A Robert ESCARPIT
son « Séminariste » reconnaissant.
Cher vous tous,
Depuis le temps qu’on se pratique, on a fini par bien se connaître. L’univers san-antonien que causent les journaux, on se l’est enfin mis au point, et on a une façon bien à nous, maintenant, de se parler et de se comprendre.
Y a fallu du temps, because tous les tordus qui m’ont précédé s’étaient caillé la laitance avec la grammaire, le vocabulaire et tout le bigntz littéraire.
Entortillés, serrés nous étions tous. Pas moyen de broncher ! Ils nous tenaient à merci, les boy-scouts du beau langage, les archers du participe passé ! Y avait pas moyen de faire des gosses à la langue, comme dit Escarpit, car ils nous auraient embastillés tout de suite pour crime de lèse-littérature. Défense de déposer des néologismes dans la cour sous peine d’amende ! Ils avaient Voltaire à portée de la pogne pour nous l’assener ; Voltaire et les autres aussi : les perruques Grand Siècle, tous les pensionnés à Louis XIV vautrés sur leurs alexandrins, et puis encore les entortillés actuels, académies et anémiés de fond en comble.
Non, vraiment, on pouvait rien tenter ouvertement ! Sinon, on nous désintégrait recta. Fallait donc y aller à pas de loup, les feinter en canard, se glisser à la sournoise, sous couverture policière (ce cheval de Troie de mes deux !).
On a fait une arrivée en chemin de fer, quoi ! En investissant les gares ! Et on s’est assuré des alliés, sûrs : les jeunes de chez nous sans lesquels rien ne se fait ni ne se défait. On a pu remonter le courant grâce à eux, portés par eux ! Y en a-t-il eu des heures de colle à la clé à cause de San-Antonio bien-aimé ! Merci aux martyrs ! Je les salue ! Pionniers ils furent, héros ils resteront. Ils peuvent muer et adulter tranquilles désormais, car, grâce à eux, on peut enfin san-antoniaiser sans rougir.
Célébré dans les revues à grande gamberge, acclamé par les profs de facultés qu’il est, maintenant, San-A. Créateur d’un nouveau langage à ce qu’il paraît, avec du génie plein la musette !
Béru mettant Rabelais K.-O, on assiste ! C’est officiel.
Grâce à mes petits copains on a conquis presque tous les bastions, les madames visionneuses, les croulants, les super-intellectuels, le bas clergé, la haute finance, les gagne-petit et le commerce de gros ! Y a plus qu’un coin de bourgeoisie-culBérute qui renâcle encore et qui s’enferme dans les cagoinses pour me savourer, et puis, œuf corse, les illustres écrivains pour qui la concordance des temps compte davantage que l’émotion du mot ou la vigueur de la phrase !
Patience, on les annexera aussi, je promets !
On va la leur faire péter au nez la langue française, à tous ces pisse-froid, ces pisse-triste, ces pisse-peu !
C’est une fière luronne, les gars, cette langue française. Seulement, elle en a marre d’être respectée. Elle s’engourdit. Se stérilise. Elle aimerait des claques sur les fesses, comme toutes les vraies femelles !
Alors suivez-moi ; on va lui faire fumer le dargeot !