III

Kosnichef, après avoir pris congé de la princesse, entra avec Katavasof, qui venait de le rejoindre, dans un wagon bourré de monde.


L’hymne national accueillit encore les volontaires à la station suivante, et ceux-ci répondirent par les mêmes saluts; ces ovations étaient trop familières à Serge Ivanitch, et le type des volontaires trop connu, pour qu’il témoignât la moindre curiosité; mais Katavasof, que ses études tenaient éloignés de ce milieu, prit intérêt à ces scènes nouvelles pour lui, et interrogea son compagnon au sujet des volontaires. Serge Ivanitch lui conseilla de les étudier dans leur wagon à la station suivante, et Katavasof suivit cet avis.


Il trouva les quatre héros assis dans un coin de la voiture, causant bruyamment, et se sachant l’objet de l’attention générale; le grand jeune homme voûté parlait plus haut que les autres, sous l’influence de trop nombreuses libations, et racontait une histoire à un officier en petite tenue d’uniforme autrichien; le troisième volontaire, en uniforme d’artilleur, était assis auprès d’eux sur un coffre, et le quatrième dormait. Katavasof apprit que le jeune homme maladif était un marchand, qui, à peine âgé de vingt-deux ans, était parvenu à manger une fortune considérable, et croyait s’être attiré l’admiration du monde entier en partant pour la Serbie. C ’était un enfant gâté, perdu de santé et plein de suffisance; il fit la plus mauvaise impression au professeur.


Le second ne valait guère mieux; il avait essayé de tous les métiers, et parlait de toute chose sur un ton tranchant et avec la plus complète ignorance.


Le troisième, au contraire, plut à Katavasof par sa modestie et sa douceur; la présomption et la fausse science de ses compagnons lui imposaient, et il se tenait sur la réserve.


«Qu’allez-vous faire en Serbie? lui demanda le professeur.


– J’y vais, comme tout le monde, essayer de me rendre utile.


– On y manque d’artilleurs.


– Oh! j’ai si peu servi dans l’artillerie!» Et il raconta que, n’ayant pu subir ses examens, il avait dû quitter l’armée comme sous-officier.


L’impression produite par ces personnages était peu favorable; un vieillard en uniforme militaire, qui les écoutait avec Katavasof, ne semblait guère plus édifié que lui; il trouvait difficile de prendre au sérieux ces héros dont la valeur militaire se puisait surtout dans leurs gourdes de voyage; mais, devant la surexcitation actuelle des esprits, il était imprudent de se prononcer franchement; le vieux militaire, interrogé, par Katavasof sur l’impression que lui faisaient les volontaires, se borna donc à répondre en souriant des yeux:


«Que voulez-vous, il faut des hommes!» Et, sans approfondir mutuellement leurs sentiments à ce sujet, ils causèrent des nouvelles du jour et de la fameuse bataille où les turcs devaient tous être anéantis.


Katavasof n’en dit pas plus long à Serge Ivanitch tandis qu’il reprenait sa place auprès de lui: il n’eut pas le courage de son opinion.


Les chœurs, les acclamations, les bouquets et les quêteuses se retrouvèrent à la ville suivante; on accompagna les volontaires au buffet comme à Moscou, mais avec une nuance d’enthousiasme moindre.

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