IV. Nous

«Afin de présenter notre message avec quelque chance de produire une impression durable sur le public, nous avons dû tuer des gens».

THEODORE KACZYNSKI, dit «Unabomber», Manifeste paru dans le Washington Post et le New York Times le 19 septembre 1995.

1

Nous avons tous été choqués par le suicide de Marc. Mais dire que son geste nous a surpris serait mentir. La version officielle dit qu’il s’est noyé au large de Saly, emporté par un courant sous-marin. Mais nous, nous savons bien qu’il s’est laissé couler pour être débarrassé d’une vie qui l’encombrait. Nous savions tous que Marc était stressé, nous sentions bien qu’il se débattait, nous nous abreuvions de son entrain factice et nous changions de sujet quand il parlait d’autodestruction. Nous refusions l’évidence: Marronnier était en train de se tuer et nous n’avions pas l’intention de le sauver. Nous organisions son enterrement avant même sa mort. «Le roi est quasi mort, vive le roi!» A ses obsèques, 300 publicitaires pleurnichaient au cimetière de Bagneux, surtout ceux qui haïssaient Marc et souhaitaient sa mort depuis si longtemps: ils culpabilisaient d’avoir été exaucés, et se demandaient qui ils allaient bien pouvoir détester désormais. Pour avancer dans la communication, il faut un ennemi à écraser; il est très déroutant d’être soudain privé d’un moteur aussi indispensable.

Nous aurions préféré que cette cérémonie ne soit qu’un rêve. Nous étions à l’enterrement d’un provocateur et regardions le cercueil descendre dans le trou en espérant que t’était une ultime manigance de sa part. Comme c’aurait été bien si tout d’un coup la caméra avait décadré et qu’on s’était aperçu que la cérémonie était organisée par des acteurs: le prêtre serait un comédien sur le retour, les amis en larmes éclateraient de rire, derrière nous une équipe de techniciens déroulerait des câbles et un réalisateur crierait: «coupez!» Mais personne n’a crié: «coupez!»

Très souvent nous voudrions que notre vie ne soit qu’un rêve. Nous aimerions nous réveiller, comme dans les mauvais films, et résoudre tous nos problèmes par ce subterfuge. Dès qu’un personnage se noie au cinéma, youpi, il reprend conscience. Combien de fois avons-nous vu ça sur l’écran: le héros attaqué par un monstre gluant et Carnivore, acculé au fond d’une impasse, qui, au moment où la terrifiante bestiole va le dévorer, paf, se redresse en sueur dans son plumard? Pourquoi ça ne nous arrive jamais dans la vie? Hein? Comment on fait pour se réveiller, quand on ne dort pas?

Il y avait un cercueil avec de vraies cendres dedans (Charlie en avait même récupéré une poignée dans sa poche). Nous avons pleuré des larmes réelles. Nous, c’est-à-dire toute la Rosse Europe: Jef, Philippe, Charlie, Odile, les stagiaires, les puissants, les inutiles, et moi, Octave avec son Kleenex, Octave toujours là, ni viré, ni démissionnaire, juste un peu déçu que Sophie ne soit pas venue. Nous, c’est-à-dire tous les parasites entretenus par l’argent de la Rosse: propriétaires de chaînes de télévision, actionnaires de grands réseaux radiophoniques, chanteurs, acteurs, photographes, designers, hommes politiques, rédacteurs en chef de magazines, présidents de grands magasins, nous les décideurs, nous les leaders d’opinion, nous, les artistes vendus, reconnus ou maudits, nous pleurions. Nous pleurions sur notre pitoyable sort: dans la publicité, quand on meurt, il n’y a pas d’articles dans les journaux, il n’y a pas d’affiches en berne, il n’y a pas d’interruption des programmes, il n’y a que des stock-options invendues et un compte en Suisse inutilisé sous un numéro secret. Quand un publicitaire meurt, il ne se passe rien, il est juste remplacé par un publicitaire vivant.

2

Quelques jours plus tard, South Beach, Miami. Des pamelaandersons de toutes tailles, des jeanclaudevandammes en veux-tu en voilà. Nous sommes tous Friends. Nous faisons des U.V. avant de tendre notre visage vers le soleil. Pour tenir dans un monde pareil, il faut ressembler à une bimbo ou à un acteur de films pornos. Nous nous droguons parce que l’alcool et la musique ne suffisent plus à nous donner le courage de nous parler. Nous vivons dans un monde où la seule aventure consiste à baiser sans capote. Pourquoi courons- nous tous après la beauté? Parce que ce monde est laid, à vomir. Nous voulons être beaux parce que nous voulons être meilleurs. La chirurgie esthétique est la dernière idéologie qui nous reste. Tout le monde a la même bouche. Le monde est terrifié par la perspective du clonage humain alors qu’il existe déjà et se nomme «plastic surgery». Dans tous les bars, Cher chante «Est-ce que tu crois en la vie après l’amour?»

Nous devons désormais nous interroger sur la vie après l’homme. Une existence de sublimes créatures posthumaines, débarrassées de l’injustice de la laideur, dont Miami sera la capitale mondiale. Nous aurons tous les mêmes fronts bombés et innocents, des peaux douces comme du satin, des yeux en amande, tout le monde aura droit à de longues mains aux ongles vernis de gris, il y aura une distribution générale de lèvres pulpeuses, de pommettes hautes, d’oreilles duveteuses, de nez mutins, de cheveux fins, de cous graciles et parfumés, et surtout de coudes pointus. Des coudes pour tous! En route vers la démocratisation du coude. Comme l’a humblement reconnu Paulina Porizkova dans une interview: «Je suis contente que les gens me trouvent jolie mais ce n’est qu’une question de mathématiques: le nombre de millimètres entre mes yeux et mon menton».

Charlie et moi, nous téléphonons sans fil, debout dans la mer. Nous roulons sur la plage dans des Jeeps géantes. Malgré la mort de Marronnier, nous n’avons pas annulé le tournage de Maigrelette — trop de frais étaient déjà engagés par la production. A un moment, Charlie a sorti de sa poche une petite boîte contenant quelques grammes des cendres de Marc Marronnier. Il les a saupoudrées dans l’eau. C’est ce que Marc aurait voulu: flotter sur les vagues de Miami. Ensuite il restait un peu de cendres dans sa paume alors j’ai eu une idée. Je lui ai demandé de tendre son bras et d’ouvrir sa main vers le soleil. Je me suis penché. Et c’est ainsi que j’ai sniffé ce qui restait de mon ami, mon mentor, Marc Marronnier. I’ve got Marronnier runnin’ around my brain!

Prévenez-nous si vous trouvez une seule fille moche dans cette ville. Ceux qui, partout ailleurs, sont statistiquement anormaux (les beaux et les musclés) représentent ici la norme; ils en deviennent presque ennuyeux (rappelons toutefois que je suis un militant de l’ennui). Il y a toujours une fille plus jeune et jolie que la précédente. Suave torture. Mais l’Envie est un des sept péchés capitaux. Miami, ville jumelée avec Sodome, Gomorrhe et Babylone!

A Coconut Grove, un type promène six chihuahuas en laisse et ramasse leur merde avec un gant en plastique. Il croise des trafiquants de salsa et des skieurs de fond sur roulettes. Groupes d’êtres bronzés qui parlent dans des cellulaires devant le Colony. Nous comprenons qu’à Miami nous sommes à l’intérieur d’une publicité géante. Ce n’est plus la publicité qui copie la vie, c’est la vie qui copie la publicité. Des Cadillac roses dont le plancher est éclairé au néon vibrent au rythme du rap chicanos. Tant de beauté et de richesse ne peuvent que donner le tournis. Au News Café, nous dévisageons les top-models mais préférerions les défigurer.

Le district Art Déco de Miami se trouve au sud de la ville et au bord de la mer. Il a été construit dans les années 30 pour les retraités. Au début des années 40, beaucoup de militaires ont été mobilisés à Miami car PUS Army craignait une attaque japonaise sur la Floride. Puis la chute de Batista en 1959 entraîna une forte immigration cubaine. Miami mêle donc les retraités (propriétaires des fonds de pension, pour lesquels tous les salariés du monde occidental travaillent à longueur d’année), les militaires (qui les protègent) et les Cubains (qui les droguent): le cocktail parfait. Dans les années 70, la crise pétrolière calma la ville. On la crut finie, démodée, has-been, jusqu’à ce qu’une publicité la relance dix ans plus tard, en 1985.

Cette année-là, Bruce Weber shoota une série de photos pour Calvin Klein sur Océan Drive. La parution de ces quelques pages de pub dans les magazines du monde entier fit instantanément de Miami la capitale mondiale de la mode. Miami est la ville dont le prince est un photographe. Si les nazis avaient bénéficié de la force de frappe publicitaire d’un tel lieu, ils auraient assassiné dix fois plus de monde. Christy Turlington y fut découverte sur la plage par un «talent scout».

Puis Gianni Versace réalisa tous ses catalogues sur place, avant d’y mourir assassiné le 15 juillet 1997. Des êtres à roulettes, Cubaines cuivrées, gays en short, glissent sur les trottoirs, leurs yeux cachés derrière des Oakley dernier modèle. Toutes ces choses ne sont pas contradictoires.

Finalement les nazis ont gagné: même les blacks se teignent les cheveux en blond. Nous nous battons pour ressembler à la joyeuse Hitlerjugend, avec des tablettes de Galak sur l’abdomen. Les antisémites ont obtenu ce qu’ils voulaient: Woody Allen fait marrer les filles mais elles préfèrent tout de même coucher avec le blond Aryen Rocco Siffredi.

A l’ombre d’un palmier déplumé, nous contemplons le Volleypalooza, un tournoi de volley-ball sur la plage qui oppose pendant deux jours les agences de mannequins entre elles. Steven Meisel et Peter Lindbergh arbitrent. (D’ailleurs ils arbitrent aussi la planète pendant les 363 autres jours de l’année.) Des perfections en bikinis rouges et noirs smashent sur le sable brûlant. Des gouttes de sueur mêlée d’eau de mer s’envolent de leurs cheveux blonds pour atterrir sur le nombril crémeux de leurs copines qui rient. De temps à autre, la brise légère venue de l’océan leur donne un peu la chair de poule; même de loin, nous pouvons nous délecter de voir leurs bras frissonner délicatement. Le sable éparpillé sur leurs frêles épaules brille comme une pluie de paillettes fines. Ce spectacle blesse notre coeur d’une langueur monotone. Ce qui nous tue le plus, ce sont leurs dents blanches. Si seulement j’avais enregistré un disque vendu à dix millions d’exemplaires, nous n’en serions pas là. Ah, au fait, c’est l’équipe des bikinis rouges qui a remporté le Volleypalooza. La capitaine de l’équipe gagnante a 15 ans; à côté, Cameron Diaz, Uma Thurman, Gisèle Bundchen et Heather Graham sont quatre vieux thons. Et arrêtez de croire que nous ne pensons qu’à les niquer, ces merveilleuses. Nous nous en foutons pas mal de leur vagin. Nous, ce qu’on voudrait, c’est effleurer leurs paupières du bout des lèvres, c’est frôler leur front du bout des doigts, c’est être allongé le long de leur corps, c’est les écouter nous raconter leur enfance en Arizona ou en Caroline du Sud; ce qu’on voudrait c’est regarder un feuilleton à la télé en croquant des noix de cajou avec elles et juste, de temps en temps, leur remettre une mèche de cheveux derrière l’oreille, vous voyez ce que je veux dire ou pas? Oh nous saurions nous occuper de vous, commander des sushis au room-service, danser un slow sur «Angie» des Rolling Stones, rire en évoquant des souvenirs de lycée, oui, car nous avons les mêmes souvenirs de lycée (la première cuite à la bière, les coupes de cheveux ridicules, le premier amour qui est aussi le dernier, les blousons en jean, les boums, le hard-rock, La Guerre des étoiles, tout ça), mais les canons préfèrent toujours les bookeurs pédés et les conducteurs de Ferrari et c’est pourquoi la planète ne tourne pas rond. Non, je ne suis pas un obsédé sexuel mais il n’y a pas de mot pour dire obsédé du poumon. Ou alors si: je suis un «obsédé pulmonaire», voilà.

Le soir, nous dînons avec quelques sous-tops sur un yacht de location. Après le dessert, Enrique Baducul parie mille dollars avec l’une d’entre elles qu’elle n’est pas cap’ d’enlever sa culotte et de la jeter au plafond pour voir si elle y restera collée. La fille s’exécute et nous rigolons alors que ce n’est pas très drôle (sa culotte est retombée sur le plat de spaghetti). Le monde entier est prostitué. Payer ou être payé, telle est la question. Grosso merdo, jusqu’à la quarantaine on est payé; après, on paye les autres, c’est ainsi — le Tribunal de la Beauté Physique est dépourvu d’appel. Des play-boys à la barbe de quatre jours regardent si on les regarde, et nous les regardons regarder si on les regarde, et ils nous regardent les regarder regarder si on les regarde et c’est un ballet sans fin qui rappelle le «palais des glaces», une vieille attraction de fête foraine, sorte de labyrinthe de miroirs où l’on se cogne contre son propre reflet. Je me souviens que, petits, nous en sortions couverts de bosses à force de nous foutre des coups de boule à nous-mêmes.

3

Océan Drive aux néons qui électrocutent les passants fluorescents. Le vent chaud emporte les flyers des soirées disparues. La veille, au Living Room, les filles dansaient comme des quartiers de viande. (Au Living Room, si tu rentres, c’est que tu es une VIP. Une fois à l’intérieur, si tu as une table, c’est que tu es une VVIP. S’il y a une bouteille de Champagne sur ta table, c’est que tu es une VVVIP. Et si la patronne te fait la bise sur la bouche, soit tu es une VVVVIP, soit tu es Madonna.) Miami Beach est une gigantesque confiserie: les immeubles ressemblent à des icecreams et les filles à des bonbons qu’on aimerait laisser fondre sous la langue.

Réveil à six du mat’ pour tourner dans la plus belle lumière. Nous avons loué une maison de milliardaires à Key Biscayne, avec des copies de tableaux de Tamara de Lempicka sur les murs. Tamara (la nôtre) s’habitue vite à sa nouvelle vie de pub-star. On la coiffe, la maquille, la saoule de café dans le camionrégie. Les décorateurs sont chargés de repeindre la pelouse (pas assez verte par rapport au story-board). Le chef-op’ donne des ordres incompréhensibles à des techniciens compréhensifs. Ils passent leur temps à mesurer l’éclairage en s’échangeant des chiffres cabalistiques:

— Essaie de passer en 12 sur le 4.

— Non, on va tenter une autre focale, mets-moi le 8 en 14.

Charlie et moi, nous mangeons tout ce que le catering nous propose: chewing-gums, ice-creams au fromage, bubble-gums, hamburgers de saumon, chewing-gums d’ice-creams de saumon au fromage de poulets en sashimis. Soudain, il est huit heures et demie et Enrique ne sourit plus.

— Lé ciel est blanc, on né pé pas tourner par ce temps.

Le client a bien spécifié qu’il voulait du ciel bleu et des ombres portées.

— Ma qué, renchérit-il, esta la loumière dé Dieu.

— Ce à quoi Charlie rétorque, impérial:

— Dieu est un déplorable directeur photo.

Un ciel blanc est impossible à ravoir à l’étalonnage. Si l’on tournait par ce temps, il faudrait coloriser image par image au Flame, à 6 K-€ la journée. Alors nous petit déjeunons dix fois en attendant que la brume se lève. La tivi-prod s’arrache les cheveux en téléphonant à l’assureur parisien pour ouvrir le parapluie du «Weather Day». Moi, je ne panique pas: depuis que j’ai arrêté la coke, je mange tout le temps. Tamara et Charlie et moi, nous sommes les Jules et Jim de la Floride. Ici, les Ricains nous demandent sans cesse:

— Are you playing a «ménage à trois» (en français dans le texte)?

Nous buvons des Corona toute la matinée et rion sans cesse. Tout le monde tombe amoureux de Tamara: elle touche 1 euro-bâton par jour pour provoquer ce genre de réaction chimique chez le mâle Des barbus portent des casquettes et des câbles, des talkies-walkies grésillent dans le vide, des éclairagistes scrutent le ciel d’un air impuissant, nous nous endui sons d’écran total pour attirer le soleil. Des volets noirs nous protègent de la réalité; le monde est borgnolé. Mais sans soleil, à quoi peut bien servir Miami?

— Il faudra éviter que les palmiers n’entrent dans le cadre: on est censé être en France, ne l’oublions pas. Ou alors fallait prévoir un matt-painting de peupliers et de hêtres.

— Bravo pour cette remarque, Octave, tu viens de te rendre utile. Tu as justifié en une phrase le prix de ton billet d’avion.

Charlie plaisante mais semble préoccupé. Il tourne depuis ce matin autour du pot. Va-t-il se jeter à l’eau? Eh bien oui:

— Tu sais, Octave, il faut que je t’annonce quelque chose. Il va y avoir de gros changements à l’agence.

— Oui, merci, après la mort du DC, c’est probable.

— On ne dit pas la mort du DC, on dit le décès du DC.

— Tu oses faire de l’humour avec le suicide de notre employeur bien-aimé?

Tamara se marre mais Charlie poursuit sur sa lancée:

— Tu as remarqué que Jef n’est pas venu au Sénégai?

— Oui et quand j’ai vu ça, j’ai eu envie d’annuler mon séjour. Je ne sais pas comment nous avons fait pour survivre quatre jours sans lui.

— Arrête tes conneries. Moi, je sais où il était, Jef, pendant qu’on se la jouait dadadirladada. Ce cher commercial était à New York, figure-toi, en train de demander la place du Président Philippe aux grandes instances de la Rosse.

— Qu’est-ce que tu racontes?

— Il l’a jouée fine, le petit Jef: il est arrivé au siège avec le soutien de Duler de chez Madone et leur a dit qu’on allait perdre ce budget si on ne changeait pas l’équipe dirigeante en France. Et tu sais ce qu’ils ont dit, les pontes du groupe?

— «Go fuck yourself, Jef»?

— Que nenni. Ils adorent ça, les Ricains, le côté jeune loup arriviste qui pique la place des vieux — ils enseignent ça aux requins de Harvard et dans les westerns avec John Wayne.

— Non mais attends, tu déconnes, là. Tu as inventé ça tout seul?

Charlie se ronge un ongle et n’a pas l’air mytho.

— Octavio, à force de prendre des notes pour ton bouquin, tu as oublié de regarder ce qui se passait autour de toi.

— Oh dis donc, ça te va bien de me dire ça, toi qui passes tes journées à surfer sur le Net à la recherche de photos détraquées.

— Pas du tout, je me documente sur mon temps. A ce propos, rappelle-moi de te montrer le film de la nonagénaire qui mange son caca. Bref. Tu as vu comme ils flippaient tous au Séminaire? Réveille-toi: Jef va être nommé PDG de la Rosse à la place de Philippe qui prendra en charge l’Europe, c’est cousu de fil blanc. On le nommera «chairman emeritus» ou un placard dans le genre.

— JEF PATRON DE L’AGENCE?? Mais il a même pas 30 ans: c’est un enfant en bas âge!

— Peut-être mais pas un enfant de choeur, si tu veux mon avis. Bienvenue dans les années 00, partner. C’est la mode des pédégés de 30 balais. Ils sont aussi mauvais que les quinquagénaires mais présentent mieux et coûtent moins cher. C’est pour ça que les actionnaires ricains ont dit banco: avec le soutien du plus gros budge de l’agence, Jef ne pouvait pas perdre. Or Jef ne pouvait pas saquer Marronnier, tu me suis?

— Putain, Marc se serait tué parce qu’il savait que le petit roquet allait le foutre dehors?

— Bien sûr. Et il se doutait surtout que nous allions lui piquer son poste.

Le ciel a beau être blanc, ce n’est pas une raison pour nous tomber sur la tête.

— J’ai mal entendu là, tu veux dire que Jef nous nomme directeurs de la création?

— Jef m’a appelé ce matin pour nous proposer le poste. C’est 30 000 euros mensuels chacun, plus les notes de frais, l’appartement payé, les Porsche de fonction.

Tamara sourit:

— Octave choupinet, pour un mec qui voulait se faire virer, ça la fout mal, non?

— Oh toi la créature, boucle-la SVP.

— Tu as raison, chéri: vous êtes des créatifs et moi je suis une créature.

— C’est joli, coupe Charlie, mais tu te goures, cocotte. Maintenant, nous sommes des directeurs de création. Nuance.

— Eh oh! J’ai pas dit que j’acceptais l’offre.

— C’est oune offre que tou né peux pas réfouser, a lance Enrique, car visiblement tout le plateau était au courant sauf moi.

Et c’est le moment que le soleil a choisi pour revenir, cet effronté.

4

On croirait vraiment que Tamara a joué la comédie toute sa vie — en y réfléchissant, c’est d’ailleurs le cas. Le métier de call-girl forme au métier d’actrice bien plus efficacement que l’Actors Studio. Elle se révèle très à l’aise devant la caméra. Elle séduit l’objectif, bouffe son yaourt goulûment comme si sa vie en dépendait. Elle n’a jamais été plus éclatante que dans ce faux jardin méditerranéen transposé en Floride.

— She’s THE girl of the new century, déclare sentencieusement le producteur technique local à la nana qui tourne le «making of». Je crois qu’il veut 1) la présenter à John Casablanca d’Elite, 2) la prendre en levrette. Mais pas forcément dans cet ordre-là.

Nous envahissons une terre étrangère avant d’investir l’espace médiatique. La campagne Maigrelette restera à l’antenne jusqu’en 2004 et sera déclinée en affiches 4 x 3, Abribus, annonces en presse féminine, publicités sur les lieux de vente, étiquetages promotionnels, murs peints, jeux concours de plage, événementiels de terrain, tracts en distrib, sites Internet, têtes de gondole et offres de remboursement sur présentation d’une preuve d’achat. Tamara, tu seras partout, nous allons faire de toi l’emblème du leader des fromages blancs sans matière grasse sur tout l’Espace Schengen.

Nous buvons des Cape Cod en parlant d’Aspen avec la maquilleuse. Nous croisons quelques vaches maigres (surnom que nous donnons aux grungettes anorexiques qui cherchent de l’héro sur Washington Avenue). Nous jouons à faire semblant de mourir devant la maison de Gianni Versace. Des touristes nous prennent en photo en train de nous vautrer par terre sous la mitraille. Nous nous enroulons dans les tentures blanches du Delano Hôtel: Tamara devient Shéhérazade et moi, Casper le gentil fantôme. Autour de nous les gens sont si narcissiques qu’ils ne font plus l’amour qu’avec eux-mêmes. C’est quoi une journée réussie à Miami? Un tiers de rollers, un tiers d’ecstasy, un tiers de masturbation.

Sur le set du tournage, la pelouse est à nouveau brûlée par le soleil. Pour qu’elle verdisse, les accessoiristes recommencent à l’asperger de colorant alimentaire. Ce soir on annonce un combat de drag-queens au Score sur Lincoln Road: sur un ring de catch, les travelos s’arracheront les perruques. «Rien ne compte vraiment», chante Madonna, qui a une maison ici. Elle résume bien le problème. J’aime Tamara et j’aime Sophie; avec un salaire de directeur de création, j’aurai largement de quoi garder les deux. Mais je ne vais tout de même pas accepter une offre qui renie totalement la première page de ce bouquin, celle où j’écrivais «J’écris ce livre pour me faire virer». Ou alors il faudra corriger ça, mettre «j’écris ce livre pour me faire augmenter»… Tamara interrompt mes réflexions:

— Veux-tu un café, un thé, ou moi?

— Les trois dans ma bouche. Dis-moi, quelle est ta pub préférée, Tamara?

— «LESS FLOWER, MORE POWER». C’est le slogan de la New Beetle de Volkswagen.

— On ne dit pas «slogan», on dit «titre». Retiens bien ça, si tu veux que je t’engage.

Nous passons l’après-midi à glander devant le combo, ce moniteur vidéo Sony qui retransmet chaque prise: Tamara sur la terrasse, Tamara dans l’escalier, Tamara dans le jardin, Tamara en plan large, Tamara en plan serré, Tamara naturellement artificielle, Tamara en regard caméra, Tamara artificiellement naturelle, Tamara en dégustation produit (ouverture de l’opercule, plongeon de la cuiller, délectation buccale), Tamara et son coude émouvant, Tamara et ses seins à dessein. Mais la Tamara que je préfère m’est réservée: c’est Tamara à poil en tongs, sur le balcon de ma chambre, avec une bague à l’orteil du pied gauche et une rose tatouée au-dessus du sein droit. Celle à qui j’ose dire:

— Je n’ai pas envie de faire l’amour avec toi mais tu m’enchantes. Je crois que je t’aime, Tamara. Tu as des grands pieds mais je t’aime. Tu es mieux avec des retouches informatiques qu’en vrai mais je t’aime.

— Je connais beaucoup de méchants qui font semblant d’être gentils, mais toi tu es une espèce rare: un gentil qui fait semblant d’être méchant. Embrassemoi, c’est gratuit pour cette fois-ci.

— Tu es mon rêve défendu, mon seul tourment et mon unique espérance. Tu es pour moi la seule musique qui fait danser les étoiles sur les dunes.

— Encore des mots, toujours des mots.

Le plan dégustation, c’est toujours le pire boulot: en plein soleil, après le déjeuner, la pauvre Berbère a dû simuler vingt fois l’extase en introduisant dans sa bouche de pleines cuillerées de Maigrelette. Au bout de quelques prises, elle en était complètement dégoûtée. L’accessoiriste apporta alors une bassine dans laquelle elle recrachait le fromage blanc dès qu’Enrique gueulait «Cut!» Voilà, c’est une petite révélation que nous vous confions, ne l’ébruitez pas trop: chaque fois que vous voyez un acteur se délecter d’un produit alimentaire dans un film publicitaire, sachez qu’il ne l’avale jamais et vomit le produit dans un récipient prévu à cet effet dès que la caméra cesse de le filmer.

Charlie et moi sommes assis sur des chaises en plas tique avec des kilos de junk-food pour unique compagnie. Sur tous les tournages de films publicitaires, c’est le même cirque: on parque les créatifs dans un coin en les dorlotant avec un mépris complet, et en espérant qu’ils ne vont pas trop l’ouvrir sous prétexte qu’ils sont les auteurs de la campagne en cours de réalisation. Nous nous sentons humiliés, inutiles et gavés de sucreries, bref, encore plus écoeurés que d’habitude. Nous faisons semblant de ne rien remarquer car nous savons qu’en tant que futurs Directeurs de Création de la Rosse France, nous aurons mille fois l’occasion de nous venger de manière implacable.

Nous serons riches et injustes.

Nous licencierons nos anciens amis.

Nous soufflerons le chaud et le froid pour terroriser tous nos employés.

Nous nous attribuerons les idées des subalternes.

Nous convoquerons des jeunes réalisateurs pour leur pomper des idées fraîches en leur faisant miroiter un gros boulot que nous finirons par exécuter nousmêmes dans leur dos.

Nous refuserons d’accorder des vacances aux salariés, avant de prendre les nôtres à l’île Maurice.

Nous serons mégalos et indécents.

Nous garderons les meilleurs budgets pour nous et confierons les campagnes les plus croustillantes à des free-lances extérieurs pour bien déprimer tous les CDI.

Nous insisterons pour avoir notre portrait dans les pages saumon du Figaro puis exigerons le licenciement de la journaliste dès sa parution, si son papier n’est pas assez hagiographique (en menaçant Le Figaro de ne plus lui acheter de pages de pub).

Nous incarnerons le renouveau de la publicité française.

Nous paierons une attachée de presse pour pouvoir dire dans les pages communication de Stratégies que: «il faut bien distinguer le concept du percept».

Nous emploierons également très souvent le verbe «préempter».

Nous serons débordés et injoignables; pour obtenir un rendez-vous avec nous, il faudra attendre trois mois au minimum (pour se voir annuler au dernier moment, le matin du rendez-vous, par une secrétaire arrogante).

Nous boutonnerons nos chemises jusqu’en haut.

Nous déclencherons des dépressions nerveuses en rafales autour de nous. On dira du mal de nous dans la profession mais jamais en face car nous serons craints.

Nous n’en ficherons pas une ramée mais tous nos proches cesseront pourtant de nous voir.

Nous serons dangereux et hyperfétatoires.

Nous tirerons les ficelles de la société moderne.

Nous resterons dans l’ombre «même en pleine lumière».

Nous serons fiers d’avoir d’aussi importantes irresponsabilités.

— Pour la maquillage vous être contente?

Notre délire à la «Perrette et le pot au lait» est interrompu par la maquilleuse qui veut un avis circonstancié. Au moment venu, nous la nommerons make-up artist in chief du groupe R amp; W car elle a su reconnaître notre importance avant même notre nomination.

— Quelque chose de très naturel suffit, dit Charlie d’un ton péremptoire, il faut qu’elle soit saine/équilibrée/ dynamique/authentique

— Yeah, je la fais les lèvres un peu glossy, je touche pas à sa teint, elle être superbe peau.

— Pas glossy, insiste Charlie avec l’assurance du futur grand patron qu’il est, je préfère shiny.

— Of course, shiny c’est mieux que glossy, m’empressé-je de surenchérir. Sinon on frôle la dérive colonelle.

La maquilleuse recule avec respect devant de tels spécialistes du make-up labial — visiblement des pros à qui on ne la fait pas. Il ne nous reste plus qu’à snober la styliste culinaire et tutto ira bene.

Tamara allume toute l’équipe. Nous l’adorons tous, nous échangeons des oeillades complices devant sa beauté hiératique. Nous aurions pu être heureux si je n’avais passé mon temps à penser à quelqu’un d’autre. Pourquoi faut-il que je ne désire que les gens qui ne sont pas là? De temps en temps, Tamara posait ses mains sur mon visage; cela l’apaisait. J’avais besoin d’une dose de légèreté. Tiens, voilà qui pourrait nous assurer une bonne signature de secours: «MAIGRELETTE. ON A TOUS BESOIN D’UNE DOSE DE LÉGÈRETÉ». Je la note, on ne sait jamais.

— Alors, tu vas l’accepter tout cet argent qu’on te propose?

— L’argent ne fait pas le bonheur, Tamara, tu le sais.

— Grâce à toi, maintenant, je le sais. Avant je ne le savais pas. Pour savoir que l’argent ne fait pas le bonheur, il faut avoir connu les deux: l’argent et le bonheur.

— Tu veux m’épouser?

— Non, enfin, si, mais à une condition: qu’à notre mariage il y ait un hélicoptère qui fasse tomber une pluie de Chamallows roses.

— Et les Chamallows blancs, qu’est-ce qu’on en fait?

— On les bouffe!

Pourquoi baisse-t-elle les yeux? Nous sommes gênés tous les deux. Je prends sa main couverte d’enjolivures au henné.

— Quoi? Qu’est-ce qu’il y a?

— Tu n’es pas gentil d’être aussi gentil. Je préférais quand tu faisais semblant d’être méchant.

— Mais…

— Arrête. Tu sais très bien que tu ne m’aimes pas. Je voudrais être futile comme toi, seulement moi j’en ai marre de jouer, tu sais, j’ai réfléchi et je crois que je vais tout arrêter, avec l’argent de Maigrelette je pourrais m’acheter une petite maison au Maroc, j’ai ma fille à élever, je l’ai laissée là-bas chez ma mère et elle me manque tellement… Ecoute-moi, Octave, il faut que tu retrouves ta fiancée et que tu t’occupes de votre enfant. Elle te fait le plus beau cadeau: accepte-le.

— Merde, mais qu’est-ce que vous avez toutes? Dès qu’on est bien avec vous, il faut absolument que vous parliez de bébés! Au lieu de répondre à la question «pourquoi vivre?», vous préférez reproduire le problème!

— Arrête avec ta philo à deux balles. Il ne faut pas plaisanter avec ça. Moi, ma fille n’a pas de père.

— Et alors? Moi non plus mon père ne m’a pas élevé et je n’en fais pas un drame!

— Attends, tu t’es regardé? Tu largues une nana enceinte de toi pour passer tes nuits aux putes!

— Oui, bon… mais au moins je suis libre.

— Libre? Non mais je rêve! Pas ça, Octave, pas toi! Nadinamouk! T’es beaucoup trop deuxième millénaire! Regarde-moi dans les yeux, j’ai dit les yeux. L’enfant qui va naître PEUT avoir un papa. Pour la première fois de ta vie, tu peux servir à quelque chose. Combien de temps tu vas tenir à traîner dans des boîtes crades, à écouter les mêmes blagues vulgaires racontées par les mêmes poivrots débiles et impuissants? Combien de temps, bordel? C’est ça ta liberté, Ducon?

Il y a des psychanalystes à 150 €-balles la séance: Tamara est une moraliste à 460 euros de l’heure.

— Fous-moi la paix avec tes leçons de morale! Merde!

— Arrête de m’agresser ou je fais une rupture d’anévrisme. La morale, c’est peut-être ringard, mais ça reste encore ce qu’on a trouvé de mieux pour distinguer le bien du mal.

— Et alors? Je préfère être dégueulasse et libre, ouais, libre, tu m’as bien entendu, qu’éthique et prisonnier! «Homme libre, toujours tu chériras l’amer!» Je comprends très bien ce que tu me dis mais figure-toi que le bonheur familial est peut-être encore plus pathétique qu’une connerie d’histoire salace racontée par un abruti aviné à six heures du matin, tu piges? Et puis, comment veux-tu que je m’occupe d’un enfant alors que je tombe amoureux toutes les deux minutes, putain! Oups.

Là, j’ai enfreint une règle de base avec Tamara: il n’y a qu’elle qui a le droit d’employer le mot «putain»; si c’est quelqu’un d’autre, elle le prend comme une insulte. Elle fond en larmes. J’essaie de me rattraper.

— Pleure pas, excuse-moi, tu es une sainte, tu le sais bien, je te l’ai dit et répété. Déjà que j’étais le seul mec qui paye les putes pour ne pas coucher avec elles, maintenant je suis aussi celui qui en aura fait pleurer une. C’est pas un exploit, ça? Prête-moi ton portable, il faut que je prévienne tout de suite le Livre des Records, oui allô? Passez-moi la rubrique «homme le plus maladroit du monde», siouplaît.

Gagné: elle sourit un peu; la maquilleuse n’aura qu’un raccord de mascara à faire. Je poursuis mon auto-analyse sur sa lancée:

— Mon amour d’émigrée, explique-moi juste une chose: pourquoi, dès qu’on aime une femme et que tout se passe à merveille, veut-elle nous transformer en éleveur de chiards, placer entre nous une ribambelle d’enfants, une armée de bambins pour crier dans nos pattes et nous empêcher d’être seuls ensemble? Bon sang, c’est si terrifiant d’être deux? Moi j’étais content d’être un couple «DINK» (Double Income No Kids), pourquoi vouloir faire de nous une «FAMILLE» (Fabrication Artificielle de Malheur Interminable et de Longue Lymphatique Émollience)? Tu trouves pas ça pitoyable d’avoir des enfants? Tous ces couples romantiques qui ne parlent plus que de popo? Tu les trouves sexy, les frères Gallagher, en train de torcher leurs gosses? Faut être scatophile! En plus il n’y a pas de place pour un siège-bébé dans mon coupé BMW Z3!

— C’est toi qui es pitoyable. Si ta mère n’avait pas eu d’enfants, tu ne serais pas là pour déblatérer ces âneries.

— Ce ne serait pas une grande perte!!

— Ta gueule!!

— Ta gueule toi-même!!

— OH ET PUIS ARRÊTE AVEC TES POINTS D’EXCLAMATION!!!!! s’exclame-t-elle en reniflant.

Elle se mouche. Mon Dieu comme elle est splendide quand elle chiale. Si les hommes font tant de peine aux femmes, c’est sans doute parce qu’elles sont tellement plus belles quand elles pleurent.

Elle relève la tête et sait alors trouver les mots pour me convaincre.

— On pourra continuer de se voir en douce.

Vive cette morale-là. C’est Biaise Pascal qui l’a dit: «La vraie morale se moque de la morale». Et tandis que j’aspirais ses larmes avec la paille de mon Seven Up, nous pensions tous deux exactement la même chose.

— Tu sais pourquoi ça ne collera jamais entre nous?

— Oui, je sais, j’ai répondu. Parce que je ne suis pas libre et que toi, tu l’es trop.

5

Et voilà, le tournage est terminé: nous venons de dépenser trois millions de francs (500 K-euros) en trois jours. Avant de ranger les caméras, nous avons demandé à Enrique de tourner une version «trash» de la pub. Bon, nous étions pétés, Tamara aussi, et Charlie s’est écrié:

– Écoutez. ÉCOUTEZ-MOI TOUS! Listen to me, please. La dernière fois que j’ai vu Marc Marronnier vivant, il a engueulé Octave ici présent, en lui disant que le script que nous venons de tourner était minable et qu’il fallait en écrire un autre.

— C’est vrai, ai-je ajouté. Il a même dit cette phrase qui restera pour toujours gravée dans ma mémoire: «On n’est jamais à l’abri de trouver mieux».

— Mesdames et Messieurs, Ladies and Gentlemen, allons-nous passer outre aux dernières volontés d’un mort?

Les techniciens n’étaient pas chauds-chauds. Après quelques pourparlers avec la tivi-prod et Enrique, décision fut tout de même prise de shooter rapidement une prise «agence», en plan-séquence, caméra à l’épaule, style «Dogma» (c’était l’hiver où tout ce qui était filmé à la «Vidéo gag» portait ce label intello danois).

Voici ce que donnait la version «Maigrelette Dogma»: Tamara déambule dans le décor de teck, gracieusement elle enlève son tee-shirt sur la véranda, puis regarde la caméra, torse nu, et s’étale du yaourt sur les joues et les seins. Elle tourne sur elle-même, gambade pieds nus dans le jardin et se met à engueuler son yaourt allégé, hurlant «Maigrelette! I’m gonna eat you!», puis elle se roule dans l’herbe fraîchement repeinte, ses seins sont couverts de peinture verte et de Maigrelette, et elle lèche le fromage blanc sur sa lèvre supérieure en gémissant (zoom sur son visage sur lequel dégouline le produit): «mmmm… Maigrelette. It’s so good when it cornes in your mouth».

Quel talent. Nous décidons d’envoyer cette version au Festival Mondial de la Publicité à Cannes sans la présenter à Madone. Si on récolte un Lion, Duler sera obligé d’applaudir.

Marronnier aurait apprécié pareil dévouement. Nous pouvons rentrer à Paris la conscience tranquille, afin de nous installer dans son fauteuil encore tiède. Mais cela ne suffit pas à Charlie, décidément rempart plus imprenable que jamais. Le soir même, après la fête de fin de tournage au Liquid, il nous entraînait dans une regrettable virée que je suis malheureusement contraint de relater ici.

6

Les stroboscopes quadrillaient l’espace. Une vieille sado-maso traversa la piste de danse avec un corset qui lui faisait un tour de taille de dix centimètres. Elle ressemblait à un sablier en cuir noir.

— Tu sais à quoi elle me fait penser, cette même? En Europe, les entreprises licencient des milliers d’employés pour rapporter plus de fric aux retraités de Miami, pas vrai?

— Euh… en gros, oui. Les vieillards de Floride sont tous actionnaires des fonds de pension qui possèdent les firmes internationales, donc schématiquement, oui.

— Eh ben, puisqu’on est sur place, pourquoi qu’on irait pas rendre visite à un de ces vieux propriétaires de la planète? Ce serait quand même con d’être chez eux et de ne pas s’expliquer avec l’un d’entre eux, peut-être même qu’on pourrait le convaincre de ne virer personne la prochaine fois, qu’est-ce t’en dis?

— J’en dis que t’es bourré mais OK, on y va.

Et nous voilà partis, Tamara, Charlie et ma pomme, dans les rues de Miami Vice, à la recherche d’un représentant de l’actionnariat mondialisé.

— Ding! Dong! Ding! Dong-Ding-Dong-Ding- Dong-Ding!

A Miami même les sonneries cherchent à se faire remarquer: celle-ci joue la Petite Musique de nuit au lieu de faire «dring» comme tout le monde. Cela fait une heure que nous errons dans le quartier résidentiel de Coral Gables à la recherche de fonds-de-pensionnaires à sermonner.

Charlie a fini par sonner à la porte d’une splendide villa marocaine.

— Yes?

— Good evening Madame, do you speak french?

— Oui, oui, bien sûr, enfin une petite peu mais pourquoi sonnez-tu aussi tard?

— Eh bien c’est Tamara, ici présente (Tamara sourit à la caméra de surveillance) qui dit qu’elle est votre petite-fille, Mrs Ward.

BZZZ.

La porte s’ouvre sur une momie. Enfin, une chose qui a dû être une femme il y a très très longtemps, dans une galaxie très très lointaine. Nez, bouche, yeux, front, pommettes entièrement remplis de collagène. Le reste du corps ressemble à une pomme de terre ridée — analogie sans doute due à la robe de chambre qu’il y a autour.

— Il n’y a que sa peau qui soit tirée, déclare Charlie avec une certaine lourdeur.

— Que disez-vous? Quelle petite-fille? Je…

Trop tard. La vieille n’a pas eu le temps de protester que Tamara l’a déjà allongée par terre (elle est ceinture marron de judo). Nous pénétrons dans une maison en or massif. Tout ce qui n’est pas doré est en marbre blanc. Pouir. Tamara et Charlie transportent Mme Ward sur un canapé aux motifs psychédéliques, qui a dû être à la mode quand sa propriétaire l’était aussi. Sans doute quelque part au XXe siècle.

— Alors puisque vous comprenez le français, Madame Wardmachin, vous allez nous écouter bien gentiment. Vous habitez seule ici?

— Oui, I mean, NO, pas du tout, le Police vont venir très vite AU SECOURS HEEEELP!

— Bâillonnons-la. Tamara, ton foulard?

— Tiens.

Elle lui enfonce son bandana dans la gorge, et Charlie s’assoit sur la vieille, et je peux vous garantir qu’il est aussi lourd que ses blagues. La retraitée va enfin pouvoir écouter calmement ce qu’il a à lui dire.

— Voyez-vous, Madame, c’est tombé sur vous mais ça aurait pu tomber sur n’importe quel autre responsable du malheur contemporain. Il faut que vous sachiez qu’à partir d’aujourd’hui, ce genre de visites va devenir monnaie courante. Il est temps que les actionnaires des fonds de pension américains sachent qu’ils ne peuvent pas impunément détruire la vie de millions d’innocents sans rendre des comptes, un jour ou l’autre, est-ce que je suis bien clair?

Charlie est lancé. C’est toujours comme ça avec les taciturnes: quand ils se mettent à l’ouvrir, on ne peut plus les arrêter.

— Vous avez entendu parler du Voyage au bout de la nuit de Louis-Ferdinand Céline?

— Mpffghpffhmmghphh.

— Non, Céline n’est pas une marque de chaussures. C’est un écrivain français. Le héros de son plus célèbre roman s’appelle Bardamu et il fait le tour de la planète à la recherche d’un coupable. Il traverse la guerre, la misère, la maladie, il va en Afrique, en Amérique, et il ne trouve jamais le responsable de notre désolation. Le livre est sorti en 1932 et cinq ans plus tard, Céline se trouvait un bouc émissaire: les juifs.

Tamara visite la baraque, ouvre le frigo, se sert une bière et nous en rapporte une chacun. Moi, je note le discours de Charlie qui continue à pérorer en chevauchant la momie sur son sofa hideux.

— Nous savons tous que Céline s’est fourvoyé en devenant un ignoble antisémite — et pardon pour ce pléonasme. Pourtant, nous aussi, comme Bardamu, nous cherchons un responsable. La jeune femme ici présente s’appelle Tamara et elle se demande pourquoi elle est obligée de vendre son cul pour envoyer de l’argent à sa fille. Le crétin à mes côtés se nomme Octave, et lui aussi s’interroge sans cesse, comme vous pouvez le voir à son visage de gargouille tuberculeuse. Qui pourrit le monde? Qui sont les méchants? Les Serbes? La mafia russe? Les intégristes islamistes? Les cartels colombiens? Têtes de Turc! Comme le «complot judéo-maçonnique» dans les années 30! Voyez-vous où je veux en venir, Lady Machinchose? Notre bouc émissaire, c’est vous. Il est important pour chacun d’entre nous sur cette terre de connaître les conséquences de ses actes. Par exemple, si j’achète des produits Monsanto, je soutiens les organismes génétiquement modifiés et la privatisation des semences agricoles. Vous avez confié vos économies à un groupement financier qui vous rapporte suffisamment d’intérêts pour vous payer cette atroce villa dans les beaux quartiers de Miami. Il est probable que vous n’avez pas très bien réfléchi aux conséquences de cette décision anodine pour vous et déterminante pour nous, comprenez-vous? Car cette décision fait de vous la MAÎTRESSE DU MONDE.

Charlie lui tapote la joue pour qu’elle ouvre ses yeux pleins de larmes. La vioque pousse de petits cris plaintifs, étouffés par le foulard.

— Vous savez, poursuit-il, quand j’étais petit, j’adorais les films de James Bond, et il y avait toujours le méchant qui voulait devenir le Maître du Monde, alors il entraînait son armée secrète, cachée dans une forteresse souterraine, et il menaçait toujours de faire sauter la planète avec des missiles nucléaires volés en Ouzbékistan. Vous vous souvenez de ces films, Madame Duchmolle? Eh bien, j’ai découvert tout récemment que James Bond, comme Louis-Ferdinand Céline, s’est fourré le doigt dans l’oeil. Le Maître du Monde, il n’est pas du tout comme ça, c’est rigolo, non? Le Maître du Monde, il a un peignoir minable, une maison nulle, une perruque bleue, un bandana dans la glotte, et en plus il ne sait même pas qu’il est le Maître du Monde! C’est vous, Madame Wardmuche! Et vous savez qui on est, nous? 007! Ta ta tan ta tatata tan tan tan!

Charlie fredonne la musique de John Barry. Il chante juste mais cela n’empêche pas la Maîtresse du Monde de chialer pathétiquement, la tête enfoncée dans son oreiller aux couleurs criardes style Versace (qui n’est pas mort puisque son oeuvre vit toujours).

— N’essayez pas de m’attendrir, Madame Wardmoncul. Est-ce que vous vous êtes attendrie lorsque des régions entières ont été brisées par des dégraissages massifs, des restructurations intensives, des plans sociaux abusifs décidés uniquement pour vos beaux yeux? Alors pas de chichis, s’il vous plaît. Un peu de dignité et tout se passera bien. My name is Bond, James Bond. Nous sommes seulement venus ici pour vous demander de dire à votre fonds de pension Templeton qui gère 200 milliards d’euros que, désormais, il ne pourra plus réclamer les mêmes rendements à ses entreprises, parce que sinon, de plus en plus de gens comme nous viendront rendre visite à des gens comme vous, d’accord?

C’est alors que Tamara s’est interposée.

— Attends, Charlie, je crois qu’elle essaie de te montrer quelque chose.

Effectivement, la vioque montrait de ses doigts boudinés une photo encadrée sur sa table basse. Elle représentait un beau soldat de l’US Army souriant, en noir et blanc, avec son casque sur la tête.

— MmfhghmfphhggH! gueulait-elle en pointant le portrait.

J’ai retiré le bandana de sa bouche pour qu’on puisse entendre un peu mieux ce qu’elle voulait dire par Mmfhghmfphhgg. Elle s’est mise à brailler comme un putois.

— WE SAVED YOUR ASS IN ‘44! MY HUSBAND DIED IN NORFUCKINGMANDY!! Regarde, CONNARD, le photo de MON MARI morte CHEZ VOUS à la D DAY!!

Personnellement, j’ai trouvé qu’elle marquait un point. Mais ça a fait déraper Charlie. Moi, je n’étais pas au courant de ses antécédents familiaux. Première nouvelle, je vous assure.

– Écoute, la Miss. On va pas se balancer nos morts à la figure toute la soirée. Cette guerre, vous ne l’avez faite que pour exporter Coca-Cola. IT’S COCA-COLA WHO KILLED YOUR HUSBAND! Moi, mon père s’est suicidé parce qu’on l’avait viré de sa boîte pour augmenter ses bénéfices. Je l’ai retrouvé pendu, tu comprends ça, salope? YOU KILLED MY FATHER!

Il la giflait un peu trop. La vieille saignait du nez. Je vous jure que j’ai essayé de le retenir mais l’alcool décuplait ses forces.

— T’AS FLINGUE MON PÈRE, VIEILLE TRUIE, TU VAS PAYER MAINTENANT!

Il la rouait de coups, visait les yeux avec ses poings, a cassé sa bouteille de bière sur son nez, a fait sauter son dentier et l’a introduit dans sa chatte, enfin bon, nous pourrions aussi considérer qu’il décida d’abréger une existence pleine de souffrances, et, de toute façon, presque arrivée à son terme, mais il me semble qu’on peut aussi appeler cela un dérapage. Bref, au bout de cinq minutes (ce qui est très long — par exemple, un round de boxe dure moins longtemps), Mrs Ward ne respirait plus et une odeur de merde a envahi la pièce. La housse Versace serait bonne pour le pressing.

Habituée semble-t-il aux dérapages, Tamara ne broncha pas. Après avoir mesuré son pouls, c’est-àdire constaté son décès, elle se mit méthodiquement à ranger les dégâts le plus vite possible. Elle nous ordonna de déposer le cadavre de la retraitée au bas de son escalier gréco-romain. Puis nous sommes sortis sur la pointe des pieds de cette villa sordide, non sans détruire la caméra de surveillance avec les cailloux du jardin.

— Tu crois que la vidéo enregistre?

— Non, c’est juste un interphone.

— De toute façon, même s’il y avait une trace, personne ne nous connaît ici.

Cette dernière phrase fit beaucoup rire les vigiles de garde qui passaient en revue les différents moniteurs de sécurité (l’un d’entre eux, un Haïtien, parlait couramment français); ils s’amusèrent moins quand ils s’aperçurent que Mme Ward avait succombé à l’agression et qu’il leur faudrait effectuer un rapport au Miami Police Department.

C’est à partir de là que j’ai cessé de réfléchir. Le quartier était désert. Charlie avait repris ses esprits. Il est tombé d’accord avec Tamara:

— Il était vraiment trop pourave son canapé.

Nous avons terminé la soirée au Club Madonna, une boîte de strip-tease où les danseuses en string, parfaitement refaites (on pourrait créer un mot-valise pour ces cyberfemmes: «parefaites»), viennent chercher avec leur bouche les billets de dix dollars que vous coincez dans votre braguette. Nous avons acclamé des seins incroyables mais pas vrais.

— C’est toujours comme ça avec les femmes, a dit Charlie, soit elles nous frustrent, soit elles nous dégoûtent.

Piquée dans son orgueil de professionnelle, Tamara nous a ensuite gratifiés d’un show magnifique, debout sur le bar, suçant le goulot de sa Corona, durcissant ses tétons avec les glaçons de ma vodka, jusqu’à ce qu’on nous flanque à la porte pour concurrence déloyale. Puis nous nous sommes endormis tous les trois devant la TV «pay per view» de l’hôtel qui diffusait un excellent porno avec, notamment, un double fist anal, chose que j’ignorais techniquement possible, et je dois confesser que les cris de l’actrice me firent venir dans mon pantalon.

Le lendemain, comme nous reprenions l’avion pour rentrer à Paris (toujours en Business à un demieurobâton le siège, au menu «nid de pâtes de sarrasin garni de caviar osciètre relevé d’un cordon de jus de tomate crue»), Charlie m’a dit qu’il acceptait la nomination au poste de DC. J’ai prié pour que l’avion s’écrase mais, comme d’habitude, il n’en a rien fait. Et c’est ainsi que je me suis retrouvé, en une journée, à la fois patron d’agence et complice de meurtre.

7

De retour à Paris, nous trouvâmes sur nos ordinateurs cette circulaire e-mailée à tous les employés de Rosserys & Witchcraft Monde (probablement rédigée par un logiciel de traduction automatique):

Chers amis du groupe Rosserys & Witchcraft,

L’une de mes obligations principales envers nos clients, nos actionnaires et chacun d’entre vous est d’indiquer le futur de Rosserys & Witchcraft. Ces dernières années, nous avons tous eu la chance de bénéficier d’une qualité de managers exceptionnelle. Un groupe d’individus de talent qui nous a permis d’atteindre nos objectifs en tant que spécialistes du marketing global et intégré tout en transformant notre groupe en un leader communicationnel de premier plan. Aujourd’hui je reconnais leur importance dans notre succès et je prépare le terrain pour la vitalité de Rosserys & Witchcraft dans le prochain millénaire.

C’est avec une grande satisfaction et fierté que je vous annonce la nomination de Jean-François Parcot au poste de Président-Directeur Général de Rosserys Paris. Philippe Enjevin est promu au poste de Président Europe avec le titre de Chairman Emeritus. Ces nominations sont effectives immédiatement. En tant que Chairman Emeritus. Philippe pourra passer plus de temps à faire ce qu’il aime — travailler activement à apporter sur le marché une qualité supérieure de communication intégrée aux résultats globaux.

Le nouveau poste de Jean-François lui permettra de se concentrer sur ce qu’il fait le mieux — travailler avec nous à élever la qualité et la nouveauté stratégique que nous apportons dans notre souci de croissance internationale. Jean-François a su revitaliser le budget Madone depuis 1992 avec son sens du dynamisme et sa puissance de travail.

Je tiens à remercier ici personnellement Philippe pour son immense réussite à la tête de notre filiale française. Aucun doute qu’il saura faire profiter le réseau européen de sa connaissance du terrain et de notre portefeuille de clientèle.

Jean-François a tenu à renouveler la direction de création française en nommant Octave Parango et Charlie Nagoud à la place de Marc Marronnier, dont la disparition tragique a choqué tous les amis et collègues. Il vous informera des autres changements de l’organigramme. Je tiens ici à dire à la famille de Marc combien son sens exceptionnel de l’intuition conceptuelle et des opportunités créatives a enrichi l’histoire de l’agence ainsi que l’évolution de la communication globale.

J’aiderai bien sûr Jean-François, Octave et Charlie dans toute la mesure de nos moyens et je sais que vous en ferez de même.

Lorsque je regarde le futur de Rosserys & Witchcraft, je le fais avec fierté et une extrême confiance. Le leadership de R amp;W au 21e siècle se maintiendra tout simplement au top niveau du business.

Avec mes sentiments ravissants,

Edward S. Farringer Jr

Cet enfoiré de Charlie avait répondu oui, en nos deux noms, une semaine avant le tournage. Je n’avais qu’à signer quelques papiers. Je me suis dit qu’en acceptant, j’aurais peut-être le pouvoir de changer quelque chose. C’était faux: on ne donne jamais le pouvoir à ceux qui risquent de s’en servir. D’ailleurs quel pouvoir? Le pouvoir est une invention révolue. Les pouvoirs d’aujourd’hui sont si multiples et dilués que le système en est devenu impuissant. Et nous qui répétions sans arrêt notre credo gramsciste: «Pour détourner un avion, il faut commencer par monter dedans». Quelle ironie du sort! A présent que nous entrions dans le cockpit, nos grenades à la main, et que nous nous apprêtions à donner des ordres au pilote sous la menace de nos mitraillettes, nous découvrions qu’il n’y avait pas de pilote. Nous voulions détourner un avion que personne ne savait conduire.


IL FAUT BIEN QUE QUELQU’UN PAIE:

RENDEZ-VOUS APRÈS CE MESSAGE

LA SCÈNE SE DÉROULE AU CARROUSEL DU LOUVRE. UN GRAND DÉFILÉ DE MODE SE PRÉPARE. LA FOULE SE PRESSE DEVANT L’ENTRÉE GARDÉE PAR DE JOLIS GARÇONS DU LYCÉE JANSON-DE-SAILLY EN CRAVATES ROUGES. NOUS PÉNÉTRONS A L’INTÉRIEUR DE LA SALLE, PLEINE A CRAQUER DE TOUS LES VIP‘s DE LA TERRE.

LA LUMIERE S ’ÉTEINT. LA FOULE DES INVITÉS MURMURE UN «AAAH» DE CONTENTEMENT. SUR LE PODIUM DÉFILENT DES FILLES ENTIÈREMENT NUES A U SON D ‘ UNE MUSIQUE TECHNO-DIRTY-METAL-HARD-ACID-HOUSE.

LES INVITÉS S’EXTASIENT DEVANT CES SUBLIMES MANNEQUINS DÉNUÉS DE VÊTEMENTS: SEINS MAJESTUEUX, FESSES REBONDIES, JAMBES INTERMINABLES, PUBIS RATIBOISÉ EN FORME DE RECTANGLE. SOUDAIN ELLES S’ARRÊTENT AU MILIEU DU CATWALK, GLISSENT LEURS MAINS MANUCURÉES SOUS LEURS AISSELLES ET Y TROUVENT UNE FERMETURE ÉCLAIR! ELLES DÉZIPENT ALORS LEURS PEAUX SATINÉES, SE DÉBARRASSENT DE LEURS ÉPIDERMES COMME ON RETIRE UNE COMBINAISON DE PLONGÉE. DANS LE PUBLIC, UNE VIEILLE DUCHESSE S’ÉVANOUIT UN BARBU PORTANT DES LUNETTES DE SOLEIL ÉJACULE SUR LE VESTON DE SON VOISIN DE DEVANT. UNE JEUNE FILLE DE DOUZE ANS SUCE UNE GLACE EN FORME DE PHALLUS EN SE CARESSANT L’ENTREJAMBE.

SOUS LEURS PEAUX ARTIFICIELLES, LES TOPS SONT EN MÉTAL. DES CYBORGS D’ACIER TREMPÉ, DES ANDROÏDES MIROITANTS. L’UNE DES FILLES EST RECOUVERTE DE COUPURES DE CENT EUROS. UNE AUTRE SE MET A CRACHER DES PIÈCES DE MONNAIE. UNE TROISIÈME JETTE UNE PLUIE DE CARTES DE CRÉDIT COMME AUTANT DE CONFETTIS. CE SONT DE VÉRITABLES TIRELIRES ROBOTIQUES (D’AILLEURS UN DES MODÈLES SORT DES BILLETS DE SON SEXE MÉTALLIQUE COMME D’UN DISTRIBUTEUR AUTOMATIQUE).

STANDING OVATION DE LA FOULE. LES GENS GRONDENT DE PLAISIR. L’AMBIANCE EST ÉLECTRIQUE. LA MUSIQUE S ’ACCÉLÈRE JUSQU’A EN DEVENIR INSOUTENABLE. DES TÊTES EXPLOSENT DANS LES TRAVÉES. ON DÉPLORE UNE DOUZAINE D’ARRÊTS CARDIAQUES ET PLUSIEURS VIOLS COLLECTIFS AU SECOND RANG.

PACKSHOT AVEC UNE PLUIE DE PIÈCES DE MONNAIE SUR LE CORPS NU D’UNE ADOLESCENTE THAÏLANDAISE.

signature en surimpression écran:

«ALLEZ DROIT A U BUT: JOUISSEZ DANS UNE PUTE».

suivie de la mention légale: «C’ÉTAIT UN MESSAGE DE LA FFRMC (FÉDÉRATION FRANÇAISE POUR LA RÉOUVERTURE DES MAISONS CLOSES)».

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