Vu d'un compartiment de train, la campagne.
Une purée de vert. Une soupe de vert.
Avec tous ces détails si foncièrement inutiles (arbres, etc.)
qui surnagent, justement comme des grumeaux dans la soupe.
Tout cela donne envie de vomir.
Qu'il est loin, l'émerveillement des années d'enfance!
l'émerveillement de découvrir le paysage filant par la fenêtre…
Une vache qui en saute une autre… Décidément, ces créatures ne doutent de rien!
Ridicule de la voisine d'en face.
La ligne de ses cils forme un oblique chinois, et sa bouche une ligne semblable, rétracée vers le bas, méchamment.
Je suis sûr qu'elle m'arracherait les yeux avec plaisir.
Cesser de la regarder. Peut-être est-elle dangereuse?…
Les lampes disposées en rampe centrale au plafond de la rame de TGV ressemblaient aux pas d'un animal géométrique – un animal créé pour éclairer l'homme.
Les pattes de l'animal étaient des rectangles aux coins légèrement arrondis; elles s'espaçaient avec régularité, comme des traces. De temps à autre une forme ronde s'intercalait entre les traces de pas – comme si l'animal, telle une mouche géante, avait irrégulièrement apposé sa trompe sur le plafond.
De tout cela émanait, il faut bien le dire, une vie assez inquiétante.
Station Boucicaut. Une lumière liquide coulait sur les voûtes de carrelage blanc; et cette lumière semblait – paradoxe atroce – couler vers le haut.
À peine installé dans la rame, je me sentis obligé d'examiner le tapis de sol – un tapis de caoutchouc gris, parsemé de nombreuses rondelles. Ces rondelles étaient légèrement en relief; tout à coup, j'eus l'impression qu'elles respiraient. Je fis un nouvel effort pour me raisonner.
Les informations se mélangent comme des aiguilles
Versées dans ma cervelle
Par la main aveugle du commentateur;
J'ai peur.
Depuis huit heures, les déclarations cruelles
Se succèdent dans mon récepteur;
Très haut, le soleil brille.
Le ciel est légèrement vert,
Comme un éclairage de piscine;
Le café est amer,
Partout on assassine;
Le ciel n'éclaire plus que des ruines.
Je tournais en rond dans ma chambre,
Des cadavres se battaient dans ma mémoire;
l n'y avait plus vraiment d'espoir;
En bas, quelques femmes s'insultaient
Tout près du Monoprix fermé depuis décembre.
Ce jour-là, il faisait grand calme;
Les bandes s'étaient repliées dans les faubourgs.
J'ai senti l'odeur du napalm,
Le monde est devenu très lourd.
Les informations se sont arrêtées vers six heures;
J'ai senti s'accélérer les mouvements de mon coeur:
Le monde est devenu solide,
Silencieux, les rues étaient vides
Et j'ai senti venir la mort.
Ce jour-là, il a plu très fort.
Je m'éveille, et le monde retombe sur moi comme un bloc;
Le monde confus, homogène.
Le soleil traverse l'escalier, j'entame un soliloque,
Un dialogue de haine.
Vraiment, se disait Michel, la vie devrait être différente,
La vie devrait être un peu plus vivante;
On ne devrait pas voir ces choses;
Ni les voir, ni les vivre.
Maintenant le soleil traverse les nuées,
Sa lumière est brutale;
Sa lumière est puissante sur nos vies écrasées;
Il est presque midi et la terreur s'installe.
Les dents qui se défont
Dans la mâchoire maigre,
La soirée tourne à l'aigre
Et je touche le fond.
L'anesthésie revient et dure quelques secondes,
Au milieu de la foule le temps semble figé
Et l'on n'a plus envie de refaire le monde,
Au milieu de la foule et des parcoups piégés.
La vie les tentatives,
L'échec qui se confirme
Je regarde les infirmes,
Puis il y a la dérive.
Nous avons souhaité une vie prodigieuse
Où les corps se penchaient comme des fleurs écloses,
Nous avons tout raté: fin de partie morose;
Je ramasse les débris d'une main trop nerveuse.
Le train qui s'arrêtait au milieu des nuages
Aurait pu nous conduire à un destin meilleur
Nous avons eu tort de trop croire au bonheur
Je ne veux pas mourir, la mort est un mirage.
Le froid descend sur nos artères
Comme une main sur l'espérance
Le temps n'est plus à l'innocence,
J'attends agoniser mon frère.
Les êtres humains luttaient pour des morceaux de temps,
J'attendais crépiter les armes automatiques,
Je pouvais comparer les origines ethniques
Des cadavres empilés dans le compartiment.
La cruauté monte des corps
Comme une ivresse inassouvie;
L'histoire apportera l'oubli,
Nous vivrons la seconde mort.
Les hommages à l'humanité
Se multiplient sur la pelouse
Ils étaient au nombre de douze,
Leur vie était très limitée.
Ils fabriquaient des vêtements
Des objets, des petites choses,
Leur vie était plutôt morose
Ils fabriquaient des revêtements,
Des abris pour leur descendance,
Ils n'avaient que cent ans à vivre
Mais ils savaient écrire des livres
Et ils nourrissaient des croyances.
Ils alimentaient la douleur
Et ils modifiaient la nature
Leur univers était si dur
Ils avaient eu si faim, si peur.
Les matins à Paris, les pics de pollution
Et la guerre en Bosnie qui risque de reprendre
Mais tu trouves un taxi, c'est une satisfaction
Au milieu de la nuit un souffle d'air plus tendre
Te conduit vers le jour,
Le mois d'août se prolonge
Et tu diras bonjour
Dans ton bain, à l'éponge.
Tu as bien fait de prendre
Tes vacances en septembre
Si je n'avais pas d'enfants moi je ferais pareil,
On a parfois autant de journées de soleil.
Le samedi soir est terminé,
Il va falloir éliminer
La nuit tombe sur la résidence,
Il est plus tard que tu ne penses
Les lumières du bar tropical
S'éteignent. On va fermer la salle.
Tu déjeuneras seul
D'un panini saumon
Dans la rue de Choiseul
Et tu trouveras ça bon.
Je vis dans des parois de verre,
Dans un bureau paysager
Et le soir je me roule par terre,
Mon chien commence à être âgé
Et ma voisine donne des soirées,
Ma voisine fait trop de manières.
Je me sens parfois solitaire,
Je ne donne jamais de soirée
J'attends ma voisine s'affairer,
Parfois ma voisine exagère.
Je ne renonce pas à plaire,
Je commence à m'interroger:
Est-ce que je suis vraiment âgé?
Est-ce que je suis vraiment sincère?
La nouvelle année nous engage
À détruire quelques relations
Et à démolir quelques cages,
À désassembler des fictions.
Reportant sur son agenda
Tous ces gens qu'on ne verra plus
On se sent un peu bête, parfois;
Il faut qu'on meure ou bien qu'on tue.
L'ancienne année grille mes doigts
Comme une allumette oubliée
Puis le jour se lève, il fait froid;
Je commence à me replier.
L'année de la parole divine
Est encore à réinventer;
Sur mon matelas, je rumine
Des réalités disjonctées.
Les marronniers du Luxembourg
Attrapent un soleil manifeste.
J'ai envie de faire l'amour;
Ordinairement, je me déteste.
Pourquoi tout cet or répandu
Dans les rayons du ciel d'octobre?
Il faudrait croire qu'on a vécu
Qu'on disparaît, concis et sobre,
Et sans regret. Que de mensonges…
Pourquoi faire croire qu'on est heureux?
Je me remplis comme une éponge
D'un cafard fin et nauséeux.
"Les chantiers de l'aménagement":
Article de fond, journal Le Monde
Et je sens au fil des secondes
Les bactéries creuser mes dents.
Les fleurs s'élèvent hors de la terre
Dans leur naïve génération.
Le soleil glisse, effet de serre:
Triomphe de la végétation.
Un cycliste changeait ses lunettes
Avant de visiter la ville;
La ville est propre, les rues sont nettes
Et le cycliste a l'air tranquille.
Stein am Rhein, le 22 mai.
On pénètre dans la salle de bains,
Et c'est la vie qui recommence
On n'en voulait plus, du matin,
Seul dans la nuit d'indifférence.
Il faut tout reprendre à zéro
Muni d'une donne amoindrie,
Il faut rejouer les numéros
Au bord des poubelles attendries.
Dans le matin qui se transforme
En un lac de néant candide
On reconnait la vie, les formes,
Semi-transitions vers le vide.
Un désespoir standardisé,
Et la poussière qui se propage
Tout au long des Champs-Élysées,
Il va falloir tourner la page.
Achetant des revues de bite
Au kiosque avenue de Wagram,
Je me sens piégé par un rite
Comme un aveugle qui réclame
Et cogne sa canne sur le sol,
S'approchant de la voie ferrée
Comme une fleur à l'entresol,
Comme un rameur désemparé.
La circulation s'assouplit
Et la nuit découvre ses veines,
Les trottoirs sont couverts de pluie
Dans le déclin de la semaine.
Le calme des objets, à vrai dire, est étrange,
Un peu inamical;
Le temps nous déchiquette et rien ne les dérange,
Rien ne les désinstalle.
Ils sont les seuls témoins de nos vraies déchéances,
De nos passages à vide;
Ils ont pris la couleur de nos vieilles souffrances,
De nos âmes insipides.
Sans rachat, sans pardon, et trop semblables aux choses,
Nous gravitons, inertes;
Rien ne peut apaiser cette fièvre morose,
Ce sentiment de perte.
Construits par nos objets, faits à leur ressemblance,
Nous existons par eux.
Au fond de nous, pourtant, gît la ressouvenance
D'avoir été des dieux.
L'intérieur des poumons
Remonte à la surface;
Traitement aux rayons:
La douleur se déplace.
Un hurlement de peur
Dans la nuit traversée:
Je sens battre mon coeur
À grands coups oppressés.
Les nuits passent sur moi comme un grand laminoir
Et je connais l'usure des matins sans espoir
Le corps qui se fatigue, les amis qui s'écartent,
Et la vie qui reprend une à une ses cartes.
Je tomberai un jour, et de ma propre main:
Lassitude au combat, diront les médecins.
Ce n'est pas cela. J'essaie de conserver mon corps en bon état. Je suis peut-être mort, je ne sais pas. Il y a quelque chose qu'il faudrait faire, que je ne fais pas. On ne m'a pas appris. Cette année, j'ai beaucoup vieilli. J'ai fumé huit mille cigarettes. Souvent j'ai eu mal à la tête. Il doit pourtant y avoir une façon de vivre; quelque chose que je ne trouve pas dans les livre. Il y a des êtres humains, il y a des personnages; mais d'une année sur l'autre c'est à peine si je reconnais leurs visages.
Je ne respecte pas l'homme; cependant, je l'envie.
J'étais parti en vacances avec mon fils
Dans une auberge de jeunesse extrêmement triste
C'était quelque part dans les Alpes,
Mon fils avait dix ans
Et la pluie gouttait doucement le long des murs;
En bas, les jeunes essayaient de nouer des relations amoureuses
Et j'avais envie de cesser de vivre,
De m'arrêter sur le bord du chemin
De ne même plus écrire de livres
De m'arrêter, enfin.
La pluie tombe de plus en plus, en longs rideaux,
Ce pays est humide et sombre;
La lutte s'y apaise, on a l'impression d'entrer au tombeau;
Ce pays est funèbre, il n'est même pas beau.
Bientôt mes dents vont tomber aussi,
Le pire est encore à venir;
Je marche vers la glace, lentement je m'essuie;
Je vois le soir tomber et le monde mourir.