuits fiévreuses,

Qui rendent de leurs corps les filles amoureuses,

Et les font, aux miroirs, – stérile volupté, -

Contempler les fruits mûrs de leur nubilité, -

Les soirs italiens, de molle insouciance,

– Qui des plaisirs menteurs révèlent la science,

– Quand la sombre Vénus, du haut des balcons noirs,

Verse des flots de musc de ses frais encensoirs. -

Ce fut dans ce conflit de molles circonstances,

Mûri par vos sonnets, préparés par vos stances,

Qu’un soir, ayant flairé le livre et son esprit,

J’emportai sur mon cœur l’histoire d’Amaury.

Tout abîme mystique est à deux pas du doute. -

Le breuvage infiltré lentement, goutte à goutte,

En moi qui, dès quinze ans, vers le gouffre entraîné,

Déchiffrais couramment les soupirs de René,

Et que de l’inconnu la soif bizarre alterre,

– A travaillé le fond de la plus mince artère. -

J’en ai tout absorbé, les miasmes, les parfums,

Le doux chuchotement des souvenirs défunts,

Les longs enlacements des phrases symboliques,

– Chapelets murmurants de madrigaux mystiques;

– Livre voluptueux, si jamais il en fut. -

Et depuis, soit au fond d’un asile touffu,

Soit que, sous les soleils des zones différentes,

L’éternel bercement des houles enivrantes,

Et l’aspect renaissant des horizons sans fin

Ramenassent ce cœur vers le songe divin, -

Soit dans les lourds loisirs d’un jour caniculaire,

Ou dans l’oisiveté frileuse de frimaire, -

Sous les flots du tabac qui masque le plafond,

J’ai partout feuilleté le mystère profond

De ce livre si cher aux âmes engourdies

Que leur destin marqua des mêmes maladies,

Et, devant le miroir, j’ai perfectionné

L’art cruel qu’un démon, en naissant, m’a donné,

– De la douleur pour faire une volupté vraie. -

D’ensanglanter un mal et de gratter sa plaie.

Poète, est-ce une injure ou bien un compliment?

Car je suis vis à vis de vous comme un amant

En face du fantôme, au geste plein d’amorces,

Dont la main et dont l’œil ont, pour pomper les forces,

Des charmes inconnus. – Tous les êtres aimés

Sont des vases de fiel qu’on boit, les yeux fermés,

Et le cœur transpercé, que la douleur allèche,

Expire chaque jour en bénissant sa flèche.

XI

– Combien dureront nos amours?

Dit la pucelle au clair de lune.

L’amoureux répond: – Ô ma brune,

Toujours, toujours!

Quand tout sommeille aux alentours,

Élise, se tortillant d’aise,

Dit qu’elle veut que je la baise

Toujours, toujours!

Moi, je dis: – Pour charmer mes jours

Et le souvenir de mes peines,

Bouteilles; que n’êtes-vous pleines

Toujours, toujours!

Mais le plus chaste des amours,

L’amoureux le plus intrépide,

Comme un flacon s’use et se vide

Toujours, toujours!

XII

Au milieu de la foule, errantes, confondues,

Gardant le souvenir précieux d’autrefois,

Elles cherchent l’écho de leurs voix éperdues,

Tristes comme, le soir, deux colombes perdues

Et qui s’appellent dans les bois.

XIII

Je vis, et ton bouquet est de l’architecture:

C’est donc lui la beauté, car c’est moi la nature;

Si toujours la nature embellit la beauté,

Je fais valoir tes fleurs… me voilà trop flatté.

XIV – Monselet Paillard

Vers destinés à son portrait.

On me nomme le petit chat;

Modernes petites-maîtresses,

J’unis à vos délicatesses

La force d’un jeune pacha.

La douceur de la voûte bleue

Est concentrée en mon regard;

Si vous voulez me voir hagard,

Lectrices, mordez-moi la queue!

XV

D’un esprit biscornu le séduisant projet

– Qui de tant de héros va choisir Bruandet!

XVI

Vers laissés chez un ami absent

5 heures, à l’Hermitage.

Mon cher, je suis venu chez vous

Pour entendre une langue humaine;

Comme un, qui, parmi les Papous,

Chercherait son ancienne Athène,

Puisque chez les Topinambous

Dieu me fait faire quarantaine,

Aux sots je préfère les fous

– Dont je suis, chose, hélas! certaine.

Offrez à Mam’selle Fanny

(Qui ne répondra pas: Nenny,

Le salut n’étant pas d’un âne,)

L’hommage d’un bon écrivain,

– Ainsi qu’à l’ami Lécrivain

Et qu’à Mams’elle Jeanne.

XVII

Sonnet pour s’excuser de ne pas accompagner un ami à Namur.

Puisque vous allez vers la ville

Qui, bien qu’un fort mur l’encastrât,

Défraya la verve servile

Du fameux poète castrat;

Puisque vous allez en vacances

Goûter un plaisir recherché,

Usez toutes vos éloquences,

Mon bien cher Coco-Malperché.

(Comme je le ferais moi-même)

À dire là-bas combien j’aime

Ce tant folâtre Monsieur Rops,

Qui n’est pas un grand prix de Rome,

Mais dont le talent est haut comme

La pyramide de Chéops!

XVIII

Monsieur Auguste Malassis

Rue de Mercélis

Numéro trente-cinq bis

Dans le faubourg d’Ixelles,

Bruxelles.

(Recommandée à l’Arioste

De la poste,

C’est-à-dire à quelque facteur

Versificateur)

Amœnitates Belgicae

Venus Belga

(Montagne de la Cour)

Ces mollets sur ces pieds montés,

Qui vont sous des cottes peu blanches,

Ressemblent à des troncs plantés

Dans des planches

Les seins des moindres femmelettes,

Ici, pèsent plusieurs quintaux,

Et leurs membres sont des poteaux

Qui donnent le goût des squelettes.

Il ne me suffit pas qu’un sein soit gros et doux:

Il le faut un peu ferme, ou je tourne casaque.

Car, sacré nom de Dieu! je ne suis pas Cosaque

Pour me soûler avec du suif et du saindoux.

La propreté des demoiselles belges

Elle puait comme une fleur moisie

Moi, je lui dis (mais avec courtoisie):

«Vous devriez prendre un bain régulier

Pour dissiper ce parfum de bélier.»

Que me répond cette jeune hébétée?

«Je ne suis pas, moi, de vous dégoûtée!»

– Ici pourtant on lave le trottoir

Et le parquet avec un savon noir!

La propreté belge

«Bains». – J’entre et demande un bain. Alors le maître

Me regarde avec l’œil d’un bœuf qui vient de paître,

Et me dit: «Ça n’est pas possible, ça, sais-tu,

Monsieur!» – Et puis, d’un air plus abattu:

«Nous avons au grenier porté nos trois baignoires.»

J’ai lu, je m’en souviens, dans les vieilles histoires,

Que le Romain mettait son vin au grenier; mais,

Si barbare qu’il fût, ses baignoires, jamais!

Aussi, je m’écriai: «Quelle idée, ô mon Dieu!»

Mais l’ingénu: «Monsieur, c’est qu’on venait si peu!»

L’amateur des beaux-arts en Belgique

Un ministre qu’on dit le Mecenas flamand,

Me promenait un jour dans son appartement,

Interrogeant mes yeux devant chaque peinture,

Parlant un peu de l’art, beaucoup de la nature,

Vantant le paysage, expliquant le sujet,

Et surtout me marquant le prix de chaque objet.

– Mais voilà qu’arrivé devant un portrait d’Ingres,

(Pédant dont j’aime peu les qualités malingres)

Je fus pris tout à coup d’une sainte fureur

De célébrer David, le grand peintre empereur!

– Lui, se tourne vers son fournisseur ordinaire,

Qui se tenait debout comme un factionnaire,

Ou comme un chambellan qui savoure avec foi

Les sottises tombant des lèvres de son roi,

Et lui dit, avec l’œil d’un marchand de la Beauce:

«Je crois, mon cher, je crois que David est en hausse!»

Une eau salutaire

Joseph Delorme a découvert

Un ruisseau si clair et si vert

Qu’il donne aux malheureux l’envie

D’y terminer leur triste vie.

– Je sais un moyen de guérir

De cette passion malsaine

Ceux qui veulent ainsi périr:

Menez-les au bord de la Senne,

Voyez – dit ce Belge badin

Qui n’est certes pas un ondin -

La contrefaçon de la Seine.

– «Oui – lui dis-je – une Seine obscène!»

Car cette Senne, à proprement

Parler, où de tout mur et de tout fondement

L’indescriptible tombe en foule

Ce n’est guères qu’un excrément

Qui coule.

Les belges et la lune

On n’a jamais connu de race si baroque

Que ces Belges. Devant le joli, le charmant,

Ils roulent de gros yeux et grognent sourdement.

Tout ce qui réjouit nos cœurs mortels les choque.

Dites un mot plaisant, et leur œil devient gris

Et terne comme l’œil d’un poisson qu’on fait frire;

Une histoire touchante; ils éclatent de rire,

Pour faire voir qu’ils ont parfaitement compris.

Comme l’esprit, ils ont en horreur les lumières;

Parfois sous la clarté calme du firmament,

J’en ai vu, qui rongés d’un bizarre tourment,

Dans l’horreur de la fange et du vomissement,

Et gorgés jusqu’aux dents de genièvre et de bières,

Aboyaient à la Lune, assis sur leurs derrières.

Épigraphe pour l’atelier de M. Rops, fabricant de cercueils à Bruxelles

Je rêvais, contemplant ces bières

De palissandre ou d’acajou,

Qu’un habile ébéniste orne de cent manières:

«Quel écrin! et pour quel bijou!

Les morts, ici, sont sans vergogne!

Un jour, des cadavres flamands

Souilleront ces cercueils charmants.

Faire de tels étuis pour de telles charognes!»

La nymphe de la senne

«Je voudrais bien – me dit un ami singulier,

Dont souvent la pensée alterne avec la mienne, -

Voir la Naïade de la Senne;

Elle doit ressembler à quelque charbonnier

Dont la face est toute souillée.»

– «Mon ami, vous êtes bien bon.

Non, non! Ce n’est pas de charbon

Que cette nymphe est barbouillée!»

Opinion de M. Hetzel sur le faro

«Buvez-vous du faro?» – dis-je à monsieur Hetzel;

Je vis un peu d’horreur sur sa mine barbue,

– «Non, jamais! le faro (je dis cela sans fiel!)

C’est de la bière deux fois bue.»

Hetzel parlait ainsi, dans un Café flamand,

Par prudence sans doute, énigmatiquement;

Je compris que c’était une manière fine

De me dire: «Faro, synonyme d’urine!»

«Observez bien que le faro

Se fait avec de l’eau de Senne»

– «Je comprends d’où lui vient sa saveur citoyenne.

Après tout, c’est selon ce qu’on entend par eau!»

Un nom de bon augure

Sur la porte je lus: «Lise Van Swiéten»

(C’était dans un quartier qui n’est pas un Eden)

– Heureux l’époux, heureux l’amant qui la possède,

Cette Ève qui contient en elle son remède!

Cet homme enviable a trouvé,

Ce que nul n’a jamais rêvé,

Depuis le pôle nord jusqu’au pôle antarctique

Une épouse prophylactique!

Le rêve Belge

La Belgique se croit toute pleine d’appas;

Elle dort. Voyageur, ne la réveillez pas.

L’inviolabilité de la Belgique

«Qu’on ne me touche pas! Je suis inviolable!»

Dit la Belgique. – C’est hélas! incontestable.

Y toucher? Ce serait, en effet hasardeux,

Puisqu’elle est un bâton merdeux.

Épitaphe pour Léopold I

Ci-gît un roi constitutionnel,

(Ce qui veut dire: Automate en hôtel Garni)

Qui se croyait sempiternel

Heureusement, c’est bien fini!

Épitaphe pour la Belgique

On me demande une épitaphe

Pour la Belgique morte. En vain

Je creuse, et je rue et je piaffe;

Je ne trouve qu’un mot: «Enfin!»

L’esprit conforme

I

Cet imbécile de Tournai

Me dit: «J’ai l’esprit mieux tourné

Que vous, Monsieur. Ma jouissance

Dérive de l’obéissance;

J’ai mis toute ma volupté

Dans l’esprit de Conformité;

Mon cœur craint toute façon neuve

En fait de plaisir ou d’ennui,

Et veut que le bonheur d’autrui

Toujours au sien serve de preuve.»

Ce que dit l’homme de Tournai,

(Dont vous devinez bien, je pense,

Que j’ai retouché l’éloquence)

N’était pas si bien tourné.

II

Les Belges poussent, ma parole!

L’imitation à l’excès,

Et s’ils attrapent la vérole,

C’est pour ressembler aux Français.

Les panégyriques du roi

Tout le monde, ici, parle un français ridicule:

On proclame immortel ce vieux principicule.

Je veux bien qu’immortalité

Soit le synonyme

De longévité,

La différence est si minime!

Bruxelles, ces jours-ci, déclarait (c’est grotesque!)

Léopold immortel. – Au fait, il le fut presque.

Le mot de Cuvier

«En quel genre, en quel coin de l’animalité

Classerons-nous le Belge?» Une Société

Scientifique avait posé ce dur problème.

Alors le grand Cuvier se leva, tremblant, blême,

Et pour toutes raisons criant: «Je jette aux chiens

Ma langue! Car, messieurs les Académiciens,

L’espace est un peu grand depuis les singes jusques

Jusques aux mollusques!»

Au concert, à Bruxelles

On venait de jouer de ces airs ravissants

Qui font rêver l’esprit et transportent les sens;

Mais un peu lâchement, hélas! à la flamande.

«Tiens! l’on n’applaudit pas ici?» fis-je. – Un voisin,

Amoureux comme moi de musique allemande,

Me dit: «Vous êtes neuf dans ce pays malsain,

Monsieur? Sans ça, vous sauriez qu’en musique,

Comme en peinture et comme en politique,

Le Belge croit qu’on le veut attraper,

– Et puis qu’il craint surtout de se tromper.»

Une Béotie Belge

La Belgique a sa Béotie!

C’est une légende, une scie,

Un proverbe! – Un comparatif

Dans un état superlatif!

Bruxelles, ô mon Dieu! méprise Poperinghe!

Un vendeur de trois-six blaguant un mannezingue!

Un clysoir, ô terreur! raillant une seringue!

Bruxelles n’a pas droit de railler Poperinghe!

Comprend-on le comparatif

(C’est une épouvantable scie!)

À côté du superlatif?

La Belgique a sa Béotie!

La civilisation Belge

Le Belge est très civilisé;

Il est voleur, il est rusé;

Il est parfois syphilisé;

Il est donc très civilisé.

Il ne déchire pas sa proie

Avec ses ongles; met sa joie

À montrer qu’il sait employer

À table fourchette et cuiller;

Il néglige de s’essuyer,

Mais porte paletots, culottes,

Chapeau, chemise même et bottes;

Fait de dégoûtantes ribottes;

Dégueule aussi bien que l’Anglais;

Met sur le trottoir des engrais;

Rit du Ciel et croit au progrès

Tout comme un journaliste d’Outre-

Quiévrain; – de plus, il peut foutre

Debout comme un singe avisé.

Il est donc très civilisé.

La mort de Léopold I

I

Le grand juge de paix d’Europe

A donc dévissé son billard!

(Je vous expliquerai ce trope).

Ce roi n’était pas un fuyard

Comme notre Louis-Philippe.

Il pensait, l’obstiné vieillard.

Qu’il n’était jamais assez tard

Pour casser son ignoble pipe.

II

Léopold voulait sur la Mort

Gagner sa première victoire

Il n’a pas été le plus fort;

Mais dans l’impartiale histoire,

Sa résistance méritoire

Lui vaudra ce nom fulgurant:

«Le cadavre récalcitrant».

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