JUSTE POUR DIRE D’ÉPILOGUER

Quelques jours plus tard, nous sommes tous réunis chez les Bérurier, afin d’« arroser ça ». Se trouvent rassemblés pour le galimafrage géant : M. et Mme Béru, cousine Laurentine avec la tronche enturbannée, Odile, moi et Mongénéral.

Le coq est encore drôlement patraque, mais il reprend lentement de la plume de la bête. Il a la crête sur l’oreille, toujours à la chasseur alpin, et celle-ci, quoique blafarde, conserve quelque chose de crâne.

On ne le met plus dans sa cage. Il demeure en liberté dans le logement du Gros. Sa Majesté le couve d’un œil jaloux et veille personnellement à ce que ses remèdes reconstituants lui soient administrés. Laurentine, Berthy et le Mastar ne parlent plus que du claque de la rue Legendre. Ils ont décidé de l’exploiter en commun. Berthe et Laurentine superviseront Mme Froufrou puisqu’en sa qualité de flic, mon ami ne saurait déployer une activité quelconque dans une maison de tolérance ; les bénéfices seront équitablement partagés.

On écluse quelques bouteilles de beaujolais avant de mettre le gigot à griller devant la cheminée. Berthe est sur la sellette, à cause de son bonhomme qui ne se lasse pas de lui faire raconter ses prouesses chez le prince. Non seulement il en a pris son parti, mais maintenant il se sent confusément flatté que son épouse ait été la favorite d’un authentique monarque.

— Berthe, assure le Gros complaisamment, je l’avais toujours dit que c’était un morceau de roi.

Son passage dans les alcôves princières du Seigneurial Palace, c’est comme qui dirait les Mille et Une Nuits béruriennes.

— Raconte ce qu’y te faisait faire, après la planche savonnée et le chalumeau en zigzag, chérie.

Alors, bonne pâte, elle raconte. Elle explique le martinet gaucho, le bicorne à jugulaire, la moule à lorgnons, la dune déboisée, le carnaval very nice, l’olifant de chichoune, la figue cramoisie, le bâtonnet à vaseline et le fromager à glissière.

Il est le seul à ne pas rougir, Béru. Il s’exclame :

— Ces gens du très grand monde, c’est négriers et compagnie, mais pour l’amour, y craignent personne !

Laurentine que la vie — fût-elle strictement hospitalière — de Paris rend tolérante, s’abstient de s’indigner et branle déjà le chef d’un air entendu. Quand on s’apprête à devenir sous-maîtresse, on ne peut se formaliser pour des broutilles ! Par contre, mon Odile a les larmes aux yeux. Ce que je suis bien avec elle depuis que j’ai cessé de l’aimer d’amour ! Le cœur, c’est la pire des contraintes, la plus dure des servitudes. L’amour, sans lui, c’est vraiment un plaisir…

— Bon, c’est pas le tout, tranche Sa Majesté, faudrait songer à se perfuser des calories, mes bons amis.

Berthe porte tout à coup la main à sa bouche.

— Mon Dieu ! s’exclame-t-elle, j’ai oublié d’acheter du bois pour la cheminée !

— Casse la tienne, rigole Béru, je vais t’en fabriquer, du bois d’allumage, ma poule.

Et le voilà qui s’empare de la cage de Mongénéral.

— C’te volaille, dit-il, riche comme Rote-Childe, on peut pas toujours l’embastiller.

La compagnie répond qu’en effet, un coq multimillionnaire ne saurait jouer le Masque de fer. Fort de cet assentiment général, Béru se met à défoncer la cage à coups de talon. Ça ne traîne pas avec cécoinsse : cric, crac, boum ! la caisse est en morceaux.

— Sapristi ! qu’est-ce que c’est que ça ? clame B.B. en désignant une sorte de bille de verre sur le plancher.

Le Gros se penche, tout le monde l’imite. L’émotion me râpe le gosier. La bille en question n’est autre qu’un diamant bourré de carats. Et ce solitaire n’est pas seul. Il y en a une dizaine d’autres de même taille dans les débris de la cage.

Le Mastar se met à baver, à pâlir, à secouer sa bonne hure, à stalactiter du naze, à se désagrafer le râtelier à force d’ouvrir grand son bec devenu insonore.

Je ramasse les pierres étincelantes. J’en ai lourd dans ma pogne. Une vraie fortune ! Les plus baths cailloux que j’ai jamais soupesés. Des tas de millions de nouveaux francs se bousculent à l’intérieur de cette quincaille.

— Ce sont des diamants ! affirme Odile.

— Dans la caisse du coq ! bée Berthe.

— Le magot de notre oncle Prosper ! gicle Laurentine.

Pour lors, Alexandre-Benoît Bérurier éclate en sanglots.

— Alors, c’était donc vrai, gémit la chère grande âme, c’était donc vrai, l’oncle Prosper, un receleur ! Un ténor du mitan ! Le Laurenzi n’était que son homme à tout faire !

— Qu’est-ce que tu racontes ? glapit la cousine au turban sanglant. Insulter encore la mémoire de nos défunts… C’est une manie chez toi, espèce de mécréant !

Le Gros paraît en état second. Je le vois se dresser, mécaniquement, avec des grâces de robot. Il s’approche du coq, le saisit à deux mains. Mongénéral, croyant à une caresse, se pavane autant que sa convalescence le lui permet. Il essaie même un petit cocorico dérisoire qui ressemble aux roues d’un tramway dans un virage.

De sa large, de sa puissante, et noble, et velue, et terrible main droite, Bérurier empoigne le cou du coq et, floc, d’une simple torsion, il met le volatile hors vie. L’animal foudroyé pend dans sa main gauche, le bec ouvert sur un dernier spasme, les yeux déjà fixes, bien ronds, reflétant les diamants éblouissants…

— Alexandre-Benoît ! s’écrie Berthe.

— Gredin ! hurle Laurentine !

— Malheureux ! soupire Odile.

Y a que San-A. qui dit rien, vu qu’il a pigé le geste et sa beauté.

Bérurier s’avance vers sa cousine qui amorce un geste de parade, le croyant devenu fou.

— Laurentine, dit lentement le Gros, Laurentine, t’es une pauvre pécore, ton vieux était un sacré grigou qui déplaçait les bornes des prés et ta mère une charogne qui brouillait les ménages, mais pourtant, tous les trois, vous êtes des gens honnêtes. J’ai le regret de te le dire : notre oncle Prosper c’était un gangster, on va tout t’expliquer. Il est pas question que nous touchassions un sou de son héritage. Maintenant, sa fortune ira à la commune, et j’espère qu’avec tout cet argent mal gagné, elle construira des hôpitals, des routes, des stades, des hospices et des pissotières ; brèfle, tout ce qui peut embellir la vie du pauvre monde ou la soulager. Faut lui réhabiliter la mémoire, à ce salaud de Prosper, et réhabiliter aussi le nom des Bérurier.

Béru pleure abondamment, mais sa voix reste forte et noble.

— En ce moment, me dit-il, je comprends un peu ce qu’a pu se passer dans la tête d’Hildegarde à propos de l’honneur de son vieux, San-A. Oui, je comprends…

Il baisse son front honteux, puis jette Mongénéral encore tiède sur les genoux de sa femme.

— Plume-le et fais-le cuire au chambertin, Berthe !

Bérurier se redresse, comme le jonc après la foulure d’un pied.

— Et veille que ça soye bien de l’appellation contrôlée, recommande-t-il.

Il ajoute en caressant du bout des doigts le plumage de Mongénéral :

— Il le mérite !

FIN
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