VIII

Le mariage a la mairie avait eu lieu le jeudi. Des dix heures un quart, le samedi matin, des dames attendaient deja dans le salon des Josserand, la ceremonie religieuse etant pour onze heures, a Saint-Roch. Il y avait la madame Juzeur toujours en soie noire, madame Dambreville sanglee dans une robe feuille-morte, madame Duveyrier tres simple, habillee de bleu pale. Toutes trois causaient a voix basse, au milieu de la debandade des fauteuils; tandis que, dans la chambre voisine, madame Josserand achevait d'habiller Berthe, aidee de la bonne et des deux demoiselles d'honneur, Hortense et la petite Campardon.

-Oh! ce n'est pas cela, murmura madame Duveyrier, la famille est honorable.... Mais, je l'avoue, je redoutais un peu pour mon frere Auguste, l'esprit dominateur de la mere.... Il faut tout prevoir, n'est-ce pas?

-Sans doute, dit madame Juzeur, on n'epouse pas seulement la fille, on epouse la mere souvent, et c'est bien desagreable, quand celle-ci s'impose dans le menage.

A ce moment, la porte de la chambre s'ouvrit, Angele s'en echappa, en criant:

-Une agrafe, au fond du tiroir de gauche.... Attendez.

Elle traversa le salon, reparut et replongea dans la chambre, laissant derriere elle, comme un sillage, le vol blanc de sa jupe, nouee a la taille par un large ruban bleu.

-Vous vous trompez, je crois, reprit madame Dambreville. La mere est trop heureuse de se debarrasser de sa fille.... Elle a l'unique passion de ses mardis. Puis, il lui reste une victime.

Mais Valerie entrait, dans une toilette rouge, d'une singularite provocante. Elle etait montee trop vite, craignant d'etre en retard.

-Theophile n'en finit pas, dit-elle a sa belle-soeur. Vous savez que j'ai renvoye Francoise ce matin, et il cherche partout une cravate.... Je l'ai laisse au milieu d'un desordre!

-La question de la sante est bien grave egalement, continua madame Dambreville.

-Sans doute, repondit madame Duveyrier. Nous avons consulte avec discretion le docteur Juillerat.... Il parait que la jeune fille est tout a fait bien constituee. Quant a la mere, elle a une de ces charpentes etonnantes; et, ma foi, cela nous a un peu decides, car rien n'est plus ennuyeux que des parents infirmes, qui vous tombent sur les bras.... Ca vaut toujours mieux, des parents solides.

-Surtout, dit madame Juzeur de sa voix douce, lorsqu'ils ne doivent rien laisser.

Valerie s'etait assise; mais, n'etant pas au courant de la conversation, essoufflee encore, elle demanda:

-Hein? de qui parlez-vous?

De nouveau, la porte s'etait brusquement ouverte, et toute une querelle sortait de la chambre.

-Je te dis que le carton est reste sur la table.

-Ce n'est pas vrai, je l'ai vu la, a l'instant.

-Oh! fichue entetee!... Vas-y toi-meme.

Hortense traversa le salon, egalement en blanc, avec une large ceinture bleue; et elle etait vieillie, les traits durs, le teint jaune, dans les paleurs transparentes de la mousseline. Elle revint furieuse avec le bouquet de la mariee, qu'on cherchait rageusement depuis cinq minutes, au milieu de l'appartement bouleverse.

-Enfin, que voulez-vous? dit pour conclure madame Dambreville, on ne se marie jamais comme on veut.... Le plus sage est encore de s'arranger apres, le mieux possible.

Cette fois, Angele et Hortense ouvraient la porte a deux battants, pour que la mariee n'accrochat pas son voile; et Berthe parut, en robe de soie blanche, toute fleurie de fleurs blanches, la couronne blanche, le bouquet blanc, la jupe traversee d'une guirlande blanche, qui s'en allait mourir sur la traine, en une pluie de petits boutons blancs. Dans cette blancheur, elle etait charmante, avec son teint frais, ses cheveux dores, ses yeux rieurs, sa bouche candide de fille deja savante.

-Oh! delicieuse! s'ecrierent ces dames.

Toutes l'embrasserent d'un air d'extase. Les Josserand, aux abois, ne sachant ou prendre les deux mille francs que devait couter la noce, cinq cents francs de toilette, et quinze cents francs pour leur part du diner et du bal, s'etaient vus forces d'envoyer Berthe chez le docteur Chassagne, pres de Saturnin, auquel une tante venait de laisser trois mille francs; et Berthe, ayant obtenu de sortir son frere en voiture, pour le distraire un peu, l'avait etourdi de caresses dans le fiacre, puis etait montee un instant avec lui chez le notaire, qui ignorait la situation du pauvre etre, et ou l'on n'attendait plus que sa signature. Aussi la robe de soie et les fleurs prodiguees surprenaient-elles ces dames, qui les estimaient du coin de l'oeil, tout en s'exclamant.

-Parfait! un gout exquis!

Madame Josserand, rayonnante, etalait une robe mauve, d'un mauve cruel, qui la haussait et l'arrondissait encore, dans une majeste de tour. Elle pestait contre M. Josserand, appelait Hortense pour avoir son chale, defendait violemment a Berthe de s'asseoir.

-Mefie-toi! tu vas ecraser tes fleurs!

-Ne vous tourmentez pas, dit Clotilde de sa voix calme. Nous avons le temps.... Auguste doit monter nous prendre.

On attendait dans le salon, lorsque, brutalement, Theophile entra, sans chapeau, l'habit de travers, la cravate blanche nouee en corde. Sa face aux poils rares, aux dents mauvaises, etait livide; ses membres d'enfant malade tremblaient de fureur.

-Qu'as-tu donc? lui demanda sa soeur, etonnee.

-Ce que j'ai, ce que j'ai....

Mais une crise de toux lui coupa la parole, et il resta la une minute, etranglant, crachant dans son mouchoir, enrage de ne pouvoir lacher sa colere. Valerie le regardait, troublee, avertie par un instinct. Enfin, il la menaca du poing, sans meme voir la mariee et les dames qui l'entouraient.

-Oui, en cherchant partout ma cravate, j'ai trouve une lettre devant l'armoire....

Il froissait un papier entre ses doigts febriles. Sa femme avait pali. Elle jugea la situation; et, pour eviter le scandale d'une explication publique, elle passa dans la chambre que Berthe venait de quitter.

-Ah bien! dit-elle doucement, j'aime mieux m'en aller, s'il devient fou.

-Laisse-moi! criait Theophile a madame Duveyrier, qui tachait de le faire taire. Je veux la confondre.... Cette fois, j'ai une preuve, et il n'y a pas de doute, oh! non!... Ca ne se passera pas comme ca, car je le connais....

Sa soeur l'avait pris par le bras, le serrait, le secouait avec autorite.

-Tais-toi! tu ne vois donc pas ou tu es?... Ce n'est pas le moment, entends-tu!

Mais il repartait.

-C'est le moment!... Je me fiche des autres. Tant pis, si ca tombe aujourd'hui! Ca servira de lecon a tout le monde.

Pourtant, il baissait le ton, il s'etait affaisse sur une chaise, a bout de force, pres d'eclater en larmes. Une grande gene avait envahi le salon. Poliment, madame Dambreville et madame Juzeur s'ecartaient, faisaient mine de ne pas comprendre. Madame Josserand, tres contrariee d'une aventure dont le scandale allait jeter un deuil sur la noce, etait passee dans la chambre, pour donner du courage a Valerie. Quant a Berthe, qui etudiait sa couronne devant la glace, elle n'avait pas entendu. Aussi, a demi-voix, questionnait-elle Hortense. Il y eut un chuchotement, celle-ci lui designa Theophile d'un coup d'oeil, ajouta des explications, tout en affectant de regulariser les plis du voile.

-Ah! dit simplement la mariee, l'air chaste et amuse, les regards fixes sur le mari, sans qu'un trouble l'emotionnat, dans son aureole de fleurs blanches.

Clotilde interrogeait tout bas son frere. Madame Josserand reparut, echangea quelques mots avec elle, puis retourna dans la piece voisine. Ce fut un echange de notes diplomatiques. Le mari accusait Octave, ce calicot qu'il giflerait a l'eglise, s'il osait y venir. Justement, il jurait l'avoir vu, la veille, sur les marches de Saint-Roch, avec sa femme; d'abord, il avait doute, mais il etait certain maintenant: tout s'y trouvait, la taille, la demarche. Oui, madame inventait des dejeuners chez des amies, ou bien entrait avec Camille a Saint-Roch par la porte de tout le monde, comme pour faire ses devotions, laissait l'enfant a la garde de la loueuse de chaises, puis filait avec le monsieur par le vieux passage, un sale endroit ou personne ne serait alle la chercher. Cependant, au nom d'Octave, Valerie avait eu un sourire; jamais, pas avec celui-la, elle le jurait a madame Josserand; avec personne d'ailleurs, ajouta-t-elle, mais avec celui-la moins encore qu'avec les autres; et, forte cette fois de la verite, elle parlait a son tour d'aller confondre son mari, en lui prouvant que le billet n'etait pas de l'ecriture d'Octave, pas plus que ce dernier n'etait le monsieur de Saint-Roch. Madame Josserand l'ecoutait, l'etudiait de son regard experimente, uniquement preoccupee de trouver un expedient pour l'aider a tromper Theophile. Et elle lui donna les plus sages conseils.

-Laissez-moi faire, ne vous en melez pas.... Puisqu'il veut que ce soit monsieur Mouret, eh bien! ce sera monsieur Mouret. Il n'y a pas de mal, n'est-ce pas? a avoir ete vue sur les marches d'une eglise avec monsieur Mouret.... La lettre seule est compromettante. Vous triompherez, quand notre jeune homme lui aura montre deux lignes de son ecriture.... Surtout, dites toujours comme moi. Vous comprenez, je ne vais pas lui permettre de nous gater un pareil jour.

Lorsqu'elle ramena Valerie tres emue, Theophile de son cote disait a sa soeur, la voix etranglee:

-Je le fais pour toi, je te promets de ne pas la defigurer ici, puisque tu assures que ce ne serait guere convenable, a cause de ce mariage.... Mais, a l'eglise, je ne reponds de rien. Si le calicot vient me braver a l'eglise, au milieu de ma famille, je les extermine l'un apres l'autre.

Auguste, tres correct dans son habit noir, l'oeil gauche rapetisse, souffrant d'une migraine, dont il se mefiait depuis trois jours, montait a ce moment prendre sa fiancee, en compagnie de son pere et de son beau-frere, tous les deux solennels. Il y eut un peu de bousculade, car on avait fini par etre en retard. Deux de ces dames, madame Duveyrier et madame Dambreville, durent aider madame Josserand a mettre son chale; c'etait un chale tapis, immense, a fond jaune, qu'elle continuait de sortir dans les grandes occasions, bien que la mode en fut passee, et qui la drapait d'une tenture dont l'ampleur et l'eclat revolutionnaient les rues. Il fallut encore attendre M. Josserand, en train de chercher sous les meubles un bouton de manchette, balaye la veille aux ordures. Enfin, il parut, il balbutia des excuses, l'air eperdu, heureux pourtant, et descendit le premier, en serrant fortement le bras de Berthe sous le sien. Derriere, passerent Auguste et madame Josserand. Puis venait la queue du monde, au hasard de la sortie, troublant d'un murmure le silence grave du vestibule. Theophile s'etait empare de Duveyrier, dont il effarait la dignite avec son histoire; et il geignait a son oreille, il exigeait des conseils, tandis que, devant eux, Valerie, remise, l'attitude modeste, recevait les tendres encouragements de madame Juzeur, sans paraitre remarquer les regards terribles de son mari.

-Et ton paroissien! cria tout d'un coup madame Josserand desesperee.

On etait deja dans les voitures. Angele dut remonter chercher le paroissien de velours blanc. Enfin, on partit. Toute la maison se trouvait la, les bonnes, les concierges. Marie Pichon etait descendue avec Lilitte, habillee, comme sur le point de sortir; et la vue de la mariee, si jolie et si bien mise, la remua aux larmes. M. Gourd remarqua que, seuls, les gens du second n'avaient pas bouge de chez eux: de droles de locataires qui faisaient toujours autrement que les autres!

A Saint-Roch, la grande porte venait de s'ouvrir a deux battants. Un tapis rouge descendait jusqu'au trottoir. Il pleuvait, la matinee de mai etait tres froide.

-Treize marches, dit tout bas madame Juzeur a Valerie, quand elles passerent sous la porte. Ce n'est pas bon signe.

Des que le cortege s'engagea entre les deux haies de chaises, marchant vers le choeur, ou les cierges de l'autel brillaient comme des etoiles, les orgues, sur la tete des couples, eclaterent en un chant d'allegresse. C'etait une eglise cossue, riante, avec ses grandes fenetres blanches, bordees de jaune et de bleu tendre, ses soubassements de marbre rouge, revetant les murs et les colonnes, sa chaire doree, soutenue par les quatre evangelistes, ses chapelles laterales ou luisaient des orfevreries. Des peintures d'Opera egayaient la voute. Des lustres de cristal pendaient au bout de longs fils. Lorsqu'elles passaient sur les larges bouches du calorifere, les dames recevaient dans leurs jupes une haleine chaude.

-Vous etes sur d'avoir l'alliance? demanda madame Josserand a Auguste, qui s'installait avec Berthe sur des fauteuils, places devant l'autel.

Il s'effara, crut l'avoir oubliee, puis la sentit dans la poche de son gilet. D'ailleurs, elle n'avait pas attendu sa reponse. Depuis son entree, elle se haussait, fouillait du regard le monde: Trublot et Gueulin, tous deux garcons d'honneur, l'oncle Bachelard et Campardon, temoins de la mariee, Duveyrier et le docteur Juillerat, temoins du marie, puis toute la foule des connaissances, dont elle etait fiere. Mais elle venait d'apercevoir Octave, qui ouvrait avec empressement un passage a madame Hedouin, et elle l'avait emmene derriere un pilier, ou elle lui parlait, d'une voix basse et rapide. Le jeune homme ne paraissait pas comprendre, le visage stupefait. Pourtant, il s'inclina d'un air d'aimable obeissance.

-C'est convenu, dit a l'oreille de Valerie madame Josserand, en revenant s'asseoir sur un des fauteuils destines a la famille, derriere ceux de Berthe et d'Auguste.

Il y avait la M. Josserand, les Vabre, les Duveyrier. Maintenant, les orgues egrenaient des gammes de petites notes claires, coupees de grands souffles. On se casait, le choeur s'emplissait, des hommes restaient dans les bas cotes. L'abbe Mauduit s'etait reserve la joie de benir l'union d'une de ses cheres penitentes. Quand il parut, en surplis, il echangea un amical sourire avec l'assistance, ou il reconnaissait tous les visages. Mais des voix attaquerent le Veni Creator, les orgues reprirent leur chant triomphal, et ce fut a ce moment que Theophile decouvrit Octave, a gauche du choeur, devant la chapelle de Saint-Joseph.

Sa soeur Clotilde voulut le retenir.

-Je ne peux pas, begaya-t-il, jamais je ne le tolererai.

Et il forca Duveyrier a le suivre, pour representer la famille. Le Veni Creator continuait. Quelques tetes se tournerent.

Theophile, qui avait parle de gifles, fut pris d'une telle emotion en abordant Octave, qu'il ne put d'abord trouver un mot, vexe d'etre petit, se haussant sur la pointe des pieds.

-Monsieur, dit-il enfin, je vous ai vu hier avec ma femme....

Mais le Veni Creator finissait, il fut effraye, lorsqu'il entendit le son de sa voix. D'ailleurs, Duveyrier, tres contrarie de l'aventure, tachait de lui faire comprendre combien le lieu etait mal choisi. Devant l'autel, la ceremonie commencait. Apres avoir adresse aux epoux une exhortation emue, le pretre avait pris l'anneau nuptial pour le benir.

-Benedie, Domine Deus noster, annulum nuptialem hunc, quem nos in tuo nomine benedicimus....

Alors, Theophile osa repeter, a voix basse:

-Monsieur, vous etiez hier dans cette eglise avec ma femme.

Octave, etourdi encore des recommandations de madame Josserand, n'ayant pas bien compris, conta pourtant la petite histoire d'un air aise.

-En effet, j'ai rencontre madame Vabre, et nous sommes alles voir ensemble les reparations du Calvaire, que dirige mon ami Campardon.

-Vous avouez, balbutia le mari, repris de fureur, vous avouez....

Duveyrier crut devoir lui frapper sur l'epaule, pour le calmer. Une voix percante d'enfant de choeur repondait:

-Amen.

-Et vous reconnaissez sans doute cette lettre, continua Theophile, en tendant un papier a Octave.

-Voyons, pas ici! dit le conseiller tout a fait scandalise. Vous perdez la raison, mon cher.

Octave ouvrit la lettre. L'emotion avait grandi dans l'assistance. Des chuchotements couraient, on se poussait du coude, on regardait par-dessus les livres de messe; personne ne faisait plus la moindre attention a la ceremonie. Les deux maries seuls restaient graves et raides devant le pretre. Puis, Berthe elle-meme tourna la tete, apercut Theophile qui blemissait devant Octave; et, des lors, elle fut distraite, elle ne cessa de couler des regards luisants du cote de la chapelle de Saint-Joseph.

Cependant, le jeune homme lisait a demi-voix.

-"Mon chat, que de bonheur hier! A mardi, chapelle des Saints-Anges, dans le confessionnal."

Le pretre, apres avoir obtenu du marie un "oui" d'homme serieux qui ne signe rien sans lire, venait de se tourner vers la mariee.

-Vous promettez et jurez de garder a monsieur Auguste Vabre fidelite en toutes choses, comme une fidele epouse le doit a son epoux, selon le commandement de Dieu?

Mais Berthe, ayant vu la lettre, se passionnant a l'idee des gifles qu'elle esperait, n'ecoutait plus, guettait par un coin de son voile. Il y eut un silence embarrasse. Enfin, elle sentit qu'on l'attendait.

-Oui, oui, repondit-elle precipitamment, au petit bonheur.

L'abbe Mauduit, etonne, avait suivi la direction de son regard; et il devina qu'une scene inusitee se passait dans un des bas cotes, il fut pris a son tour de singulieres distractions. Maintenant, l'histoire avait circule, tout le monde la connaissait. Les dames, pales et graves, ne quittaient plus Octave des yeux. Les hommes souriaient d'un air discretement gaillard. Et, pendant que madame Josserand rassurait madame Duveyrier par de legers haussements d'epaules, seule Valerie semblait s'interesser au mariage, ne voyant rien autre, comme penetree d'attendrissement.

-"Mon chat, que de bonheur hier...." lisait de nouveau Octave, qui affectait une profonde surprise.

Puis, apres avoir rendu la lettre au mari:

-Je ne comprends pas, monsieur. Cette ecriture n'est pas la mienne.... Voyez plutot.

Et, tirant un calepin ou il inscrivait ses depenses, en garcon soigneux, il le montra a Theophile.

-Comment? pas votre ecriture! balbutia celui-ci. Vous vous moquez de moi, ca doit etre votre ecriture.

Le pretre allait faire le signe de la croix sur la main gauche de Berthe. Les yeux ailleurs, il se trompa, le fit sur la main droite.

-In nomine Patris, et Filii, et Spiritus Sancti.

-Amen, repondit l'enfant de choeur, qui lui aussi se haussait pour voir.

Enfin, le scandale etait evite. Duveyrier avait prouve a Theophile ahuri que la lettre ne pouvait etre de M. Mouret. Ce fut presque une deception pour l'assistance. Il y eut des soupirs, des mots vifs echanges. Et quand le monde, encore tumultueux, se retourna vers l'autel, Berthe et Auguste se trouvaient maries, elle sans paraitre y avoir pris garde, lui n'ayant pas perdu une parole du pretre, tout a cette affaire, derange seulement par sa migraine qui lui fermait l'oeil gauche.

-Ces chers enfants! dit M. Josserand, absorbe, la voix tremblante, a M. Vabre qui, depuis le commencement de la ceremonie, s'occupait a compter les cierges allumes, se trompant toujours, et reprenant son calcul.

Mais les orgues, de nouveau, ronflaient dans la nef, l'abbe Mauduit avait reparu en chasuble, les chantres attaquaient la messe. C'etait une messe en musique, d'une grande pompe. L'oncle Bachelard, qui faisait le tour des chapelles, lisait les inscriptions latines des tombeaux, sans les comprendre; celle du duc de Crequy l'interessa particulierement. Trublot et Gueulin avaient rejoint Octave, pour avoir des details; et tous trois, derriere la chaire, ricanaient. Des chants s'enflaient brusquement comme des vents d'orage, des enfants de choeur balancaient des encensoirs; puis, il y avait des coups de sonnette, des silences ou l'on entendait les balbutiements du pretre a l'autel. Et Theophile ne pouvait tenir en place; il gardait Duveyrier, qu'il accablait de ses reflexions affolees, ayant perdu pied, ne comprenant pas comment le monsieur du rendez-vous n'etait pas le monsieur de la lettre. Dans l'assistance, on continuait a surveiller chacun de ses gestes; toute l'eglise, avec ses defiles de pretres, son latin, sa musique, son encens, commentait passionnement l'aventure. Lorsque l'abbe Mauduit, apres le Pater, descendit pour donner une derniere benediction aux epoux, il interrogea d'un regard le trouble profond des fideles, les visages excites des femmes, les rires sournois des hommes, sous la grande lumiere gaie des fenetres, au milieu de la richesse cossue de la nef et des chapelles.

-N'avouez rien, dit madame Josserand a Valerie, comme la famille se dirigeait vers la sacristie, apres la messe.

Dans la sacristie, les maries et les temoins donnerent d'abord des signatures. Pourtant, il fallut attendre Campardon, qui venait d'emmener des dames visiter les travaux du Calvaire, au fond du choeur, derriere une cloture en planches. Il arriva enfin, s'excusa, couvrit le registre d'un large paraphe. L'abbe Mauduit, pour honorer les deux familles, avait tenu a passer la plume, en designant du doigt la place ou l'on devait signer; et il souriait de son air d'aimable tolerance mondaine, au milieu de la piece grave, dont les boiseries gardaient une continuelle odeur d'encens.

-Eh bien! mademoiselle, demanda Campardon a Hortense, cela ne vous donne donc pas envie d'en faire autant?

Puis, il regretta son manque de tact. Hortense, qui etait l'ainee, avait pince les levres. Cependant, elle comptait avoir le soir meme, au bal, une reponse decisive de Verdier, qu'elle pressait de choisir entre elle et sa creature. Aussi repondit-elle d'une voix reche:

-J'ai le temps.... Quand je voudrai.

Et elle tourna le dos a l'architecte, elle tomba sur son frere Leon, qui arrivait seulement, en retard comme toujours.

-Tu es gentil! papa et maman sont satisfaits!... Ne pas pouvoir etre la, quand on marie une de vos soeurs!... Nous t'attendions au moins avec madame Dambreville.

-Madame Dambreville fait ce qu'il lui plait, dit sechement le jeune homme, et moi, je fais ce que je peux.

Ils etaient en froid. Leon trouvait qu'elle le gardait trop longtemps pour elle, fatigue d'une liaison dont il avait accepte les ennuis, dans le seul espoir de quelque beau mariage; et, depuis quinze jours, il la mettait en demeure de tenir ses promesses. Madame Dambreville, prise au coeur d'une rage d'amour, s'etait meme plainte a madame Josserand de ce qu'elle appelait les lubies de son fils. Aussi cette derniere voulut-elle le gronder, en lui reprochant de n'avoir ni tendresse ni egards pour la famille, puisqu'il affectait de manquer les ceremonies les plus solennelles. Mais, de sa voix rogue de jeune democrate, il donna des raisons: un travail imprevu chez le depute dont il etait secretaire, une conference a preparer, toutes sortes de besognes et de courses de la derniere importance.

-C'est si vite fait pourtant, un mariage! dit madame Dambreville sans songer a sa phrase, en le suppliant du regard pour l'attendrir.

-Pas toujours! repondit-il durement.

Et il alla embrasser Berthe, puis serrer la main de son nouveau beau-frere, tandis que madame Dambreville palissait, torturee, se redressant dans sa toilette feuille-morte et souriant vaguement au monde qui entrait.

C'etait le defile des amis, des simples connaissances, de tous les invites entasses dans l'eglise, dont la queue maintenant traversait la sacristie. Les maries, debout, donnaient des poignees de main, continuellement, toutes du meme air ravi et embarrasse. Les Josserand et les Duveyrier ne suffisaient pas aux presentations. Par moments, ils se regardaient, etonnes, car Bachelard avait amene des gens que personne ne connaissait et qui parlaient trop fort. Peu a peu, montait une confusion, un ecrasement, des bras tendus par-dessus les tetes, des jeunes filles serrees entre des messieurs a gros ventres, laissant des coins de leurs jupes blanches aux jambes de ces peres, de ces freres, de ces oncles encore suants de quelque vice, embourgeoise dans un quartier tranquille. Justement, a l'ecart, Gueulin et Trublot racontaient devant Octave que, la veille, Clarisse avait failli etre surprise par Duveyrier et s'etait resignee a le bourrer de ses complaisances, pour lui fermer les yeux.

-Tiens! murmura Gueulin, il embrasse la mariee, ca doit sentir bon.

Le monde, cependant, finit par s'ecouler. Il ne restait plus que la famille et les intimes. L'infortune de Theophile avait continue de circuler, a travers les poignees de main et les compliments; meme on ne causait pas d'autre chose, sous les phrases toutes faites, echangees pour la circonstance. Madame Hedouin, qui venait d'apprendre l'aventure, regardait Valerie avec l'etonnement d'une femme dont l'honnetete etait la sante meme. Sans doute l'abbe Mauduit avait du, de son cote, recevoir quelque confidence, car sa curiosite semblait satisfaite, et il montrait plus d'onction que de coutume, au milieu des miseres cachees de son troupeau. Encore une plaie vive, tout d'un coup saignante, sur laquelle il lui fallait jeter le manteau de la religion! Et il voulut entretenir un instant Theophile, lui parla discretement du pardon des injures, des desseins impenetrables de Dieu, tachant avant tout d'etouffer le scandale, enveloppant l'assistance d'un geste de pitie et de desespoir, comme pour en derober les hontes au ciel lui-meme.

-Il est bon, le cure! il ne sait pas ce que c'est! murmura Theophile, dont ce sermon achevait de tourner la tete.

Valerie, qui gardait madame Juzeur pres d'elle, par contenance, ecouta avec emotion les paroles conciliantes que l'abbe Mauduit crut egalement devoir lui adresser. Puis, au moment ou l'on sortait enfin de l'eglise, elle s'arreta devant les deux peres, pour laisser Berthe passer au bras de son mari.

-Vous devez etre satisfait, dit-elle a M. Josserand, voulant montrer sa liberte d'esprit. Je vous felicite.

-Oui, oui, declara M. Vabre de sa voix pateuse, c'est une bien grande responsabilite de moins.

Et, pendant que Trublot et Gueulin se multipliaient, afin de caser toutes les dames dans les voitures, madame Josserand, dont le chale arretait la circulation, s'enteta a rester la derniere sur le trottoir, pour etaler publiquement son triomphe de mere.

Le soir, le repas qui eut lieu a l'hotel du Louvre, fut encore gate par l'accident si malencontreux de Theophile. C'etait une obsession, on en avait parle toute l'apres-midi, dans les voitures, en allant au Bois de Boulogne; et les dames concluaient toujours par cette idee que le mari aurait bien du attendre le lendemain, pour trouver la lettre. D'ailleurs, il y avait uniquement a table les intimes des deux familles. La seule gaiete fut un toast de l'oncle Bachelard, que les Josserand n'avaient pu se dispenser d'inviter, malgre leur terreur. Il etait en effet ivre des le roti, il leva son verre et s'embarqua dans une phrase: "Je suis heureux du bonheur que j'eprouve," qu'il repeta, sans arriver a en sortir. On voulut bien sourire complaisamment. Auguste et Berthe, deja brises de fatigue, se regardaient par moments, l'air etonne de se voir l'un en face de l'autre; et, quand ils se souvenaient, ils contemplaient leur assiette avec gene.

Pres de deux cents invitations etaient lancees pour le bal. Des neuf heures et demie, du monde arriva. Trois lustres eclairaient le grand salon rouge, dans lequel on avait simplement laisse des sieges le long des murs, en menageant a l'un des bouts, devant la cheminee, la place du petit orchestre; en outre, un buffet se trouvait dresse au fond d'une salle voisine, et les deux familles s'etaient reserve une piece, ou elles pouvaient se retirer.

Justement, comme madame Duveyrier et madame Josserand recevaient les premiers invites, ce pauvre Theophile, qu'on surveillait depuis le matin, ceda a une brutalite regrettable. Campardon priait Valerie de lui accorder la premiere valse. Elle riait, et le mari vit la une provocation.

-Vous riez, vous riez, balbutia-t-il. Dites-moi de qui est la lettre?... Elle est bien de quelqu'un, cette lettre?

Il venait de mettre l'apres-midi entiere pour degager cette idee du trouble ou les reponses d'Octave l'avaient jete. Maintenant, il s'y entetait: si ce n'etait pas M. Mouret, c'etait donc un autre? et il exigeait un nom. Comme Valerie s'eloignait sans repondre, il lui saisit le bras, le tordit mechamment, avec une rage d'enfant exaspere, en repetant:

-Je te le casse.... Dis-moi de qui est la lettre?

La jeune femme, effrayee, retenant un cri de douleur, etait devenue toute blanche. Campardon la sentit s'abandonner contre son epaule, en proie a une de ces crises de nerfs qui la secouaient pendant des heures. Il eut a peine le temps de la conduire dans la piece reservee aux deux familles, ou il la coucha sur un canape. Des dames l'avaient suivi, madame Juzeur, madame Dambreville, qui la delacerent, pendant qu'il se retirait avec discretion.

Cependant, trois ou quatre personnes au plus, dans le salon, avaient remarque cette courte scene de violence. Madame Duveyrier et madame Josserand continuaient a recevoir les invites, dont le flot peu a peu emplissait la vaste piece de toilettes claires et d'habits noirs. Un murmure de paroles aimables montait, des visages continuellement souriaient autour de la mariee: des faces epaisses de peres et de meres, des profils maigres de fillettes, des tetes fines et compatissantes de jeunes femmes. Dans le fond, un violon accordait sa chanterelle, qui jetait de petits cris plaintifs.

-Monsieur, je vous demande pardon, dit Theophile en abordant Octave, dont il avait rencontre les yeux, au moment ou il tordait le bras de sa femme. Tout le monde, a ma place, vous aurait soupconne, n'est-ce pas?... Mais je tiens a vous serrer la main, afin de vous prouver que j'ai reconnu mon erreur.

Il lui serra la main, il l'emmena a l'ecart, torture par le besoin de s'epancher, de trouver un confident pour vider son coeur.

-Ah! monsieur, si je vous racontais....

Et, longuement, il parla de sa femme. Jeune fille, elle etait delicate, on disait en plaisantant que le mariage la remettrait. Elle manquait d'air dans la boutique de ses parents, ou pendant trois mois il l'avait vue tous les soirs tres gentille, obeissante, le caractere triste, mais charmant.

-Eh bien! monsieur, le mariage ne l'a pas remise, loin de la.... Au bout de quelques semaines, elle etait terrible, nous ne pouvions plus nous entendre. Des querelles pour rien du tout. Des changements d'humeur a chaque minute, riant, pleurant, sans que je sache pourquoi. Et des sentiments absurdes, des idees a vous renverser, une perpetuelle demangeaison de faire enrager le monde.... Enfin, monsieur, mon interieur est devenu un enfer.

-C'est bien curieux, murmura Octave, qui sentait la necessite de dire quelque chose.

Alors, le mari, bleme et se grandissant sur ses courtes jambes, pour dominer le ridicule, en vint a ce qu'il appelait la mauvaise conduite de cette malheureuse. Deux fois, il l'avait soupconnee; mais il etait trop honnete, une telle idee ne pouvait lui entrer dans le cerveau. Cette fois, pourtant, il fallait se rendre a l'evidence. Impossible de douter, n'est-ce pas? Et, de ses doigts tremblants, il tatait la poche de son gilet ou se trouvait la lettre.

-Encore, si elle faisait ca pour de l'argent, je comprendrais, ajouta-t-il. Mais on ne lui en donne pas, j'en suis sur, je le saurais.... Alors, dites-moi ce qu'elle peut avoir dans la peau? Moi, je suis tres gentil, elle a tout a la maison, je ne comprends pas.... Si vous comprenez, monsieur, dites-le-moi, je vous en prie.

-C'est bien curieux, bien curieux, repeta Octave, gene de toutes ces confidences, et cherchant a se degager.

Mais le mari ne le lachait plus, fievreux, travaille d'un besoin de certitude. A ce moment, madame Juzeur reparut, alla dire un mot a l'oreille de madame Josserand, qui saluait d'une reverence l'entree d'un grand bijoutier du Palais-Royal; et celle-ci, toute retournee, se hata de la suivre.

-Je crois que votre femme a une crise tres violente, fit remarquer Octave a Theophile.

-Laissez donc! repondit ce dernier furieux, desespere de ne pas etre malade pour qu'on le soignat aussi, elle est trop contente, d'avoir une crise! Ca met toujours le monde de son cote.... Je ne me porte pas mieux qu'elle, et je ne l'ai jamais trompee, moi!

Madame Josserand ne revenait pas. Le bruit courait, parmi les intimes, que Valerie se debattait dans des convulsions affreuses. Il aurait fallu des hommes pour la tenir; mais, comme on avait du la deshabiller a moitie, on refusait les offres de Trublot et de Gueulin. Cependant, l'orchestre jouait un quadrille, Berthe ouvrait le bal avec Duveyrier qui dansait en magistrat, tandis que, n'ayant pu retrouver madame Josserand, Auguste leur faisait vis-a-vis avec Hortense. On cachait la crise aux maries, pour leur eviter des emotions dangereuses. Le bal s'animait, des rires sonnaient dans la vive clarte des lustres. Une polka, dont les violons accentuaient vivement la cadence, emporta autour du salon des couples, deroulant toute une queue de longues traines.

-Le docteur Juillerat? ou est le docteur Juillerat? demanda madame Josserand en reparaissant violemment.

Le docteur etait invite, mais personne ne l'avait encore apercu. Alors, elle ne cacha pas la sourde colere qu'elle amassait depuis le matin. Elle parla devant Octave et Campardon, sans menager les termes.

-Je commence a en avoir assez.... Ce n'est pas drole pour ma fille, tout ce cocuage qui n'en finit plus!

Elle cherchait Hortense, elle l'apercut enfin causant avec un monsieur, dont elle voyait seulement le dos, mais qu'elle reconnut a ses epaules larges. C'etait Verdier. Cela augmenta sa mauvaise humeur. Elle appela sechement la jeune fille, elle lui dit, en baissant la voix, qu'elle ferait mieux de rester a la disposition de sa mere, un jour comme celui-la. Hortense n'accepta pas la reprimande. Elle etait triomphante, Verdier venait de fixer leur mariage a deux mois, en juin.

-Fiche-moi la paix! dit la mere.

-Je t'assure, maman.... Il decouche deja trois fois par semaine pour accoutumer l'autre, et dans quinze jours il ne rentrera plus du tout. Alors, ce sera fini, je l'aurai.

-Fiche-moi la paix! J'en ai par-dessus la tete, de votre roman!... Tu vas me faire le plaisir d'attendre a la porte le docteur Juillerat et de me l'envoyer des son arrivee.... Surtout pas un mot a ta soeur!

Elle rentra dans la piece voisine, laissant Hortense murmurer que, Dieu merci! elle ne demandait l'approbation de personne, et qu'il y aurait bien du monde d'attrape, lorsqu'on la verrait, un jour, se marier mieux que les autres. Pourtant, elle alla guetter l'entree du docteur.

Maintenant, l'orchestre jouait une valse. Berthe dansait avec un petit cousin de son mari, pour epuiser a tour de role les membres de la famille. Madame Duveyrier n'avait pu refuser l'oncle Bachelard, qui l'incommodait beaucoup, en lui soufflant dans la figure. La chaleur grandissait, le buffet s'emplissait deja de messieurs, s'epongeant le front. Des fillettes, dans un coin, sautaient ensemble; pendant que des meres, reveuses, assises a l'ecart, songeaient aux noces toujours manquees de leurs demoiselles. On felicitait beaucoup les deux peres, M. Vabre et M. Josserand, qui ne se quittaient plus, sans echanger d'ailleurs une parole. Tous le monde avait l'air de s'amuser et se recriait devant eux sur la gaiete du bal. C'etait, selon le mot de Campardon, une gaiete de bon aloi.

Mais l'architecte, par effusion galante, s'inquietait de l'etat de Valerie, tout en ne manquant pas une danse. Il eut l'idee d'envoyer sa fille Angele prendre des nouvelles en son nom. La petite, dont les quatorze ans, depuis le matin, brulaient de curiosite autour de la dame qui faisait tant causer, fut ravie de pouvoir penetrer dans le salon voisin. Et elle ne revint pas, l'architecte dut se permettre d'entr'ouvrir la porte et de passer la tete. Il apercut sa fille debout devant le canape, profondement absorbee par la vue de Valerie, dont la gorge tendue, secouee de spasmes, avait jailli hors du corsage degrafe. Des protestations s'eleverent, on lui criait de ne pas entrer; et il se retira, il jura qu'il desirait seulement savoir comment ca tournait.

-Ca ne va pas, ca ne va pas, dit-il melancoliquement aux personnes qui se trouvaient pres de la porte. Elles sont quatre a la tenir.... Faut-il qu'une femme soit batie, pour sauter ainsi, sans se rien demancher!

Il s'etait forme la un groupe. On y commentait a demi-voix les moindres phases de la crise. Des dames, averties, arrivaient d'un air d'apitoiement entre deux quadrilles, penetraient dans le petit salon, puis rapportaient des details aux hommes, et retournaient danser. C'etait tout un coin de mystere, des mots dits a l'oreille, des regards echanges, au milieu du brouhaha grandissant. Et, seul, abandonne, Theophile se promenait devant la porte, rendu malade par cette idee fixe qu'on se moquait de lui et qu'il ne devait pas le souffrir.

Mais le docteur Juillerat traversa vivement la salle de bal, accompagne d'Hortense qui lui donnait des explications. Madame Duveyrier les suivait. Quelques personnes s'etonnerent, des bruits se repandirent. A peine le medecin avait-il disparu, que madame Josserand sortit de la piece avec madame Dambreville. Sa colere montait; elle venait de vider deux carafes d'eau sur la tete de Valerie; jamais elle n'avait vu une femme nerveuse a ce point. Alors, elle s'etait decidee a faire le tour du bal, pour arreter les indiscretions par sa presence. Seulement, elle marchait d'un pas si terrible, elle distribuait des sourires si amers, que tout le monde, derriere elle, entrait dans la confidence.

Madame Dambreville ne la quittait pas. Depuis le matin, elle lui parlait de Leon, avec de vagues plaintes, tachant de l'amener a intervenir aupres de son fils, pour replatrer leur liaison. Elle le lui fit voir, comme il reconduisait une grande fille seche, aupres de laquelle il affectait de se montrer tres assidu.

-Il nous abandonne, dit-elle avec un leger rire, tremblant de larmes contenues. Grondez-le donc, de ne plus meme nous regarder.

-Leon! appela madame Josserand.

Quand il fut la, elle ajouta brutalement, n'etant pas d'humeur a envelopper les choses:

-Pourquoi es-tu fache avec madame?... Elle ne t'en veut pas. Expliquez-vous donc. Ca n'avance a rien, d'avoir mauvais caractere.

Et elle les laissa l'un devant l'autre, interloques. Madame Dambreville prit le bras de Leon, tous deux allerent causer dans l'embrasure d'une fenetre; puis, ils quitterent le bal ensemble, tendrement. Elle lui avait jure de le marier a l'automne.

Cependant, madame Josserand qui continuait a distribuer des sourires, fut prise d'une grosse emotion, quand elle se trouva devant Berthe, essoufflee d'avoir danse, toute rose dans sa robe blanche qui se fripait. Elle la saisit entre ses bras, et defaillant a une vague association d'idees, se rappelant sans doute l'autre, dont la face se convulsait affreusement:

-Ma pauvre cherie, ma pauvre cherie! murmura-t-elle, en lui donnant deux gros baisers.

Berthe alors, tranquille, demanda:

-Comment va-t-elle?

Du coup, madame Josserand redevint tres aigre. Comment! Berthe le savait! Mais sans doute elle le savait, tout le monde le savait. Seul, son mari, qu'elle montra conduisant au buffet une vieille dame, ignorait encore l'histoire. Meme elle allait charger quelqu'un de le mettre au courant, car ca lui donnait l'air bete, d'etre toujours ainsi, en arriere des autres, a ne se douter de rien.

-Et moi qui m'echine a vouloir cacher leur catastrophe! dit madame Josserand outree. Ah bien! je ne vais plus me gener, il faut que ca finisse. Je ne tolererai pas qu'ils te rendent ridicule.

Tout le monde le savait, en effet. Seulement, pour ne pas attrister le bal, on n'en parlait point. L'orchestre avait couvert les premiers apitoiements; puis, on en souriait a cette heure, dans les etreintes plus libres des couples. Il faisait tres chaud, la nuit s'avancait. Des domestiques passaient des rafraichissements. Sur un canape, deux petites filles, vaincues par la fatigue, s'etaient endormies aux bras l'une de l'autre, la joue contre la joue. Pres de l'orchestre, dans le ronflement d'une contre-basse, M. Vabre s'etait decide a entretenir M. Josserand de son grand ouvrage, au sujet d'un doute qui, depuis quinze jours, l'arretait sur les oeuvres veritables de deux peintres de meme nom; tandis que, pres de la, Duveyrier, au milieu d'un groupe, blamait vivement l'empereur d'avoir autorise, a la Comedie-Francaise, une piece qui attaquait la societe. Mais, lorsqu'une valse ou une polka revenait, les hommes devaient ceder la place, des couples elargissaient la danse, des jupes rasaient le parquet, soulevant dans la chaleur des bougies la fine poussiere et l'odeur masquee des toilettes.

-Elle va mieux, accourut dire Campardon, qui avait jete de nouveau un coup d'oeil. On peut entrer.

Quelques amis se risquerent. Valerie etait toujours couchee; seulement, la crise se calmait; et, par decence, on avait couvert sa gorge d'une serviette, trouvee sur une console. Devant la fenetre, madame Juzeur et madame Duveyrier ecoutaient le docteur Juillerat, qui expliquait que les acces cedaient parfois a des compresses d'eau chaude, appliquees autour du cou. Mais la malade ayant vu Octave entrer avec Campardon, l'appela d'un signe, lui adressa d'abord des paroles incoherentes, dans un dernier reste d'hallucination. Il dut s'asseoir pres d'elle, sur l'ordre meme du medecin, desireux avant tout de ne pas la contrarier; et il recut ainsi ses confidences, lui qui, dans la soiree, avait deja eu celles du mari. Elle tremblait de peur, elle le prenait pour son amant, le suppliait de la cacher. Puis, elle le reconnut et fondit en larmes, en le remerciant de son mensonge du matin, pendant la messe. Octave songeait a cette autre crise, dont il avait voulu profiter, avec un desir goulu d'ecolier. Maintenant, il etait son ami, elle lui dirait tout, ce serait peut-etre meilleur.

A ce moment, Theophile, qui rodait toujours devant la porte, voulut entrer. D'autres hommes etaient la, il pouvait bien y etre aussi. Mais cela causa toute une panique. Valerie, en entendant sa voix, fut reprise d'un tremblement, on crut qu'une nouvelle crise allait se declarer. Lui, suppliant, luttant contre ces dames dont les bras le repoussaient, repetait avec obstination:

-Je ne lui demande que le nom.... Qu'elle me dise le nom.

Alors, madame Josserand, qui arrivait, eclata. Elle attira Theophile dans le petit salon, pour etouffer le scandale. Elle lui dit furieusement:

-Ah! ca, finirez-vous par nous ficher la paix? Depuis ce matin, vous nous assommez avec vos betises.... Vous manquez de tact, monsieur, oui, vous manquez absolument de tact! On n'insiste pas sur de pareilles choses, un jour de mariage.

-Permettez, madame, murmura-t-il, ce sont mes affaires, ca ne vous regarde pas!

-Comment! ca ne me regarde pas? mais je suis de votre famille maintenant, monsieur, et croyez-vous que votre histoire m'amuse, a cause de ma fille?... Ah! vous lui avez fait de jolies noces! Plus un mot, monsieur, vous manquez de tact!

Il resta eperdu, il regarda autour de lui, cherchant une aide. Mais ces dames temoignaient par leur froideur qu'elles le jugeaient avec une egale severite. C'etait le mot, il manquait de tact; car il y avait des circonstances ou l'on devait avoir la force de refrener ses passions. Sa soeur elle-meme le boudait. Comme il protestait encore, il souleva une revolte generale. Non, non, il n'avait rien a repondre, on ne se conduisait pas de la sorte!

Ce cri lui ferma la bouche. Il etait si ahuri, si pauvre avec ses membres greles et sa face de fille ratee, que ces dames eurent de legers sourires. Lorsqu'on manquait de ce qu'il faut pour rendre une femme heureuse, on ne se mariait pas. Hortense le pesait d'un regard de dedain; la petite Angele, qu'on oubliait, tournait autour de lui, de son air sournois, comme si elle eut cherche quelque chose; et il recula avec embarras, il se mit a rougir, quand il les vit toutes, si grandes, si grosses, l'entourer de leurs fortes hanches. Mais elles sentaient la necessite d'arranger l'affaire. Valerie s'etait remise a sangloter, pendant que le docteur Juillerat lui tamponnait de nouveau les tempes. Alors, elles se comprirent sur un coup d'oeil, un esprit commun de defense les rapprocha. Elles cherchaient, elles tachaient d'expliquer la lettre au mari.

-Parbleu! murmura Trublot, qui venait de rejoindre Octave, ce n'est pas malin: on dit que la lettre est a la bonne.

Madame Josserand l'entendit. Elle se retourna, le regarda, pleine d'admiration. Puis, revenant vers Theophile:

-Est-ce qu'une femme innocente s'abaisse a donner des explications, quand on l'accuse avec votre brutalite? Mais je puis parler, moi.... La lettre a ete perdue par Francoise, cette bonne que votre femme a du chasser, a cause de sa mauvaise conduite.... La, etes-vous content? ne sentez-vous pas la honte vous monter au visage?

D'abord, le mari haussa les epaules. Mais toutes ces dames restaient serieuses, repondaient a ses objections avec une grande force de raisonnement. Il etait ebranle, lorsque, pour achever sa deroute, madame Duveyrier se facha, lui cria que sa conduite devenait abominable et qu'elle le reniait. Alors, vaincu, ayant besoin d'etre embrasse, il se jeta au cou de Valerie, en lui demandant pardon. Ce fut touchant. Madame Josserand elle-meme se montra tres emue.

-Il vaut toujours mieux s'entendre, dit-elle, soulagee. Enfin, la journee ne finira pas trop mal.

Lorsqu'on eut rhabille Valerie et qu'elle parut dans le bal, au bras de Theophile, il sembla qu'une joie plus large eclatait. Il etait deja pres de trois heures, le monde commencait a partir; mais l'orchestre enlevait les quadrilles avec une fievre derniere. Des hommes souriaient, derriere le menage reconcilie. Un mot medical de Campardon sur ce pauvre Theophile, remplit d'aise madame Juzeur. Les jeunes filles se pressaient, devisageaient Valerie; puis, elles prenaient des mines sottes, devant les coups d'oeil scandalises des meres. Cependant, Berthe, qui dansait enfin avec son mari, dut lui dire un mot tout bas; car Auguste, mis au courant de l'histoire, tourna la tete; et, sans perdre la mesure, il regardait son frere Theophile, avec l'etonnement et la superiorite d'un homme auquel des choses pareilles ne peuvent pas arriver. Il y eut un galop final, la societe se lachait dans la chaleur etouffante, dans la clarte rousse des bougies, dont les flammes vacillantes faisaient eclater les bobeches.

-Vous etes bien avec elle? demanda madame Hedouin, en tournant au bras d'Octave, dont elle avait accepte une invitation.

Le jeune homme crut sentir un leger frisson dans sa taille si droite et si calme.

-Nullement, dit-il. Ils m'ont mele a cela, je suis fort ennuye de l'aventure.... Le pauvre diable a tout avale.

-C'est tres mal, declara-t-elle de sa voix grave.

Sans doute, Octave s'etait trompe. Quand il denoua son bras, madame Hedouin ne soufflait meme pas, les yeux clairs, les bandeaux corrects. Mais un scandale troublait la fin du bal. L'oncle Bachelard, qui s'etait acheve au buffet, venait de risquer une idee gaie. Brusquement, on l'avait apercu dansant devant Gueulin un pas de la derniere indecence. Dans les devants de son habit boutonne, des serviettes roulees lui faisaient une gorge de nourrice; et deux grosses oranges posees sur les serviettes, debordant des revers, montraient leur rondeur, d'un rouge sanguinolent de peau ecorchee. Cette fois, tout le monde protesta: on a beau gagner beaucoup d'argent, il y a des limites qu'un homme convenable ne doit jamais depasser, surtout devant de jeunes personnes. M. Josserand, honteux et desespere, fit sortir son beau-frere. Duveyrier montra le plus grand degout.

A quatre heures, les maries rentrerent rue de Choiseul. Ils ramenaient Theophile et Valerie dans leur voiture. Comme ils montaient au second, ou l'on avait installe un appartement, ils rejoignirent Octave, qui rentrait aussi se coucher. Le jeune homme voulut s'effacer par politesse, mais Berthe fit le meme mouvement, et ils se heurterent.

-Oh! pardon, mademoiselle, dit-il.

Ce mot de "mademoiselle" les amusa. Elle le regardait, et il se rappelait le premier regard echange dans cet escalier meme, un regard de gaiete et de hardiesse, dont il retrouvait l'accueil charmant. Ils se comprirent peut-etre, elle rougit, pendant qu'il montait seul a sa chambre, au milieu de la paix morte des etages superieurs.

Deja, Auguste, l'oeil gauche ferme, rendu fou par la migraine qu'il promenait depuis le matin, etait dans l'appartement, ou la famille arrivait. Alors, au moment de quitter Berthe, Valerie ceda a une brusque emotion, et la serrant dans ses bras, achevant de chiffonner sa robe blanche, elle la baisa, elle lui dit a voix basse:

-Ah! ma chere, je vous souhaite plus de chance qu'a moi!

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