Il y a des gens qui vous font bonne mine par-devant et qui vous flanquent des coups de pied dans le ventre par derrière.
— A vous de jeter la pièce, M’sieur le Commissaire !
— Je prends face, avertit Béru, si mon valeureux adversaire y verrait pas d’inconvénient.
Jojo La Meringue, « le valeureux adversaire », indique d’un hochement de tête plein de noblesse qu’il saura s’accommoder de la partie pile qu’on lui laisse en partage.
Je fais sauter la pièce de cinq francs d’une pichenette, la rattrape au vol et la plaque sur le dos de ma main gauche ainsi que je l’ai vu faire dans beaucoup de films américains.
— Pile ! annoncé-je.
Saint-thomesque en diable, Béru soulève son postère de sa chaise afin de vérifier la véracité de la chose. Il me virgule un long regard coagulé. Un regard de chien déçu qui ne comprend pas très bien pourquoi son maître vient de lui marcher sur la queue. Puis, affrontant La Meringue, il déclare d’une voix que pourrait fort bien imiter une trompette bouchée.
— Eh bien, mon cher, il serait bon que vous commençassiez !
La Meringue est un énorme zig à treize mentons, plus violet qu’un évêque. Quand il est assis, son bide déborde par-dessus ses genoux. Il porte une petite casquette de toile blanche à visière orangée et une chemise à manches courtes qui découvre de formidables bras tatoués. Sur le gauche, une fresque représente le siège de La Rochelle : on voit Richelieu dans son carrosse, la cavalerie, les remparts, une demoiselle violée derrière un buisson, un mousquetaire en train de déféquer au bord de la route et, seule note discordante, un avion à réaction dans un ciel couvert de poils frisés. La décoration du bras droit, en revanche est infiniment plus sobre puisqu’elle ne comporte qu’une dame nue et en pied, laquelle désigne son pubis d’un geste effronté en disant (c’est écrit dessus, comme le port-salut) : « C’est là que ça se passe ! » Tel est donc, brièvement décrit, le vis-à-vis de mon Béru en cet étrange tournoi de piccol’s dames.
Pour les ceuss qui ne sauraient pas grand-chose de la vie, je crois bon de préciser que le piccol’s dames se joue avec un damier ordinaire, d’assez grandes dimensions toutefois, mais que les pions sont remplacés par des verres de vin. Un adversaire a les verres de vin rouge et l’autre les verres de vin blanc. Chaque fois qu’un joueur souffle une dame, il boit le verre conquis, ce qui revient à dire qu’à ce jeu on ne souffle pas les pions, mais qu’on les siffle.
— Permettez, dit La Meringue en faisant pivoter le damier, je prends les rouges !
Du coup Béru monte en mayonnaise.
— Mais tu les as, bouffi !
Son adversaire tord ses lèvres lippues.
— Justement, dit-il, je les ai, mais comme c’est les godets de l’adversaire qu’on s’écluse, j’ai pas envie de me cogner le blanc !
Ça le fait manquer d’oxygène, Alexandre-Benoît. Il a les yeux qui déjantent et lui pendent sur les joues.
— Y a maldonne, gars, ronchonne-t-il. Pile ou face, c’était juste pour savoir qui qu’allait commencer, faut refaire pour les couleurs.
Il prend l’assistance à témoin. Alfred, le coiffeur, opine, Mme Bérurier également, ainsi que tous les suiveurs présents dans le bar de l’Hôtel des Voyageurs et de la S.N.C.F. réunis.
Vaincu, La Meringue renifle sa déception et me fait signe de rejeter la pièce !
— Je garde face, dit Béru, tendu par la gravité de la décision.
Je relance la pièce. Bon camarade, je lui sors face sans bavure et Sa Majesté s’épanouit. Vite il refait pivoter le damier. La Meringue pousse une gueule épouvantable. Le sort lui ayant été favorable au premier tour, il n’ose toutefois m’accuser de l’avoir bricolé cette fois-ci. Pourtant il a les yeux flétris par l’amertume.
En face de lui, Béru paraît presque fluet. Il serait malséant de lui attribuer le qualificatif de « Gros » tant qu’il affrontera un adversaire de ce volume. B.B. aussi prend un côté Fleur-de-Misère dans le sillage d’un tel cétacé.
— Tu te décides, mec ? tranche le Gros, en guettant d’un œil sournois les douze verres de juliénas exposés à sa convoitise fervente et qui sont à conquérir.
Ce chicandier de La Meringue lève le doigt pour réclamer mon arbitrage, comme si j’étais un personnage accrédité auprès de la Fédération de piccol’s dames.
— M’sieur le Commissaire, fait-il. Les pions qui restent au gagnant, il a le droit de se les torcher, au moins ?
— Naturellement, le rassuré-je.
Ça le réconforte un peu.
— Tant mieux, dit-il, un petit coup de rouquin après le blanc ça me remontera le cérébral car je supporte mal le Pouilly.
Béru se rebiffe.
— T’en causes comme si tu serais sûr de gagner, mon pote, reproche-t-il. Je voudrais pas te délabrer l’optimisme, mais avec mézigue c’est pas du tout cuit !
La Meringue appuie sur ses paupières gonflées comme des portefeuilles de maquignon afin de pouvoir considérer son vis-à-vis plus à Taise.
— Excusez-moi, docteur, ricane-t-il, mais je me permets de vous rappeler que j’ai été champion de dames du Cantal en 49 et que je suis arrivé en huitièmes de finale pour le tournoi des Cinq Bistrots à la Nation.
Ce palmarès n’éprouve pas Sa Majesté.
— Joue toujours, Bibendum, on verra bien.
Lors, le monstrueux La Meringue se met à fixer le damier par-dessus la bouffissure de ses joues.
Pendant que ce pittoresque personnage réfléchit, il serait bon que je vous affranchisse sur le pourquoi du comment du chose.
Nous nous trouvons à Dijon, première ville étape de ce Tour de France. Béru et moi nous y sommes arrêtés au retour d’une mission à Nice, afin de passer une aimable soirée en compagnie d’Alfred et de Berthe Bérurier. Tous deux en effet suivent la caravane publicitaire de l’épreuve. Alfred le coiffeur a inventé un shampooing astringent bicolore pour chauves. Une découverte géniale, les amis ! Ce brave merlan ayant constaté qu’il y avait de plus en plus de boules de billard en circulation, s’est dit qu’on ne faisait rien pour eux, sinon leur promettre une repousse dans des annonces vaseuses auxquelles les déboisés de la colline ne croient plus.
Il a donc mis au point, avec le précieux concours d’un préparateur en pharmacie, une lotion qui supprime les rides frontales et colore le cuir chevelu en bistre sur le sommet du crâne et en bleu pâle (style cheveux rasés) sur le pourtour. Le berlingot Poursantif il l’a baptisé. Selon lui ça doit faire fureur avant longtemps. Afin de lancer publicitairement son produit il s’est inscrit dans la caravane du Tour et, à chaque étape et au long du parcours, il balance à tout va des prospectus et des capsules-échantillon, tant il est vrai qu’il faut semer pour récolter. Son épouse devant garder la boutique, il a sollicité le précieux concours de Berthe, Alfred étant un monsieur qui n’aime pas se déplacer sans femme. Depuis deux jours, donc, l’aimable tandem A-B (Alfred—Berthe) sillonne les routes de France dans une fourgonnette dont les parois sont décorées de calvities ennoblies par Poursantif. La Berthy, faut la voir en caravanière ! C’est un tableau qui ferait bourré à la Galerie Charpentier. Elle porte un pantalon de golf en toile blanche, un blouson rouge dans le dos duquel on a peint un énorme berlingot Poursantif (jaune avec le nom écrit en bleu) et elle est en permanence coiffée d’une casquette d’officier polonais, carrée du dessus, avec la visière en tuile romaine longue et plongeante. Because l’ardent soleil de ce mois de juin elle s’oint d’une crème grasse et jaune qui la fait ressembler à une oie qu’on aurait mise au four depuis quatre minutes. Le camarade Alfred est loqué de la même manière, si bien qu’ils ont l’air de duettistes, les berlingot’s partners.
Tous deux contemplent Béru avec une vigilante affection. Un amant a toujours beaucoup de sympathie pour le mari de sa maîtresse, et même une certaine tendresse. Quant à la femme adultère, elle porte de l’amitié à son complaisant époux. L’amour qu’elle lui vole, elle le remplace par un sentiment plus tempéré mais plus solide, plus durable aussi. Ainsi va la vie. C’est dans la nature des choses comme dirait Machin.
Comme La Meringue (le bonimenteur des Biscuits Vaporetto) hésite toujours avant de porter l’estocade, Béru lui lança d’un ton enjoué :
— Si tu fais du surplace à chaque coup, mon pote, le dernier godet de vin blanc sera tiède quand t’est-ce que tu l’écluseras.
Ça éprouve le super-obèse qui se décide à avancer un pion au centre du damier. Sa Majesté n’hésite pas et lui coule immédiately un pion à siffler. La Meringue coiffe le verre et le boit cul sec. En prenant le pion de Béru il a mis le sien à la disposition d’un pion béruréen, le Gravos ne le voit pas et joue ailleurs. L’assistance pousse un murmure réprobateur. Prompt comme l’éclair La Meringue s’empare du pion non joué par le Gravos et le boit. La partie continue à cette allure-là. En quelques minutes, Bérurier est touché. Ou plutôt ce sont ses verres qui le sont. Il n’a pris que cinq malheureux pions à l’adversaire. La Meringue écluse sans arrêt. Il liquide les douze godets de blanc de Béru, plus les sept verres de rouge qui lui restent.
C’est également l’avis des spectateurs.
— On a dit qu’on jouait deux manches et la belle, non ? objecta Sa Vigueur sans s’émouvoir.
— La belle, bavoche La Meringue, j’ai dans l’idée qu’elle sera superflue.
Mme Bérurier, vexée de la défaite honteuse de son époux, accable celui-ci de sarcasmes.
— Tu baisses, Alexandre-Benoît, affirme la muse du berlingot Poursantif. Autrefois tu battais même mon beau-frère qui avait cependant été champion de France.
— Lui ! ricane La Meringue. Vous charriez Poupette ! Il a jamais su jouer aux dames et il saura jamais…
Pendant que ces personnages échangent des propos désobligeants pour le standing de mon vaillant complice, le barman remplit les glass de la deuxième partie.
Et puis mon petit copain se déchaîne. C’est Perle à rebours ! L’attaque-surprise de grand style ! Le raid dévastateur ! L’opération imparable. Il emploie les missiles et les dominissiles, les gaz, les porte-avions, l’infanterie de marine, Béru ! Faut le voir pousser ses pions d’un air ahuri, au petit malheur la malchance. Il dissémine, il disperse, il éventaille. On a l’impression que c’est du suicide. De la mauvaise humeur de garnement buté qui fait exprès de perdre.
Il saute un verre de La Meringue, puis un autre, et un autre encore. Chaque fois, il enlève sa prise délicatement, de sa main gauche. Le damier se déplume, se déboise, devient plaine aride ! C’est l’anéantissement de la Vieille Garde à Waterloo. Un champ de blé qui s’affaisse sous la lame affamée du tracteur. Béru le dévaste méthodiquement. Il le pille. Il l’Attilise. Il le rogne. Il le dénude ; l’Ukrainise. Les spectateurs se sont rapprochés. Conscients de l’ampleur de cette feinte, les voilà qui comptent, en chœur, les prises de guerre du Béru. Ils l’aident, dans un élan farouche, à dénombrer son butin. Ils clament, comme on fait « Oh ! hisse ! » pour poser des rails : « Et trois ! Et quatre ! Et cinq ! Et six ! Et sept ! » Ils se taisent, jugeant la razzia terminée, mais non, il y a encore un petit gorgeon de beaujolpif égaré dans un angle qui doit se faire sucrer. Il y passe ! « Et de huit ». Le coup du siècle en matière de dames ! La Meringue, même s’il gagne la belle ne s’en remettra jamais. Sa réputation est flétrie à jamais ! Il sera, jusqu’à la consommation des siècles, le réprouvé du damier ! Le bafoué du pion ! Cette prise inouïe, stupéfiante, spectaculaire, annihilante, marquera le grand tournant décisif de sa vie ! Elle est tellement grosse, tellement rare qu’au lieu de la cacher à sa descendance, il devra en faire état. C’est son nouveau péché originel ! La tare héréditaire qui souillera sa semence. Il en charriera les stigmates devant les foules silencieuses et répétera d’une voix brisée : « C’est à moi que Bérurier le fameux, Bérurier l’inoubliable a fait le coup des huit pions soufflés ! »
Huit pions, mes fils ! Soit les deux tiers de ses effectifs…
Béru lui en ayant primitivement secoué trois, il ne lui en reste plus qu’un, ridicule, isolé, perdu dans l’immensité à carreaux du damier, si chétif, si misérable, si délaissé, si pitoyable que mon camarade au grand cœur murmure :
— Je pousserai pas pépère dans les orties en te proposant de jouer z’avec un pion, Mec. Ton petit dernier, je te l’offre histoire de te remettre de tes vapeurs.
La Meringue ne se le fait pas répéter deux fois. Il le gobe littéralement, comme une belon chétive. Puis, sur sa lancée, il siffle les pions blancs constituant les troupes victorieuses du Gravos et que ce dernier néglige. Pendant ce temps, le Mastar déguste sa prise sous les vivats. Berthe l’embrasse et lui dénoue sa cravate en vue de la troisième partie. Alfred l’éventé avec un numéro de l’Équipe. C’est la liesse ! Les loufiats de l’Hôtel des Voyageurs et de la S.N.C.F. réunis ont alerté les populations avoisinantes. Ça radine de toutes parts : des caravaniers, des soigneurs et même un coureur insomniaque de l’équipe des « Boutons de Jarretelle Bédiglas et des Pastilles pour la toux Lanturlu » se pointent, en pyjama et en gesticulant. Ça devient houleux ! On veut le voir, l’homme qui a réussi à secouer huit pions dans la foulée au pourtant réputé La Meringue. On veut lui causer, le palper ! En prendre plein ses mirettes de cet individu d’exception. Conserver en soi son image, le recueillir, le récolter, l’apprivoiser avec sa rétine pour en stocker le souvenir et pouvoir le raconter à la postérité envahissante, dévastatrice.
Ma belle Pomme rougeoie sous les effets conjugués de la gloire et du juliénas. Il sourit finement par-dessus sa moustache en poils de cul mal torché. Il modestise à faux, l’œil mi-clos, la lippe avantageuse.
Supérieur, mais généreux dans sa supériorité. Moite de triomphe il est, Béru. Prêt à nous distribuer un signe, à nous marquer de sa gloire. Qu’est-ce qu’il fait, l’homme Choisi, l’homme Supérieur, l’homme Marqué quand les foules se prosternent à ses lattes ? Hein ? Il Bérut ! C’est ça la Grandeur ! La vraie domination. Il peut pas distribuer du matériel, ça le ravalerait, alors il virgule du Spirituel. Il agit au nom de Dieu, nom de Dieu ! Il est Mandaté. Il se sent le Droit ! Mieux : le Pouvoir. Question de fluide et de connerie. C’est lui qui a le fluide et les autres qui courbent la tronche pour morfler la décharge protectrice ! La foudre au bout de ses doigts, il lance ses ondes comme on lance des dragées aux mômes du village dans les noces campagnardes. « Prenez et frissonnez car ceci est mon Signe. » Et toutes les truffes agenouillées, ratatinées, prêtes à baiser n’importe quel anneau ou n’importe quel anus pourvu qu’il soit reconnu d’utilité biblique, entonnent l’hymne de reconnaissance, l’acte de foi. Les Credo’s men, les aspergés, les Bérus, les acceptés ! Blottis dans un giron, toujours ! Un besoin ! C’est pas abandonnable le sein maternel ! La position du fœtus en campagne, ils la conserveront toujours. Ils seront jamais finis ! Jamais ! Ils ne quittent la chair qui les a conçus que pour s’intégrer à une autre viande : celle d’un quelconque troupeau, d’une communauté, d’un club, d’un parti, d’une association ! Faut pas les laisser seuls ! Jamais ! Faut les soumettre ! Les dominer ! Les couvrir pour qu’ils prennent pas froid ! Leur donner un insigne et, s’ils sont sages, un Signe. Les Bérur de fond en comble, pour qu’ils soyent bien proprets de l’âme, bien torchés, bien torchonnés. Au bord du miracle, tout le temps, c’est ça le suspense ! Ils s’attendent tous à être miraculés à bout portant d’un instant à l’autre, à froid, à sec ! Pan ! Dans la calotte ou la culotte ! Par n’importe qui. Ils s’en foutent du pedigree de l’officiant. Les miracles, comme l’argent, n’ont pas d’odeur ! Ça explique les mages, les guérisseurs, les voyantes, les dictateurs (gens de la même famille d’arnaqueurs futés) ; ça explique tout ! Le reste aussi, ce à quoi nous ne pensons pas encore et qui déjà se mijote, s’organise, s’entraîne à Bérur, l’index et le médius allongés, les autres doigts repliés, comme pour siffler à la voyou ! C’est le même geste et ça vise au même résultat dans le fond. Et vous vous rassemblerez, tout timides, tout humides, bien certains que si le Bon Dieu nous a fait des genoux c’est pour que nous nous prosternions.
— Messieurs, fait Alfred auquel l’invention du berlingot Poursantif a donné un certain esprit dominateur, je vous invite à disputer la belle.
La Meringue bavoche des choses. Il est beurré comme une tartine, mais toutefois se déclare prêt. Il tente d’expliquer qu’il a été dérouté, cueilli à la sournoise. Il prenait Béru pour une crêpe et il s’est laissé flotter. Il faisait la planche, quoi ! Mais maintenant il va appliquer son dispositif number one, celui qui lui a valu ses plus expéditives victoires.
Les spectateurs se concertent. Béru proteste, alléguant qu’au pile ou face réglant la question de la couleur un changement en cours de partie n’a pas été envisagé. Le ton monte, on s’échauffe. C’est le patron de l’Hôtel qui trouve la solution.
Les deux adversaires se concertent. Béru objecte que le cassis est sirupeux, le patron lui rétorque qu’il se trouve à Dijon et lui promet une crème inoubliable. Vaincu, le Béru cède. La Meringue donne également son accord et la troisième partie commence. On sent, au silence, à la qualité de ce silence que ça va être de l’impitoyable, du sans-merci !
La Meringue se masse les valoches, puis se tourne vers un barman.
Sa Majesté proteste que les doppinges sont prohibés. A quoi La Meringue objecte qu’il n’empêche pas son adversaire d’en faire autant. Ce nouveau point litigieux est donc soumis à l’appréciation du jury. Je me déclare contre ainsi que Berthe et Alfred, mais tous les autres sont pour. Si bien que le chantre du biscuit Vaporetto peut écluser son jus ammoniaque. C’est un drôle de résistant, La Meringue ! Mathurin Popeye ! Le voilà dessoûlé recta. Oh ! il n’a pas un teint de pêche et y a encore de l’épais dans ses muqueuses, pourtant on le sent à nouveau lucide et disponible, galvanisé par sa cuisante défaite.
On lance une nouvelle fois la pièce. C’est à Béru d’attaquer. Maintenant, le Généreux ne joue pas à l’étourdi. Il gamberge. Le v’là qui soulève un verre de marc, le hume nostalgiquement, puis le pose sur une case noire.
La Meringue qui a étudié la parade se place en position de prise. Béru le souffle, boit le cassis et se fait piquer deux godets. Dans l’auditoire chacun retient sa respiration. Le Mastar se renfrogne. Il en a un petit coup dans les galoches, mon gros biquet, et ça ne lui facilite pas la gamberge. Il observe un moment la trogne tuméfiée de La Meringue afin de voir si les deux petits marcs n’auraient pas redémarré sa biture, mais non, l’autre demeure impavide, avec ses yeux en accent circonflexe attentifs comme ceux d’un lézard. On va vers du saignant, mes frères !
Il est évident que quelque chose de grand est en train de se rassembler, de s’édifier, de prendre vie. Le temps se démultiplie, ce qui est la manifestation suprême de l’intérêt général. On entendrait penser un gendarme. Chaque seconde pèse une tonne et fait mal aux bronches. Béru hésite entre essayer de ressoûler son vis-à-vis ou bien le prendre à la loyale. Généreux, il opte pour la seconde solution. S’il gagne cette belle, il le devra uniquement à ses capacités damières.
— Eh ben, le Cosaque du damier ! s’impatiente La Meringue, c’est à toi !
— C’est défense d’exercer des pressions sur l’adversaire ! proteste Béru.
Chacun chérit sa femme comme il l’entend. Alfred approuve véhémentement tout en flattant d’une main experte la croupe jumentesque de Berthy. Au geste on devine l’habitude. Il y a du coulé dans la caresse, un arrondi éloquent de la main qui sait par cœur les volumes sur lesquels elle s’égare.
Enfin le Mastar se risque à bouger un nouveau verre. La Meringue joue à son tour. Nous assistons à trois échanges sans conséquences directes. C’est le round d’observation. Les joueurs cherchent leur second souffle. Je vois Béru tisser une manœuvre sournoise, mais La Meringue la flaire itou et prend les mesures de parade.
Un journaliste du Dauphiné déclare qu’il est prêt à parier sur La Meringue avec qui voudra. Je relève le défi et je mets cinq sacotins sur la hure de mon Béru. Pari tenu. L’émulation provoque d’autres mises. Ça devient une agence du P.M.U., le bar des Voyageurs et de la S.N.C.F. réunis ! Le coureur insomniaque nous dit comme ça qu’il « brztvisk skouliakkoff » (parce qu’il est moldovalaque) et joue dix zlotys sur Béru, ce qui est flatteur.
Dès que le pognon entre en lice, le climat se modifie. Avec les gonzesses, y a rien qui détériore une ambiance autant que le fric. Prenez dix mecs paisibles, débonnaires, relaxes, heureux de vivre et d’être ensemble, et amenez une souris en piste, vous verrez ce chantier au bout de cinq minutes ! Même si la nana n’a pas la fraîcheur printanière ou la silhouette bardotière. Ou bien, au lieu d’une frangine, faites surgir une question de pesos parmi ces dix potes et attendez ! Les chevaliers à la longue bouille ils deviennent ! Ils dégagent de l’électricité. Quand ils se causent, il leur part des étincelles du clapoire en même temps que des syllabes.
Bien vite le ton grimpe, ici ! Les parieurs se mêlent à la partie vu que leur artiche est dans le circuit. Ils cessent d’être des spectateurs passionnés pour devenir d’âpres participants. Les tenants de La Meringue lui crient de faire gaffe lorsque le Gravos élabore un coup fourré et de même, ceux qui ont placé leur confiance et leur blé sur Béru l’accablent de conseils qui ressemblent à des ordres. Les deux pittoresques joueurs sont devenus les coulissiers d’une Bourse étrange ; des agents de change au service de leurs clients.
— Touche pas à ce pion, il va te becqueter !
— Pas comme ça ! Tu vas être fait aux pattes s’il bouge son godet de la troisième case !
L’enfer du jeu, mes fils ! Ça rend les adversaires fébriles. Ils perdent leurs moyens. J’essaie bien de calmer les esprits, mais en vain. On ne peut pas faire appel à la sportivité d’un homme lorsque ses piastres sont en jeux. Le fair play, la galanterie, la dignité humaine ne peuvent faire bon ménage avec l’intérêt. Ce sont d’aimables ponctuations de l’existence, mais sur un chèque il n’y a pas de ponctuation. La Meringue s’entifle des marcs et Béru des crèmes de cassis. Isolés dans les vapeurs de l’alcool avec leur volonté de vaincre, ils ne protestent pas à propos des pressions qu’on exerce sur eux. La partie en cours est une partie de prudence, d’attentisme. Les pions s’éliminent mutuellement sans qu’une victoire se dessine d’un côté ou de l’autre.
L’instant vient, terrible, où chacun des antagonistes se trouve à la tête d’une dame et de deux pions. Sur le terrain de manœuvre déblayé, la partie se clarifie à outrance. Plus d’embuscade possible ! C’est la lutte à découvert. L’opération de nettoyage est stoppée. Ce qui se passe ressemble au départ d’une course de vitesse sur un vélodrome. On s’observe. On se refuse à attaquer. C’est le type qui est en seconde position qui possède l’avantage. Celui qui grimpe en haut du virage. Ça se gagne dans un rush imparable une partie pareille. Béru détient un très léger avantage vu qu’il a réussi à blottir sa dame dans l’angle de la grande diagonale, ses deux autres pions rampent le long du cadre, furtivement. On sent qu’il ne portera pas l’estocade. Il surveille le cheminement des pions adverses, déjouant leur vicieuse géométrie en transférant sa dame dans l’angle opposé lorsqu’il flaire un piège.
La Meringue, qui vient de biberonner neuf marcs, vacille un peu, déboulonné de l’intérieur. Mais sa clairvoyance se maintient. Une longue période de réciproque neutralisation calme les esprits. La Meringue a carré sa dame de manière à empêcher l’accès de la ligne d’arrivée au pion le plus hardi de Béru. Pas moyen pour le Gros de faire sacrer son pion ! Le petit verre poireaute dans un purgatoire maléfique tandis que l’infernal La Meringue continue de manœuvrer ses deux troupiers de deuxième classe dans un champ désert, mais où rôde une menace. Son but ? Bouffer la dame de Sa Majesté en sacrifiant ses deux pions. Si la manœuvre réussissait, il affronterait alors les deux pions béruréens avec sa dame à long rayon d’action. Mais Béru a trop de jugeote pour se laisser coiffer. Et ça dure…
A la fin, un non-parieur proteste. Il dit que c’est match nul vu que les adversaires se neutralisent et ont le même nombre d’atouts. Un enragé le fait taire en déclarant que le nul ne peut être prononcé que lorsqu’il reste seulement une dame à chacun des deux joueurs. Il ne faut rien bousculer mais attendre la défaillance de l’un des joueurs. L’impatience fera tôt ou tard son œuvre.
Tout à coup une clameur monte dans la salle. Un cri d’angoisse chez les partisans de Béru, un cri de liesse chez ceux qui n’eurent pas foi en lui. Mon collègue, en effet, ne vient-il pas de placer sa dame dans la trajectoire de celle de La Meringue ? Faute d’inattention ? On le suppose. On le plaint ! On le moque ! On l’accable ! En se pourléchant, le cachalot pique la dame étourdie. Béru, sans se désunir, profite de ce que l’adversaire a débloqué la position pour porter à dame son pion en attente. Du coup un autre criaillait. La Meringue blêmit. Il comprend tout, sa dame est bloquée, ses autres pions qui tissaient les rets d’un piège sont en péril au milieu du dernier.
Il en pousse un vers la rive, misérables, ne sachant combien ce geste est dérisoire, ce qu’il est inutile !
Effectivement, Béru joue son deuxième pion. La Meringue doit le lui prendre ! C’est obligatoire ! Les tablettes de la fédération de piccol’s dames sont miellés. La mort dans l’âme il cueille ce prisonnier qui précipite sa perte. Vlan ! Vlan et Vlan ! Le pied du petit verre constituant la dame de Béru frappe du talon sur trois cases, enjambant les dernières forces de La Meringue. Le Mastor bouffe la dame, pique un second pion et, ô comble de la maléfique stratégie béruréenne, vient barrer tout accès au misérable petit dernier. C’est la reddition sans condition ! La Meringue ne peut même plus se déclarer ville ouverte. D’un mouvement rageur, il lance son dernier soldat à son vainqueur. Le cassis éclabousse la chemise du Gros qui fronce les sourcils. Un murmure indigné condamne ce geste inélégant. Béru se penche par-dessus le damier désormais désert.
— Ecoute, mon pote, fait-il. Quand t’auras fini ton Tour de France, téléphone-moi, je te donnerai quèques cours du soir.
— Scuse-moi, bafouille le cétacé. T’es un champion, j’admets !
Rasséréné, Béru convient alors que La Meringue est un rude adversaire. Il boit ses prises et ses reliquats, puis réclame l’enjeu qui consiste en une bouteille de pommard et, généreusement, la vide en compagnie du vaincu tandis que les parieurs mettent les comptes à jour.
Est-il besoin de préciser que ces deux messieurs ont leur taf au moment de gagner leur pucier ? Béru émet la prétention de coucher avec sa femme, ce qui indigne Alfred le coiffeur. Le merlan, roi du berlingot toutes catégories, déclare que l’étape du lendemain sera rude et qu’il n’a pas envie de faire équipe avec une dame ravagée par une nuit d’amour effrénée. D’ailleurs, Berthe et lui font chambre commune, en camarades, précise Alfred.
Colère du Mastar qui veut faire jouer son droit de cuissage. Il n’a pas charrié Berthy à la mairie d’Issy-les-Moulineaux pour être obligé de mettre sa panoplie de Casanova en portefeuille ! Il entendait jouir de ses prérogatives ! Il a la loi pour lui, Béru ! Si des maris ont le kangourou fané et laissent leur bobonne en cale sèche, ça les regarde. Lui, il a de la tendresse à mettre à jour, et c’est pas avec un berlingot Poursantif qu’il se fera reluire ! Alfred dit sèchement qu’il est inutile d’insister. Alors Béru monte l’ampli. S’il ne grimpe pas sa mémère elle va rentrer avec lui à Pantruche pas plus tard que demain !
Et la caravane berlinguière, Alfred se la fera seulâbre, ou bien il engagera une partenaire qui ne soit pas en puissance de son mari. Si Dieu a créé le couple c’est qu’il avait une idée de derrière l’auréole, non ? Je tire le pommadin par la manche et lui chuchote fermement que les raisons de mon Prince de l’Amour sont valables. Boudeur, il me répond que dans ce cas ces deux pourceaux n’ont qu’à aller forniquer et foutriquer où ils voudront mais que lui ne leur prêtera pas sa carrée. Or, en période de Tour de France, c’est comme en période de vacances ou d’invasion : les places sont rares dans les hôtels.
Béru et moi, arrivés à l’improviste, n’avons trouvé qu’un sommier dans le dortoir du personnel. Alfred ne l’ignore pas et le perfide, le jalmince, l’exclusif, se doute bien que les Bérurier ne vont tout de même pas faire une partie de jambons devant un public nombreux. C’est commak qu’il les tient. Il se délecte. Il reste ferme sur les prix, Alfred. C’est son réduit breton, sa piaule dijonnaise. Béru éructe, enrage, flétrit. Il postillonne, émerillonne, canonne, bâtonne, tonne, entonne, détonne, étonne.
Il fustige la pénurie hôtelière. Un pays qui ne peut plus abriter les amours de ses ressortissants est un pays décadent, promis à la stérilité, à l’anémie, à la sclérose ! Une nation condamnée à l’exsanguination. Il dit qu’il forniquera dans la cuisine, mais hélas le taulier lui apprend que les marmitons y bivouaquent déjà. Dans la cave, alors ? Ce sont les cavistes qui y campent, humbles cancrelats du millésime ! Il y a douze personnes dans le hangar ! Et le veilleur de nuit roupille dans les cagoinces ! Que faire ? Où se blottir ? Où s’accoupler ? Où sublimer sa viande ? Où fournir sa ration d’extase à l’être légalement acquis ? Devra-t-on renoncer ? Se recroqueviller en soi-même comme le poltron escargot dans sa coquille ? Se mutiler peut-être pour supprimer la cause qui engendre l’effet ? C’est donc cela qu’ils souhaitent, tous les incapables du Tourisme ? Les imprévoyants du plumard d’étape ? C’est à cela donc qu’ils espèrent arriver, ou bien inciteraient-ils à la partouze ? Hein ? Mine de rien ? Voilà, il a trouvé, le Gros Béru. Il a démasqué les vicelards de l’Organisation hôtelière. Il les accule en attendant de faire mieux. Eh bien soit ! Pas dégonflé, il saura s’assouvir coûte que coûte ! Il ira dans la verte campagne française, aimer sous les étoiles ! Ce sera sa façon de dire merde au monde ! Avec la Voie lactée pour témoin ! Il montrera son dargeot à la Grande Ourse puisqu’on l’y force ! Un assistant lui objecte qu’il pleut ! Du coup Berthy n’est pas partante ! Déjà la rosée l’inquiétait pourtant elle acceptait de s’y vacher parce que la rosée est un accessoire de la poésie. Mais la flotte, ça refroidit les ardeurs ! A preuve : on douche les grévistes pour leur calmer les revendications et on file des seaux d’eau aux chiens afin de faciliter leur séparation. Béru se prend la hure à deux pognes. Ça coalise autour de lui ! Y a du perfide dans l’air, ce soir ! Il sent fourmiller les impondérables sous ses pas. Il est des jours où tout s’effrite, où tout mobilise. Des jours où ça peau-de-banane vilain sur les trottoirs ; où les gonzesses sont fermées pour cause de déchets ; où les créanciers créancent à qui mieux-mieux ; où les lois sont plus duralex que sedlex. Des jours où les chiens mordent, où les chats griffent, où les percepteurs bleuissent, où les patrons vésiculbiliairent. Des jours où le ciel nous fait pipi dessus et où la France a la prostate. Faut les subir, s’y soumettre, ne pas leur tenir tête surtout. Vous avez raison, m’sieur l’agent ! Oui, m’sieur l’agent ! Comme ça, gentils, fatalistes, éblouis de renoncement. Faut abnégater à bloc, se donner, se brandir à la gifle, au scalpel, au juge ou à la sodomie. Il le sent, Béru. Il en convient, en circonvient ! Les organiques c’est avec leur bidoche qu’ils comprennent. Ça prend plus de temps, mais c’est mieux ancré.
Il cède, mon gros lapin. Il courbe le front. Il la remet dans sa giberne. C’est alors qu’un être d’exception, magnanime à outrance, un individu qui marche sur les vins s’approche de lui, pose quatre livres de cartilages bien empaquetés sur son épaule. La Meringue !
— Écoute, mon pote, murmure-t-il. Y a pas de raison que tu joues à coquette le grand air du Ramadam. Je vas te prêter ma chambrette, le temps que vous vous fassiez votre opération survie !
Bérurier en pleure d’attendrissement. Il embrasse La Meringue. Il transcende sa noblesse d’âme ! Il lui affirme qu’il est un grand joueur de dames ! Il avoue sa ruse du départ.
— C’est parce que t’as éclusé à fond une chiée de godets que t’as perdu une partie de tes moyens, mec ; autrement sinon j’allais valdinguer comme une bleusaille !
Sa victoire lui fait mal tout à coup ! Il la repousse, la réfute, la renie. Il voudrait la rayer de sa vie ! L’offrir à ce La Meringue au grand cœur ! Se l’extirper du palmarès. La Meringue lui donne sa clé.
— C’est au quatrième sous les tuiles, mon pote. Affolez-vous pas, y a un zig qui pionce dans le plumard voisin, c’est un masseur de l’équipe du papier hygiénique Fafatrin.
« Il est complètement naze et vous pouvez faire votre rodéo sans vous occuper de sa pomme. Pour le réveiller faut lui ouvrir les chailles avec un démonte-pneus et lui faire avaler un verre de scotch tellement qu’il est imbibé ! »
Béru prend la clé, dit merci, cramponne sa bergère et l’entraîne sous un tonnerre d’applaudissements.
— Ah ! ces hommes, roucoule sa rombière avant de sortir, histoire de masquer sa gêne, ils ne pensent qu’à ça !
Alfred pousse une frite mortelle. Il est livide, émasculé par la jalousie. La Meringue lui file un coup de battoir dans la poitrine.
— Joue pas les teigneux, mon pote ! lui dit-il. Le mari a tout de même le droit de toucher les dividendes, non ?
Une fois le couple parti pour accomplir son destin, les conversations reprennent leur cours normal. Ces messieurs se mettent à parler de l’étape du jour, gagnée au sprint par le jeune espoir Richard Pini de la joyeuse Pédale montmartroise. Ce coureur appartient à l’ardente équipe de la Vaseline Facilitas T.O.P.[1]. Il commence une prometteuse carrière puisqu’il a fait deuxième au Critérium des As de Pique cette année et qu’il a remporté sa première grande classique en gagnant Paris-Croupion devant le champion de France Crztwezkszansky.
C’est lui qui, demain, s’alignera au départ, revêtu de ce que mes amis journalistes sportifs appellent : la casaque bouton d’or, le maillot de lumière, la tenue de soleil ou la défroque étincelante. On suppute les chances qu’il a de le conserver le maillot-cocu. Certains affirment qu’il le perdra dans les Alpes et d’autres prétendent qu’il le portera jusqu’aux Pyrénées. Les uns lui trouvent des qualités de grimpeur, les autres assurent qu’il n’est pas fichu de gravir un escalier.
Dans la vie c’est toujours commak. Dès qu’un individu sort du lot il est aussitôt accueilli et cueilli par ses contemporains. Ça se divise illico. Il y a les fans et les détracteurs. Ceux qui brandissent les bouquets et ceux qui balancent les tomates. Les fervents et les courroucés ; les adorateurs et les « merdeurs ». Aussi extrémistes les uns que les autres d’ailleurs ; prêts à vous faire jouir ou à vous faire saigner, j’en sais quelque chose. Par moments, on a envie de plonger dans le grand repos des indifférents. On a besoin d’aller mourir un brin avec eux, pour se remettre de ces excès, se renouveler le moral et se faire dégorger la glande à émotionner.
On est donc tous en train de mijoter ce destin de Richard Pini dans les louches alambics de nos passions lorsque Béru opère un retour furtif. Il est en maillot de corps, avec le falzar tirebouchonné et la bretelle en queue de vache.
La Meringue, qui l’aperçoit, demande, plein de sollicitude :
— T’as eu un incident technique, mon pote ?
— Comme qui dirait positivement, répond le Casanova du pauvre.
— C’est le plumard à une place qui te défrise ?
— On s’y fait, répond l’Hermétique.
— Le sommier métallique qui te file un courjus dans le bigoudi polisson, alors ? cherche à comprendre La Meringue.
— Non. Mais te caille pas la laitance pour le moment, camarade, tranche Béru.
Il a sa bouille pas fréquentable des jours néfastes. L’œil cloaqueux, la pommette lourde, la paupière inférieure couleur de gencive. Au pli amer de la bouche on peut lire son désarroi.
Il vient à moi et se penche sur mon oreille accueillante.
— Tu veux venir, San-A.
Je sollicite l’Amoureux d’un ton sans réplique.
J’ai un début de vertige dans la moelle épinière. Est-ce que, par hasard, madame sa dame voudrait corser la chasse à courre et m’inviter à sa gardienne partouze ? Le Tour of France rend frivole, dit-on. Vous ne voyez pas que la Berthy ait des désirs à grand spectacle, tout à coup ? Qu’elle souhaite un public de qualité pour applaudir à ses ébats et — qui sait ? — y participer ? Peut-être qu’il a une carence due aux libations, Alexandre-Benoît ? Peut-être qu’il lui inscrit relâche au programme, à sa déesse chèrement conquise, et qu’il constitue une caravane de secours pour l’entraîner dans les big vertiges paradisiaques, sa Diane berlinguière ?
— Qu’est-ce qui t’arrive ? m’enquis-je en lui emboîtant le pas, t’as déconnecté en lui faisant le miroir parabolique, Gros ?
— Penses-tu !
Son semi-mutisme sème le trouble en mon âme d’élite. Je gravis les quatre étages de l’hôtel dans ses bretelles traînantes et nous pénétrons dans la chambre où devait se perpétrer la copulation du siècle. Madame Bérurier est assise sur le lit, le drap tiré sur les cuissots. Ses volumineux nichemars reposent sur ses genoux pareils à des cloches à melon. Elle vocifère, l’amazone du Poursantif ! Elle proclame qu’on n’a pas le droit d’abandonner une dame en cours, fût-ce sa propre moitié ! C’est pas correct, sans compter que pour la santé parlez-moi z’en ! Faut que le système nerveux l’admette ! Elle faisait ses quatre pas dans le cosmos, la pauvre chérie, lorsque son abominable homme des neiges a lâché prise et s’est taillé comme un qui aurait oublié d’éteindre le gaz ! Sans un mot ! Vlan ! Môssieur part en vadrouille alors qu’elle s’apprêtait à réclamer la piste. Elle traite son bonhomme d’épithètes dégradantes mettant en cause son honneur et sa virilité.
— Écrase, Gamine, tranche Sa Majesté, j’ai pas l’habitude d’abandonner le gigot au four, mais y a des cas de faux majors, non !
Il explique, en montrant le plumard voisin.
— En nous pointant ici je suis été vérifier que le masseur dont à propos duquel causait La Meringue en écrasait bien. Il roupillait comme un ange. Rassuré, je me mets à l’établi et j’entreprends Berthy dans le savant, le velouté, pas vraie ma Grosse ?
D’un battement de cils, B.B. ratifie.
— Et puis, poursuit l’Inépuisable, alors que j’y interprétais le grand air de la Flûte enchantée de vous connaître, voilà que j’entends une sorte d’espèce de petit bruit comme fait un robinet mal fermé. Aussi lancinant clap… clap… clap… Moi tu connais mon côté intellectuel, San-A ? Un machin de ce genre ça m’accapare la gamberge, ça me distrait de mon turbin.
— Parce que t’appelles ça un turbin ? grince B.B., outrée.
Il lui flatte la bajoue d’une caresse.
— Manière de causer, ma Très Belle, tu vas pas me chipoter le mot, c’est le dont à quoi il se rapporte qui compte.
Revenant à son récit, La Béruche poursuit.
— En amour, assure l’Edifiant, tu peux pas te permettre d’être distrait. C’est comme si tu ferais ta déclaration d’impôts en écoutant Maurice Biraud, pour le coup t’as vite fait d’inscrire la grand-mère à charge dans la colonne des revenus ! Vlà donc que je cavale au lavabo pour arrêter ce clap-clap. Mais le robinet gouttait pas. Je trouve enfin la source du bruit. Ça venait de sous le pageot du masseur. « Ça y est que je me dis, cet animal est tellement chlass qu’il s’oublie dans les toiles. » Je regarde (Il m’oblige à me pencher.) Et vise un peu ce que je mate !
Je tressaille en découvrant une large flaque de sang en train de noircir sous le plumard du voisin de chambrée.
Béru s’approche du dormeur (ô combien endormi !) et, rabattant le drap, me montre quelque chose de pas joli. Un plaisantin a vidé un plein chargeur de pruneaux dans le bide du gars. Un vrai carnage ! De la bouillie !
— Tu parles d’un travail de bricoleur ! murmure Sa Majesté. Il avait pas le style orfèvre le gnace qui a fait ça !
Un hurlement ponctue. C’est Berthy qui l’a poussé. Elle vient de découvrir le défunt et ça la commotionne. Elle veut se sauver sans prendre le temps de réintégrer ses fringues. Elle est à loilpé, la pin-up Bérurière. Sa viandasse clapote autour de ses montants comme le chargement d’un âne bâté. Elle s’affaire, s’affole, s’affaisse, s’affale, s’afflige, mais la voix maritale, rude et riche, grasse et calme, la retient.
— Berthy, un peu de nerfs, quoi, merde !
Femme d’un homme d’élite, elle prend conscience de ses obligations, et, partant, de sa nudité. La voilà qui réintègre son slip et qui arrime son monte-charge.
— Qu’est-ce qu’il a eu ? demande-t-elle en désignant le cadavre.
— Une indigestion de pruneaux, répond Sa Plaisante Majesté.
Je considère le mort. Un zig d’une quarantaine d’années aux traits brouillés par l’alcoolisme. Sa farine a l’air d’avoir été récemment retirée d’une marmite d’eau bouillante. Elle est toute boursouflée, toute cloquée, toute violacée. Le tord-boyaux ça vous marque un visage pire que la boxe. Il a les yeux fermés. Il est blond, avec des tifs rares et un front qui s’étale jusque derrière sa tête. Il commençait à rouler sur la toile, l’assassiné. J’avise une bouteille de scotch sur la table de noyé. Les fringues du zig sont jetées sur une chaise. Sans aucun doute on lui a défouraillé dessus pendant son sommeil… Je chope son porte-cartes dans la poche de son blouson de daim. Ce gentleman s’appelle Hans Brocation, profession : masseur. Nationalité : helvétique.
— Va chercher La Meringue, dis-je au Gros, mais ne l’affranchis pas de ce qui se passe. Tu me l’amènes en douce…
Au lieu d’obtempérer, le Gros se tortille.
— Écoute, murmure-t-il, on pourrait pas bénéficier d’un petit temps mort, histoire que je finisse ma Gravosse ? Une fois la nouvelle répandue ça va faire tout un pataquès et le gars moi-même va se mettre la tringle…
Berthy se récrie. Elle s’en ressent pas pour jouer les Marguerite de Bourgogne à deux mètres d’un macchabée.
Le Gros, plus cuirassé que le Potemkine, hausse les épaules.
— Et alors ? bougonne-t-il, il risque plus de nous déranger. En voilà des manières ! Je voudrais pas t’offusquer, Berthy, mais je trouve que tu fais ta sucrée au contact d’Alfred. Depuis qu’il a inventé sa connerie à faire reluire les casquettes en peau de fesse, il s’envole, le Fredo !
« Il se prend pour le Docteur Chouette z’air ! On va tout de même pas lui cloquer le Nobel pour son berlingot de mes choses ! C’est pas la potasse universelle ! »
Mais il a beau s’employer et se déployer, B.B. demeure inflexible. Inutile d’insister, elle ne fera pas l’amour à la morgue ! Je viens à son secours et fais appel au reliquat de respect humain qui pourrait subsister chez Béru. Il renfrogne épouvantablement. Y a décidément rien à branler contre le mauvais sort. Il regrette sa réaction flicarde qui l’a poussé à me prévenir avant que d’avoir achevé sa noble tâche. Il a eu l’élan professionnel et il le paie maintenant. En maugréant, il descend chercher La Meringue tandis que Berthe se harnache, se sangle, s’agrafe, se rajuste, se colmate et se civilise.
— Vous parlez d’une aventure ! soupire-t-elle.
Mon pauvre Alexandre-Benoît était si fougueux…
Et puis voilà…
Pendant qu’elle offre au ciel sa navrance physique jointe à celle de l’époux, j’explore les vêtements et les bagages du mort. Je n’y trouve rien d’intéressant. Hans Brocation possède la panoplie du parfait masseur : gants de crin, rouleaux de caoutchouc, onguents variés, etc. Sa garde-robe est rudimentaire : quelques chemises et deux pantalons. Voilà qui est maigre. Pourquoi a-t-on flingué ce pauvre bougre ? En général on n’assassine pas les épaves. A priori je décide qu’il s’agit d’un règlement de comptes. Hans Brocation a dû traficoter avec le mitan à un certain moment de sa vie ; il se sera mal comporté et on vient de lui solder son compte.
Bérurier réapparaît, escortant l’énorme La Meringue. On a l’impression qu’il prépare un numéro de dressage d’éléphant pour le prochain gala de l’Union, mon petit camarade. La Meringue est blindé à fond. Quand il marche, on dirait qu’il traverse, en pantoufles, une terre labourée.
— Qu’est-ce que vous me v’lez ? bavoche-t-il. J’étais en train d’écluser la… heug… tournanche du taulier : un marc vieilli qu’était paraît-il conscrit de Victor Hugo !
Il se laisse choir sur un siège.
— Y a longtemps qu’il est mort ? demande-t-il.
— Une heure environ, je suppose, répond le Gravos.
La Meringue ouvre grand ses lampions pour s’aérer la comprenette.
— Tu te fous de moi, pépère ! Victor Hugo était déjà canné avant que mon père vinsse au monde !
— Je te cause pas de Victor Hugo, hé, pomme à l’huile ! fulmine Sa Débraillance, mais de ton camarade de chambre.
La Meringue met un petit morceau de moment à réaliser. Il regarde en direction du plumard funèbre, se passe la gourmande sur les lèvres et murmure :
— Vous charriez ! Il est pas clamsé, le gars Brocation, c’est seulement qu’il a son taf de gnole ! Je vous le disais qu’il se poivrait tellement qu’il faut lui faire le plein au super chaque matin pour qu’il peut se lever. Il sucre comme un vibrator ! C’est pour ça qu’il est le meilleur masseur du Tour !
— Moule-nous, hargnit Béru. Lève-toi et marche, Saint-Lazare !
Il haie son ci-devant adversaire jusqu’au lit où gît le déçu jus (Vachement phonétique, comme phrase, hein ? Ils ont raison, les gars de la Fac ; si je m’étais orienté sur le vermifuge je devenais le poète du siècle. Notez que je regrette rien, on aurait fait tarter des tas de petits lycéens avec mes bouts rimes qui n’auraient rimé à rien. Je les distrais au lieu de les faire bâiller et ils m’aiment bien au heu de m’haïr ; je préfère).
Bérurier dévoile à nouveau l’horrible blessure d’Hans Brocation.
— Admire un peu le paysage, gars, ironise-t-il. Et reconnais que c’est pas avec une bouteille de scotch qu’il s’est fait ça !
La Meringue chancelle sur ses baobabs.
— Ah ben, ça alors, bée-t-il.
Il n’arrive pas à détacher ses yeux de l’affreux spectacle.
— A quelle heure l’as-tu quitté ? interrogé-je.
Le voilà un peu dégrisé, le chantre des biscuits Vaporetto. La commotion lui a rectifié le cervelet. Le plancher est redevenu la mer calmée.
Il se gratouille la tempe, s’arrache une croûte et balbutie.
— Ben, après la bouffe. Il était vers les 9 heures et demie. Il jallait ballepeau, Hans. Son biberon lui suffisait. Je suis remonté chercher mes cigarettes. Il roupillait par terre. J’y aidé de se coucher. Pas fastoche. Il m’a réclamé son dernier glass. Au goulot qu’il l’a tutoyé. Il se farcissait des lampées magistrales, de quoi endormir un kilo de café ! Ensuite j’ai redescendu et voilà…
— Il avait l’air inquiet ces derniers temps ?
— Tu sais, mon pote, me répond La Meringue, je l’ai retrouvé qu’hier matin au départ de Paname et je l’avais pas vu depuis le dernier Tour de France. Alors pour sa vie sentimentale, adresse-toi plutôt à Confidences !
— Montre un peu tes pognes, Mec ! enjoins-je.
— Qu’est-ce qu’elles ont ? s’étonne le cachalot.
Je lui cramponne les escalopes et je les renifle. Elles sont cradingues comme celles d’un marchand de journaux mais elles ne sentent pas la poudre. La Meringue comprend ma suspicion. Il s’emporte (en faisant plusieurs voyages).
— Non mais des fois ! glapit-il. Tu te figures tout de même pas que c’est moi qui y ai fait cette césarienne au camarade masseur !
Bérurier tente de justifier mon geste.
— Vous logiez dans la même carrée, gars. C’est juste qu’on procède par illumination.
Ça ne suffit pas à apaiser La Meringue.
— Un gnace qu’avait pas un pélot, qu’est-ce que ça pourrait me rapporter, à part des emmerdements, de lui faire une brioche à claire-voie, bande de truffes !
— Quelqu’un lui a tout de même mis la tripaille en devanture, lui rétorqué-je.
Le bien-fondé de la réplique ne lui échappe pas.
— Je me demande qui t’est-ce qu’a pu se permettre cette plaisanterie, soliloque ce pauvre avec un rictus. Il y a dû avoir gourance chez le mitrailleur.
— Pourquoi pas, accepté-je. Dans tous les cas, c’est pas la peine de monter cette histoire en mayonnaise. Rassemble tes fringues, Gros lard, on va devoir condamner cette piaule.
— Et où que je vais crécher ? se récrie La Meringue. Je suis vanné, moi !
— Débrouille-toi, impitoyé-je. T’avais qu’à pas faire chambre commune avec un gars à abattre !
Le patron de l’Hôtel des Voyageurs et de la S.N.C.F. réunis est un grand type dont les parents ont été asiatiques jadis (il a les yeux comme les phares d’une Ami 6) et qui n’est plus qu’hépatique (because la Bourgogne ambiante). Il porte un costar en alpaga bleu et un polo rouge.
Je l’entraîne à l’écart. Du moins j’essaie car l’établissement est tellement bondé qu’il n’y a plus d’écart possible. Une quinzaine de gus pioncent dans le petit salon et l’épouse du taulier dort dans le box de la réception avec ses quatre enfants et sa vieille mère.
Je choisis le tambour de l’hôtel, suprême, mais provisoire coin de solitude.
— Vous avez un client nommé Hans Brocation, dis-je à cet homme de bien, il est masseur dans l’équipe du Papier hygiénique Fafatrin.
Le patron de la crèche hausse les épaules.
— C’est possible, avec ce qui m’est arrivé comme populo sur les côtelettes en fin de journée, vous pensez bien que je n’ai pu assimiler les noms.
— Ce garçon a reçu de la visite dans la soirée, dis-je.
— Et alors ? s’étonne de plus belle le taulier.
— J’aimerais savoir qui a demandé après lui ?
— Mais pourquoi toutes ces questions ? Qui vous autorise à…
— Ceci ! tranché-je en déballant ma carte pro.
Il s’assombrit, l’alpagué à polo. La volaille, il l’aime en cuisine seulement, pas dans la réception.
— Des ennuis ? fait-il.
— Un peu. Alors, réponse ?
— Venez, c’est mon épouse qui se trouvait à la caisse, ce soir.
On s’approche du comptoir acajouteux recouvert d’une plaque de verre. Sous la vitre y a des vues de Dijon, et, derrière le comptoir, les personnes indiquées précédemment. La taulière roupille avec sa progéniture, tandis que la grand-mère récite son chapelet, ça lui tient peu de barbiturique.
— Vous pouvez me réveiller Zézette, Mère ? demande mon interlocuteur, penché par-dessus le bastingage.
La vioque fait signe qu’elle va finir son pater de foi car on ne parle pas la bouche pleine. Elle a l’âge d’oraison, cette digne dame. Afin de ne pas nous faire trop attendre elle passe la surmultipliée et ses lèvres fonctionnent en accéléré. La voilà qui décharge son grain de rosaire et qui nous file un « Ainsssss-t-il » chatouilleur.
— Zézette ! hèle-t-elle alors en secouant sa fille.
— Non, Monsieur Georges, pas aujourd’hui, mon mari va arriver, fait Zézette dans un état second.
— Fernand veut te causer ! lui rectifie sa mère.
Ça réveille la dame gargotière qui se met sur son séant. Elle porte une chemise de noyé transparente à travers laquelle on aperçoit non seulement des trucs, mais aussi des machins. Elle nous vasistasse en souriant.
— Je rêvais, s’excuse-t-elle.
— Je te demande pardon mon petit cœur, fait Fernand. C’est Môssieur qui voudrait un renseignement.
Il baisse le ton et ajoute après s’être assuré qu’aucune oreille étrangère ne traîne dans les parages :
— Il est de la police.
L’aimable loueuse de sommeil ne se démunit pas de son sourire. Sa vieille maman ferme les yeux pour redémarrer son chapelet. Notre interruption la distrait et l’allumage se fait mal. Elle est obligée de s’élancer dans une pente pour repartir.
— Un certain Hans Brocation est descendu chez vous, il occupe la chambre 421 en compagnie d’un autre caravanier.
— En effet, reconnaît l’ex-dormeuse. Ça me dit quelque chose.
— Quelqu’un a dû réclamer après lui dans la soirée ?
Elle branle le chef (ce qui, dans sa profession n’a rien de surprenant).
— Absolument pas.
— Vous en êtes certaine ?
— J’ai pas bougé d’ici, affirme-t-elle.
Je réfléchis. Brocation aura donc été buté par quelqu’un habitant l’hôtel, à moins qu’il n’ait indiqué le numéro de sa chambre au quelqu’un que je vous cause, mes crêpes !
— Vous devriez faire opérer votre petit dernier des végétations, préconisé-je, en désignant un racho dans la position du fœtus en campagne, il dort la bouche ouverte !
— Ma femme peut-elle se rendormir ? grogne le gargotier impatienté.
— Elle peut, condescendé-je.
Le patron grommelle encore :
— J’aimerais savoir ce que vous lui voulez, à mon client ?
— A lui, rien, réponds-je.
Lors, la dame hôtelière s’inquiète :
— Il a porté plainte ? Il lui manque quelque chose ?
— Il n’a pas porté plainte mais il lui manque effectivement quelque chose, sibyllins-je.
— Quoi ? croasse Fernand.
— Quoi ? coasse sa femme (elle n’est que soprano).
— La santé, je murmure, car, pour ne pas vous le cacher davantage, il est mort à ne plus en pouvoir !
L’hôtelier s’ouvre en deux latéralement tant est vive sa surprise, intense sa contrariété, évidente sa mauvaise humeur.
— Allons, bon, murmure-t-il, du ton d’un campeur constatant que la pluie se met à tomber. Subitement ?
— Tout ce qu’il y a de subitement !
— Crise cardiaque ?
— Consécutive à la réception d’un chargeur de revolver dans la région abdominale, mon cher ami. On est peu de chose !
Tandis qu’il s’empêtre dans son émotion, j’appelle le commissariat le plus proche. J’explique à mes collègues aussi bourguignons qu’endormis qui je suis et ce qui vient d’arriver. Au plus fort de ma narration, le trio Bérurier, B.B., La Meringue traverse le hall avec des airs de conspirateurs.
— Si on aurait besoin de nous, confie Sa Majesté à mon oreille vacante, nous sommes dans le camion des biscuits Vaporetto. Une idée de La Meringue, c’est le seul endroit dans cette garcerie de ville où qu’on peut trouver Berthe et moi un peu d’isolation.
Là-dessus ils sortent, curieusement cornaqués par le pachyderme.
— C’est une calamité, lamente le taulier après que j’ai raccroché. Un homme assassiné chez moi, en plein Tour de France ! Vous jugez ?
— Vous cassez pas le chou-fleur, Fernand, on va essayer d’amortir le coup gentiment, affirmé-je, car j’adore éluder autant qu’élucider.
Alfred, un tantinet beurré, traverse le hall pour venir cueillir sa clé. Il a le regard sombre et la lèvre torve des jaloux.
— Alors, les amoureux sont en travail ? grince-t-il.
— Comme des braves, renchéris-je. Alexandre-Benoît a de l’arriéré dans le kangourou à mettre à jour.
Les joues du pommadin se creusent. Il s’ulcère, Alfred. Il a le bonjour.
— Ce gros porc va me la mettre sur cric, ronchonne-t-il, et demain matin au départ, Madame jouera la Dame aux Camélias, c’est couru !
Avec un haussement d’épaules, il s’engage dans Pescadrin.
La flicaille dijonnaise s’annonce sur ces entrefaites. Elle est représentée par deux poulagas rougeauds qui tentent de me snober m’écoutant sans me regarder, comme si je n’étais qu’un simple témoin.
Nous montons dans la piaule mortuaire. Dès qu’ils ont examiné le mort, ils demandent à entendre son voisin de lit, ce qui est très légitime. Soucieux de préserver les amours béruréennes, je leur dis que l’intéressé est absent pour un moment. Ils se rabattent alors sur la chambre voisine. Celle-ci est occupée par deux coureurs de l’équipe Fafatrin : l’Espagnol Alonzo Giro, que ses qualités de grimpeur ont fait surnommer le petit Condor pyrénéen, et l’Allemand Rudy Manther, dont le physique de pin-up boy lui a valu d’être baptisé Beauboche par les suiveurs.
Les malheureux roupillent comme deux coureurs cyclistes venant d’accomplir une étape et s’apprêtant à en disputer une autre. Mais quand deux flics ont décidé de réveiller quelqu’un, les habitants du Père-Lachaise eux-mêmes ne leur résisteraient point. Les valeureux champions grognent l’un en espagnol, l’autre en allemand, ouvrent un œil, puis deux, puis quatre, et enfin se dressent dans leur couche en disant « Que ? » et « Was ? »
Les difficultés commencent pour mes collègues dijonnais car à eux deux, ces vaillants coureurs ne connaissent que quatre phrases de français, qui sont : Je suis très content d’avoir gagné. — Anquetil était trop fort aujourd’hui. — J’ai été gêné au sprint. Et : Pouvez-vous m’indiquer le chemin de mon hôtel je vous prie ?
On le voit, c’est un peu jeune pour répondre aux questions indiscrètes de deux poulardins ne causant que le français-de-commissariat-de-province. Force est donc à mes grincheux confrères de faire appel à mes vastes connaissances linguistiques. Je demande à Alonzo Giro, dans la langue de Cervantes, et à Rudy Manther, dans celle de Karl Marx, s’ils ont entendu un bruit insolite dans le courant de la soirée. Les équipiers du Fafatrin hochent la tête en espéranto. Ils en écrasaient si fort qu’on aurait pu organiser un concours de tir dans leur propre piaule sans risquer de les réveiller.
Résultat négatif. Aussi allons-nous toquer à la chambre d’en face où loge le directeur sportif de l’équipe du Papier Hygiénique Fafatrin, le fameux Jean Méhunraillon, deux fois vainqueur du Tour de Monaco dans les années 30, ex-recordman du monde de l’heure (il a travaillé chez Lipp avant de faire du vélo) et qui offrit la particularité de faire toute sa carrière de champion sur un vélo sans selle car il est albuminurique. C’est maintenant un petit quinquagénaire d’une soixantaine d’années, trapu, râblé — comme un cardeur —, qui porte en permanence une blouse grise d’emballeur, des pantoufles de feutre à carreaux et un béret aussi basque que noir, sommé d’une petite couette du style poire William. Il est grisâtre de teint, il a des mallettes-voyage sous les lampions, et il fait du rappel en marchant depuis son fameux accident dans Le Tourmalet en 1933 (comme il réclamait à boire, une âme charitable lui avait envoyé une canette de bière à travers la figure alors qu’il longeait le précipice).
— Qu’est-ce c’est que cet hôtel de mes trois[2] brame Méhunraillon en nous ouvrant sa lourde.
L’ancien champion met, en guise de pyjama, un de ses vieux maillots jaunes. Par coquetterie, supposent certains, par souci d’économie et afin d’utiliser les restes, sous-entendent les autres. Toujours est-il qu’avec ses jambes torses, son maillot qui s’arrête légèrement au-dessous du nombril, sa barbe pas rasée et son béret enfoncé jusqu’aux oreilles (en position de bonnet de nuit) il ne ressemble pas à tout le monde Jean Méhunraillon. C’est de la figure de légende, ça, mesdames ! Tout en nous fustigeant d’un regard rageur, il flatte ses bijoux de famille comme on fourbit les cuivres du salon le samedi matin.
— Vlà un moment que j’entends du ramdam, fulmine-t-il. Si mes hommes logent dans un hall de gare, ils vont pas avoir l’éclat du neuf demain !
Nous le calmons quelque peu en lui révélant qui nous sommes. Depuis que mes bourguignoches m’ont chargé de questionner les deux coureurs, ils ont mis leur superbe en torche et me laissent l’initiative des opérations.
— Vous êtes pieuté depuis longtemps, Jeannot ? je demande (car Méhunraillon tient à son aimable diminutif, lequel est en fait un augmentatif vu qu’il est plus long que son nom véritable). Le comble de la célébrité c’est de provoquer la familiarité en somme. Quand on dit Maurice, on sait qu’il s’agit de Chevalier, Brigitte correspond à Bardot, et lorsqu’on parle de Charles, tout le monde sait bien qu’il ne peut s’agir que d’Aznavour. Jeannot, lui, c’est Méhunraillon, que Marais le veuille ou non !
— Depuis neuf heures, mon petit gars, me répond le directeur sportif des Fafatrin’s boys.
— Vous n’auriez pas entendu crépiter quelques coups de revolver, par hasard ?
— Pourquoi ? ne s’émeut-il pas. On projette un western dans cet hôtel de mes trois ?
— On ne le projette pas, on le tourne, Jeannot. Pour ne rien vous cacher, quelqu’un a buté quelqu’un en lui lâchant un chargeur dans la tripe.
— Quelle idée ! grommelle L’ex-recordman en bâillant copieusement.
— Je vous concède qu’elle est saugrenue, poursuis-je. Néanmoins nous aimerions interviewer l’auteur de cette plaisanterie. Il a défouraillé à l’aide d’un silencieux, pourtant la seringuée a dû faire quelque bruit, c’est pourquoi je reprends ma question initiale : avez-vous entendu quelque chose ?
Il masse sa cicatrice d’appendicite afin de la dépoussiérer un brin. Son maillot jaune a pâli, comme sa gloire.
— Il me semble, reconnaît-il, sur le coup de dix heures, en effet, j’ai été réveillé par un bruit bizarre, comme une étoffe qu’on aurait déchirée à petits coups…
— Ça m’a l’air d’être ça, conviens-je. Et ensuite ?
— Quoi ensuite ! s’emporte Jeannot. C’est tout !
— Après ce bruit, il n’y en a pas eu d’autres ?
Il gamberge sous son béret, remonte la lisière de cuir pour couler un doigt gratteur dans sa tignasse grise.
— J’ai entendu courir dans le couloir, en direction de l’escalier, admet le ci-devant vainqueur du Tour de Monaco. Deux personnes je crois. Là-dessus je me suis rendormi.
Il rebâille.
— C’est quelqu’un de l’étage qui s’est fait déguiser en défunt ?
— Votre voisin d’en face, Hans Brocation !
Alors là je vous prie de croire que ça lui fait de l’effet au vieux Jeannot ! Il a la pointe du béret qui se dresse droit sur sa tranche.
— Mon masseur ! s’égosille-t-il.
— La main de votre masseur ne se fourvoiera jamais plus dans la culotte d’un zouave, déclamé-je. Vous lui connaissiez des ennemis ?
Jeannot est obligé de s’asseoir sur son lit-cage dont le sommier se met à jouer un air de xylophone. Il paraît anéanti.
— Comment ce vieux poivrot aurait-il eu des ennemis, à part les bistrotiers qu’il ne pouvait pas payer !
Il tortille les poils de ses chevilles entre deux doigts.
— On ne l’aurait pas scrafé par erreur ? hypothèse-t-il, car vraiment je ne pige pas ce que sa pauvre mort peut fournir comme avantages à qui que ce soit ! Même les Pompes Funèbres ne vont pas faire florès, vu qu’on va le sardiner dans l’emballage des indigents !
— ??????!!!!! lui réponds-je, car j’ai lu Alphonse Allais.
— Me v’là dans de beaux draps, poursuit Jeannot.
— Les siens sont encore moins propres, m’offusqué-je. Il vivait comment, le masseur ?
— En bohème — soûlot. Il créchait au petit bonheur la chance, dans des hôtels miteux. Sa grande période c’était au moment du Tour et des grandes classiques. Chaque début de saison c’était la croix et la bannière pour lui refout’ la main dessus ! Mais nous autres, directeurs sportifs, on se battait pour l’avoir.
— Où l’avez-vous déniché cette année ?
Il a un sourire triste, le premier depuis qu’il a appris la mort de son masseur.
— Dans une clinique où il se faisait désintoxiquer. Je n’en revenais pas. Il y était entré depuis huit jours et le toubib ne voulait rien chiquer pour le laisser partir en pleine cure. C’est moi qui ai incité ce pauvre Hans à se tirer. Il aimait tellement son turbin que ça n’a pas été difficult. On peut dire qu’il s’est pratiquement sauvé de la clinique.
— Le nom de cet établissement ?
Jeannot enfile un slip ravaudé jusqu’à la mue.
— La Maison de Repos du docteur Brindezingue, à Neuilly.
Je connais de réputation. Cette taule passe pour être l’une des plus coûteuses de la région parisienne. J’émets un léger sifflement.
— Voilà qui me laisse un arrière-goût d’incompréhension, fais-je. Comment ce traîne-patin de Brocation a-t-il pu s’offrir une cure dans cette maison de grand luxe ? Il avait réussi un beau tiercé ou quoi ?
— Ça m’a surpris aussi, révèle Jeannot. Je lui ai posé la question et il m’a répondu que ce traitement lui était offert par des amis à lui, soucieux de sa petite santé.
C’est tout ce que l’ancienne gloire de la pédale peut nous révéler, convenons que ça n’est déjà pas si mal.
Nous prenons congé de Méhunraillon pour aller tenir, mes collègues et moi-même, un conseil de guerre dans le couloir. Ils ne font pas de cadeau, les Bourguignons, comme dirait Jehanne Hachette (pas celle des messageries, l’autre).
— On va fouiller toutes les chambres pour si on trouverait le revolver, décident-ils. Et puis faire le test de la paraffine à tous les clients pour voir s’ils se seraient servis d’un pétard.
Allons, voilà qui va faire plaisir au pauvre taulier.
Je les laisse investiguer seuls parce que j’ai grande envie de bavarder un chouïa avec La Meringue.
Il y a un groupe de pégreleux sur la place du Colonel-Factieux-de-la-Derniaireur[3]. Ces quidames et ces quimessieurs cernent le camion des biscuits Vaporetto : un vingt tonnes semi-remorque représentant un biscuit gaufré fourré chocolat.
Je m’approche. Un vacarme appréciable monte du véhicule. Il chancelle sur ses amortisseurs, danse, tangue, roule, chavire, trépide, tressaille, tressaute, trezaladouzaine, frémit, tohu-bohuze, palpite, se balance, s’accordéone, se débiscuite. A croire qu’il héberge un troupeau d’éléphants en délire. A l’intérieur, la radio marche à pleine vibure, fougnazant à tous les échos (chacun paie le sien) une merveilleuse chanson nouvelle, vociférée à la scène comme à la ville par Teddy Robert’s (plus connu de l’État Civil sous l’appellation contrôlée de Joseph Dupied). Les paroles de cette scie circulaire sont si nobles, si belles, si profondes, si exaltantes, si évocatrices, si sensuelles, si déterminantes que je me dois de les reproduire ici, in extenso :
Darling ! Il love you
Oui, oui, oui, oui.
Please, darling, kiss me
Si, si, si, si.
Vous répétez onze fois de suite, sans changer de ton, vous ajoutez deux doigts de sanglot, un zeste d’orgasme, une cuillerée de soupir et vous laissez cuire trois minutes dans le four de votre électrophone. Si au bout de ce délai vous n’obtenez pas le grand succès, vous recommencez l’opération, mais en chantant cette fois dans un verre de lampe.
Les clameurs pâmées, pommées, primées de Teddy Robert’s ne suffisant pas à couvrir le tohu-bohu sévissant à l’intérieur du camion. La Meringue se voit dans l’obligation d’adjoindre au poste son propre organe. Il chante à pleins poumons « Les jolis soirs dans les jardins de l’Avant-Bras ». Et c’est pour lui qu’on accourt, autour de lui qu’on fait cercle.
Les insomniaques réveillent les somniaques. La population dijonnaise se pyjamase, se robe-de-chambre, se pantalonne, se pantoufle, se cachenèze vite fait pour venir assister à l’aubade nocturne. La Meringue possède une voix de canalisation, elle est épaisse, mais on sent qu’elle vient de loin, de profond et qu’il y a de la pression.
Il émet en chambre d’échos. Il ouvre grand l’écluse, le cachalot. Ça emplit toute la nuit bourguignonne, ses si bémol galvanisés. Adieu je pars, qu’il mugit, et dans mon cœur j’emporterai… (Y aura pas besoin de faire plusieurs voyages vu que si son palpitant est à l’échelle du bonhomme, il doit être vaste comme le coffre à bagages d’une Chevrolet)… le souvenir de tes grands yeux et leur secret…
Y a des gamins qui sont juchés sur la statue du colonel Factieux de la Derniaireur, laquelle représente le fameux militaire dans une pose inoubliable : il a deux doigts de la main gauche passés dans le décolleté de sa braguette tandis que l’index de sa main droite désigne le ciel. Les vieux de l’assistance pleurent, parce que le chant de La Meringue leur rappelle le passé. Faut jamais touiller la mémoire d’un vioque, sinon ça se trouble à l’intérieur et son vase d’expansion se met à déborder. Au refrain, l’assistance fait « tagada tagada » avec ensemble, sérieux et bonne volonté. Aux fenêtres, quelques mégères fantomatiques protestent, mais on ne les entend pas. Elles vident leur pot de chambre, mais la moisson d’iceux est encore faiblarde vu qu’il est à peine minuit. La Meringue peut malgré tout achever sa chanson. On l’acclame. On crie bis. Alors la porte latérale du camion coulisse et Béru apparaît dans la noire et béante ouverture. Il est en slip et en chaussettes dépareillées. Il a le cheveu collé par l’amour, le regard en flamme de cierge, le poil de poitrine irisé, le nombril exorbité, le bide bouddhiste, le genou poulinier, la bouche extatique, les muqueuses fanées et le piston-farceur tourné vers le pôle Sud.
— Bis ! s’exclame mon Valeureux. Bis ! bisse-t-il. Mais y a longtemps que j’ai bissé, et même trissé, bande de malheureux ! Alors trissez-vous aussi !
La population stupéfaite se soumet. Une population se soumet toujours d’ailleurs, surtout si elle a été préalablement stupéfiée.
— On peut t’entrer ? demande La Meringue, parfait de discrétion.
— Yes, mon pote, répond le Casanova du faible. J’espère que ma Madame est en état de recevoir.
Nous escaladons le marchepied du camion.
— Y a pas une loupiote dans ton zinzin à roulettes ? s’inquiète Béru, il y fait noir comme dans la poche d’une soutane et faut opérer ses manœuvres au jugé !
— T’es pas dégourdoche, fiston, ricane La Meringue en actionnant un commutateur.
Un large plafonnier s’éclaire, dispensant une lumière de bloc opératoire dans le véhicule. Aussitôt, La Meringue pousse un cri de détresse.
— Ah ! les vaches ! mugit-il paradoxalement.
Je mate aussi et je dois convenir qu’il y a du désastre à bord. En se livrant à leurs ébats, les Bérurier ont des miettes de biscuit plein les tifs. Un monceau de biscuits Vaporetto brisés menus gît sur le plancher. Des paquets crevés, éventrés, déchiquetés, hachés perdant leur contenu par mille et mille déchirures. On marche dans du biscuit ! On respire de la poussière de biscuit (le Vaporetto super-gaufré au lait de cacahuète). Les Bérurier ont des miettes de biscuit plein les tifs et plein les poils. Ils sont farineux, sucrés, amandes, cacahuettés, biscuités en un mot. Ils se grattent ! Ils mâchouillent et s’extirpent du biscuit de tous les orifices.
— Excuse-nous, murmure sobrement le Monstrueux, on a fait un peu de désordre !
Puis, son beau visage s’éclaire d’un franc sourire.
— C’est ce qui s’appelle tremper le biscuit, hein ? triomphe-t-il.
Mais devant un pareil séisme La Meringue n’est plus perméable aux boutades.
— Ah ! les carnes ! hurle-t-il. Ah ! les sagouins ! Les fascistes ! Ah ! les vandaux ! Les chacaux ! Les brutals[4] ! Ah ! les assassins ! Les tantes ! Ah ! les gorets !
« Ah ! les poubelles ! Les affreux ! Les forniqueurs ! Les foutriqueurs ! Les sauvages ! Les Cosaques ! »
Il s’arrête à bout de souffle et d’épithètes.
— Justement, plaide le Gravos, c’est dans ma troisième séance que j’y ai fait le Cosaque en chaleur à bobonne. Dans l’obscurité je m’apercevais pas sur quoi t’est-ce que je marchais. Mais t’émulsionne pas le raisin, La Meringue, on va faire un peu de ménage, Berthe et moi !
— Du ménage, maintenant que vous avez bousillé la moitié de la cargaison ! s’étrangle l’obèse.
Lors, Béru-le-brutal, Béru-le-sauvage, Béru-l’Attila devient Béru-le-philosophe, Béru-le-sentencieux, Béru-le-raisonneur.
— Ménage ta bille, gars. Tes biscuits, tu les distribuais après tout. C’est bien simple, t’auras qu’à rationner les foules à dater de dorénavant. Tu refiles ta came aux vioquards et aux sous-alimentés only, avec légère priorité aux mêmes et aux gamins hydrocéphaus[5].
— Marre à la fin ! glapit le bonimenteur de la maison Vaporetto (dont la devise est « Ne vous embarquez jamais sans biscuits »). Fous-moi le camp avec ta morue pas fraîche ! On veut rendre service aux gens et on retire que des avanies !
Berthe qui se débat avec la fermeture éclair de son blouson (car rien n’est plus long à actionner qu’une fermeture éclair de blouson) se rebiffe. Béru voudrait lui protéger l’honneur, mais La Meringue est au paroxysme, à l’incandescence, au degré de fusion, au point de rupture !
Me prenant à témoin, il me déballe ses doléances.
— Vous parlez d’un début de Tour ! Je perds aux dames, mon copain de chambrée se fait flinguer et ces cannibales déguisent mes biscuits en chapelure ! Ah je vous le jure ! C’est ma fête aujourd’hui ! Bon, virez-moi ces deux guignols pendant que je vais chercher un balai ! J’ai déjà rencontré des turbulents du radada, mais des comme eux, jamais ! Deux bulldozers auraient fait l’amour avec plus de retenue…
Vociférant, il s’éloigne dans la nuit en direction de l’hôtel. Béru achève de se refringuer.
— Évidemment, reconnaît le Formidable, on a pris un peu trop ses aises comme si on aurait été dans un bavouillodrome spécialisé. Mais quoi, ça faisait plusieurs jours qu’on se mettait la tringle, hein ma poule ?
Gênée, Berthy se contente de battre pudiquement des paupières. Nous abandonnons le camion. La place est maintenant déserte et la nuit étoilée se déguise en Van Gogh.
— Venez voir notre camion à nous, roucoule la trop-aimée en nous drivant vers un angle de la place.
Le gars Alfred a bien fait les choses. Sur le flanc du véhicule on a peint un énorme berlingot et on peut lire en caractères géants cette honorable attestation :
J’ai essayé le berlingot Poursantif. C’est for-mi-dable ! Bernard Chauve.
J’admire la hardiesse de cette publicité, lorsqu’une espèce de petite toux sèche et glavioteuse retentit à l’autre bout de la place. On dirait qu’on vient de frotter une gigantesque allumette sur un non moins gigantesque grattoir. Ou bien non, on dirait qu’on débouche presque simultanément quatre ou cinq bouteilles de champ’. Ça me fait tressaillir, puis courir.
— Où vous allez z’ainsi ? s’écrie la Grosse comblée.
Je ne réponds pas. Moi, vous me connaissez, au moins de réputation ? Lorsque mon pifomètre a sorti son antenne, je capte les messages venus d’une autre galaxie. En ce moment je suis prêt à vous parier une infusion de queues de cerises contre la permission de compisser un homme-tronc que quelqu’un vient de se servir d’une arme munie d’un silencieux.
Je cours en direction du bruit. C’est venu de vers l’hôtel. J’avise une masse par terre. Je me penche : c’est La Meringue. Il est assis sur son monstrueux dargif, pressant contre soi une pelle en fer.
Il halète.
— Ah ben, ça alors !
— Que t’est-il arrivé ? m’enquiers-je.
Il brandit sa pelle. On dirait un bébé obèse qui s’apprête à faire des pâtés. La pelle est constellée de petits cratères.
— Ça m’a renversé, qu’il bredouille, le Very Big.
— Quoi donc ?
— Un zig m’a sauté sur le cou avec un pétard. Il a tiré à travers un gros tube. J’ai eu un geste pour me protéger le baquet et c’est la pelle qui a pris. Si que j’avais pas ce geste, j’étais déguisé en macchabée aussi sec.
A la clarté lunaire il est verdâtre, le chantre du Biscuit Vaporetto.
— Ça s’est passé comment ? j’insiste.
— Je revenais de l’hôtel avec la pelle et la balayette, pour nettoyer mon camion. J’entends un pas derrière moi. Je me retourne. C’était un zig sur mes talons. Affreux, il s’était collé un bas sur le bilboquet. J’ai cru tout de suite à une blague. Et puis il m’a avancé son engin vers la brioche…
J’aide le poussah à se relever.
— Où est-il passé, l’homme à la seringue ?
— Il a disparu derrière les bagnoles !
— T’as des ennemis, La Meringue ?
Il secoue ses bajoues flasques.
— Sûrement pas !
— C’est pourtant pas un vieux camarade d’enfance qui a tenté de te cigogner !
— Je dis pas, mais franchement je suis pote avec le monde entier.
Le couple Bérurier s’avance. On lui raconte l’agression.
Sans hésiter, le Don Juan biscuité donne son verdict :
— C’est lié à la mort d’Hans Brocation !
— Tu crois ? soupire La Meringue.
— Bédame, c’est comme si on le lisait écrit au journal lumineux de Saint-Lazare, mon pote !
— Mais je pigne rien de rien, lamente le Mastodonte. Pourquoi que des gens nous en veulent, à ce pauvre Hans et à moi, alors qu’on est les plus doux des hommes !
— C’est ce que nous allons essayer de trouver, dis-je. Rentrons à l’hôtel.
— Tout ce qu’il y a de volontiers, s’empresse La Meringue, un petit coup de remontant me fera pas de mal.
A l’instant même où notre quatuor pénètre dans l’hôtel, l’un des deux poulets dijonnais est en train de demander au patron de la boîte si le dénommé Justin Latour est parti depuis longtemps et s’il a dit quelque chose avant de sortir. Ce qu’entendant, La Meringue s’écrie :
— Justin Latour, c’est moi, de quoi s’agit-il ?
Les deux poulagas le défriment hargneusement.
Le plus grand (celui qui a une montre et de l’eczéma) s’avance et déclare :
— Il s’agit de cela, mon gaillard.
Et clic-clic il referme les boucles d’un cabriolet grand sport sur les forts poignets de l’attenté.
— Qu’est-ce que ça signifie ? s’interloque le pape de la biscuiterie Vaporetto.
— Qu’on t’arrête sous l’inculpation de meurtre, mon lascar !
J’interviens :
— Sur quoi vous basez-vous ?
— Sur ça ! dit le second poulet en exhibant un solide pétard coiffé d’un silencieux à bord roulé.
— Comprends pas ! lâché-je sèchement.
— On vient de le trouver dans la poche de son imperméable et il est encore tout chaud ! ironise le flic en me toisant de toute sa supériorité.
— J’ai jamais eu d’appareil pareil ! rime La Meringue, éploré.
Il s’enfonce dans son cauchemar, le pauvre loup ! Et, comme il est mahousse, ça fait des vagues.
— Écoutez, collègues, attaqué-je. Si ce flingue est chaud c’est qu’il vient de servir.
— C.Q.F.D. ! gouaille le plus petit (celui qui est abonné au Chasseur Français et qui mange les asperges avec les doigts). C.Q.F.D., répète-t-il vu qu’il a des lettres majuscules plein le slip.
— S’il vient de servir, dis-je, il a servi contre Môssieur Latour car on vient précisément de tirer sur sa personne !
— Et on l’a raté ! ricane le plus grand (celui qui a du diabète et qui tient son couteau de la main gauche) y a pourtant de la place pour faire un carton !
— Parfaitement ! rugis-je en montrant la pelle bosselée. On l’a raté grâce à ce bouclier de fortune. Je me trouvais avec lui et je peux me porter garant de la chose.
Ça les interloque. Ils se dévisagent, s’hochent la hure, se grimacent, se sourient et décident :
— On va tout de même l’embarquer pour tirer ça au clair, n’oublions pas qu’il y a eu un meurtre dans cet hôtel. Si on a tiré sur Latour ça ne signifie pas forcément qu’il est innocent, mais plutôt qu’il a trempé dans l’affaire.
L’argument se tient et je n’ai rien à y redire. Je pourrais bien objecter à mes confrères qu’ils n’ont pas de mandat d’amener, mais cela ne ferait qu’envenimer les choses. Et puis les loups ne se mangent pas entre eux, comme se plaît à le répéter Félicie ma brave femme de mère.
— Quand je vous disais que c’était ma fête ! geint La Meringue, à bout d’écœurement. Après tous mes avaros, v’là qu’on veut me bigorner et qu’on m’enchriste pour finir !
— Pour finir ! grince le plus petit des roycos (celui qui est marié à la fille de sa belle-mère et qui écrit « catastrophe » avec deux « f »). Ça n’est que le commencement de la fin, Gros Lard ! Tu vas voir…
— J’aimerais lui parler en particulier ! interviens-je.
Ils en ont classe de mes grains de sel successifs.
— Regret ! laisse tomber le plus grand de mes deux collègues (celui qui aime les nouilles au fromage et qui soigne ses hémorroïdes au beurre d’anchois). Pour lui causer, vous passerez par la filière normale. Salutations !
Et ils s’en vont, emmenant en laisse l’ex-champion de piccol’s dames.
Je dois vous avouer, mes bons amis et mes chères amies, que j’ai rarement vécu une soirée semblable. C’est de la loufoquerie sanglante ! On boit ! On rit ! On tue ! On fait des parties de cuissots ! Tout ça dans une ambiance de fin de kermesse assez ahurissante.
La Gravosse qui a les jambons ramollis fait la bibise à son champion.
— Je vais rejoindre Alfred, elle dit. N’oublions pas que demain il y a fête à bras. Et puis, tout seul, il doit morfondre.
— Y a que ça à faire, hargnit le Puissant.
Béru, sa séance amoureuse l’a dopé. En mettant à sac les biscuits secs (sic) il a pris conscience de ses prérogatives maritales.
— Écoute, fillette, morigène-t-il. Je trouve un des cent dans le fond que tu suivisses le Tour de France avec un homme seul dont au sujet duquel tu partages la piaule ! Des mecs malins-formés pourraient finir par croire des choses…
Le regard de Berthe se coagule.
— Des empêcheurs de tourner en rond comme toi, Alexandre-Benoît, fustige-t-elle, j’en ai rarement trouvé de pareils !
— Turlututu, plaide le Gros. Je connais comme les gens ont l’esprit mal formé. Dire qu’à partir de demain je suis t’en vacances, moi aussi j’eusse pu le suivre, le Tour, après tout !
— Il est trop tard, tranche la Gravosse. C’est tout un travail pour faire partie de la caravane.
Elle est fière d’en être, Berthy. Dans la vie tout est à lavement (Béru dixit). Il y a partout et en toutes circonstances une frontière plus redoutable que la Grande Muraille de Chine entre les gens qui en sont et les gens qui n’en sont pas. Ça va de la Légion d’honneur à l’Académie française, en passant par le Rotary-Clube et la Société de pêche des joyeux gaulemen matinaux.
Conscient de sa flagrante infériorité, Béru abdique et se réfugie dans une humilité où flottent les miasmes de la rancœur, tandis que sa chère élue gravit l’escalier dans le style Mistinguett en lançant un baille-baille général.
Des ronflements montent de la caisse. Le taulier, à califourchon, sur une chaise, prend ses quartiers de nuit. Il est bien content qu’on ait arrêté quelqu’un. Ça atténue les désastreux effets du meurtre. Il craignait que Michelin ne lui sucre sa fourchette.
— Et maintenant ? murmure le Gros, un brin désemparé.
— Avant de se pieuter, on récapitule, dis-je. Comme dans Shakespeare, gars. Dans toutes ses pièces, y a un moment où un mec fait le résumé de ce qui vient de se passer, ça facilite la compréhension du public, lequel a toujours besoin qu’on lui mette les poings sur les « i ».
Je m’adosse au comptoir acajouteux de la Réception. Au-delà du meuble, la vieille belle-mère a terminé son chapelet et dort la bouche ouverte après avoir rangé son râtelier sur la tablette du téléphone. D’où je me trouve, et avec la participation de la perspective plongeante, on a une vue imprenable sur son estomac bouffé aux mites.
— Primo, dis-je, un masseur suisse et alcoolique se faisait désintoxiquer dans une clinique huppée de Neuilly lorsque Jeannot, le fameux directeur sportif du groupe Papier Hygiénique Fafatrin, vient le quérir. Hans Brocation aime son métier. C’est le meilleur masseur de tout le cyclisme. Il cède en se référant au proverbe fameux : « Cède, toi. Le ciel cédera (1). » Le Tour démarre (2). Première étape Dijon. Brocation masse ses hommes, se beurre, se couche et subit un chargeur de revolver dans le baquet, ce qui met fin non seulement à sa participation au Tour, mais également à sa vie.
Le Consciencieux interrompt mon résumé.
— Peut-être qu’une équipe concurrente l’a fait effacer par des tueurs à gages si c’était un tellement bon masseur ?
— Voilà qui me paraît un peu excessif, repoussé-je, mais dans ton hypothèse, je retiens pourtant les mots tueurs à gages. Le coup du silencieux montre que les assassins possédaient un outillage perfectionné. C’est pas de la panoplie d’amateur. Bref, Hans Brocation est tué. Personne n’arrive à piger les raisons de cet assassinat. Apparemment, un tel crime ne rime à rien. Son camarade de chambrée, l’estimable La Meringue semble y perdre son latin. Mais voici qu’une heure après la découverte du meurtre, un flingueur tente de se payer ledit La Meringue. Ce dernier en réchappe miraculeusement. L’agresseur s’évapore, pénètre dans l’hôtel et va planquer le pistolet dans l’imperméable de l’homme qu’il a tenté de bousiller. C’est ça surtout qui grince… C’est ce détail qui fait loufoque.
Béru, je vous l’ai déjà fait observer en maintes occasions, parle le langage du bon sens. C’est pas un daltonien de la comprenette. Il a pas les cellules qui font le grand écart et il voit la vie telle qu’elle est, sans l’embellir ni l’altérer.
— C’est pas si loufoque que tu causes, Mec, murmure-t-il. Les tireurs d’élite, en somme, ils cherchaient quoi ? A neutraliser La Meringue. Comme ils ne l’ont pas tué, ils l’ont fait arrêter, c’est un résultat appréciable !
— C’est ma foi vrai, conviens-je. Reste à savoir pourquoi on tient à ce que La Meringue ne continue pas ce Tour de France…
— Reste à tout savoir ! rectifie l’Hénorme. Le masseur, son meurtre, il pose une sacrée énigme, non ?
Comme il dit, la porte de la cabine téléphonique située au fond du hall s’ouvre à la volée, et Jean Méhunraillon en sort, comme de la pâte dentifrice quand on met le pied sur le tube débouché. Il a enfilé un pantalon et donné à son fameux béret une position intermédiaire qui, sans être celle de la nuit n’est pas pour autant celle du jour. Un long séjour dans la cabine et une conversation animée ont mis sur son visage noiraud d’ordinaire, les couleurs ardentes de l’asphyxie.
— Vacherie de vacherie ! dit-il.
Et de s’introduire la main dans l’arrière du calbar pour se fourrager l’entre-deux, ce qui, chez lui, est un signe d’intense contrariété.
— Que vous arrive-t-il encore, Jeannot ? l’interpellé-je.
— Je viens de bigophoner au dirlo de ma marque, rouscaille le ci-devant champion. Je l’ai mis au courant et lui ai demandé de m’expédier dare-dare un autre masseur pour demain, et savez-vous ce qu’il me répond ?
Il aspire un supplément d’oxygène histoire de débloquer ses soufflets contractés.
— Il me dit que c’est mon turbin et que je n’ai qu’à me débrouiller ! Ici, à Dijon, en pleine nuit ! Comme c’est facile ! Où vais-je le trouver, le masseur de remplacement, hein ? Dans les quelques heures qui me restent, comment je vais faire pour embarquer un gars trois semaines sans même lui laisser le temps de faire sa valoche !
Je compatis mollement. Chacun ses problèmes, non ? Sans un minimum d’égoïsme la vie ne serait plus vivable.
Mais voilà qu’à ma vive, à ma grande, à ma profonde stupeur, le gars Béru déclare :
— Eh ben, mon vieux Jeannot, on peut dire que vous avez le fion bordé de nouilles, vous !
Méhunraillon le mate sans piger par-dessous ses sourcils de griffon.
— C’est-à-dire ? il fait de sa voix autoritaire.
— C’est-à-dire que la Providence m’a placé sur votre ligne d’arrivée, fait doctoralement Béru. Imaginez-vous que je suis masseur diplômé de naissance et que justement j’ai trois semaines de vacances et ma valise.
Je sursaute, mais Béru me bloque l’étonnement d’un coup de latte dans les montants. La bouille de Jeannot vient de se rafraîchir comme si une brise parfumée lui épongeait la sueur. Il retrouve ce beau teint de pêche pas mûre qui est le sien.
— Vous êtes masseur ? murmure-t-il.
— Et y a pas de raison que je devinsse pas aussi votre frère, humorise le Gros qui a de l’esprit à s’en réveiller la nuit !
— Quelles sont vos références ? insiste Jeannot, ultra-professionnel.
Béru hausse ses mammouthiennes épaules.
— J’en ai tout un fagot, assure-t-il. Tenez, c’est moi que j’ai massé Kid Hécone, le champion d’Europe des mouches.
— Ne confondons pas boxeur et cycliste, méprise Méhunraillon. C’est pas les mêmes mécaniques qui travaillent.
Béru s’empresse de passer la surmultipliée.
— J’ai massé également Jules Le Doux-Mec, le célèbre coureur pédéraste, et puis Tanvala Cruchalo, le champion d’Italie de patinage sur saindoux, et encore des types comme l’agent Bamon et l’agent Bavai qui furent champions de ski militaire, sans causer de l’équipe des jus-d’occase de Bouffémont, tous ceinture de flanelle ! Vous en voulez z’encore ?
Il s’emporte, le Sublime, lancé, propulsé, catapulté par son désir de s’incorporer à la caravane du Tour.
— J’ai gratté deux ans dans un institut de rééducation où ce que j’ai accompli positivement des miracles. Le patron a même reçu une bafouille de protestation du syndicat d’Initiative de Lourdes qui se plaignait de la concurrence déloyale. Ah, n’ayez pas peur, M’sieur Jeannot, avec moi, vos pédaleurs seront entre bonnes mains.
— Bon, nous verrons bien, se résigne Jean Méhunraillon. Vous avez votre matériel ?
— Vous croyez que je m’en sépare ! proteste Sa Majesté. Allons donc ! Si j’ai plus d’un tour dans mon sac, je vous prouverai aussi que j’ai plus d’un sac dans mon Tour !