Orgueil
Anges habillés d’or, de pourpre et d’hyacinthe.
Le génie et l’amour sont des devoirs faciles.
Le goinfre
En ruminant je ris des passants faméliques.
Je crèverais comme un obus,
Si je n’absorbais comme un chancre.
J’ai pétri de la boue et j’en ai fait de l’or.
Il portait dans les yeux la force de son cœur.
Dans Paris son désert vivant sans feu ni lieu,
Aussi fort qu’une bête, aussi libre qu’un Dieu.
Son regard n’était pas nonchalant, ni timide,
Mais exhalait plutôt quelque chose d’avide,
Et, comme sa narine, exprimait les émois
Des artistes devant les œuvres de leurs doigts.
Ta jeunesse sera plus féconde en orages
Que cette canicule aux yeux pleins de lueurs
Qui sur nos fronts pâlis tord ses bras en sueurs,
Et soufflant dans la nuit ses haleines fiévreuses,
Rend de leurs frêles corps les filles amoureuses,
Et les fait au miroir, stérile volupté,
Contempler les fruits mûrs de leur virginité.
Mais je vois à cet œil tout chargé de tempêtes
Que ton cœur n’est pas fait pour les paisibles fêtes,
Et que cette beauté, sombre comme le fer,
Est de celles que forge et que polit l’Enfer
Pour accomplir un jour d’effroyables luxures
Et contrister le cœur des humbles créatures.
Affaissant sous son poids un énorme oreiller,
Un beau corps était là, doux à voir sommeiller,
Et son sommeil orné d’un sourire superbe
…
L’ornière de son dos par le désir hanté.
L’air était imprégné d’une amoureuse rage;
Les insectes volaient à la lampe et nul vent
Ne faisait tressaillir le rideau ni l’auvent.
C’était une nuit chaude, un vrai bain de jouvence.
Grand ange qui portez sur votre fier visage
La noirceur de l’Enfer d’où vous êtes monté;
Dompteur féroce et doux qui m’avez mis en cage
Pour servir de spectacle à votre cruauté,
Cauchemar de mes nuits, Sirène sans corsage,
Qui me tirez, toujours debout à mon côté,
Par ma robe de saint ou ma barbe de sage
Pour m’offrir le poison d’un amour effronté
Damnation
Le banc inextricable et dur,
La passe au col étroit, le maëlstrom vorace,
Agitent moins de sable et de varech impur
Que nos cœurs où pourtant tant de ciel se reflète;
Ils sont une jetée à l’air noble et massif,
Où le phare reluit, bienfaisante vedette,
Mais que mine en dessous le taret corrosif;
On peut les comparer encore à cette auberge,
Espoir des affamés, où cognent sur le tard,
Blessés, brisés, jurant, priant qu’on les héberge,
L’écolier, le prélat, la gouge et le soudard.
Ils ne reviendront pas dans les chambres infectes;
Guerre, science, amour, rien ne veut plus de nous.
L’âtre était froid, les lits et le vin pleins d’insectes;
Ces visiteurs, il faut les servir à genoux!
Spleen.
Tranquille comme un sage et doux comme un maudit,
… j’ai dit:
Je t’aime, ô ma très belle, ô ma charmante…
Que de fois…
Tes débauches sans soif et tes amours sans âme,
Ton goût de l’infini
Qui partout, dans le mal lui-même, se proclame,
Tes bombes, tes poignards, tes victoires, tes fêtes,
Tes faubourgs mélancoliques,
Tes hôtels garnis,
Tes jardins pleins de soupirs et d’intrigues,
Tes temples vomissant la prière en musique,
Tes désespoirs d’enfant, tes jeux de vieille folle,
Tes découragements;
Et tes jeux d’artifice, éruptions de joie,
Qui font rire le Ciel, muet et ténébreux.
Ton vice vénérable étalé dans la soie,
Et ta vertu risible, au regard malheureux,
Douce, s’extasiant au luxe qu’il déploie…
Tes principes sauvés et tes lois conspuées,
Tes monuments hautains où s’accrochent les brumes.
Tes dômes de métal qu’enflamme le soleil,
Tes reines de théâtre aux voix enchanteresses,
Tes tocsins, tes canons, orchestre assourdissant,
Tes magiques pavés dressés en forteresses,
Tes petits orateurs, aux enflures baroques,
Prêchant l’amour, et puis tes égouts pleins de sang,
S’engouffrant dans l’Enfer comme des Orénoques,
Tes anges, tes bouffons neufs aux vieilles défroques
Anges revêtus d’or, de pourpre et d’hyacinthe,
Ô vous, soyez témoins que j’ai fait mon devoir
Comme un parfait chimiste et comme une âme sainte.
Car j’ai de chaque chose extrait la quintessence,
Tu m’as donné ta boue et j’en ai fait de l’or.
N’est-ce pas qu’il est doux, maintenant que nous sommes
Fatigués et flétris comme les autres hommes,
De chercher quelquefois à l’Orient lointain
Si nous voyons encore les rougeurs du matin,
Et, quand nous avançons dans la rude carrière,
D’écouter les échos qui chantent en arrière
Et les chuchotements de ces jeunes amours
Que le Seigneur a mis au début de nos jours?
Il aimait à la voir, avec ses jupes blanches,
Courir tout au travers du feuillage et des branches,
Gauche et pleine de grâce, alors qu’elle cachait
Sa jambe, si la robe aux buissons s’accrochait.
Tout là-haut, tout là-haut, loin de la route sûre,
Des fermes, des vallons, par delà les coteaux,
Par delà les forêts, les tapis de verdure,
Loin des derniers gazons foulés par les troupeaux,
On rencontre un lac sombre encaissé dans l’abîme
Que forment quelques pics désolés et neigeux;
L’eau, nuit et jour, y dort dans un repos sublime,
Et n’interrompt jamais son silence orageux.
Dans ce morne désert, à l’oreille incertaine
Arrivent par moments des bruits faibles et longs,
Et des échos plus morts que la cloche lointaine
D’une vache qui paît aux penchants des vallons.
Sur ces monts où le vent efface tout vestige,
Ces glaciers pailletés qu’allume le soleil,
Sur ces rochers altiers où guette le vertige,
Dans ce lac où le soir mire son teint vermeil,
Sous mes pieds, sur ma tête et partout, le silence,
Le silence qui fait qu’on voudrait se sauver,
Le silence éternel et la montagne immense,
Car l’air est immobile et tout semble rêver.
On dirait que le ciel, en cette solitude,
Se contemple dans l’onde, et que ces monts, là-bas,
Écoutent, recueillis, dans leur grave attitude,
Un mystère divin que l’homme n’entend pas.
Et lorsque par hasard une nuée errante
Assombrit dans son vol le lac silencieux,
On croirait voir la robe ou l’ombre transparente
D’un esprit qui voyage et passe dans les cieux.
Tout à l’heure je viens d’entendre
Dehors résonner doucement
D’un air monotone et si tendre
Qu’il bruit en moi vaguement,
Une de ces vielles plaintives,
Muses des pauvres Auvergnats,
Qui jadis aux heures oisives
Nous charmaient si souvent, hélas!
Et, son espérance détruite,
Le pauvre s’en fut tristement;
Et moi je pensai tout de suite
À mon ami que j’aime tant,
Qui me disait en promenade
Que pour lui c’était un plaisir
Qu’une semblable sérénade
Dans un morne et long loisir.
Nous aimions cette humble musique
Si douce à nos esprits lassés
Quand elle vient, mélancolique,
Répondre à de tristes pensers.
– Et j’ai laissé les vitres closes,
Ingrat, pour qui m’a fait ainsi
Rêver de si charmantes choses,
Et penser à mon cher Henri!
Hélas! qui n’a gémi sur autrui, sur soi-même?
Et qui n’a dit à Dieu: «Pardonnez-moi, Seigneur,
Si personne ne m’aime et si nul n’a mon cœur?
Ils m’ont tous corrompu; personne ne vous aime!»
Alors lassé du monde et de ses vains discours,
Il faut lever les yeux aux voûtes sans nuages,
Et ne plus s’adresser qu’aux muettes images,
De ceux qui n’aiment rien consolantes amours.
Alors il faut s’entourer de mystère,
Se fermer aux regards, et sans morgue et sans fiel,
Sans dire à vos voisins: «Je n’aime que le ciel,»
Dire à Dieu: «Consolez mon âme de la terre!»
Tel, fermé par son prêtre, un pieux monument,
Quand sur nos sombres toits la nuit est descendue,
Quand la foule a laissé le pavé de la rue,
Se remplit de silence et de recueillement.
Vous avez, compagnon dont le cœur est poète,
Passé dans quelque bourg tout paré, tout vermeil,
Quand le ciel et la terre ont un bel air de fête,
Un dimanche éclairé par un joyeux soleil;
Quand le clocher s’agite et qu’il chante à tue-tête,
Et tient dès le matin le village en éveil,
Quand tous pour entonner l’office qui s’apprête,
S’en vont, jeunes et vieux, en pimpant appareil;
Lors, s’élevant au fond de votre âme mondaine,
Des sons d’orgue mourant et de cloche lointaine
Vous ont-ils pas tiré malgré vous un soupir?
Cette dévotion des champs, joyeuse et franche,
Ne vous a-t-elle pas, triste et doux souvenir,
Rappelé qu’autrefois vous aimiez le dimanche?
Je n’ai pas pour maîtresse une lionne illustre:
La gueuse, de mon âme, emprunte tout son lustre;
Invisible aux regards de l’univers moqueur,
Sa beauté ne fleurit que dans mon triste cœur.
Pour avoir des souliers elle a vendu son âme.
Mais le bon Dieu rirait si, près de cette infâme,
Je tranchais du Tartufe et singeais la hauteur,
Moi qui vends ma pensée et qui veux être auteur.
Vice beaucoup plus grave, elle porte perruque.
Tous ses beaux cheveux noirs ont fui sa blanche nuque;
Ce qui n’empêche pas les baisers amoureux
De pleuvoir sur son front plus pelé qu’un lépreux.
Elle louche, et l’effet de ce regard étrange
Qu’ombragent des cils noirs plus longs que ceux d’un ange,
Est tel que tous les yeux pour qui l’on s’est damné
Ne valent pas pour moi son œil juif et cerné.
Elle n’a que vingt ans; – la gorge déjà basse
Pend de chaque côté comme une calebasse,
Et pourtant, me traînant chaque nuit sur son corps,
Ainsi qu’un nouveau-né, je la tette et la mords,
Et bien qu’elle n’ait pas souvent même une obole
Pour se frotter la chair et pour s’oindre l’épaule,
Je la lèche en silence avec plus de ferveur
Que Madeleine en feu les deux pieds du Sauveur.
La pauvre créature, au plaisir essoufflée,
A de rauques hoquets la poitrine gonflée,
Et je devine au bruit de son souffle brutal
Qu’elle a souvent mordu le pain de l’hôpital.
Ses grands yeux inquiets, durant la nuit cruelle,
Croient voir deux autres yeux au fond de la ruelle,
Car, ayant trop ouvert son cœur à tous venants,
Elle a peur sans lumière et croit aux revenants.
Ce qui fait que de suif elle use plus de livres
Qu’un vieux savant couché jour et nuit sur ses livres,
Et redoute bien moins la faim et ses tourments
Que l’apparition de ses défunts amants.
Si vous la rencontrez, bizarrement parée,
Se faufilant, au coin d’une rue égarée,
Et la tête et l’œil bas comme un pigeon blessé,
Traînant dans les ruisseaux un talon déchaussé,
Messieurs, ne crachez pas de jurons ni d’ordure
Au visage fardé de cette pauvre impure
Que déesse Famine a par un soir d’hiver,
Contrainte à relever ses jupons en plein air.
Cette bohème-là, c’est mon tout, ma richesse,
Ma perle, mon bijou, ma reine, ma duchesse,
Celle qui m’a bercé sur son giron vainqueur,
Et qui dans ses deux mains a réchauffé mon cœur.
Ci-gît, qui pour avoir par trop aimé les gaupes,
Descendit jeune encore au royaume des taupes.
Noble femme au bras fort, qui durant les longs jours
Sans penser bien ni mal dors ou rêves toujours,
Fièrement troussée à l’antique,
Toi que depuis dix ans qui pour moi se font lents
Ma bouche bien apprise aux baisers succulents
Choya d’un amour monastique -
Prêtresse de débauche et ma sœur de plaisir
Qui toujours dédaignas de porter et nourrir
Un homme en tes cavités saintes,
Tant tu crains et tu fuis le stygmate alarmant
Que la vertu creusa de son soc infamant
Au flanc des matrones enceintes.
Tous imberbes alors, sur les vieux bancs de chêne
Plus polis et luisants que des anneaux de chaîne,
Que, jour à jour, la peau des hommes a fourbis,
Nous traînions tristement nos ennuis, accroupis
Et voûtés sous le ciel carré des solitudes,
Où l’enfant boit, dix ans, l’âpre lait des études.
C’était dans ce vieux temps, mémorable et marquant,
Où forcés d’élargir le classique carcan,
Les professeurs, encor rebelles à vos rimes,
Succombaient sous l’effort de nos folles escrimes
Et laissaient l’écolier, triomphant et mutin,
Faire à l’aise hurler Triboulet en latin. -
Qui de nous en ces temps d’adolescences pâles,
N’a connu la torpeur des fatigues claustrales,
– L’œil perdu dans l’azur morne d’un ciel d’été,
Ou l’éblouissement de la neige, – guetté,
L’oreille avide et droite, – et bu, comme une meute,
L’écho lointain d’un livre, ou le cri d’une émeute?
C’était surtout l’été, quand les plombs se fondaient,
Que ces grands murs noircis en tristesse abondaient,
Lorsque la canicule ou le fumeux automne
Irradiait les cieux de son feu monotone,
Et faisait sommeiller, dans les sveltes donjons,
Les tiercelets criards, effroi des blancs pigeons;
Saison de rêverie, où la Muse s’accroche
Pendant un jour entier au battant d’une cloche;
Où la Mélancolie, à midi, quand tout dort,
Le menton dans la main, au fond du corridor, -
L’œil plus noir et plus bleu que la Religieuse
Dont chacun sait l’histoire obscène et douloureuse,
– Traîne un pied alourdi de précoces ennuis,
Et son front moite encore des langueurs de ses nuits.
– Et puis venaient les soirs malsains, les nuits fiévreuses,
Qui rendent de leurs corps les filles amoureuses,
Et les font, aux miroirs, – stérile volupté, -
Contempler les fruits mûrs de leur nubilité, -
Les soirs italiens, de molle insouciance,
– Qui des plaisirs menteurs révèlent la science,
– Quand la sombre Vénus, du haut des balcons noirs,
Verse des flots de musc de ses frais encensoirs. -
…
Ce fut dans ce conflit de molles circonstances,
Mûri par vos sonnets, préparés par vos stances,
Qu’un soir, ayant flairé le livre et son esprit,
J’emportai sur mon cœur l’histoire d’Amaury.
Tout abîme mystique est à deux pas du doute. -
Le breuvage infiltré lentement, goutte à goutte,
En moi qui, dès quinze ans, vers le gouffre entraîné,
Déchiffrais couramment les soupirs de René,
Et que de l’inconnu la soif bizarre alterre,
– A travaillé le fond de la plus mince artère. -
J’en ai tout absorbé, les miasmes, les parfums,
Le doux chuchotement des souvenirs défunts,
Les longs enlacements des phrases symboliques,
– Chapelets murmurants de madrigaux mystiques;
– Livre voluptueux, si jamais il en fut. -
Et depuis, soit au fond d’un asile touffu,
Soit que, sous les soleils des zones différentes,
L’éternel bercement des houles enivrantes,
Et l’aspect renaissant des horizons sans fin
Ramenassent ce cœur vers le songe divin, -
Soit dans les lourds loisirs d’un jour caniculaire,
Ou dans l’oisiveté frileuse de frimaire, -
Sous les flots du tabac qui masque le plafond,
J’ai partout feuilleté le mystère profond
De ce livre si cher aux âmes engourdies
Que leur destin marqua des mêmes maladies,
Et, devant le miroir, j’ai perfectionné
L’art cruel qu’un démon, en naissant, m’a donné,
– De la douleur pour faire une volupté vraie. -
D’ensanglanter un mal et de gratter sa plaie.
Poète, est-ce une injure ou bien un compliment?
Car je suis vis à vis de vous comme un amant
En face du fantôme, au geste plein d’amorces,
Dont la main et dont l’œil ont, pour pomper les forces,
Des charmes inconnus. – Tous les êtres aimés
Sont des vases de fiel qu’on boit, les yeux fermés,
Et le cœur transpercé, que la douleur allèche,
Expire chaque jour en bénissant sa flèche.
– Combien dureront nos amours?
Dit la pucelle au clair de lune.
L’amoureux répond: – Ô ma brune,
Toujours, toujours!
Quand tout sommeille aux alentours,
Élise, se tortillant d’aise,
Dit qu’elle veut que je la baise
Toujours, toujours!
Moi, je dis: – Pour charmer mes jours
Et le souvenir de mes peines,
Bouteilles; que n’êtes-vous pleines
Toujours, toujours!
Mais le plus chaste des amours,
L’amoureux le plus intrépide,
Comme un flacon s’use et se vide
Toujours, toujours!
Au milieu de la foule, errantes, confondues,
Gardant le souvenir précieux d’autrefois,
Elles cherchent l’écho de leurs voix éperdues,
Tristes comme, le soir, deux colombes perdues
Et qui s’appellent dans les bois.
Je vis, et ton bouquet est de l’architecture:
C’est donc lui la beauté, car c’est moi la nature;
Si toujours la nature embellit la beauté,
Je fais valoir tes fleurs… me voilà trop flatté.
Vers destinés à son portrait.
On me nomme le petit chat;
Modernes petites-maîtresses,
J’unis à vos délicatesses
La force d’un jeune pacha.
La douceur de la voûte bleue
Est concentrée en mon regard;
Si vous voulez me voir hagard,
Lectrices, mordez-moi la queue!
D’un esprit biscornu le séduisant projet
– Qui de tant de héros va choisir Bruandet!
Vers laissés chez un ami absent
5 heures, à l’Hermitage.
Mon cher, je suis venu chez vous
Pour entendre une langue humaine;
Comme un, qui, parmi les Papous,
Chercherait son ancienne Athène,
Puisque chez les Topinambous
Dieu me fait faire quarantaine,
Aux sots je préfère les fous
– Dont je suis, chose, hélas! certaine.
Offrez à Mam’selle Fanny
(Qui ne répondra pas: Nenny,
Le salut n’étant pas d’un âne,)
L’hommage d’un bon écrivain,
– Ainsi qu’à l’ami Lécrivain
Et qu’à Mams’elle Jeanne.
Sonnet pour s’excuser de ne pas accompagner un ami à Namur.
Puisque vous allez vers la ville
Qui, bien qu’un fort mur l’encastrât,
Défraya la verve servile
Du fameux poète castrat;
Puisque vous allez en vacances
Goûter un plaisir recherché,
Usez toutes vos éloquences,
Mon bien cher Coco-Malperché.
(Comme je le ferais moi-même)
À dire là-bas combien j’aime
Ce tant folâtre Monsieur Rops,
Qui n’est pas un grand prix de Rome,
Mais dont le talent est haut comme
La pyramide de Chéops!
Monsieur Auguste Malassis
Rue de Mercélis
Numéro trente-cinq bis
Dans le faubourg d’Ixelles,
Bruxelles.
(Recommandée à l’Arioste
De la poste,
C’est-à-dire à quelque facteur
Versificateur)
Amœnitates Belgicae
(Montagne de la Cour)
Ces mollets sur ces pieds montés,
Qui vont sous des cottes peu blanches,
Ressemblent à des troncs plantés
Dans des planches
Les seins des moindres femmelettes,
Ici, pèsent plusieurs quintaux,
Et leurs membres sont des poteaux
Qui donnent le goût des squelettes.
Il ne me suffit pas qu’un sein soit gros et doux:
Il le faut un peu ferme, ou je tourne casaque.
Car, sacré nom de Dieu! je ne suis pas Cosaque
Pour me soûler avec du suif et du saindoux.
Elle puait comme une fleur moisie
Moi, je lui dis (mais avec courtoisie):
«Vous devriez prendre un bain régulier
Pour dissiper ce parfum de bélier.»
Que me répond cette jeune hébétée?
«Je ne suis pas, moi, de vous dégoûtée!»
– Ici pourtant on lave le trottoir
Et le parquet avec un savon noir!
«Bains». – J’entre et demande un bain. Alors le maître
Me regarde avec l’œil d’un bœuf qui vient de paître,
Et me dit: «Ça n’est pas possible, ça, sais-tu,
Monsieur!» – Et puis, d’un air plus abattu:
«Nous avons au grenier porté nos trois baignoires.»
J’ai lu, je m’en souviens, dans les vieilles histoires,
Que le Romain mettait son vin au grenier; mais,
Si barbare qu’il fût, ses baignoires, jamais!
Aussi, je m’écriai: «Quelle idée, ô mon Dieu!»
Mais l’ingénu: «Monsieur, c’est qu’on venait si peu!»
Un ministre qu’on dit le Mecenas flamand,
Me promenait un jour dans son appartement,
Interrogeant mes yeux devant chaque peinture,
Parlant un peu de l’art, beaucoup de la nature,
Vantant le paysage, expliquant le sujet,
Et surtout me marquant le prix de chaque objet.
– Mais voilà qu’arrivé devant un portrait d’Ingres,
(Pédant dont j’aime peu les qualités malingres)
Je fus pris tout à coup d’une sainte fureur
De célébrer David, le grand peintre empereur!
– Lui, se tourne vers son fournisseur ordinaire,
Qui se tenait debout comme un factionnaire,
Ou comme un chambellan qui savoure avec foi
Les sottises tombant des lèvres de son roi,
Et lui dit, avec l’œil d’un marchand de la Beauce:
«Je crois, mon cher, je crois que David est en hausse!»
Joseph Delorme a découvert
Un ruisseau si clair et si vert
Qu’il donne aux malheureux l’envie
D’y terminer leur triste vie.
– Je sais un moyen de guérir
De cette passion malsaine
Ceux qui veulent ainsi périr:
Menez-les au bord de la Senne,
Voyez – dit ce Belge badin
Qui n’est certes pas un ondin -
La contrefaçon de la Seine.
– «Oui – lui dis-je – une Seine obscène!»
Car cette Senne, à proprement
Parler, où de tout mur et de tout fondement
L’indescriptible tombe en foule
Ce n’est guères qu’un excrément
Qui coule.
On n’a jamais connu de race si baroque
Que ces Belges. Devant le joli, le charmant,
Ils roulent de gros yeux et grognent sourdement.
Tout ce qui réjouit nos cœurs mortels les choque.
Dites un mot plaisant, et leur œil devient gris
Et terne comme l’œil d’un poisson qu’on fait frire;
Une histoire touchante; ils éclatent de rire,
Pour faire voir qu’ils ont parfaitement compris.
Comme l’esprit, ils ont en horreur les lumières;
Parfois sous la clarté calme du firmament,
J’en ai vu, qui rongés d’un bizarre tourment,
Dans l’horreur de la fange et du vomissement,
Et gorgés jusqu’aux dents de genièvre et de bières,
Aboyaient à la Lune, assis sur leurs derrières.
Je rêvais, contemplant ces bières
De palissandre ou d’acajou,
Qu’un habile ébéniste orne de cent manières:
«Quel écrin! et pour quel bijou!
Les morts, ici, sont sans vergogne!
Un jour, des cadavres flamands
Souilleront ces cercueils charmants.
Faire de tels étuis pour de telles charognes!»
«Je voudrais bien – me dit un ami singulier,
Dont souvent la pensée alterne avec la mienne, -
Voir la Naïade de la Senne;
Elle doit ressembler à quelque charbonnier
Dont la face est toute souillée.»
– «Mon ami, vous êtes bien bon.
Non, non! Ce n’est pas de charbon
Que cette nymphe est barbouillée!»
«Buvez-vous du faro?» – dis-je à monsieur Hetzel;
Je vis un peu d’horreur sur sa mine barbue,
– «Non, jamais! le faro (je dis cela sans fiel!)
C’est de la bière deux fois bue.»
Hetzel parlait ainsi, dans un Café flamand,
Par prudence sans doute, énigmatiquement;
Je compris que c’était une manière fine
De me dire: «Faro, synonyme d’urine!»
«Observez bien que le faro
Se fait avec de l’eau de Senne»
– «Je comprends d’où lui vient sa saveur citoyenne.
Après tout, c’est selon ce qu’on entend par eau!»
Sur la porte je lus: «Lise Van Swiéten»
(C’était dans un quartier qui n’est pas un Eden)
– Heureux l’époux, heureux l’amant qui la possède,
Cette Ève qui contient en elle son remède!
Cet homme enviable a trouvé,
Ce que nul n’a jamais rêvé,
Depuis le pôle nord jusqu’au pôle antarctique
Une épouse prophylactique!
La Belgique se croit toute pleine d’appas;
Elle dort. Voyageur, ne la réveillez pas.
«Qu’on ne me touche pas! Je suis inviolable!»
Dit la Belgique. – C’est hélas! incontestable.
Y toucher? Ce serait, en effet hasardeux,
Puisqu’elle est un bâton merdeux.
Ci-gît un roi constitutionnel,
(Ce qui veut dire: Automate en hôtel Garni)
Qui se croyait sempiternel
Heureusement, c’est bien fini!
On me demande une épitaphe
Pour la Belgique morte. En vain
Je creuse, et je rue et je piaffe;
Je ne trouve qu’un mot: «Enfin!»
Cet imbécile de Tournai
Me dit: «J’ai l’esprit mieux tourné
Que vous, Monsieur. Ma jouissance
Dérive de l’obéissance;
J’ai mis toute ma volupté
Dans l’esprit de Conformité;
Mon cœur craint toute façon neuve
En fait de plaisir ou d’ennui,
Et veut que le bonheur d’autrui
Toujours au sien serve de preuve.»
Ce que dit l’homme de Tournai,
(Dont vous devinez bien, je pense,
Que j’ai retouché l’éloquence)
N’était pas si bien tourné.
Les Belges poussent, ma parole!
L’imitation à l’excès,
Et s’ils attrapent la vérole,
C’est pour ressembler aux Français.
Tout le monde, ici, parle un français ridicule:
On proclame immortel ce vieux principicule.
Je veux bien qu’immortalité
Soit le synonyme
De longévité,
La différence est si minime!
Bruxelles, ces jours-ci, déclarait (c’est grotesque!)
Léopold immortel. – Au fait, il le fut presque.
«En quel genre, en quel coin de l’animalité
Classerons-nous le Belge?» Une Société
Scientifique avait posé ce dur problème.
Alors le grand Cuvier se leva, tremblant, blême,
Et pour toutes raisons criant: «Je jette aux chiens
Ma langue! Car, messieurs les Académiciens,
L’espace est un peu grand depuis les singes jusques
Jusques aux mollusques!»
On venait de jouer de ces airs ravissants
Qui font rêver l’esprit et transportent les sens;
Mais un peu lâchement, hélas! à la flamande.
«Tiens! l’on n’applaudit pas ici?» fis-je. – Un voisin,
Amoureux comme moi de musique allemande,
Me dit: «Vous êtes neuf dans ce pays malsain,
Monsieur? Sans ça, vous sauriez qu’en musique,
Comme en peinture et comme en politique,
Le Belge croit qu’on le veut attraper,
– Et puis qu’il craint surtout de se tromper.»
La Belgique a sa Béotie!
C’est une légende, une scie,
Un proverbe! – Un comparatif
Dans un état superlatif!
Bruxelles, ô mon Dieu! méprise Poperinghe!
Un vendeur de trois-six blaguant un mannezingue!
Un clysoir, ô terreur! raillant une seringue!
Bruxelles n’a pas droit de railler Poperinghe!
Comprend-on le comparatif
(C’est une épouvantable scie!)
À côté du superlatif?
La Belgique a sa Béotie!
Le Belge est très civilisé;
Il est voleur, il est rusé;
Il est parfois syphilisé;
Il est donc très civilisé.
Il ne déchire pas sa proie
Avec ses ongles; met sa joie
À montrer qu’il sait employer
À table fourchette et cuiller;
Il néglige de s’essuyer,
Mais porte paletots, culottes,
Chapeau, chemise même et bottes;
Fait de dégoûtantes ribottes;
Dégueule aussi bien que l’Anglais;
Met sur le trottoir des engrais;
Rit du Ciel et croit au progrès
Tout comme un journaliste d’Outre-
Quiévrain; – de plus, il peut foutre
Debout comme un singe avisé.
Il est donc très civilisé.
Le grand juge de paix d’Europe
A donc dévissé son billard!
(Je vous expliquerai ce trope).
Ce roi n’était pas un fuyard
Comme notre Louis-Philippe.
Il pensait, l’obstiné vieillard.
Qu’il n’était jamais assez tard
Pour casser son ignoble pipe.
Léopold voulait sur la Mort
Gagner sa première victoire
Il n’a pas été le plus fort;
Mais dans l’impartiale histoire,
Sa résistance méritoire
Lui vaudra ce nom fulgurant:
«Le cadavre récalcitrant».