IV

Que tout ce qui luit soit détruit…

Les habitants du Soleil jettent sur nous un regard impassible:

Nous appartenons définitivement à la Terre

Et nous y pourrirons, mon amour impossible,

Jamais nos corps meurtris ne deviendront lumière.

Il n'y a pas de responsable…

Il n'y a pas de responsable

Au malheur de l'humanité,

Il y a un plan délimité

Qui unit les premières années, les promenades sous les marronniers, les cartables.

En moi quelque chose s'est brisé

Hier au petit déjeuner,

Deux êtres humains de cent kilos

Parlaient estomac et radios.

Il lui disait: "Tu es méchante…

J'ai plus longtemps à vivre, alors fais-moi plaisir".

Mais son vieux corps usé ne connaissait plus le plaisir,

Il ne connaissait que la honte,

La honte et la difficulté à se mouvoir,

Et l'étouffement dans la chaleur du soir.

Ainsi ces deux qui avaient vécu,

Qui avaient peut-être donné la vie,

Terminaient leur vie dans la honte.

Je ne savais que penser. Peut-être il ne faudrait pas vivre,

La recherche du plaisir est décrite dans les livres,

Elle conduit au malheur

De toute éternité.

Mais, cependant, ils étaient là, ce vieux couple.

"Il faut parfois se faire plaisir", disait-il

Et quand on voyait les replis de la chair de son épouse

On accordait la prostitution et le massage

À son vieux sexe usé.

"Il n'en avait plus, de toute façon, que pour quelques années."

Entre ces deux êtres il n'y avait aucun espace de rêve,

Aucune manière de supporter la décrépitude

De faire de l'usure des corps une douce habitude

Ils existaient,

Ils demandaient la trêve,

Un espace de trêve

Pour leurs vieux corps usés,

La trêve toutes les nuits leur était refusée.

DJERBA "LA DOUCE"

Un vieillard s'entraînait seul sur le mini-golf

Et des oiseaux chantaient sans aucune raison;

Était-ce le bonheur d'être au camping du Golfe?

Était-ce la chaleur? Était-ce la saison?

Le soleil projetait ma silhouette noire

Sur une terre grise, remuée récemment;

Il faut interpréter les signes de l'histoire

Et le dessin des fleurs, si semblable au serpent.

Un deuxième vieillard près de son congénère

Observait sans un mot les vagues à l'horizon

Comme un arbre abattu observe sans colère

Le mouvement musclé des bras du bûcheron.

Vers mon ombre avançaient de vives fourmis rousses,

Elles entraient dans la peau sans causer de souffrance;

J'eus soudain le désir d'une vie calme et douce

Où l'on traverserait mon intacte présence.

SOIR SANS BRUME

Quand j'erre sans notion au milieu des immeubles

Je vois se profiler de futurs sacrifices

J'aimerais adhérer à quelques artifices,

Retrouver l'espérance en achetant des meubles

Ou bien croire à l'islam, sentir un Dieu très doux

Qui guiderait mes pas, m'emmènerait en vacances

Je ne peux oublier cette odeur de partance

Entre nos mots tranchés, nos vies qui se dénouent.

Le processus du soir articule les heures;

Il n'y a plus personne pour recueillir nos plaintes;

Entre les cigarettes successivement éteintes,

Le processus d'oubli délimite le bonheur.

Quelqu'un a dessiné le tissu des rideaux

Et quelqu'un a pensé la couverture grise

Dans les plis de laquelle mon corps s'immobilise;

Je ne connaîtrai pas la douceur du tombeau.

PERCEPTION-DIGESTION

Quand la vie a cessé d'offrir de nouveaux mondes

Au regard étonné, quand la vie ne sait plus

Que ressasser des phrases étroites et peu fécondes

Quand les journées se meurent, quand s'arrêtent les flux

Au milieu des objets secs et définitifs

Un sac de perception se déplie et s'oriente,

Se gonfle et se dégonfle au rythme primitif

Des poumons fatigués par la journée violente.

Il n'y a pas de sagesse blottie au fond des corps

Et la respiration ne libère que du vide

En plein digestion tout redevient effort,

Le poids léger des os nous entraîne vers le vide.

Le poids léger des os finit par nous offrir

Comme une alternative au choc des parasites

Qui se nourrissent de peau, et pourquoi tant souffrir?

Un peu de vie résiste et s'éteint dans la bite.

LE VIEUX TARÉ

J'aurai quand même aimé, de temps en temps, ce monde,

L'imbécile clarté du soleil matinal

S'appliquant à tiédir mes chairs horizontales,

J'aurai parfois senti la douceur des secondes

La chaleur des étreintes et le plaisir connexe

De deux peaux qui s'effleurent; les doigts timides et blancs;

J'aurai senti le coeur qui fait battre le sang

Et le flot de bonheur qui envahit le sexe.

À l'abri d'un transat, sous le ciel bleu et sombre,

J'aurai surtout songé à la fusion des corps

À ces petits moments qui précèdent la mort,

Au désir qui s'éteint quand s'allongent les ombres.

Découvrant l'existence humaine…

Découvrant l'existence humaine

Comme on soulève un pansement

J'ai marché entre peur et haine

Journellement, journellement.

Les marronniers perdaient leurs feuilles,

Je perdais mes enchantements;

Fin de journée, état de deuil:

Seul dans la cour, je serre les dents.

J'ai dû m'acheter un couteau

Le lendemain de mes quinze ans;

J'aurais aimé être très beau:

Naturellement, naturellement.

Il y avait un mur et un train…

Il y avait un mur et un train,

Je pouvais te voir tous les jours

Je rêvais de faire l'amour:

Interrogations sans frein.

Présence de la voie ferroviaire

Qui rythmait mes déplacements,

Je marchais parfois à l'envers:

Cette impression d'avoir le temps,

À treize ans.

La première fois que j'ai fait l'amour…

La première fois que j'ai fait l'amour c'était sur une plage,

Quelque part en Grèce

La nuit était tombée

Cela paraît romantique

Un peu exagéré,

Mais cependant c'est vrai.

Et il y avait les vagues,

Toujours les vagues

Leur bruit était très doux,

Mon destin était flou.

La veille au matin j'avait nagé vers une île

Qui me parassait proche

Je n'ai pas atteint l'île

Il y avait un courant,

Quelque chose de ce genre

J'ai mis longtemps à revenir

Et j'ai bien cru mourir

Je me sentais très triste

À l'idée de me noyer,

La vie me semblait longue

Et très ensoleillée

Je n'avais que dix-sept ans,

Mourir sans faire l'amour

Me parassait bien triste.

Faut-il toucher la mort

Pour connaître la vie?

Nous avons tous des corps

Fragiles, inassouvis.

Fin de soirée, les vagues glissent…

Fin de soirée, les vagues glissent

Sur le métal du casino

Et le ciel vire à l'indigo,

Ta robe est très haut sur tes cuisses.

Camélia blanc dans une tresse

De cheveux lourds et torsadés,

Ton corps frémit sous les caresses

Et la lune est apprivoisée.

Cheveux dénoués…

Cheveux dénoués

Elle me regarde avec confiance,

Corsage échancré.

Le lit est défait,

Des oiseaux marchent entre les cèdres;

Nous sommes dimanche.

Visage dans la glace,

Il faut préparer le café

La poubelle est pleine.

Son regard durcit,

Sa main attrape la valise;

Tout est de ma faute.

Le mendiant vomit,

Quelques passagers s'écartent

Le métro arrive.

L'aurore est une alternative…

L'aurore est une alternative,

Se disait souvent Annabelle

La journée était une dérive,

La nuit était souvent cruelle.

Entre les sandales de plastique

Que son père appelait des méduses

Glissaient des ombres égocentriques;

Les organes fonctionnent, puis ils s'usent.

Chaque aurore était un adieu

Aux souvenirs de sa jeunesse,

Elle vivait sans avoir de lieu

Et l'errance était sa maîtresse.

Elle chantonnait dans la cuisine

En se préparant des salades.

Midi! Devant sa vie en ruine,

Elle caressait son corps malade.

Elle vivait dans une bonbonnière…

Elle vivait dans une bonbonnière

Avec du fil et des poupées,

Le soleil et la pluie passaient sans s'arrêter sur sa petite maison,

Il ne se passait rien que le bruit des pendules

Et les petits objets brodés

S'accumulaient pour ses neveux et ses nièces

Car elle avait trois soeurs

Qui avaient des enfants,

Depuis sa peine de coeur

Elle n'avait plus d'amant

Et dans sa bonbonnière

Elle cousait en rêvant.

Autour de sa maison il y avait des champs

Et de grands talus d'herbe,

Des coquelicots superbes,

Où elle aimait parfois à marcher très longtemps.

Le soleil tombe…

Le soleil tombe

Et je résiste

Au bord des tombes,

Bravo l'artiste!

La lune est morte,

Morte de froid

Mais que m'importe!

Je suis le roi.

Le jour se lève

Comme un ballon

Qui monte et crève

À l'horizon,

Qui dégouline

De vapeurs grises,

Dans la cuisine

Je m'amenuise.

Des vitres courbées sur la mer…

Des vitres courbées sur la mer,

Et l'immense océan des plaines

S'étendait, gelé par l'hiver;

En moi il n'y avait plus de haine.

Les branches courbées souplement

Sous la neige douce et mortelle

Tracent un nouvel encerclement;

Un souvenir me revient d'elle.

Souviens-toi mon petit le lac était si calme…

Souviens-toi mon petit le lac était si calme,

Chacun de tes sourires me remplissait le coeur

Tu m'as montré le cygne, un léger bruit de palmes

Et dans tes yeux levés je lisais le bonheur.

On se réveillait tôt, rapelle-toi ma douce…

On se réveillait tôt, rapelle-toi ma douce;

La mer était très haute et moussait sous la lune

On partait tous les deux, on s'échappait en douce

Pour voir le petit jour qui flottait sur les dunes.

Le matin se levait comme un arbre qui pousse,

Dans la ville endormie nous croisions des pêcheurs

Nous traversions des rues sereines de blancheur;

Bénédiction de l'aube, joie simple offerte à tous,

Nos membres engourdis frissonnaient de bonheur

Et je posais ma main à plat contre ton coeur.

Cérémonies, soleils couchants…

Cérémonies, soleils couchants,

Puis la constellation du Cygne

Et la sensation d'être indigne,

L'impossibilité du chant.

Tes yeux sont le miroir du monde

Marie, maîtresse des douleurs,

Marie qui fait battre le coeur;

À travers toi, la Terre est ronde.

Il n'y a pas de gouffre limite

Où hurlent les eaux de terreur,

Le temps se replie et habite

Dans l'espace de ta douceur,

Dans l'espace de ta splendeur,

Le temps se replie et habite

Une maison de pure douceur,

Le temps capturé par les rites

Nous enveloppe dans sa blancheur

Et sur nos lèvres unies palpite

Un chant muet, géométrique,

D'une déchirante douceur

Un accord pafrait, authentique,

Un accord au fond de nos coeurs.

Les pins, les nuages et le ciel…

Les pins, les nuages et le ciel

Se reflètent en foyers mobiles

Un bref croisement de pupilles,

Chacun repart vers l'essentiel.

La souple surface des prés

Imite la peau cervicale,

La journée s'agite et s'étale;

Retour au calme. Le jeu diapré

Des masses d'air en flaques huileuses

Qui circulent entre les collines

Capte nos intuitions, les ruine;

L'après-midi est amoureuse.

Les noyaux de conscience du monde

Circulent sur leurs pattes arrière

Entre l'espace et sa lisière;

Chacun sait que la Terre est ronde.

Chacun sait qu'il y a l'espace

Et que son ultime surface

Est dans nos yeux, et nous ressemble

(Ou qu'il ressemble à nos cerveaux,

Comme le modèle au tableau);

Quand nous tremblons, le monde tremble.

L'anneau de nos désirs…

L'anneau de nos désirs

Se formait en silence

Il y a eu un soupir,

L'écho d'une présence.

Quand nous traverserons la peur

Un autre monde apparaîtra

Il y aura de nouvelles couleurs

Et notre coeur se remplira

De souffles qui seront des senteurs.

Les semaines du calendrier, les murs…

Les semaines du calendrier, les murs

Les lundis broyés sans murmure

Les semaines et leur succession

Inévitable et sans passion

Les semaines,

Les heures,

Sans haine,

Meurent.

Soleil,

Soleil sur la mer

Plus rien n'est pareil;

Matinées bleues en solitaire,

Je m'émerveille entre les pins;

La journée a le goût d'une naissance sans fin;

Alcools inépuisables, purifiés, de la Terre.

Il y a un chemin, une possibilité de chemin…

Il y a un chemin, une possibilité de chemin

Et il y a également un signe

Qui est donné à certains,

Mais certains sont indignes.

Entre les fleurs du canapé

Mes yeux se frayaient un chemin

Je renonce à me disculper,

Il y a l'oeil et puis la main.

La possibilité de vivre

Commence dans le regard de l'autre

Tes yeux m'aspirent et je m'enivre,

Je me sens lavé de mes fautes.

La délivrance, je sens venir la délivrance

Et la vie libre, où se tient-elle?

Certaines minutes sont vraiment belles,

Je reconnais mon innocence.

17-23

Cette manière qu'avait Patrick Hallali de persuader les filles

De venir dans notre compartiment

On avait dix-sept dix-huit ans

Quand je repense à elles, je vois leurs yeux qui brillent.

Et maintenant pour adresser la parole à une autre

personne, à une autre personne humaine

C'est tout un travail, une gêne

(Au sens le plus fort de ces mots, au sens qu'ils ont dans les lettres anciennes).

Solitude de la lumière

Au creux de la montagne,

Alors que le froid gagne

Et ferme les paupières.

Jusqu'au jour de notre mort,

En sera-t-il ainsi?

Le corps vieilli n'en désire pas moins fort

Au milieu de la nuit

Corps tout seul dans la nuit,

Affamé de tendresse,

Le corps presque écrasé sent que renaît en lui une déchirante jeunesse.

Malgré les fatigues physiques,

Malgré la marche d'hier

Malgré le repas "gastronomique",

Malgré les litres de bière

Le corps tendu, affamé de caresses et de sourires,

Continue à vibrer dans la lumière du matin

Dans l'éternelle, la miraculeuse lumière du matin

Sur les montagnes.

L'air un peu vif, l'odeur du thym:

Ces montagnes invitent au bonheur

Le regard se pose, va plus loin:

Je m'efforce de chasser la peur.

Je sais que tout mal vient de moi,

Mais le moi vient de l'intérieur

Sous l'air limpide, il y a la joie

Mais sous la peau, il y a la peur.

Au milieu de ce paysage

De montagnes moyennes-élevées

Je reprends peu à peu courage,

J'accède à l'ouverture du coeur

Mes mains ne sont plus entravées,

Je me sens prêt pour le bonheur.

Doucement, le ciel bleu clair…

Doucement, le ciel bleu clair

Vire au bleu sombre

Et tes yeux sont toujours verts,

Tes yeux sont le miroir du monde.

Je le répète, il y a des moments parfaits. Ce n'est pas simplement la disparition de la vulgarité du monde; pas simplement l'entente silencieuse dans les gestes si simples de l'amour, du ménage et du bain de l'enfant. C'est l'idée que cette entente pourrait être durable; que rien, raisonnablement, ne s'oppose à ce qu'elle soit durable. C'est l'idée qu'un nouvel organisme est né, aux gestes harmonieux et limités; un nouvel organisme dans lequel nous pouvons, dès maintenant, vivre.

La nuit revient, fin de soleil

Sur la pinède inévitable

Et tes yeux sont toujours pareils,

La journée est complète et stable.

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