PIERRE LEMAITRE Rosy & John

À Pascaline


À Dominique et Jean-Paul Vormus

avec mon amitié


Il y a des cas (assez rares, il est vrai)

où le meilleur moyen de gagner du temps,

c’est de changer de place.

Marcel Proust.

À l’ombre des jeunes filles en fleurs

Préface

J’ai toujours considéré ce court roman comme un cadeau.

D’abord parce qu’il me fut commandé : se voir solliciter un texte par un éditeur est toujours flatteur (comme le dit Vallès, on ne devient pas romancier par modestie).

Ensuite parce qu’il fut offert en cadeau aux lecteurs du Livre de Poche à l’occasion de son soixantième anniversaire.

Enfin parce qu’il me permettait de retrouver Camille Verhœven, un personnage pour lequel j’avais de l’attachement et que je croyais disparu.


L’idée du roman m’est venue, une nuit, en voyant la chaussée d’un trottoir éventrée. Un périmètre de sécurité était matérialisé par quatre petites barrières rouge et blanc destinées à empêcher un passant distrait de tomber dans la tranchée, assez profonde, où, dans la journée, des ouvriers devaient procéder à la réfection de canalisations de gaz. Les auteurs de romans policiers ont en permanence l’esprit tourné vers le crime qui est leur gagne-pain, la vision de cette fosse m’a aussitôt donné le cadre de l’histoire. Il ne me manquait plus que la « bonne idée », inattendue, prometteuse, l’idée qui fait tenir le roman.

Je travaillais à l’époque à un livre très différent qui deviendrait Au revoir là-haut, j’étais dans la guerre de 14–18 jusqu’au cou. J’avais, pour l’occasion, abandonné le roman policier mais, passant de crimes jusqu’ici assez intimes à une guerre mondiale, je passais d’un crime à un autre, je ne faisais jamais que changer d’échelle : plus encore qu’auparavant mon quotidien était rempli de morts, de blessés. Dès le premier chapitre, mon personnage principal tombait dans un trou, cela me ramenait à cette tranchée dans la chaussée. Les deux romans entraient en résonance. Et c’est soudain, en me documentant sur ce qui s’est passé il y a un siècle, que l’idée qui me manquait pour ce polar d’aujourd’hui m’a été offerte : les champs agricoles sur lesquels, pendant cinquante mois, plurent des milliers, des centaines de milliers d’obus.


Disposant d’un cadre (cette tranchée ouverte dans le trottoir) et d’une idée (les terrains agricoles de l’est de la France), il ne me manquait qu’un personnage. Camille Verhœven a alors refait surface. Et comme tous les bons personnages, il a commencé par me poser une question embarrassante : quelle place cette nouvelle aventure pouvait-elle tenir dans une trilogie déjà achevée ?

On connaît ma passion pour Dumas. Cet homme qui avait tous les culots m’a soufflé une idée qui, à défaut d’être tout à fait convaincante, m’offrait l’occasion d’un nouveau clin d’œil à mes lecteurs : ma trilogie comporterait quatre volumes, comme Les Trois Mousquetaires qui étaient quatre. N’ayant jamais voulu me mesurer à Dumas (le combat ne serait pas égal), Rosy & John est un très court roman, un demi-volume. Ainsi, ma trilogie ne comprend-elle pas quatre tomes mais trois et demi.

On trouve toujours un arrangement avec la réalité, c’est le grand avantage des romanciers.

Pierre Lemaitre

Загрузка...