26

C'est mademoiselle Odile Otéro qui aura trente-neuf ans le 26, qui a conservé l'appartement de sa mère, qui n'a pas changé le papier peint. La semaine elle tape des devis chez Kosmos-Auto, et ses congés se passent parfois chez des cousins de Pontault-Combault. Chaque vendredi, entre loto et yoga, elle retire huit ou neuf cents francs à l'agence N proche de son domicile.

Répétitif destin, long visage blanc que ceux d'Odile Otéro, sous un fatras de gros cheveux gris-jaunes très denses; son maintien général dénote l'inassouvissement, Dans la poche de son manteau se trouve un opuscule publié à Monaco, intitulé La porte secrète menant à la réussite et recouvert de papier kraft; Odile a honte de cet ouvrage, mais aussi honte de son manteau. Elle s'est sentie mal dès l'enfance, dès qu'à l'école on l'a nommée Double zéro. On l'a moins embêtée chez Pigier, puis chez Kosmos on ne l'a plus remarquée, tranquille comme une morte enfin. Suicidée trois ou quatre fois, elle a également couché avec neuf hommes depuis l'âge de vingt-trois ans, avec certains d'entre eux plusieurs fois de suite, pourtant elle recommencera.

Vendredi, Odile Otéro a poussé la porte de l'agence N, signé son chèque à l'ordre de moi-même, présenté son numéro de caisse. Exagérément virtuose, le caissier compte les coupures un peu trop vite pour elle, qui n'ose les recompter devant lui de peur de le vexer, ni les recompter dans la rue de peur qu'on les lui vole.

Aussi le faisait-elle discrètement, dos tourné à la caisse, tout en marchant vers la sortie de la banque, bien que ce compte furtif ne la satisfasse pas non plus, lorsque deux martiens ont pénétré dans l'agence d'un pas décidé.

Verdâtres martiens: menton dentelé, nez fusiforme, antennes excroissantes, absence d'oreilles, pseudopodes à foison qui tremblotaient dans le mouvement. Ils n'ont pas eu besoin de parler ni de montrer mieux leur matériel, tout était d'emblée parfaitement clair. Derrière eux, un troisième personnage plus grand, vêtu de plus pâle, portait au bout d'un cou naturellement long une figure de héron; à l'abri du bec démesuré, Odile Otéro n'a distingué de son visage que des dents fausses entre des lèvres grises. Il lui a semblé que ce héron exerçait de l'ascendant sur les hommes verts.

Le jeune martien de taille moyenne, celui qui portait le sac de sport, s'est dirigé vers la caisse pendant que son compatriote surveillait le mouvement de la rue par la porte en verre. Sur un signe sec du héron, tout le monde s'est jeté par terre avec ferveur. Le jeune homme vert a posé le sac de sport devant la cage pare-balles, l'a ouvert, en a retiré un canon scié dont il a introduit l'orifice naturel dans le guichet, sans un mot – comptant sans doute sur le caissier, préparé de longue date et à l'aide de stages à pareil scénario, pour n'avoir pas besoin d'explications complémentaires. Le salarié s'est aussitôt mis à l'ouvrage, comptant encore plus vite que d'habitude, cessant même de compter lorsque le canon scié s'agitait. Non loin d'Odile Otéro, une vieille dame répandue s'est mise à pleurer silencieusement sous la tente effondrée de ses vêtements. Comme elle se disposait à donner plus de puissance à ses sanglots, le héron a freiné son essor d'un coup de talon nerveux.

Une fois le trésor transféré, le caissier a repoussé le sac vers le martien. Celui-ci a jeté dedans un bref regard puis a posé son canon sur le matelas de liasses au fond du sac, qu'il a zippé. A ce moment précis, son homologue guettait toujours la voie publique et, de son bec irrité, leur chef menaçait de picorer la vieille dame. S'avisant que le porteur du sac de sport se trouvait désarmé un jeune cadre bancaire inconscient, peut-être las de son état, a voulu se jeter sur lui: aussitôt, le héron a fait feu. Tout le monde par terre a cru que c'en était fini de tout mais le projectile a raté le banquier, préférant se loger dans le bras droit d'Odile Otéro qui a poussé un grand cri, et le banquier retombé a aussi poussé un très grand cri quand l'aîné des extraterrestres a couru poser le pied sur sa figure.

– On reste couché, a crié le héron comme un début de panique animait le sol. A plat ventre, nom de Dieu.

Les gangsters ensuite refluaient synchroniquement vers la porte de la banque. Plankaert était sorti le premier, ôtant son masque dans le mouvement. Il courut vers une Peugeot laissée en double file devant l'agence, mit le contact dans le claquement des portières. A deux métros de là, dans le parking souterrain d'un immeuble, ils abandonnèrent la Peugeot pour une Alfa-sud verte immatriculée dans le Rhône, qui les fit traverser Paris vers le sud-est. Van Os, dans l'Alfa, blâmait Toon de son imprudence:

– Mais tu te rends compte de ce que tu fais? Tu remets le truc dans le sac et puis tu fermes le sac. Est-ce que tu te rends compte?

– Bon, dit Toon, on s'en est tiré.

– On s'en est tiré, tu en as de bonnes. On a la chance de se faire prêter un truc qui marche, et toi tu le remets dans le sac. Tu vois un peu ce qui aurait pu se passer? Mais quand cesseras-tu d'être à ce point idiot? Jamais, peut-être. Peut-être que tu as un ver dans le cerveau, qu'est-ce que tu en penses?

Toon évita de répondre, tassé sur la banquette arrière qui l'absorbait presque entièrement. Plankaert, au volant, ne voulait pas prendre parti. Le chef cessa d'ailleurs assez vite de s'énerver. Bon, dit-il, c'est vrai qu'on ne s'en est pas trop mal tiré. Il se mit à jouer avec son masque, introduisant l'extrémité du bec dans une de ses narines, distraitement, puis dans l'autre.

– Qu'est-ce que vous croyez, pour la fille? demanda Plankaert.

– Le bras, je crois, dit Van Os. Peut-être l'épaule, grimaça-t-il, ou le coude. C'est embêtant, les articulations.

Ce ne serait que le bras, mais Odile Otéro souffre quand même beaucoup. Heureusement que tout le monde s'est tout de suite beaucoup occupé d'elle, en particulier le jeune cadre bancaire suicidaire; les soins prodigués par le jeune cadre bancaire irriguent de morphine le bras d'Odile, tartinent de miel son destin sec. Nul doute qu'elle-même et ce cadre veilleront désormais l'un sur l'autre à jamais, qu'ils se rendront mutuellement le goût de la vie, c'est le début d'une autre histoire assez émouvante mais pour l'instant l'Alfasud freine en plein Kremlin-Bicêtre, devant une grande surface d'articles de sport. Toon descendit de la voiture.

– Il faut vraiment que j'y aille tout de suite?

– Et comment, dit Van Os. Et tâche de te débrouiller mieux avec Tomaso, cette fois. A demain.

Par des voies toujours renouvelées, Van Os et Plankaert avaient ensuite rejoint leur abri ferroviaire près de Château-Thierry. Autodidactes formés pour ainsi dire sur le tas, ils y comptèrent la monnaie beaucoup plus lentement que le caissier. Soirée de routine: Plankaert rétablit l'argent en trois piles inégales, prit celle du milieu puis brancha le téléviseur portatif; déjà Van Os s'occupait du repas, découpant en jetons des cœurs de palmier.

Le lendemain, Van Os s'éveilla vers sept heures puis il sortit de la maison, ouvrit le portail du garage où le 4 x 4 et l'Alfa patientaient côte à côte, rosés dans les vapeurs d'oxyde froid. Manœuvrant le véhicule tout terrain, il franchit le cadavre de ballast pour rejoindre la départementale qu'il se mit à suivre vers la forêt proche, sans autre but que celui de faire un tour, au mépris de ses propres normes de sécurité. Mais on était en semaine, si tôt le matin les bois seraient vides: nul chasseur, nul gymnaste, nulle famille dévorant sur une bâche des sandwiches aux insectes, nul couple d'amants garé en catastrophe derrière les vitres embuées. Van Os s'y laissa dériver un moment parmi les chemins, au fil des embranchements, puis il voulut se donner de l'exercice; enclenchant les quatre roues motrices, montant le volume de la radio, il vira brusquement dans les sous-bois accidentés. Sous les molles syncopes d'un calypso, il se trouait un passage entre les arbres en sautant ceux qui étaient couchés, grimpant ou dévalant jusqu'à cinquante degrés de pente, patinant sur les mousses et dans les boues spongieuses. C'était excitant, les branches basses fouettaient la tôle, les branches mortes la griffaient, les ronces la mordaient, Van Os sentait tout cela dans son corps propre, jusqu'aux brûlures des orties écrasées.

Il freina pile au pied d'un charme, comme un bulletin d'informations faisait état de l'attaque de l'agence N, la veille: Van Os guettait les commentaires avec un trac de couturière. L'homme dans le poste rendit sobrement compte de l'événement – opération traditionnelle et bien enlevée, sans innovation technique notable, facture néoclassique si vous voulez. Van Os repartit plus lentement, son allure était plus distraite, sa conduite moins sportive; longeant une fondrière, il faillit verser dedans. Il n'était plus d'aussi bonne humeur, il sinuait moins, il se retrouva bientôt hors des limites des bois.

La lisière était bordée de vallonnements arables, au loin des hommes tournaient sur des tracteurs. Van Os rebroussa chemin dans le couvert, sachant précise et profonde la mémoire paysanne, et ne souhaitant pas s'encombrer de témoins de sa présence dans le secteur. Ralliant le réseau de voies forestières, il s'égara deux fois avant de retrouver sa direction. De l'extérieur, vérifia-t-il, la petite gare paraissait tout à fait inoccupée. Une légère motocyclette 125 encore tiède encombrait le garage, il dut la déplacer pour garer le 4 x 4. Il referma le portail du garage, ouvrit la porte de la maison. Plankaert dormait encore à l'étage mais Toon, debout au milieu de la pièce, regardait le téléviseur de haut, sans le son. Il n'avait pas enlevé son casque ni son manteau, ni l'un de ses gants.

– Il se fout de nous, Tomaso, dit-il aussitôt.

– Tu pourrais dire bonjour.

– Excusez, vous avez bien dormi? Je n'avais jamais vu ces programmes du matin, ça doit être dur pour les types qui présentent. Je ne pourrais pas, moi, de si bonne heure. Il s'est bien foutu de nous.

– Explique, dit Van Os.

– Je l'ai su par Briffaut. On aurait pu le voir avant, Briffaut, il gagne à être connu.

– Au fait, dit Van Os.

– Il a été livré il y a quinze jours, Tomaso, une grosse affaire, des choses de combat et tout, C'est reparti presque tout de suite, on ne sait pas où. Ce qu'on sait, ce que Briffaut sait, c'est que Bergman passait souvent avant, et plus du tout après. Ils se sont foutus de nous. On n'est plus dans le circuit, maintenant.

L'œil ailleurs, Van Os se gratta longuement à travers sa poche. Toon s'était retourné vers l'écran silencieux. On entendit Plankaert au-dessus qui se levait, ses pieds nus faire grincer le plancher, puis le cliquetis d'une ceinture avec un peu de toux, une plainte involontaire, le cri du robinet, les pas dans l'escalier. Il parut, nouant sa cravate sous son menton gonflé, ses cheveux humides peignés en arrière luisaient comme des fils de réglisse. J'ai entendu, dit-il comme Toon allait parler, j'ai compris.

– On est obligés de faire quelque chose, dit Van Os en retirant sa main de sa poche pour l'examiner. Il faut réagir vite dans ces cas-là, sinon le pli est pris. Ensuite on oublie le respect, on ne vous parle plus, et pour finir on vous balance. Ça pourrit les situations. On va faire un exemple, d'abord, on va vérifier l'huile.

Aidé de Plankaert il inspecta toutes les humeurs des véhicules, l'essence, le lockheed, l'eau, l'air dans les pneus, la transparence des glaces, l'angle et la réflexion juste des rétroviseurs.

– Je pars avec le petit, dit-il, prenez l'Alfa. Vous essayez encore de voir pour Bergman. On se retrouve à la Bourse pour déjeuner.

– Bon, dit Plankaert.

– Vous voulez que je conduise? demanda Toon.

Van Os n'avait pas répondu. Van Os n'avait rien dit jusqu'à Paris. Toon regardait le paysage sans parvenir à s'y intéresser: au-delà d'accotements gris-vert, des cultures peu variées se développaient sans détail, de rares maisons paraissaient vides, leurs chiens ne tenaient à rien, ces chiens ne savaient même pas ce qu'ils gardaient. Préfaçant la banlieue, quelques premiers hangars ne semblaient rien contenir non plus; puis cela se remplit, de plus en plus de choses parurent, avec davantage de monde pour les transporter.

– Tu crois que c'est ouvert?

– Quoi, sursauta Toon.

– Tomaso, dit Van Os, tu crois qu'il est ouvert à cette heure-ci?

Oui, Tomaso tuait déjà le matin frais dans son magasin surchauffé. De fins ruisselets de sueur couraient au fond des lignes de sa main. Régulièrement, le soldeur retroussait les pans de sa blouse grise pour essuyer ses paumes sur les cuisses, lustrées par l'usage, de son pantalon. Il essuyait aussi son verre de montre avec un coin de sa blouse, il essuyait encore les objets exposés avec un chiffon bleu.

Les grelots tintèrent lorsque Toon parut, se dirigeant aussitôt vers l'arrière-boutique sans un regard pour Tomaso qui l'entendit verrouiller la porte du fond. Van Os apparut à son tour, derrière lui Toon verrouillait maintenant l'entrée principale. Van Os tourna un peu parmi les appareils, les inspectant d'un air fatigué, avec ce détachement critique déjà de mauvais augure chez un client normal. Tomaso toussa. Van Os leva un regard vers lui. Monsieur Van Os, dit Tomaso, vous auriez besoin de quelque chose?

– J'ai toujours besoin de quelque chose, répondit Van Os.

– Naturellement, dit Tomaso.

– Je ne sais pas. Je me demande si c'est bien normal, quelquefois, cette espèce d'appétence perpétuelle.

– C'est humain, abonda Tomaso, nous sommes ainsi.

– J'ai peut-être manqué d'une chose importante dans mon enfance, je ne sais pas. Je ne me souviens pas, l'amour.

– Allons, produisit Tomaso, comment se pourrait-il.

– C'est une question que je retrouve tout entière à l'âge adulte, développa Van Os. Croyez bien que j'en souffre. Par exemple vous ne m'aimez pas, je le sais. J'en souffre. Vous vous moquez de moi, aussi, je ne puis le supporter.

– Mais jamais, se crispa Tomaso. Jamais de la vie.

– Je n'ai rien d'autre à dire, conclut Van Os.

Le soldeur se sent aussitôt agrippé, basculé, retourné jeté puis cloué au carrelage par le genou pointu de Toon, contre un congélateur inaccessible au regard extérieur des chalands. Le soldeur vient de perdre son béret. Un gros morceau de métal commence de tiédir très lentement contre sa nuque. S'ils me tuent, se dit-il, j'aurai fait toutes ces cures thermales pour rien. Est-ce là son ultime pensée? Est-il concevable que la dernière idée d'une vie soit à ce point triviale? Non. Cette réponse qu'il se donne le rassure un instant.

Trois heures plus tard, pendant que Toon était allé se laver les mains, Van Os analysait le menu. Place de la Bourse, l'heure de pointe bondait la brasserie de cambistes qui s'interpellaient dans leur langage chiffré. Un essaim de pourcentages obscurcissait l'espace.

– Paupiettes pour moi, dit Plankaert. Il n'y a plus personne chez le copain de Bergman. Tout est fermé. Je suis entré, pour voir. Le gaz est coupé, le courant, tout. Ils ont l'air partis pour un moment. Qu'est-ce qu'on fait? Qu'est-ce que vous prenez?

– Je ne sais pas, je ne sais pas, dit Van Os.

Etudier la carte en même temps que la situation le troublait. Cela s'annulait.

– Mieux vaut laisser tomber, préconisa Plankaert.

– Non, dit Van Os. Bergman, je veux lui faire du mal. Je suis humilié, comprenez-vous, je me sens exclu. Je ne pourrai le supporter. Ma décision est prise. Qu'est-ce qu'il fait, l'imbécile?

Il revenait en soufflant sur ses mains.

Tu vas tâcher de trouver la fille, lui dit Van Os, j'ai décidé de la kidnapper. Tu téléphones ici dès que tu as quelque chose, tu me demandes au nom habituel. On ne bouge pas, nous, on attend que tu appelles.

– Mais, dit Toon, je croyais qu'on mangeait.

– On mange d'abord, établit Van Os, et toi tu manges après. Ou prends-toi un sandwich au bar, en vitesse. Allez.

– Mais j'ai faim, dit Toon, j'ai très très faim.

– Ne m'énerve pas, dit Van Os. Paupiettes également.

Celles-ci ingérées, l'affluence pétillait moins vivement dans la brasserie, le tohu-bohu se décaféinait. Arrondis par le côtes-du-rhône, les taux d'intérêt claquaient plus mollement dans la fumée des cigarettes légères. Van Os, un rien gourd, n'entendit pas la voix de l'homme à la caisse qui s'élevait sans puissance apparente, quoique perceptible à longue distance comme savent le faire les comédiens: on demandait monsieur Schmidt, monsieur Schmidt, monsieur Schmidt au téléphone.

– C'est pour vous, dit Plankaert.

Van Os essuya ses doigts encollés de munster, ses lèvres auxquelles tenait une unité de cumin. Il se déplia en grinçant. Toon appelait d'une cabine proche du square Trousseau, au coin du Faubourg-Saint-Antoine et de la rue Charles-Baudelaire.

– Elle est chez elle, ça n'était pas bien dur. L'autre fille je ne sais pas, mais elle je l'ai vue, elle est là, vous m'entendez? Vous êtes content?

– On va venir, dit Van Os, tu ne bouges pas.

– Vous en êtes où?

– On arrive. On prend le café, on arrive.

– Ça va, souffla Toon, j'ai le temps de prendre un petit quelque chose. Il y a un bistrot juste là, banquettes rouges, petit salé lentilles, je vous attends là.

– Non, dit Van Os, tu ne bouges pas.

– Mais vous aviez dit. Vous aviez dit.

Tout ne fut pas réglé cet après-midi-là, qui ne fut qu'une répétition de l'action à venir. Tout sera vraiment réglé dans quelques jours, lorsqu'on sortira de Paris par la porte d'Orléans, à bord de l'Alfasud dont le coffre aura paru mieux approprié au transfert de Justine. Plankaert conduira (on va où, au juste?), Van Os auprès de lui consultera la carte (on change de planque, j'ai trouvé mieux), Toon à l'arrière boudera. Toutes les minutes, prenant un gros élan, Toon projettera ses mâchoires vers un sandwich bourré de feuilles de salade, de lames d'emmental, de tranches de jambon qui dépasseront du pain oblong comme du papier pelure d'un dossier mal classé. La voiture verte quittera l'autoroute à Nemours pour sillonner une rase campagne avec un ciel immense, américain sur le dessus. Le paysage entièrement plat donnera tout de suite sur l'horizon, on distinguera de très loin les rares constructions qui feront signe sur son fil, sur sa ligne, ainsi pourra-t-on lire un texte calme scandé de fermes ponctuelles, d'étangs soulignés, de bourgs en suspension, de châteaux d'eau exclamatifs.

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