XXVII

Mon cher Guy, je vous remercie de votre lettre. Je suis très heureux, à Nice. J’ai retrouvé la vieille église russe de la rue Longchamp où ma grand-mère m’emmenait souvent. C’était l’époque, aussi, de la naissance de ma vocation pour le tennis, en voyant jouer le roi Gustave de Suède… À Nice, chaque coin de rue me rappelle mon enfance.

Dans l’église russe dont je vous parle, il y a une pièce entourée de bibliothèques vitrées. Au milieu de la pièce, une grande table qui ressemble à une table de billard, et de vieux fauteuils. C’est là que ma grand-mère venait prendre chaque mercredi quelques ouvrages, et je l’accompagnais toujours.

Les livres datent de la fin du XIXe siècle. D’ailleurs l’endroit a gardé le charme des cabinets de lecture de cette époque. J’y passe de longues heures à lire le russe que j’avais un peu oublié.

Le long de l’église, s’étend un jardin plein d’ombre, avec de grands palmiers et des eucalyptus. Parmi cette végétation tropicale, se dresse un bouleau au tronc argenté. On l’a planté là, je suppose, pour nous rappeler notre lointaine Russie.

Vous avouerais-je, mon cher Guy, que j’ai postulé la place de bibliothécaire ? Si cela marche, comme je l’espère, je serai ravi de vous accueillir dans l’un des lieux de mon enfance.

Après bien des vicissitudes (je n’ai pas osé dire au prêtre que j’ai exercé le métier de détective privé) je retourne aux sources.

Vous aviez raison de me dire que dans la vie, ce n’est pas l’avenir qui compte, c’est le passé.

Pour ce que vous me demandez, je pense que le meilleur moyen c’est de s’adresser au service : « Dans l’intérêt des familles ». Je viens donc d’écrire à De Swert qui me paraît bien placé pour répondre à vos questions. Il vous enverra les renseignements très vite.

Votre

Hutte.

P.-S. Au sujet du dénommé « Oleg de Wrédé » que jusque-là nous ne pouvions identifier, je vous annonce une bonne nouvelle : vous recevrez une lettre, par le prochain courrier, qui vous donnera des renseignements. En effet, j’ai questionné à tout hasard quelques vieux membres de la colonie russe de Nice, pensant que « Wrédé » avait une consonance russe – ou balte –, et par chance, je suis tombé sur une Mme Kahan, chez qui ce nom a réveillé des souvenirs. De mauvais souvenirs, d’ailleurs, qu’elle préférerait rayer de sa mémoire, mais elle m’a promis de vous écrire pour vous dire tout ce qu’elle savait.

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