Suivez aussi les aventures d’Ombe,
l’autre Agent stagiaire de l’Association :
LES LIMITES OBSCURES DE LA MAGIE
PIERRE BOTTERO
– Ombe !
Je me retourne, ce qui est, avouons-le, assez logique. Ombe est mon prénom et je suis la seule à le porter dans le coin, coin étant ici utilisé au sens le plus large du mot. Il en découle que c’est forcément moi que l’interpeleur interpelle. (Inutile de me faire remarquer qu’interpeleur n’est pas français, je le sais mais j’aime inventer des mots.)
Donc, je me retourne.
Et pas seulement par curiosité.
J’ignore si c’est le fait de me frotter régulièrement à des phénomènes étranges, pour ne pas dire franchement magiques, mais j’ai développé un sixième sens foireux qui me souffle à tout bout de champ que le nœud des possibles est en train d’exploser pour laisser entrer le rêve dans ma vie.
En termes plus clairs : et si c’était Brad Pitt qui m’appelait ?
Naïve, moi ? Non, pas vraiment. Enfin… je ne crois pas.
Bon, je me retourne et, bien sûr, je me prends la réalité en pleine poire. Le type qui m’a hélée depuis l’autre bout du couloir n’est pas Brad Pitt mais Dylan Martin, le pire blaireau du lycée.
Oui, je sais, les chances que Brad vienne se perdre dans ce bahut de banlieue avoisinent le zéro absolu – il n’appartient pas à l’Association, lui – tandis que celles de se faire brancher par Dylan Martin pour la soixante-quatorzième fois de la semaine quand on est jeune, jolie et nouvelle, flirtent avec les cent pour cent.
N’empêche que, pendant une poignée de folles secondes, j’y ai cru et que Dylan en a profité pour arriver à ma hauteur.
– Tu sais, Ombe, t’es de la bombe. Tu veux que je te tombe ?
Bon sang, j’avais oublié à quel point le lycée s’avère neuronophage (oui, je sais, encore un mot inventé) lorsqu’on ne possède pas un équilibre mental et affectif en béton armé !
J’ordonne à mes dents de cesser de crisser, à mon rythme cardiaque de ne pas s’emballer, je me souviens que, comme tout mammifère digne de ce nom, je suis tenue à respirer, si possible de façon pas trop irrégulière, et je me tourne vers le séducteur qui vient d’entrer dans l’histoire de la poésie par cette tirade d’anthologie.
Erreur.
En plus d’être stupide, Dylan Martin est grand, gros et moche. Ajoutez à cela qu’être entouré de trois copains ringards aux sourires niais lui offre la suffisance que seul il n’oserait pas arborer et le portrait est prêt à être encadré.
C’est d’ailleurs ce que je m’apprête à faire.
À encadrer ce blaireau.
Dylan me croit lycéenne et comme il appartient à cette catégorie assez répandue de garçons s’estimant prédateurs dans un établissement scolaire terrain de chasse, je campe pour lui la proie parfaite. La situation, pour irritante qu’elle soit, serait presque cocasse, vu que je suis plus prédatrice qu’il ne le sera jamais. Même en rêve.
Loin d’être lycéenne, je me trouve ici pour une mission. Ma première mission en solo. Et j’ai beau être fin prête, la pression qui pèse sur mes épaules est du genre écrasante, surtout que Walter en a remis une couche au moment où je quittais son bureau :
– De la discrétion, Ombe ! N’oublie pas que l’Association n’existe que par et pour la discrétion !
Ses yeux étaient fixés sur moi et, me semblait-il, distillaient une sourde inquiétude. Hasard sans doute, mais hasard qui ne profite pas à Dylan Martin.
Walter veut de la discrétion ? Il va être servi.
À suivre…