Le grand quotidien fasciste dont le projet fut fauché par l’arrestation d’André ne se releva pas.
L’instruction de cette affaire Delcourt, animée par une bataille d’experts en graphologie, dura plus de dix-huit mois au terme desquels les assises de la Seine (devant lesquelles les experts reprirent les armes) condamnèrent André à quinze ans de réclusion criminelle.
Le 23 janvier 1936, Madeleine fut extrêmement contrariée par l’arrestation, pour voies de fait en état alcoolique, d’un nommé Gilles Palisset, dont les empreintes correspondaient parfaitement à celles relevées au domicile de Mathilde Archambault.
Employé du Crédit municipal, mythomane et pervers, habitant chez ses parents, Palisset passa rapidement aux aveux et avoua les avortements et le meurtre de la jeune femme. Il fut admis que Mathilde Archambault avait eu deux amants, Delcourt, qui avait laissé trop de traces sur place pour qu’on en doute encore, et Palisset, qui finalement l’avait tuée. Loin de hurler à l’erreur judiciaire, la presse salua la performance scientifique et l’efficacité du laboratoire de la police.
Delcourt fut immédiatement libéré.
Madeleine suivit l’épilogue de cette affaire avec une rage que M. Dupré était impuissant à calmer.
Moins d’un mois après la libération d’André Delcourt, on se perdit en conjectures sur les circonstances de sa mort.
Le 20 février 1936, on retrouva son corps nu, pieds et poings liés aux montants de son lit. Le rapport d’autopsie relève qu’il avait ingéré une large dose d’un somnifère courant à cette époque mais que sa mort était due aux conséquences d’une grande quantité de chaux vive déversée sur son entrejambe. La mort fut sans doute longue et douloureuse.
Les conditions exactes de ce décès ne furent jamais éclaircies.
Les péripéties judiciaires de Gustave Joubert furent autrement complexes. Le chef d’accusation de haute trahison était, à cette époque, un concept assez flou, plus pratique pour la proclamation patriotique que pour une cour de justice, son invocation tenait beaucoup à la tension avec l’Allemagne. Les uns, qui manifestaient la plus grande méfiance vis-à-vis du régime nazi, étaient pour une peine exemplaire qui illustrerait la détermination de la France. Les autres, qui estimaient qu’il fallait composer avec un IIIe Reich dont les intentions bellicistes étaient de pure forme, plaidaient pour la relaxe pure et simple, en signe de pacification.
Le statut très particulier de Joubert donna à l’affaire une importance toute particulière et galvanisa le débat.
On entra rapidement dans la confusion, dans une longue bataille juridique qui traduisait assez bien la crise de régime, le flottement des dirigeants, l’incertitude de la politique étrangère et, a posteriori, le manque de lucidité de la majorité des élus de la République. À la haute trahison, on finit par préférer la notion d’intelligence avec l’ennemi, estimée plus prudente. Joubert, en 1936, écopa de sept années de prison, bénéficia d’une remise de peine et sortit libre en 1941 pour mourir l’année suivante d’un cancer foudroyant, « bien plus rapide que ses avions », écrivit un journaliste venimeux.
Reste Charles Péricourt. Le scandale qui avait provoqué sa mise à l’écart fut promptement étouffé. Les quatre-vingt-huit juges désignés ne furent assistés que par… quatre experts-comptables, méthode très efficace pour ralentir l’instruction et laisser retomber le soufflé.
Devant les hurlements de la presse de droite, les autorités cessèrent de divulguer l’identité des contrevenants, privant ainsi le grand public de noms lui permettant d’incarner son indignation. Une partie de la presse préféra le silence et ne traita le scandale que dans quelques entrefilets d’une remarquable discrétion. D’autres optèrent pour la contre-attaque et reprirent leur antienne contre le fisc, dont l’appétit gargantuesque avait provoqué les contribuables. Bref, le scandale se délita progressivement, quelques mois plus tard il n’était plus question de rien, les banques anglaises et suisses poursuivirent leurs activités qui n’avaient pas même ralenti, les contribuables plus modestes continuèrent de payer proportionnellement davantage que les plus privilégiés.
Charles Péricourt cessa d’être inquiété, mais il était un homme laminé par son échec. Il ne se remit jamais de la mort d’Hortense. Ses « deux fleurs » ne se marièrent jamais, comme il l’avait pressenti, et suivirent un itinéraire chaotique qui les conduisit notamment dans les ordres, mais elles ne s’y plurent pas. Elles partirent pour Pondichéry en 1946, insistèrent pour que leur père vienne les rejoindre, ce qu’il accepta enfin de faire en mars 1951. C’est là, entouré de son « bouquet virginal », qu’il mourut l’année suivante.
Le talent précoce de Paul pour la publicité permit à son baume de faire une belle carrière, puissamment aidée par une astucieuse campagne de spots radiophoniques. Le slogan « Mince ! » devint une expression populaire, on l’employa à tout bout de champ. Les femmes l’adoraient, cela leur permettait de proférer une grossièreté vénielle sous le couvert de la plaisanterie. L’entreprise Péricourt déclina ses produits. Un reportage consacré à Paul Péricourt dans Le Petit Journal illustré le fit passer brusquement de la notoriété à la célébrité. On adora ce jeune homme en fauteuil roulant, brillant, entreprenant et modeste, qui passait l’essentiel de ses moments avec la presse à expliquer (à condition d’avoir le temps de l’écouter) que la grande Solange Gallinato était allée, juste avant de mourir, défier à Berlin la puissance du Reich, de quelle manière elle avait fait de son dernier récital un manifeste antinazi et comment les autorités allemandes avaient fabriqué une légende qu’il était grand temps de mettre en pièces parce qu’elle faisait tort à l’esprit de la diva, etc. Quand il était parti sur cette histoire, il était impossible de l’arrêter. Toutes les encyclopédies reprennent cette version que Paul a réussi à imposer.
Il entra dans la Résistance en 1941. Arrêté en 1943 par la Gestapo, on ne le sortit pas de son fauteuil pour le passer à la question.
Il était à Paris pendant les journées d’août 1944, il ne quitta pas son fauteuil, sa fenêtre et son fusil pendant près de soixante-douze heures.
Médaille de la Résistance, croix de la Libération, Légion d’honneur… Paul accepta les lauriers, mais ne parla jamais de sa guerre et ne s’inscrivit dans aucune association d’anciens combattants. Il ne voulut jamais revoir son père qui chercha, par ce biais, un point de contact avec son fils. Les deux hommes n’avaient pas vraiment choisi le même camp.
Son penchant pour la pharmacie ne survécut pas à la réussite du baume Calypso. Ce qui le passionnait, c’était moins les produits que la façon de les vendre. Il se consacra à la publicité, créa l’agence Péricourt, épousa Gloria Fenwick, héritière d’une agence américaine concurrente, alla s’installer à New York, revint à Paris, fit des enfants, des profits et des slogans, il était très fort dans ce domaine.
Alors qu’elle disposait de pas mal de solutions, Léonce Picard choisit de partir pour Casablanca. Elle voulait revenir à son point de départ, à la manière d’une petite fille qui, partie du mauvais pied dans une marelle, recommencerait la partie du début. D’ailleurs, elle n’emmena pas Robert Ferrand qui en fut bien surpris, mais qui se consola rapidement.
Elle ne chercha jamais à éclaircir la raison pour laquelle elle choisit le nom de Madeleine Janvier. Elle reprit sa prospection comme à Paris quelques années plus tôt. Au lieu de trouver une riche bourgeoise à qui servir de dame de compagnie, elle rencontra un industriel normand qui l’épousa et lui fit cinq enfants, un par an, Léonce prit beaucoup de poids après sa dernière grossesse, vous ne l’auriez pas reconnue.
Ah oui, Vladi, n’oublions pas Vladi.
Elle épousa son contrôleur des chemins de fer de l’Est, devint Mme Kessler, s’installa à Alençon, mais n’apprit jamais un seul mot de français. Son fils aîné, Adrien, comme chacun sait, fut Prix Nobel de médecine.
Quant à Madeleine et à Dupré, ils continuèrent de se voussoyer, ils le firent toute leur vie.
Il disait « Madeleine ». Elle disait « monsieur Dupré », comme une femme de commerçant en présence de la clientèle.