Les habitants du Soleil jettent sur nous un regard impassible:
Nous appartenons définitivement à la Terre
Et nous y pourrirons, mon amour impossible,
Jamais nos corps meurtris ne deviendront lumière.
Il n'y a pas de responsable
Au malheur de l'humanité,
Il y a un plan délimité
Qui unit les premières années, les promenades sous les marronniers, les cartables.
En moi quelque chose s'est brisé
Hier au petit déjeuner,
Deux êtres humains de cent kilos
Parlaient estomac et radios.
Il lui disait: "Tu es méchante…
J'ai plus longtemps à vivre, alors fais-moi plaisir".
Mais son vieux corps usé ne connaissait plus le plaisir,
Il ne connaissait que la honte,
La honte et la difficulté à se mouvoir,
Et l'étouffement dans la chaleur du soir.
Ainsi ces deux qui avaient vécu,
Qui avaient peut-être donné la vie,
Terminaient leur vie dans la honte.
Je ne savais que penser. Peut-être il ne faudrait pas vivre,
La recherche du plaisir est décrite dans les livres,
Elle conduit au malheur
De toute éternité.
Mais, cependant, ils étaient là, ce vieux couple.
"Il faut parfois se faire plaisir", disait-il
Et quand on voyait les replis de la chair de son épouse
On accordait la prostitution et le massage
À son vieux sexe usé.
"Il n'en avait plus, de toute façon, que pour quelques années."
Entre ces deux êtres il n'y avait aucun espace de rêve,
Aucune manière de supporter la décrépitude
De faire de l'usure des corps une douce habitude
Ils existaient,
Ils demandaient la trêve,
Un espace de trêve
Pour leurs vieux corps usés,
La trêve toutes les nuits leur était refusée.
Un vieillard s'entraînait seul sur le mini-golf
Et des oiseaux chantaient sans aucune raison;
Était-ce le bonheur d'être au camping du Golfe?
Était-ce la chaleur? Était-ce la saison?
Le soleil projetait ma silhouette noire
Sur une terre grise, remuée récemment;
Il faut interpréter les signes de l'histoire
Et le dessin des fleurs, si semblable au serpent.
Un deuxième vieillard près de son congénère
Observait sans un mot les vagues à l'horizon
Comme un arbre abattu observe sans colère
Le mouvement musclé des bras du bûcheron.
Vers mon ombre avançaient de vives fourmis rousses,
Elles entraient dans la peau sans causer de souffrance;
J'eus soudain le désir d'une vie calme et douce
Où l'on traverserait mon intacte présence.
Quand j'erre sans notion au milieu des immeubles
Je vois se profiler de futurs sacrifices
J'aimerais adhérer à quelques artifices,
Retrouver l'espérance en achetant des meubles
Ou bien croire à l'islam, sentir un Dieu très doux
Qui guiderait mes pas, m'emmènerait en vacances
Je ne peux oublier cette odeur de partance
Entre nos mots tranchés, nos vies qui se dénouent.
Le processus du soir articule les heures;
Il n'y a plus personne pour recueillir nos plaintes;
Entre les cigarettes successivement éteintes,
Le processus d'oubli délimite le bonheur.
Quelqu'un a dessiné le tissu des rideaux
Et quelqu'un a pensé la couverture grise
Dans les plis de laquelle mon corps s'immobilise;
Je ne connaîtrai pas la douceur du tombeau.
Quand la vie a cessé d'offrir de nouveaux mondes
Au regard étonné, quand la vie ne sait plus
Que ressasser des phrases étroites et peu fécondes
Quand les journées se meurent, quand s'arrêtent les flux
Au milieu des objets secs et définitifs
Un sac de perception se déplie et s'oriente,
Se gonfle et se dégonfle au rythme primitif
Des poumons fatigués par la journée violente.
Il n'y a pas de sagesse blottie au fond des corps
Et la respiration ne libère que du vide
En plein digestion tout redevient effort,
Le poids léger des os nous entraîne vers le vide.
Le poids léger des os finit par nous offrir
Comme une alternative au choc des parasites
Qui se nourrissent de peau, et pourquoi tant souffrir?
Un peu de vie résiste et s'éteint dans la bite.
J'aurai quand même aimé, de temps en temps, ce monde,
L'imbécile clarté du soleil matinal
S'appliquant à tiédir mes chairs horizontales,
J'aurai parfois senti la douceur des secondes
La chaleur des étreintes et le plaisir connexe
De deux peaux qui s'effleurent; les doigts timides et blancs;
J'aurai senti le coeur qui fait battre le sang
Et le flot de bonheur qui envahit le sexe.
À l'abri d'un transat, sous le ciel bleu et sombre,
J'aurai surtout songé à la fusion des corps
À ces petits moments qui précèdent la mort,
Au désir qui s'éteint quand s'allongent les ombres.
Découvrant l'existence humaine
Comme on soulève un pansement
J'ai marché entre peur et haine
Journellement, journellement.
Les marronniers perdaient leurs feuilles,
Je perdais mes enchantements;
Fin de journée, état de deuil:
Seul dans la cour, je serre les dents.
J'ai dû m'acheter un couteau
Le lendemain de mes quinze ans;
J'aurais aimé être très beau:
Naturellement, naturellement.
Il y avait un mur et un train,
Je pouvais te voir tous les jours
Je rêvais de faire l'amour:
Interrogations sans frein.
Présence de la voie ferroviaire
Qui rythmait mes déplacements,
Je marchais parfois à l'envers:
Cette impression d'avoir le temps,
À treize ans.
La première fois que j'ai fait l'amour c'était sur une plage,
Quelque part en Grèce
La nuit était tombée
Cela paraît romantique
Un peu exagéré,
Mais cependant c'est vrai.
Et il y avait les vagues,
Toujours les vagues
Leur bruit était très doux,
Mon destin était flou.
La veille au matin j'avait nagé vers une île
Qui me parassait proche
Je n'ai pas atteint l'île
Il y avait un courant,
Quelque chose de ce genre
J'ai mis longtemps à revenir
Et j'ai bien cru mourir
Je me sentais très triste
À l'idée de me noyer,
La vie me semblait longue
Et très ensoleillée
Je n'avais que dix-sept ans,
Mourir sans faire l'amour
Me parassait bien triste.
Faut-il toucher la mort
Pour connaître la vie?
Nous avons tous des corps
Fragiles, inassouvis.
Fin de soirée, les vagues glissent
Sur le métal du casino
Et le ciel vire à l'indigo,
Ta robe est très haut sur tes cuisses.
Camélia blanc dans une tresse
De cheveux lourds et torsadés,
Ton corps frémit sous les caresses
Et la lune est apprivoisée.
Cheveux dénoués
Elle me regarde avec confiance,
Corsage échancré.
Le lit est défait,
Des oiseaux marchent entre les cèdres;
Nous sommes dimanche.
Visage dans la glace,
Il faut préparer le café
La poubelle est pleine.
Son regard durcit,
Sa main attrape la valise;
Tout est de ma faute.
Le mendiant vomit,
Quelques passagers s'écartent
Le métro arrive.
L'aurore est une alternative,
Se disait souvent Annabelle
La journée était une dérive,
La nuit était souvent cruelle.
Entre les sandales de plastique
Que son père appelait des méduses
Glissaient des ombres égocentriques;
Les organes fonctionnent, puis ils s'usent.
Chaque aurore était un adieu
Aux souvenirs de sa jeunesse,
Elle vivait sans avoir de lieu
Et l'errance était sa maîtresse.
Elle chantonnait dans la cuisine
En se préparant des salades.
Midi! Devant sa vie en ruine,
Elle caressait son corps malade.
Elle vivait dans une bonbonnière
Avec du fil et des poupées,
Le soleil et la pluie passaient sans s'arrêter sur sa petite maison,
Il ne se passait rien que le bruit des pendules
Et les petits objets brodés
S'accumulaient pour ses neveux et ses nièces
Car elle avait trois soeurs
Qui avaient des enfants,
Depuis sa peine de coeur
Elle n'avait plus d'amant
Et dans sa bonbonnière
Elle cousait en rêvant.
Autour de sa maison il y avait des champs
Et de grands talus d'herbe,
Des coquelicots superbes,
Où elle aimait parfois à marcher très longtemps.
Le soleil tombe
Et je résiste
Au bord des tombes,
Bravo l'artiste!
La lune est morte,
Morte de froid
Mais que m'importe!
Je suis le roi.
Le jour se lève
Comme un ballon
Qui monte et crève
À l'horizon,
Qui dégouline
De vapeurs grises,
Dans la cuisine
Je m'amenuise.
Des vitres courbées sur la mer,
Et l'immense océan des plaines
S'étendait, gelé par l'hiver;
En moi il n'y avait plus de haine.
Les branches courbées souplement
Sous la neige douce et mortelle
Tracent un nouvel encerclement;
Un souvenir me revient d'elle.
Souviens-toi mon petit le lac était si calme,
Chacun de tes sourires me remplissait le coeur
Tu m'as montré le cygne, un léger bruit de palmes
Et dans tes yeux levés je lisais le bonheur.
On se réveillait tôt, rapelle-toi ma douce;
La mer était très haute et moussait sous la lune
On partait tous les deux, on s'échappait en douce
Pour voir le petit jour qui flottait sur les dunes.
Le matin se levait comme un arbre qui pousse,
Dans la ville endormie nous croisions des pêcheurs
Nous traversions des rues sereines de blancheur;
Bénédiction de l'aube, joie simple offerte à tous,
Nos membres engourdis frissonnaient de bonheur
Et je posais ma main à plat contre ton coeur.
Cérémonies, soleils couchants,
Puis la constellation du Cygne
Et la sensation d'être indigne,
L'impossibilité du chant.
Tes yeux sont le miroir du monde
Marie, maîtresse des douleurs,
Marie qui fait battre le coeur;
À travers toi, la Terre est ronde.
Il n'y a pas de gouffre limite
Où hurlent les eaux de terreur,
Le temps se replie et habite
Dans l'espace de ta douceur,
Dans l'espace de ta splendeur,
Le temps se replie et habite
Une maison de pure douceur,
Le temps capturé par les rites
Nous enveloppe dans sa blancheur
Et sur nos lèvres unies palpite
Un chant muet, géométrique,
D'une déchirante douceur
Un accord pafrait, authentique,
Un accord au fond de nos coeurs.
Les pins, les nuages et le ciel
Se reflètent en foyers mobiles
Un bref croisement de pupilles,
Chacun repart vers l'essentiel.
La souple surface des prés
Imite la peau cervicale,
La journée s'agite et s'étale;
Retour au calme. Le jeu diapré
Des masses d'air en flaques huileuses
Qui circulent entre les collines
Capte nos intuitions, les ruine;
L'après-midi est amoureuse.
Les noyaux de conscience du monde
Circulent sur leurs pattes arrière
Entre l'espace et sa lisière;
Chacun sait que la Terre est ronde.
Chacun sait qu'il y a l'espace
Et que son ultime surface
Est dans nos yeux, et nous ressemble
(Ou qu'il ressemble à nos cerveaux,
Comme le modèle au tableau);
Quand nous tremblons, le monde tremble.
L'anneau de nos désirs
Se formait en silence
Il y a eu un soupir,
L'écho d'une présence.
Quand nous traverserons la peur
Un autre monde apparaîtra
Il y aura de nouvelles couleurs
Et notre coeur se remplira
De souffles qui seront des senteurs.
Les semaines du calendrier, les murs
Les lundis broyés sans murmure
Les semaines et leur succession
Inévitable et sans passion
Les semaines,
Les heures,
Sans haine,
Meurent.
Soleil,
Soleil sur la mer
Plus rien n'est pareil;
Matinées bleues en solitaire,
Je m'émerveille entre les pins;
La journée a le goût d'une naissance sans fin;
Alcools inépuisables, purifiés, de la Terre.
Il y a un chemin, une possibilité de chemin
Et il y a également un signe
Qui est donné à certains,
Mais certains sont indignes.
Entre les fleurs du canapé
Mes yeux se frayaient un chemin
Je renonce à me disculper,
Il y a l'oeil et puis la main.
La possibilité de vivre
Commence dans le regard de l'autre
Tes yeux m'aspirent et je m'enivre,
Je me sens lavé de mes fautes.
La délivrance, je sens venir la délivrance
Et la vie libre, où se tient-elle?
Certaines minutes sont vraiment belles,
Je reconnais mon innocence.
Cette manière qu'avait Patrick Hallali de persuader les filles
De venir dans notre compartiment
On avait dix-sept dix-huit ans
Quand je repense à elles, je vois leurs yeux qui brillent.
Et maintenant pour adresser la parole à une autre
personne, à une autre personne humaine
C'est tout un travail, une gêne
(Au sens le plus fort de ces mots, au sens qu'ils ont dans les lettres anciennes).
Solitude de la lumière
Au creux de la montagne,
Alors que le froid gagne
Et ferme les paupières.
Jusqu'au jour de notre mort,
En sera-t-il ainsi?
Le corps vieilli n'en désire pas moins fort
Au milieu de la nuit
Corps tout seul dans la nuit,
Affamé de tendresse,
Le corps presque écrasé sent que renaît en lui une déchirante jeunesse.
Malgré les fatigues physiques,
Malgré la marche d'hier
Malgré le repas "gastronomique",
Malgré les litres de bière
Le corps tendu, affamé de caresses et de sourires,
Continue à vibrer dans la lumière du matin
Dans l'éternelle, la miraculeuse lumière du matin
Sur les montagnes.
L'air un peu vif, l'odeur du thym:
Ces montagnes invitent au bonheur
Le regard se pose, va plus loin:
Je m'efforce de chasser la peur.
Je sais que tout mal vient de moi,
Mais le moi vient de l'intérieur
Sous l'air limpide, il y a la joie
Mais sous la peau, il y a la peur.
Au milieu de ce paysage
De montagnes moyennes-élevées
Je reprends peu à peu courage,
J'accède à l'ouverture du coeur
Mes mains ne sont plus entravées,
Je me sens prêt pour le bonheur.
Doucement, le ciel bleu clair
Vire au bleu sombre
Et tes yeux sont toujours verts,
Tes yeux sont le miroir du monde.
Je le répète, il y a des moments parfaits. Ce n'est pas simplement la disparition de la vulgarité du monde; pas simplement l'entente silencieuse dans les gestes si simples de l'amour, du ménage et du bain de l'enfant. C'est l'idée que cette entente pourrait être durable; que rien, raisonnablement, ne s'oppose à ce qu'elle soit durable. C'est l'idée qu'un nouvel organisme est né, aux gestes harmonieux et limités; un nouvel organisme dans lequel nous pouvons, dès maintenant, vivre.
La nuit revient, fin de soleil
Sur la pinède inévitable
Et tes yeux sont toujours pareils,
La journée est complète et stable.