Chapitre onze
À présent, il me fallait des réponses. Et vite. Au 36, je fonçai dans le bureau de Delhaie, l’inspecteur à qui j’avais demandé de disséquer le listing des étudiants de l’enseignante agressée. De toute évidence, il n’avait, lui non plus, pas fermé l’œil de la nuit. Suite à ma requête, Rémi Foulon, le patron de l’OCDIP, lui avait laissé libre accès au fichier des abonnés téléphoniques. « Commissaire, j’ai fini il y a à peine une demi-heure. Quatre cent soixante-dix élèves, quatre cent soixante-dix recherches dans le fichier…
— Et alors, qu’est-ce que ça a donné ?
— Sur les quatre cent soixante-dix élèves, deux cent soixante-douze possèdent une ligne Internet classique ; cent cinq, une ligne haut débit. On aurait dû s’en douter, puisque l’école dispense les nouvelles technologies.
— Bon sang ! Si l’on ne compte que les garçons, ça nous ramène à combien ?
— Il n’y a que cinquante-quatre filles en tout et pour tout, à l’ESMP. Je n’ai pas fait la distinction, mais ça ne doit pas enlever grand-chose… Nous ne sommes pas très avancés, n’est-ce pas ?
— Tu as regardé aussi par rapport à la localisation géographique ? Quels sont ceux qui habitent dans le coin de Violaine ?
— Je n’ai pas eu le temps…
— Continue, alors ! Il faut en éliminer le plus possible, ou on ne s’en sortira pas… Après, tu passeras à la piscine de Villeneuve-Saint-Georges. Interroge le personnel, vois s’ils ont la liste de leurs abonnés stockée informatiquement quelque part. Et recoupe les informations. L’agresseur fait forcément partie de l’environnement quotidien de Violaine… Ah ! Autre chose… Tu photocopies le listing des étudiants et tu le distribues à Jumont, Picard et Flament. Tu me sors la liste des bibliothèques situées dans le quartier de l’école d’électronique et tu y envoies les inspecteurs. Qu’ils vérifient si ces étudiants n’y disposent pas de carte d’abonnement et, au cas où, qu’ils épluchent leurs lectures… Comme dit Williams, l’agresseur a forcément puisé son inspiration quelque part… Bien compris ?
— OK, commissaire… Mais pour ce genre de boulot, mieux vaudrait le listing informatique plutôt que le listing papier. J’ai un logiciel de comparaison de fichiers ; comme les bibliothèques sont équipées informatiquement, ce serait quasiment instantané pour la comparaison et pour savoir qui emprunte quoi…
— Très bien, je vais donner un coup de fil à l’école pour qu’ils t’envoient le fichier par mail…
— Dites, je peux quand même rentrer chez moi me changer ? Je sens le merlan pas frais.
— Fais d’abord ce que je te dis et après, tu auras tout le loisir de rentrer chez toi… »
* *
*
Le gérant de l’agence de location s’emplissait la panse de chips au moment où j’arrivai. Il dissimula maladroitement le paquet sous son bureau, comme un gosse. Je posai ma carte devant moi, entre ses mains grasses.
« J’ai de petites questions à vous poser. Quelqu’un a loué chez vous une voiture immatriculée 2186 AYG 92. J’aimerais que vous me disiez de qui il s’agit.
— Une minute… » Clic de souris, battement du disque dur, résultat. « Un certain Jean Moulin.
— Ben voyons… Vous demandez une pièce d’identité lorsque vous louez une voiture ?
— Bien entendu ! Le permis de conduire ! C’est la moindre des choses pour conduire une voiture, non ? Je fais toujours une photocopie…
— Montrez-la-moi. »
Il fouilla dans une bannette. « Le client a souhaité reprendre sa photocopie une fois qu’il m’a restitué le véhicule. J’ai l’habitude de ce genre de demande, alors, par prudence, je fais toujours deux photocopies. J’aime garder une trace de mes clients. Ça trouve toujours son utilité… »
Il me tendit la photocopie couleur, puis picora du bout des doigts les miettes de chips semées sur son pull.
« Quand vous a-t-il rapporté la voiture ?
— Ce matin…
— Attendez… Je passe un coup de fil… »
Après avoir raccroché, je balançai la photocopie sur la table. « Il vous a montré un faux permis de conduire !
— Comment ça ?
— Le numéro sur douze chiffres, indiqué au bas du permis, n’existe pas dans le fichier.
— Merde !
— Comme vous dites…
— Le permis est peut-être faux, mais la photo, c’est bien la sienne, et récente en plus. C’est la seule chose que je regarde quand on me présente un permis et j’ai l’œil.
— Oui. Vous avez un sacré œil… Il vous a réglé de quelle façon ?
— En liquide.
— Évidemment… Je peux voir la voiture ?
— Ça va être difficile, un client vient de la louer il y a tout juste une heure… Retour du véhicule à la fin de la semaine. »
Les forces de la malchance s’étaient liguées contre moi. Un jour sans, comme on dit… Pas tout à fait… Je possédais la photo, mon arme dans son holster et je savais à qui aller rendre une petite visite…
Des élans rageurs me faisaient avancer à l’intuition, reléguant la réflexion au second plan. Si Suzanne s’accrochait encore à la vie, son temps était compté et je devais donc agir vite, même au prix du sang.
Lorsque la trappe du Pleasure & Pain grinça, je fourrai le bras dans l’encadrement, attrapai la nuque de Face-de-Cuir d’une main, lui collant, de l’autre, le canon de mon Glock dans la narine droite. Sans son masque, j’avais, devant moi, le regard chargé de surprise d’un monsieur Tout-le-Monde.
« Fais le malin, face de pet, et je t’explose la cervelle ! Tu ouvres maintenant et ne bouge pas la tête ! »
Il s’exécuta et, dès que le verrou fut ôté, j’envoyai un coup de pied monumental dans la porte, dont le battant lui percuta d’abord le nez, puis le front.
La Chatte, qui rangeait des bouteilles derrière son bar, leva les mains. Elle miaula : « Qu’est-ce que tu nous veux, coco ? On n’est pas ouvert, tu sais ?
— Tu fermes ta gueule ! »
J’attrapai Face-de-Cuir par l’encolure de son pull-over et lui plaquai la joue contre le bar. « Qui a envoyé ces types ?
— Va te faire foutre ! »
Je lui levai la tête par les cheveux et la fracassai contre le zinc deux fois de suite. L’arcade sourcilière s’ouvrit comme un fruit trop mûr. « Je dois répéter ? » La Chatte tenta de me casser une bouteille sur le crâne, mais avant qu’elle n’abattît son bras, j’explosai le litre de gin d’une balle. Elle tressaillit lorsque je pointai le canon contre son front. Je jetai la photocopie du permis de conduire sur le comptoir devant les yeux hagards et désormais franchement moins malins de Face-de-Cuir. « J’te laisse dix secondes pour me dire de qui il s’agit. Après, j’flingue la pute !
— Tu le f’ras pas ! Tu le f’ras pas ! »
Mon coup de crosse lui cassa deux dents. « Putain, t’es un taré ! » hurla la fille.
« Cinq secondes !
— Fous-lui la paix ! Laisse mon mec, enculé !
— Trois secondes…
— C’est bon ! » céda-t-elle d’une voix sertie de colère.
« Ferme ta gueule ! Il le f’ra pas, j’te dis ! » beugla le gros tas en postillonnant des gouttes de sang. Elle gloussa : « Je ne connais pas le nom de ce type, mais je sais qu’il vient ici presque tous les soirs. Alors maintenant, tu te casses, OK ?
— À quelle heure ?
— J’sais pas moi, bordel ! Il se pointe vers 23 h 00 ! »
Je renforçai mon étreinte sur le cou de Face-de-Cuir. Il respirait comme un taureau. Tout en maintenant ma clé d’immobilisation, je dis : « Parle-moi de BDSM4Y… »
Son teint de lait caillé devint blanc-cadavre. Je lui passai les menottes et flanquai sa charpente graisseuse dans un coin. Dans son mouvement de chute, il se cogna la tête contre un mur. « Fils de pute ! » cracha-t-il.
« Parle ! » lançai-je à Miss Latex.
« Connais pas… »
Je me dirigeai vers Face-de-Cuir.
« On recommence le jeu ?
— C’est la vérité ! Personne ne les connaît ! Ils n’existent pas !
— Les types qui ont agressé mon collègue étaient pourtant bien réels !
— On n’est pas mêlés à ça ! » bava-t-il. « On veut pas d’emmerdes. Ces tarés-là, moins on en parle, mieux on se porte…
— Il ne te ment pas », ajouta la Chatte. « Il ne faut pas jouer avec eux. Ils sont puissants, nulle part et partout à la fois… On ne sait absolument rien… On a un commerce nous, ici. Alors, nous fous pas dans la merde !
— Mets-toi à poil et toi aussi ! » ordonnai-je en assistant mes propos de rapides mouvements de Glock.
« Je fais comment avec les menottes, tête de nœud ? »
Je lui ôtai ses entraves. Ils obtempérèrent, trouvant encore le moyen de prendre du plaisir dans l’acte. La Chatte éprouva toutes les difficultés pour se débarrasser de sa seconde peau. Pire qu’un serpent qui mue. Les deux corps dénudés présentaient des tatouages sur le corps, mais pas de traces de BDSM4Y.
« C’est bon, rhabillez-vous ! »
Je m’adressai à Face-de-Cuir. « Dis-moi, c’est bien toi qui nous as poursuivis Fripette et moi, l’autre nuit ?
— Exact. Mais il fallait pas paniquer comme ça ! C’était juste pour te faire peur. On n’aime pas les intrus ici, encore moins ceux qui fouinent.
— Rends-moi mes papiers.
— Quels papiers ? »
Je brandis ma crosse. Il hurla, les deux mains devant le visage : « J’te promets ! J’ai pas tes papiers ! »
Il se replia en boule sur le sol. « J’les ai pas tes papiers, bordel !
— Lève-toi… C’est bon… »
Il me parut sincère. Après tout, ces deux-là n’étaient que des commerçants du sexe. Par pure curiosité, je leur posai la question : « Pourquoi vous faites ça ? Ce bar ? Ces backrooms sordides ? »
La fille vint poser une serviette humide sur l’arcade de celui qui semblait être son compagnon. « Mais pour le fric, mon gars ! Tu peux pas imaginer le blé qu’on se fait avec tous ces tarés ! Nous, on joue le jeu, c’est tout, mais ça reste uniquement une question de blé. Eux, ils prennent un pied fou quand ils viennent ici, tous autant qu’ils sont, maîtres et esclaves. Où est le problème ?
— Je risque de venir faire un petit tour cette nuit. Pas d’embrouilles, surtout. J’espère que notre ami commun sera là, parce que, dans le cas contraire, je crois que je vais vraiment m’énerver !
— Faudra que tu règles tes affaires dehors », répliqua la femme. « T’entres pas ici, on ne veut pas d’emmerdes. Alors planque-toi dans la rue, fais ce que tu veux, mais t’entres plus ici. OK, on ferme notre gueule. Le type viendra ce soir. T’as la photo, tu lui tombes dessus avant qu’il n’entre, mais tu nous mets pas le boxon ? Ça te va comme deal ?
— Ça me paraît honnête… Ne me mettez pas de bâtons dans les roues… Ou alors je reviendrai et ça pourrait faire très mal… » Je disparus en claquant la porte derrière moi.
* *
*
Je profitai de l’heure de midi pour avaler rapidement un club-sandwich, installé dans le vieux fauteuil de cuir qui traînait dans un coin de mon bureau. Je l’avais acheté à une brocante et son état de vétusté avait provoqué les foudres de Suzanne, qui avait refusé que j’installe un laboure-fesses dans le salon. Du coup, il avait fini ici, à mes côtés, dans ce bâtiment aussi vieux que le siècle passé. Mon esprit s’apprêtait à voguer sur les flots bleus du sommeil, quand Crombez entra, les coudes calés dans des béquilles.
« Alors, tu t’habitues ? » lui demandai-je en désignant les béquilles d’un coup de tête.
« Il faut bien. Chaque fois que je me déplace, j’ai l’air d’un type qui a envie de pisser à mort mais qui ne peut pas ! » Il tendit un sourire qui s’estompa aussitôt. « Je viens au rapport…
— Tiens, prends ma place.
— Si je m’assieds là-dedans, je ne pourrai jamais me relever », constata-t-il avec justesse. « On dirait une trappe à souris en cuir. Ça va aller, je reste debout. Vous avez l’air dans un état pire que le mien. Les poches sous vos yeux ressemblent aux sacoches du vélo de ma mère… »
Il posa son fessier sur mon bureau. « Concernant Compiègne, tout a cramé, il ne reste qu’un tas de cendres. On n’a retrouvé que les os carbonisés de votre voisine… Rien n’est exploitable. Seule la cave a été épargnée, avec toutes ces bêtes empaillées… Par contre, le SEFTI est enfin sur une piste !
— Raconte !
— Les webcams étaient reliées à une ligne téléphonique. À partir de là, ils ont remonté jusqu’au fournisseur d’accès de Marival. Elle y hébergeait son site. Via la ligne téléphonique, les images des webcams étaient déposées sur Internet.
— Tu as pu aller sur le site ?
— Vous vous doutez bien ! C’est une page personnelle comp… »
Je l’interrompis et me dirigeai vers mon ordinateur portable. « Montre-moi ! »
Il tapa http ://10.56.52.14/private.
Une page se dessina à l’écran, avec des liens, des encarts de texte, de petites animations.
Crombez reprit : « Chaque lien représente l’une des pièces de sa maison. Bien entendu, cela ne fonctionne plus, puisque le courant a été coupé ; par conséquent, le flux d’images, de son domicile vers le fournisseur d’accès, a été interrompu. Le site dispose aussi d’un forum, d’un chat où les internautes peuvent dialoguer en direct et de diverses pages personnelles où Marival exposait ses idées et postait des messages. »
Je cliquai aux endroits qu’il m’indiquait.
Il poursuivit. « Marival n’était pas boulimique, comme l’avait annoncé Dead Alive, mais elle se nourrissait extrêmement mal. Que des trucs gras ou sucrés, qui font qu’elle grossissait régulièrement. Voici une photo d’elle, il y a moins d’un an… » Il me prit la souris des mains et cliqua sur une icône. Une autre fenêtre s’ouvrit. Mes yeux s’écarquillèrent. « Sainte Marie ! Mais elle devait bien peser…
— Quatre-vingt-treize kilos exactement. Elle l’a indiqué dans le texte sous la photo… Difficile à comparer avec le squelette retrouvé dans l’abattoir, à peine plus lourd qu’un sac de pommes de terre… Vous imaginez l’énergie déployée par le tueur pour la maintenir en vie plus de cinquante jours ? Pour l’amaigrir à ce point, en la nettoyant régulièrement, l’hydratant au strict minimum ?
— Sans oublier que ça ne l’a pas empêché de s’occuper de Prieur…
— Le dernier fichier transmis sur le serveur Web date exactement de cinquante-quatre jours, date probable de l’enlèvement. » Il ferma la fenêtre, tapa une autre adresse dans le navigateur principal, y saisit un identifiant et un mot de passe à l’invite. Il poursuivit : « Et maintenant, voici sa boîte aux lettres.
— Tu as l’air de t’y connaître autant que Sibersky ! Je ne suis plus dans l’air du temps ou quoi ?
— Mon frère a toujours été un mordu d’informatique. Lorsque nous étions à la maison, plus jeunes, il m’a appris pas mal de choses… Disons que je me débrouille et que je suis abonné à quelques revues… Voilà… Tous les messages qu’elle n’a pas supprimés sont là. J’en ai lu un paquet… Et devinez qui se distingue dans son carnet d’adresses ?
— Prieur ?
— Exactement ! martine.prieur@octogone.com.
— De quoi discutaient-elles ?
— À votre avis ?
— Sadomasochisme ?
— Dans le mille. Tortures sexuelles, ligotage, fétichisme, bref, toute la panoplie de la parfaite dominatrice. D’après ce que j’ai pu lire, toutes les deux entretenaient des relations purement virtuelles avec de nombreux partenaires… L’ère moderne de l’Internet… »
Il dirigea la petite flèche de la souris vers le dossier Personnel puis contacts. Une liste sans fin de pseudonymes se déroula. « Voilà tout le beau monde avec qui elle discutait. Des relations purement fantasmagoriques. Avec ses webcams, elle rendait apparemment ces types fous, ils devaient se branler en masse devant leurs ordinateurs à chaque fois qu’elle se mettait à poil, en dépit de son poids. Les propos échangés sont obscènes… Elle parle aussi très longuement des tortures infligées à ces animaux que nous avons retrouvés à la cave. Vous aviez vu juste, commissaire…
— Sur quel point ?
— Marival n’était pas une sainte. »
Je déplaçai le curseur qui se transformait en petite main chaque fois que je survolais un message. « Tu crois que le tueur pourrait faire partie de ces types ?
— Possible. En tout cas, ce site a dû fortement l’aider pour préparer son coup. Comment mieux connaître les habitudes d’une femme qu’en l’observant jour et nuit par caméra interposée ? »
Il piégeait ses victimes en se servant de la Toile. Il connaissait les secrets de leurs vies, de leurs fréquentations, de leurs plannings.
Peut-être avait-il entretenu des relations purement virtuelles avec Gad, Prieur, Marival ? Il avait obtenu d’elles des aveux, d’intimes confessions et il les avait ensuite punies parce qu’elles vivaient dans le péché, dans la déchéance, dans un monde sali par le regard d’autrui.
L’Homme sans visage ne supportait pas le vice, alors il l’appliquait lui-même pour sanctionner son prochain, comme un justicier. Il les torturait, les tuait, puis effaçait les données de leurs ordinateurs pour gommer les traces.
Je me décrochai du fer-chaud de mes pensées et dictai à Crombez : « Il va falloir que tu m’épluches ces messages au microscope. Je vais essayer d’en lire un maximum aussi, mais j’ai quelques affaires à régler auparavant. Colle deux ou trois personnes dessus.
— Très bien. Mais le SEFTI est déjà très actif. Ils doivent récupérer le disque dur chez l’hébergeur pour analyser toutes les données qu’il contient.
— OK. Nous avançons enfin… A-t-on relevé des marques à l’endroit où était embusquée la voiture ?
— Oui. Les empreintes ont été moulées puis remontées au labo. Dessin et largeur des pneus classiques. Aucune trace de peinture relevée dans les environs. Au fait, il y avait bien une petite route qui menait directement à la demeure… Mais nous sommes arrivés par l’autre côté, le mauvais. Désolé pour vos chaussures…
— Laisse tomber… Tu as interrogé les parents ou l’entourage de Marival ? »
Crombez agita son bras engourdi et fit rouler sa tête pour détendre les muscles de son cou. « Elle n’avait pas beaucoup de famille. Sa mère n’a pas voulu s’occuper d’elle à la naissance et son père a fichu le camp… Alors ce sont ses grands-parents qui ont pris le relais. Mais les vieux ne la voyaient plus beaucoup. Marival était une femme très renfermée, solitaire, Petite, elle restait souvent cloîtrée dans sa chambre à disséquer des insectes, raconte le patriarche. Elle avait toujours voulu faire médecine…
— Et pourquoi n’est-elle pas allée au bout ?
— Ses résultats… Elle était incapable d’apprendre… Elle a tenu trois ans parce qu’elle obtenait de bonnes notes lors des travaux pratiques, probablement aidée par Prieur. Quand Prieur a fichu le camp, ses notes sont devenues catastrophiques… Alors son grand-père a pris sa préretraite pour lui laisser sa place dans cet endroit maudit… »
L’histoire, à présent, se fondait dans un moule logique. Élisabeth avait raison. Le tueur retrouvait, grâce à Internet, celles qui propageaient la douleur et leur infligeait le même sort, sous l’égide de Dieu. Je songeai aussi à Julie Violaine, l’enseignante, qui débarquait au milieu de ce beau merdier comme un cheveu sur la soupe. Quel rôle pouvait-elle bien tenir dans l’histoire ? Une fille à l’apparence nunuche ne disposant même pas d’un accès Internet, loin, si loin de Prieur ou de Gad…
Mon portable vibra. Je décrochai… « Tu penses à moi, mon ami ? » Je me ruai derrière mon bureau, récupérai un dictaphone dans mon tiroir et le déclenchai aussitôt, tandis que Crombez s’approchait de moi, tendant l’oreille. Je lui fis signe de déguerpir et je fermai la porte.
« Qu’est-ce que tu as fait à ma femme ? »
Voix de vieil homme défilant au ralenti. « Je vois que tu as bien reçu mon petit message dans le parking. Tu es très perspicace…
— Dis-moi si elle est toujours en vie !
— C’est moi qui donne les ordres, fils de pute ! Ne me dicte pas ce que je dois faire !
— Dis-moi juste… »
Il raccrocha. « Merde ! » L’envie me prit de projeter mon portable sur le mur mais je me retins au dernier moment. Avais-je bousillé les chances qu’il m’appelle à nouveau ? Je me mis à user le parquet d’allers et retours silencieux durant lesquels, j’en étais persuadé, ma tension nerveuse aurait explosé n’importe quel tensiomètre.
Je devais adopter une approche différente. Il souhaitait parler, mais uniquement de ce qu’il avait décidé. Il fallait lui donner cette impression de domination qu’il souhaitait ressentir. Chaque mot, chaque phrase, sa façon de communiquer, ses intonations, même au travers du truqueur de voix, constituaient des indices importants. Le temps s’écoula… un millénaire… avant que la sonnerie ne me percutât à nouveau le tympan.
« Estime-toi heureux que je te rappelle ! Encore un coup comme ça et tu n’entendras parler de moi que par cadavres interposés. Compris ?
— J’ai compris.
— Encore une fois, nos chemins, nos destins se sont croisés, avec une légère avance pour moi cependant. Comment se fait-il que tu arrives toujours derrière ?
— Je… Je ne sais pas… Il y a bien un jour où nous allons enfin nous rencontrer…
— Mais moi, je t’ai déjà rencontré ! Tu aurais déjà oublié l’abattoir ?
— Non, bien sûr que non… Je voudrais juste te voir en face de moi, en chair et en os. Découvrir ton vrai visage, découvrir qui tu es réellement, découvrir qui se cache derrière ces actes abominables. »
Sons de canard enroué. « Abominables ? Et c’est moi que tu traites de bourreau ? Qui es-tu, pour oser me dire ça, à moi ? Pour qui te prends-tu ?
— Je suis celui qui te traque, celui qui va hanter tes nuits jusqu’à la fin des temps. Je ne te lâcherai jamais !
— Je ne sais pas qui hante les nuits de l’autre, mais je dois t’avouer que je n’ai pas beaucoup pensé à toi ces derniers temps. J’étais un peu occupé, si tu vois ce que je veux dire.
— Non. Je ne vois pas. Explique-moi.
— Cesse de faire le malin ! Tu en as pensé quoi, du coup de la vieille Noire ? Pas mal, non ?
— J’ai compris pourquoi cette femme te faisait si peur. Mais cette fois, c’est toi qui es arrivé trop tard. »
Percée du silence. Franges d’hésitations. Changement de voix, plus grave encore. Un pavé qui coule. « Pourquoi ? dis-moi pourquoi ?
— Tu lui as découpé le cerveau parce que tu ne comprenais pas l’origine de sa connaissance. Qu’espérais-tu découvrir à l’intérieur de son crâne ? Une explication ?
— C’est moi qui pose les questions ! Que sais-tu que j’ignore ?
— Beaucoup de choses. Parle-moi de ma femme, et je te dirai ce que tu veux entendre. »
Silence. Puis… « Tu bluffes », bava la voix. « Crois-tu en Dieu ?
— Pas réellement. On ne peut pas dire que Dieu me soit d’un grand secours.
— Et au Diable ? dis-moi si tu crois au Diable !
— Pas plus qu’à Dieu.
— Tu devrais, pourtant… Au fait, tu veux que je te parle de ta femme ? De ta pute de femme ? Si ça peut te rassurer, elle est en vie, mais je crois que si je te racontais ce que je lui fais, tu préférerais qu’elle soit morte… »
Je fus incapable de dire si j’éprouvais de la peine ou du soulagement. Je le savais, j’avais toujours su que Suzanne se trouvait encore en vie, mais l’annonce qu’il me fit eut le même effet qu’un poignard planté depuis longtemps dans la chair et tourné pour agrandir la plaie. La voix reprit, une octave plus basse. « Je te trouve bien silencieux d’un coup ? Tu ne veux pas savoir pour ta femme ?
— Je… Je ne suis pas sûr…
— Eh bien, je vais te raconter un peu. Je la viole tous les jours. Un peu réticente au début, mais maintenant ça va mieux, beaucoup mieux. Tu ne peux pas savoir combien les gens sont conciliants pour peu qu’on leur fasse mal…
— Espèce de fumier ! Je te tuerai ! »
Long, très long rire. « Mais la mort ne représente rien ! Crois-tu que ma mort ramènera à la vie toutes celles qui sont passées entre mes mains ? As-tu pu imaginer une seule seconde ce qu’ont enduré ces femmes ? Et tu crois que ma mort pourra rattraper tout ça ? Tu es impuissant, vous l’êtes tous ! Tu ne peux rien contre moi, absolument rien ! Et maintenant, je vais aller m’envoyer ta pute ! Après, j’aviserai… Je finirai peut-être par m’en débarrasser… Elle me monopolise un peu trop de temps… Mais ne t’inquiète pas, avant qu’elle meure, je lui pardonnerai… »
Plus rien… Je m’écrasai dans le vieux fauteuil, rembobinai le dictaphone et repassai la bande, encore, encore et encore. Suzanne vivante… survivante… Je fis tout pour penser à autre chose, pour ne pas imaginer les terribles châtiments qu’il lui infligeait quotidiennement… Je la viole tous les jours… Puis vinrent à nouveau à moi ces odeurs d’eau croupissante, ces images vertes de marécages, brouillées par les bruissements des ailes de moustiques… Ta pute de femme… J’avais l’impression que ma tête gonflait de l’intérieur, que ma cervelle allait presser les os du crâne jusqu’à tout faire exploser. Je m’imprégnais de chacune des phrases qu’il avait prononcées… je crois que si je te disais ce que je lui fais, tu préférerais qu’elle soit morte…
Je sortis mon Glock de son holster, le tournai contre moi une première fois pour ressentir l’effet d’un canon sur ma tempe, puis le dirigeai vers le sol. Je recommençai avec cette fois le doigt sur la gâchette et le cran de sécurité défait. Je m’apprêtai à appuyer. Il manquait quoi ? Une impulsion nerveuse, un ordre du cerveau ? Je guettai l’ordre, je le sentis se bloquer quelque part en moi, sans définir précisément où. Dans le bas de la poitrine, dans la gorge, au cœur ? Où ? Je vis mon doigt remuer, faiblement, mais il manquait l’influx nécessaire. Lentement, je posai l’arme sur le sol, à mes pieds, et me mis à attendre l’instant où mon corps tout entier se braquerait contre moi, jusqu’à ce que j’accomplisse le geste fatal. Mais ce moment ne vint pas et la vie s’offrit à nouveau à moi, victorieuse, horrible à regarder…
Je me haïssais, je haïssais le monde…
Quelques minutes plus tard, Leclerc débarqua dans mon bureau et m’arracha le dictaphone des mains.
* *
*
Je le vis rappliquer, rue Greneta, à 22 h 35. Le type au faux permis, celui qui m’avait filé alors que Sibersky se faisait démolir le portrait… Il portait un sac à dos, un pull à col roulé et un pantalon de flanelle avec des souliers vernis. Les pinceaux lumineux des lampadaires découpaient les traits de son visage en froissures de papier, mais je le reconnus à sa coupe de cheveux ou, plutôt, à l’absence de coupe, puisqu’il avait rassemblé ses longs cheveux vers l’arrière avec un élastique, comme sur la photo du permis de conduire.
À ce moment, rien ni personne n’aurait pu m’empêcher de lui tomber dessus, de lui envoyer un coup de crosse sur l’arrière du crâne et de le compresser dans le coffre de ma voiture. Donc je m’exécutai, puis démarrai en trombe, pneus crissant, et l’emmenai au fond du parking sous-terrain de mon immeuble. Je l’arrachai du coffre par sa queue-de-cheval et, lorsqu’il hurla de douleur, lui allongeai mon poing sur le nez. Je le projetai contre le mur et le choc entre sa colonne vertébrale et le béton le cloua au sol. Le faisceau de ma lampe fit luire le sang qui perlait de ses narines et venait mourir sur ses lèvres.
« Mais… Qu’est… Qui êtes-vous ?
— Pourquoi tu m’as suivi hier ? »
Il frotta la généreuse coulée sanguine avec la manche de son pull-over. « Vous… Vous êtes cinglé… Je… ne vous connais pas… »
Je lui envoyai un revers de main dont l’écho rappela un claquement de pétard.
« Arrêtez ! Je… vous préviens… Je suis… avocat… Vous… allez avoir de gros problèmes…
— T’es avocat ? T’es avocat, fils de pute ? »
Je pressai le canon de mon Glock contre sa tempe, tout en lui serrant la gorge jusqu’à l’empêcher de respirer. Un râle fade s’évada de sa bouche.
« Tu parles ! Ou je t’explose la tête ! Parle ! Parle !!!
— Je… Je ne sais rien… C’est la vérité ! Arrêtez, je vous en prie ! On m’a juste demandé de vous suivre !
— Qui ? »
Il gloussait. Le sang n’arrêtait plus de pisser. Un fleuve…
« J’en sais rien ! Je vous le jure ! Ce sont eux qui prennent contact avec moi chaque fois ! Je ne les ai jamais vus !
— Qui ça, eux ? Accouche !
— Les maîtres du groupe… Ceux qui ordonnent, ceux qui organisent…
— J’attends !
— Je ne suis qu’un initié… Ils m’ont accepté dans leur société parce que je fréquente depuis plusieurs années les milieux SM…
— Avec un penchant particulier pour la douleur, n’est-ce pas, fumier ? »
L’intensité du rayon lumineux le contraignit à tourner la tête. « Oui… Mais il n’y a rien de mal… Les femmes sont consentantes… Nous le sommes tous…
— Et tuer des animaux ? Torturer des prostituées ou des clochards et leur filer du pognon pour qu’ils la ferment, tu appelles ça comment ?
— Je… Je ne suis pas au courant… »
Quand il constata la hargne avec laquelle je brandissais le bras, il lâcha prise. « Je n’ai assisté qu’une fois à ce genre de réunion… Il y a un mois… ça s’est déroulé dans un centre de vacances fermé… En pleine forêt d’Olhain, dans le nord de la France, à deux cents kilomètres d’ici… Ils… Ils avaient ramené un vagabond… Un pauvre type, une épave ramassée quelque part, prête à tout pour gagner du fric… Le rendez-vous était fixé dans les bois, en pleine nuit… Nous… nous ne nous connaissons quasiment pas les uns les autres… Nous restons toujours masqués, seuls certains prennent la parole… Je… Je n’ai fait qu’assister… ! Pitié… Laissez-moi partir…
— Qu’est-ce que vous lui avez fait ? » Il se mit à gémir. « Réponds !
— Ils l’ont sédaté pour le calmer, puis ils l’ont sanglé à une table. Ils lui ont administré un anesthésique local, au niveau de la gorge, pour l’empêcher de crier ou d’émettre des sons. Puis ils ont commencé à lui entailler la chair… Ils… Il doit y avoir des médecins, des chirurgiens, des infirmiers dans le groupe… Ce n’est pas possible autrement… Ils avaient tout le matériel, les médicaments pour éviter les saignements… Chaque fois qu’ils entaillaient, ils recousaient derrière, à vif… Le… le clochard hurlait, mais rien ne pouvait sortir de sa bouche…
— Et tu as joui, espèce d’enculé ! Hein, raconte-moi ! Tu t’es branlé pendant que ce type se faisait torturer !
— No… Non… »
Je lui envoyai un coup de semelle dans le thorax. Sa respiration se bloqua longtemps – une messe de Pâques – et il finit par bleuir de façon inquiétante. Je le décollai de terre et lui frappai dans le dos du plat de la main. Son torse se gonfla soudain, comme si, d’un coup, il avait aspiré l’atmosphère tout entière. Il cracha à s’arracher des morceaux de larynx avant de reprendre un teint de circonstance.
« Vous… Vous… êtes… un… taré… » s’étrangla-t-il.
« Pourquoi ? Pourquoi tu fais ça ? J’ai besoin de comprendre ! Explique !
— Vous… allez encore me frapper si je vous dis la vérité…
— Si tu mens, ce sera pire… Sois sincère et j’aviserai. »
Il ouvrait ses mains sur sa poitrine comme s’il venait de disputer un cent mètres et cherchait à récupérer.
« Vous voulez la vérité ? L’être humain… a besoin de zones d’ombre… pour développer sa vie intérieure… C’est comme ça… Toutes les sociétés, quelle que soit l’époque… ont sécrété dans leurs franges… des confréries, des ordres, des associations… Nous… », haleta-t-il, « … cherchons tous le Diable… Nous éprouvons tous… une attirance pour le mystère, le surnaturel… bien au-delà des raisons… ou de la matière… Vous croyez que je pourrais me satisfaire… de ma robe de pauvre avocat minable ? Métro, boulot, dodo ? Non, non… Bien sûr que non… Nous vivons dans un monde de faux-semblants, tout n’est qu’illusion… Oui, je prends mon pied à infliger la douleur à mes semblables… Oui, je ne vis que quand je me tiens au sein de la confrérie… Oui, j’aime le vice, le mal, tout ce qui peut blesser, heurter le commun des mortels… Et rien ni personne ne pourra bouleverser l’ordre des choses… »
Je perdis les forces qui m’animaient, qui entretenaient ma soif de vengeance, ma hargne, mon envie de sauver ce qui pouvait l’être. Combien étaient-ils, tapis derrière les apparences de monsieur Tout-le-Monde, à prôner le mal, à encourager la déchéance ? « Comment te contactent-ils ?
— Je reçois dans ma boîte aux lettres électronique des adresses de sites, sur lesquels je me connecte avec un identifiant et un mot de passe qu’ils me donnent. Là, ils me disent ce que je dois faire, et quand. Ils fixent les rendez-vous, dirigent tout, ils sont hors d’atteinte. Lorsqu’il y a des soirées, nous sommes toujours en comité restreint, une quinzaine de personnes maximum… C’est par mail qu’ils m’ont ordonné de vous suivre, de vous surveiller… C’est tout. Je leur renvoyais les informations par Internet, sur une boîte aux lettres qui change d’adresse presque tous les jours… Mon rôle vous concernant s’arrêtait là… Je devais vous suivre… juste vous suivre…
— Et les deux types qui ont agressé mon collègue ? »
Ses yeux s’écarquillèrent. « Personne n’a agressé votre collègue !
— Ne te fous pas de ma gueule !
— Je… Je vous le jure… Je n’étais pas au courant ! »
Je me penchai sur lui et chiffonnai son col de pull-over.
« Maintenant tu vas m’écouter, avocat de mes deux ! Je vais te laisser rentrer chez toi, bien tranquillement. Si je te vois encore traîner dans les parages, je te tue. »
Je fouillai dans la poche arrière de son pantalon et m’emparai de sa carte d’identité. « J’ai ton adresse. S’ils essaient de te contacter, tu as intérêt à me prévenir. Je pense que tu sais où j’habite… Si je n’ai pas de tes nouvelles sous dix jours, je viendrai te rendre une petite visite que tu ne risqueras pas d’oublier. Continue à faire ce qu’ils t’ordonnent, mais tiens-moi informé. Si tu bluffes, si tu essaies de m’arnaquer, t’es mort… J’ai déjà trop perdu dans l’histoire et je ne suis plus à un cadavre près. As-tu bien compris le message ou faut-il que je répète ?
— Non… Je vous raconterai tout… Tout… Tout ce que vous voudrez…
— Casse-toi. »
Il disparut plus vite qu’une étoile filante. Je notai intérieurement qu’il faudrait dès le lendemain placer une équipe de surveillance sur lui…
Je remontai d’un pas de pénitent jusqu’à mon appartement. Devant la porte fermée de Doudou Camélia, l’odeur des acras de morue avait fini par s’estomper et je sentis, comme pour la première fois, une immense vague de vide et de solitude se briser sur mon âme.
Je piochai une bouteille de whisky – du Chivas quinze ans d’âge – derrière le petit bar en rotin et m’expédiai un premier verre bien serré sans même réellement apprécier le goût antique des terres vieillies. Je renouvelai l’opération plusieurs fois, jusqu’à ce que mes pensées prissent envol autour de moi, comme des mouettes qui chahuteraient au vent.
D’étranges formes s’esquissaient dans ma tête, des ombres indéfinissables, des silhouettes difformes, diaboliques, recroquevillées sur elles-mêmes dans un coin de mon esprit. J’essayais de songer à des choses belles, mais n’y arrivais pas, comme si la beauté elle-même avait revêtu le visage de la mort. Je voyais ces filles qui déclenchaient le vice en s’exhibant sur Internet, je me rappelais la cassette des Torpinelli chez Fripette, Viol pour quatre et ces listes infinies de sites pédophiles crachées par les imprimantes de Serpetti. Je savais que le Mal se déployait sur le monde dans une gigantesque marée noire.
Poupette la capricieuse refusa sa promenade nocturne. Ce soir plus que jamais, il me fallait son réconfort, son doux chant enjoué, l’alchimie secrète de son parfum. J’eus beau m’acharner sur la manette, les essieux ne bronchèrent pas.
Nouvelles gorgées d’alcool, plus généreuses. Non, je refusai la solitude, cette nuit. J’appelai Élisabeth, tombai sur le répondeur et téléphonai ensuite chez Thomas. Encore un répondeur. Sûrement était-il occupé avec son amie Yennia…
Je finis par m’endormir, ivre, loin, très loin de ce que j’avais un jour été, un commissaire de police respectable qui aimait son métier…