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Deux semaines plus tard, j’étais à Lourmarin en week-end prolongé, et même davantage puisque j’avais décroché des rendez-vous avec des agences immobilières de la région, dont les clients étaient pour la plupart de grandes fortunes étrangères — des Russes, des Suédois, des Hollandais, des Américains, des Anglais — pour leur proposer un partenariat avec l’agence. Et lundi serait aussi un grand jour pour la Petite Fleur : internet arrivait !

Mais pour le moment, je comptais bien profiter de mes deux journées de repos. En arrivant, je fis un point avec le chef de chantier ; j’étais satisfaite, il ne restait plus que les finitions. Comme quoi être intraitable pouvait avoir ses avantages. Une fois qu’il fut parti, je balançai mes escarpins — plus besoin — et enfilai mes vieilles Puma qui avaient repris du service depuis quelques mois. Je montai directement dans ma nouvelle chambre et m’extasiai sur le parquet brut et clair que j’avais choisi. Puis j’ouvris la fenêtre pour aérer et chasser l’odeur de peinture fraîche et m’y accoudai pour contempler la vue. J’inspirai à pleins poumons. Ensuite, avec un plaisir non dissimulé, je fis mon lit pour la première fois ici, et sans border la couette. Après avoir envoyé un texto à Alice pour lui dire que j’étais bien arrivée et passé un coup de téléphone à mon père, je descendis à pied au village, mon apéro en terrasse m’appelait. Dans les petites ruelles, je croisai et saluai de nombreuses têtes. Progressivement, je renouais avec des anciennes connaissances de mon enfance et adolescence. Ça me plaisait. Non sans un pincement au cœur, je chinai de la nouvelle déco dans les boutiques où j’avais pris mes habitudes ces derniers mois. La grange manquait de lampes et de cadres, je voulais des photos aux murs. Sans oublier les bougies. Comme bien souvent, je trouvai mon bonheur à La Colline et à L’Apothicaire de Lourmarin. Après avoir acheté mon pain grillé et mon gibassier du week-end, je pus enfin m’installer à la terrasse du Café de l’Ormeau. J’avalai ma première gorgée de Fontvert blanc, puis je soupirai de bien-être, savourant la chaleur, déjà présente en cette fin mai. J’observai autour de moi, le sourire aux lèvres ; les serveurs toujours avenants, les familles ravies d’être en week-end, les couples de retraités. D’ici quelques semaines, il y aurait davantage de monde, j’étais heureuse de profiter de cette quiétude avant la saison estivale. Ce soir, je m’endormirais sans pleurer ni user d’artifice, juste parce que j’étais bien. Certes, il me manquait quelqu’un. Je l’avais attendu plus de dix ans, je pouvais continuer encore un peu, surtout que j’avais goûté à l’homme merveilleux qu’il était. Pourtant, je commençais vraiment à me faire à l’idée qu’il ne reviendrait pas vers moi. Il n’acceptait pas celle que j’étais. J’avais toujours fait attendre tout le monde à cause de mon travail, c’était à mon tour d’apprendre la patience. J’avais fait assez de chemin en un an, pour ne plus retomber dans mes travers. J’avais désormais une nouvelle vie à côté de l’agence, je rattrapais le temps et profitais de ma famille en attendant peut-être d’en avoir un jour une à moi. On pouvait avoir les deux, je l’avais enfin intégré. Tout comme le fait que ces deux éléments essentiels de ma vie pouvaient se nourrir l’un de l’autre ; j’étais meilleure dans mon boulot, plus agréable avec mes collègues depuis que ma vie ne se résumait plus à l’agence. Pour réussir ma vie de femme, je devais savoir décrocher et accorder du temps à ceux que j’aimais. Cette dernière réflexion me fit sourire. Je décrochais tellement désormais que j’avais oublié mon téléphone dans la grange.

— Auriez-vous l’heure, s’il vous plaît ? demandai-je au serveur.

Un poignet apparut alors sous mon nez. Je le regardai, ce poignet, de longues secondes sans chercher à voir l’heure sur la merveilleuse montre qui l’ornait, puis je l’attrapai et serrai ce bras fort et protecteur autour de mon cou. Marc se pencha sur moi, le visage dans mes cheveux.

— Désolé de t’avoir fait attendre, murmura-t-il.

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