VI Septembre 1348 Mémoire des stigmates de saint François

Ils s’appelaient les Krenken, ou du moins c’était la seule façon pour une langue humaine de prononcer leur nom ; que celui-ci désignât l’ensemble de leur espèce, à l’instar de celui d’« humain », ou qu’il ne s’appliquât qu’à une partie d’entre eux, comme celui de Schwarzwälder, Dietrich ne pouvait encore le dire.

— Ils ont l’air malades, pour sûr, dit Max à l’issue d’une de leurs visites, riant de sa propre plaisanterie.

Le mot Krenk sonnait presque comme krank, qui signifie « malade ». Vu leur teint gris et leurs membres grêles, songea Dietrich, on ne pouvait en effet s’empêcher de croire à quelque présage divin.

Theresia voulait venir les soigner avec ses herbes. « C’est ce qu’aurait fait le Seigneur », déclara-t-elle, ce qui fit un peu honte à Dietrich, qui souhaitait les voir partis plutôt que guéris ; certes, en les remettant sur pied, on ne pouvait que hâter le moment de leur départ, mais celui qui accomplit le bien doit le faire sans arrière-pensée. Cependant, il hésitait à admettre Theresia dans le cercle des initiés à la présence des Krenken. Des êtres aussi étranges, aussi puissants, ne manqueraient pas d’attirer les curieux, et c’en serait fini de sa paisible retraite – quatre personnes, c’est déjà beaucoup quand on souhaite garder un secret. Il prétexta des instructions du Herr, ce qui suffit à contenter Theresia, mais elle insista pour lui confier ses potions. À l’instar des humains, les Krenken n’en retiraient pas toujours des bénéfices visibles.

Lorsque vint la fin de l’été, Dietrich prit l’habitude de se rendre régulièrement au campement. Tantôt il y allait seul, tantôt il était accompagné de Max ou de Hilde. Cette dernière changeait les pansements et nettoyait les blessures en voie de guérison, pendant que Dietrich enseignait l’allemand à Gschert et à Kratzer grâce aux bons offices de la tête parlante, espérant leur faire comprendre qu’ils devaient s’en aller. Jusqu’ici, ils ne semblaient pas décidés à le faire, mais il n’aurait su dire s’ils s’y refusaient ou s’ils ne comprenaient pas sa requête.

Max assistait parfois à ces séances. Habitué qu’il était à commander ses troupes, il s’adapta bien vite aux techniques de gestuelle et de répétitions qu’utilisait le prêtre pour expliciter le sens de certains vocables. Le plus souvent, il veillait sur Hilde comme un ange gardien et la raccompagnait à Oberhochwald lorsqu’elle en avait fini avec ses bonnes œuvres.

Le Heinzelmännchen maîtrisa rapidement l’allemand, car la tête parlante était incapable d’oublier ce qu’elle assimilait. Cet appareil possédait une mémoire prodigieuse, tout en étant affligé de fort curieuses lacunes. Pour comprendre le terme de jour, il lui avait suffi d’écouter parler les villageois, mais il avait fallu lui expliquer celui d’année. Comment un peuple d’hommes, si lointaine fût sa contrée, pouvait-il ignorer la course du soleil ? Et il y avait le problème d’amour, que l’appareil confondait avec l’eros des Grecs, suite à d’infortunées observations clandestines sur lesquelles Dietrich préférait ne pas s’attarder.

— C’est un agrégat intuitif de cames et de roues, confia Dietrich au sergent après l’une de ces séances. Pour ce qui est des mots qui sont aussi des signes – qui se réfèrent à des êtres ou à des actes –, il les comprend immédiatement ; lorsqu’on a affaire à des signes portant sur des espèces ou sur des relations, c’est plus difficile. Par exemple, il a tout de suite compris maison et château, mais il a fallu lui expliquer habitation.

Max se contenta de sourire.

— Peut-être est-il moins instruit que vous.


En septembre, l’année ralentit sa course, épuisée par la moisson, et retint son souffle avant les semailles de l’automne, le pressage du raisin et l’abattage des bêtes. L’air se rafraîchit et les arbres frémirent dans l’attente de la chute des feuilles. Cette pause entre été et automne était propice aux travaux de réparations consécutifs au « Grand Incendie » et au mariage de Seppl et d’Ulrike.

La cérémonie se déroula dans les prés du village, où les témoins avaient la place de se rassembler autour du couple. Seppl fit sa déclaration d’intention et Ulrike, vêtue de la robe jaune traditionnelle, affirma son consentement, après quoi l’assemblée monta sur la Colline de l’église. Le concile du Latran exigeait que tous les mariages se déroulent en public, sans toutefois que l’Église soit tenue d’y participer. En dépit des pertes qu’il avait subies du fait de l’incendie, Félix avait cependant souhaité une messe. Dietrich prononça un sermon sur l’histoire et l’évolution du mariage, expliquant que le Christ était uni à Son Église par le même sacrement. Il développait le contraste entre les notions de muntehe, l’alliance entre les familles, et de friedehe, le mariage d’amour voulu par l’Église, lorsqu’il sentit que la congrégation commençait à s’impatienter, les jeunes époux en particulier, et il bouscula l’ordonnance de son propos afin d’en hâter la conclusion, en partie au prix de sa cohérence.

Amis et parents escortèrent les jeunes mariés jusqu’à la maison que leur avait préparée Volkmar et assistèrent à leur coucher, leur prodiguant force conseils de dernière minute. Puis les voisins se retirèrent et attendirent sous la fenêtre. Dietrich, qui était resté dans l’église, les entendait pousser des cris et tambouriner sur des pots de chambre. Il se tourna vers Joachim, qui l’aidait à défaire l’autel.

— Il est fort étonnant que les jeunes couples acceptent une cérémonie publique, vu tout ce qu’elle les force à endurer.

— Oui, fit Joachim en baissant les yeux. Le mariage en forêt a ses avantages.

À en juger par le ton de sa voix, le franciscain souhaitait faire preuve d’ironie, et Dietrich s’interrogea sur le sens de sa remarque. Le seul avantage d’un vœu privé, c’est qu’on peut ensuite nier l’avoir prononcé. En l’absence de témoin, qui pouvait attester sa réalité ? Un mariage consenti dans le feu de la passion peut s’éteindre avec cette même passion. C’était pour combattre ce mal que l’Église exigeait une cérémonie publique. Néanmoins, nombre de jeunes gens persistaient à échanger leurs vœux dans la forêt – voire dans leur lit !

Dietrich plia la nappe d’autel en deux, puis en quatre. Décidant que Joachim avait voulu souligner son propos d’un trait d’humour, il lui lança un « Doch », qui lui valut un vif regard de la part du franciscain.


La bénédiction des maisons reconstruites se déroula le jour de la commémoraison du pape Corneille, qui avait laissé le souvenir d’un ami des pauvres et convenait donc parfaitement à une telle cérémonie. À la tête de sa troupe, Lueter Holzhacker se rendit dans la forêt de Kleinwald et fit abattre un épicéa haut d’une vingtaine de pieds, qui fut ensuite transporté dans le pré avec tout le cérémonial voulu. Les hommes écorcèrent le tronc sur la moitié de sa hauteur, laissant intactes les branches supérieures et imprégnant les lieux de l’odeur douceâtre du pin vierge. Quant aux branches restantes, ils les ornèrent de couronnes, de guirlandes et autres décorations, ainsi que d’une profusion de fanions colorés ; puis l’arbre fut planté dans un trou creusé à cet effet au coin de la maison de Félix Ackermann.

Ensuite, on chanta et on dansa, on but moult chopes de bière et on dégusta un cochon rôti qu’Ackermann et les frères Feldmann avaient offert à tout le voisinage. Les festivités débordèrent jusque dans la grand-rue, se répandirent autour du puits et du four, et même dans le pré bordant le bassin du moulin.

Les hommes d’armes qui avaient participé à la lutte contre les flammes descendirent du Burg pour rejoindre les fêtards. C’étaient des guerriers prématurément vieillis, tellement marqués par les épreuves que les garçons du village paraissaient falots en comparaison. Plus d’une damoiselle se laissa séduire par leurs récits de hauts faits et de terres lointaines, et plus d’un soudard se laissa séduire par la fraîcheur d’une damoiselle. Les pères froncèrent les sourcils de colère, les mères plissèrent les lèvres de réprobation. Ces hommes, qui ne possédaient aucune terre, étaient de bien mauvais partis aux yeux d’un paysan.

Après avoir solennellement béni et l’arbre et les maisons, Dietrich se mit à l’écart pour observer les festivités. C’était un homme solitaire de nature – une des raisons pour lesquelles il s’était fixé dans ce village retiré. Buridan lui reprochait souvent ce trait de caractère. Vous vivez par trop à l’intérieur de votre tête, disait le maître, et bien que cette tête-là soit souvent intéressante, on doit aussi s’y sentir bien seul. Cette saillie amusait beaucoup le visiteur d’Oxford qui, en voyant Dietrich méditer sur une copie de son livre dans des lieux retirés de l’université, l’avait surnommé Doctor Seclusus. Occam possédait l’esprit le plus brillant que Dietrich ait jamais connu, mais son amitié s’épiçait toujours d’une dose de méchanceté. Habile dans le maniement des mots, il avait peu après découvert que le monde ne se limitait pas aux mots, car on l’avait convoqué à Avignon pour expliquer le sens de ceux dont il usait.

— Ils vous jugent peu amène, dit Lorenz, l’arrachant à ses souvenirs. Vous restez ici, sous les arbres, alors que tout le village se rassemble là-bas.

Il désigna l’endroit d’où provenait une cacophonie de violons, de guimbardes et de cornemuses, un brouhaha où l’on percevait des accords familiers mais que la brise et la distance atténuaient quelque peu, ne permettant d’identifier que des bribes de chansons.

— Je garde l’arbre, répondit Dietrich avec grand sérieux.

— Ah bon ?

Lorenz leva les yeux vers les fanions bariolés frémissant sous le vent. La brise agitait tellement couronnes et guirlandes qu’on eût dit que l’arbre dansait lui aussi.

— Et qui irait donc le voler ? s’enquit-il.

— Grim, peut-être, ou alors Ecke.

Rire de Lorenz.

— Quelle idée !

Le forgeron s’accroupit et s’adossa au mur de la maison d’Ackermann. Il n’était pas très grand – à côté de Gregor, il faisait figure de gringalet –, mais il était aussi bien trempé que le métal qu’il travaillait : invulnérable aux coups les plus brutaux et aussi souple que le célèbre acier de Damas. Il avait les cheveux noirs d’un Italien et le teint basané par la fumée de sa forge. Dietrich l’appelait parfois « Vulcain », pour une raison évidente, quoiqu’il eût les traits fins et la voix plus haut perchée qu’on ne l’aurait cru d’un homme affublé d’un pareil sobriquet. Son épouse était une fort belle femme, plus grande et plus âgée que lui, robuste et de tempérament chaste. Le Seigneur n’avait pas donné de fruits à leur union.

— J’adorais ces histoires dans ma jeunesse, avoua le forgeron. Dietrich de Berne et ses chevaliers. Les combats qu’ils ont livrés à Grim et aux autres géants ; la ruse par laquelle ils ont berné les nains ; leur quête pour secourir la Reine des glaces. Quand je pense à Dietrich, c’est vous que je vois en esprit.

— Moi !

— Parfois, je leur imagine de nouvelles aventures, à lui et à ses chevaliers. Je les aurais bien écrites, si j’avais su le faire. L’une d’elles en particulier était chère à mon cœur – celle qui se passait du temps où il vivait à la cour du roi Etzl.

— Vous pourriez toujours les réciter aux enfants. Il n’est pas besoin de savoir écrire pour cela. Saviez-vous que le véritable nom d’Etzl était Attila ?

— Ah bon ? Non, jamais je n’oserais réciter mes histoires. Car elles ne sont pas vraies, c’est moi qui les ai inventées.

— Lorenz, toutes les histoires du roi Dietrich relèvent de la fable. Le casque d’invisibilité de Laurin, l’épée enchantée de Wittich, le bracelet de sirène que portait Wildeber… Des dragons, des géants et des nains… A-t-on jamais vu pareils prodiges ?

— Eh bien, j’ai toujours supposé que notre misérable époque avait perdu l’art de forger les épées enchantées. Quant aux dragons et aux géants… eh bien, Dietrich et les autres héros les ont tous occis.

— Tous occis ! répéta Dietrich en riant. Oui, voilà qui « sauverait les apparences ».

— Vous dites qu’Etzl a bien existé. Et les autres rois goths – Théodoric et Ermanaric ?

— Oui, eux aussi. Ils vivaient durant l’âge des Francs.

— Il y a si longtemps !

— Oui. C’est Etzl qui a tué Ermanaric.

— Ah ! Vous voyez.

— Quoi donc ?

— S’ils ont bien existé – Etzl, Ermanaric et Théodoric –, alors pourquoi Laurin le Nain et Grim le Géant n’auraient-ils point existé ? Ne riez pas ! Un jour, j’ai rencontré un colporteur venu de Vienne qui m’a affirmé que les bâtisseurs de la cathédrale avaient trouvé en creusant la terre de gigantesques ossements. Les géants ont bien existé – et ils avaient des os de pierre. C’est pour cela qu’ils ont appelé la porte Portail des Géants. Cela prouve que ces histoires ne sont pas forcément des fables.

Le prêtre se gratta la tête.

— Albert le Grand décrit des os comme ceux-là. Il pense, et Avicenne avec lui, qu’ils ont été changés en pierre par quelque transformation minérale. Mais peut-être appartenaient-ils à un animal ayant péri durant le Déluge et non à un géant.

— Des os de dragon, alors, suggéra Lorenz avec des airs de conspirateur.

Dietrich sourit.

— C’est ce que vous pensez ?

— Votre chope est vide. Je vais vous en chercher une autre.

Lorenz se releva, fit mine de partir, se ravisa.

— On raconte certaines choses, dit-il au bout d’un temps.

Dietrich acquiesça.

— C’est généralement le cas. Lesquelles ?

— Vous partez souvent en forêt avec Frau Müller.

Dietrich tiqua et contempla le fond de sa chope. Il se demanda pourquoi il était surpris de découvrir ces ragots.

— Voilà qui est dit sans ambages, mon ami, mais le Herr a fait installer un lazaret…

— Dans la forêt de Grosswald. Ja, doch. Mais nous connaissons tous Frau Müller et, si elle soigne vraiment des lépreux, nul doute qu’elle ne se livre aussi à d’autres activités.

Dietrich s’interrogeait lui aussi sur l’abnégation dont semblait faire preuve cette femme si orgueilleuse.

— Juger sévèrement autrui est un péché, Lorenz. Par ailleurs, Max Schweitzer est souvent avec nous.

Le forgeron haussa les épaules.

— Savoir que sa femme part en forêt avec deux hommes ne rassure en rien le meunier. Je ne fais que répéter ce que j’ai entendu. Je sais que…

Il se tut et retourna la chope dans sa main. On eût dit que son âme s’était retirée en lui, disparaissant derrière les fenêtres de ses yeux. La bière goutta sur le sol sans qu’il y prît garde.

— Je sais quelle sorte d’homme vous êtes, aussi je vous crois, acheva-t-il.

— Vous pourriez croire avec un peu plus de force, lança Dietrich.

Surpris, Lorenz leva les yeux vers lui en sursautant, puis se hâta d’aller chercher de la bière. Le forgeron était un homme d’une grande bonté – ce qui ne laissait pas de surprendre, vu sa force physique –, mais il était aussi friand de potins qu’une bonne femme.

Félix et Ilse lui offrirent deux poules en échange d’une bénédiction de leur maison. Dietrich avait un peu honte d’accepter, mais l’hiver approchait et même un prêtre doit se nourrir. Les œufs seraient les bienvenus, ainsi que le bouillon par la suite. Plongeant une main dans sa bourse, il y pécha la poupée de bois et la donna à leur fillette. Il l’avait frottée pour en ôter toute trace de brûlure et avait remplacé ses membres calcinés par des bâtons ramassés dans la forêt. Quant aux cheveux, ils provenaient de son propre crâne. Mais Maria la jeta par terre et s’écria :

— Ce n’est pas Anna ! Ce n’est pas Anna !

Puis elle s’enfuit dans la demeure fraîchement reconstruite, laissant le prêtre accroupi dans la boue.

Il poussa un soupir et rangea la poupée. Celle-ci n’était pas en cause, songea-t-il. Ce n’était qu’un assemblage de bois et de chiffons. Un tel objet n’avait rien de précieux. Il se leva et ramassa la cage où les deux volailles caquetaient paisiblement.

— Venez, sœurs poules, je connais un coq qui est impatient de vous connaître.

Un objet que l’on répare n’est jamais tout à fait pareil à ce qu’il était, pensa-t-il en regagnant le presbytère. Les souvenirs qui s’y attachent sont irremplaçables.


Deux ans avant sa mort, alors qu’il priait avec ferveur sur le mont Alverne, François d’Assise reçut dans sa chair les plaies sacrées du Christ. Trois quarts de siècle plus tard, le pape Benoît XI, un homme pacifique, érudit et maladif, qui préférait à toute chose la compagnie de ses frères dominicains, décida de commémorer ces stigmates pour témoigner de sa bonne volonté à l’égard des franciscains. Bien que Hildegarde de Bingen fût en fait la sainte du jour, Dietrich célébra la messe Mihi autem en l’honneur de saint François, mais aussi pour témoigner de sa fraternité à l’égard de son hôte. Theresia en fut sans doute déçue, car l’abbesse Hildegarde, auteur d’un célèbre traité de médecine, était l’une de ses préférées ; mais elle ne fit aucune remarque.

À peine la messe fut-elle dite que Joachim se prosterna devant l’autel, s’étalant de tout son long sur les dalles fraîchement lavées. Dietrich, qui s’affairait à ranger les objets du culte, jugea cette démonstration déplacée. Il claqua la porte de l’armoire pour la refermer et contourna ostensiblement le moine prostré pour traverser le sanctuaire.

— Aujourd’hui, dans son épître aux Galates, Paul nous dit que les marques visibles importent peu, tant que nous avons à cœur de devenir des hommes nouveaux.

Joachim cessa brusquement de prier. Au bout de quelques instants, il se redressa sur ses genoux, se signa et se retourna.

— Est-ce là ce que vous pensez ?

— Dans cette épître, les juifs qui n’avaient pas accepté le Christ critiquaient ceux qui l’avaient fait car les Galates païens ayant eux aussi accepté le Christ ne suivaient pas la Loi mosaïque. Les chrétiens juifs pressaient donc leurs frères galates de se faire circoncire, espérant ainsi amadouer leurs accusateurs. Mais les Galates détestaient toute forme de mutilation ; il en résulta une telle agitation que Paul dut leur rappeler par écrit que les signes extérieurs n’avaient plus aucune importance.

Joachim pinça les lèvres, et Dietrich crut que c’était en prélude à une nouvelle diatribe ; mais, quelques instants plus tard, le moine se releva et lissa sa robe.

— Ce n’était pas pour cela que je priais.

— Et pour quoi priiez-vous ?

— Pour vous.

— Moi !

— Oui. Vous êtes un homme de bien, je pense ; mais vous êtes par trop froid. Plutôt que de faire le bien, vous préférez y réfléchir, et il vous plaît de disserter d’anges et de têtes d’épingle plutôt que de vivre la vie de pauvreté qui doit être celle des compagnons du Seigneur – ce que vous comprendriez sans peine si vous réfléchissiez au sens des propos de Paul dans son épître.

— Êtes-vous un saint pour me juger ainsi ? s’emporta Dietrich.

— Je sais au fond de mon cœur que la bouche des hommes ne traduit pas toujours ce qui est dans leur âme – ja, je le sais depuis mon enfance ! Nombre de sépulcres blanchis célèbrent le Christ avec les lèvres pour Le crucifier ensuite avec les mains ! Mais quand viendra le Nouvel Âge, le Saint-Esprit guidera le Nouvel Homme vers la perfection de l’âme et de l’amour.

Ja, doch, fit Dietrich. « Le Nouvel Âge. » Qui donc était censé annoncer son avènement, Charles d’Anjou ou Pierre d’Aragon ? J’ai oublié.

Ce Nouvel Âge avait été prophétisé par un autre Joachim, Joachim de Flore. Paris le considérait comme un imposteur et un prophète douteux, car ses disciples avaient annoncé le début du Nouvel Âge pour 1260, puis pour 1330, selon la façon dont tournait le vent politique dans les Deux-Siciles. Joachim de Flore enseignait en outre que saint François d’Assise était la réincarnation du Christ, hypothèse que Dietrich jugeait aussi impie qu’illogique.

— « Celui qui est né de la chair persécute celui qui est né selon l’Esprit[5] », cita approximativement Joachim. Oh ! nous avons quantité d’ennemis : le pape, l’empereur, les dominicains…

— J’aurais cru que le pape et l’empereur vous suffiraient, sans que vous ayez besoin de rajouter les dominicains.

Joachim rejeta la tête en arrière.

— Moquez-vous. L’Église visible, que Pierre a tant pervertie par ses impostures juives, a toujours persécuté l’Église pure, l’Église de l’esprit. Mais voici que Pierre s’efface, pour laisser la place à Jean le bien-aimé ! La Mort rôde sur terre ; les martyrs brûlent ! Le monde des pères bientôt sera remplacé par un monde de frères ! Déjà le pape est renversé, et l’empereur n’a plus d’empereur que le titre !

— Reste donc à régler le sort des dominicains, répliqua Dietrich d’une voix sarcastique.

Joachim baissa les bras.

— Les mots sont comme un voile jeté devant vos yeux. Vous subordonnez l’esprit à la nature, et Dieu Lui-même à la raison, et ainsi vous ne pouvez voir. Dieu n’est pas essence, Il est au-dessus de l’essence. Il est en tous lieux et en tous temps, dans des temps et des lieux que nous ne pouvons voir hormis en regardant en nous-mêmes. Il est toutes choses parce qu’en Lui se combinent toutes les perfections, d’une façon qui dépasse l’entendement. Mais lorsque nous voyons par-delà les limites de ces perfections concrètes que sont la « vie » et la « sagesse », alors ce qui reste, c’est Dieu.

— Ce qui ne semble guère transcender l’entendement et qui réduit Dieu à un simple residuum. Vous prêchez là une sorte de platonisme réchauffé.

Le visage du jeune homme se ferma.

— Je ne suis qu’un pauvre pécheur. Mais si je prie Dieu de me pardonner mes péchés, ne puis-je aussi intercéder auprès de Lui pour la rémission des vôtres ?

Il se pencha puis se releva, tenant à la main une baguette de coudrier qui était tombée du panier à herbes de Theresia. Les deux hommes se séparèrent sans ajouter un mot.


Dietrich était toujours troublé par ses rencontres avec les Krenken.

— C’est la fixité de leurs traits, avait-il confié à Manfred. Ils n’ont la capacité ni de sourire ni de se renfrogner, sans parler d’expressions plus subtiles ; et ils ne sont guère enclins à faire des gestes, ce qui leur confère une allure menaçante. Ils ressemblent à des statues qui auraient pris vie.

Cela correspondait précisément à l’une de ses terreurs d’enfant. Jamais il n’avait oublié le jour où, assis près de sa mère dans la cathédrale de Cologne, il avait cru que les statues dans leurs niches se mettaient à bouger, une illusion causée par les cierges à la flamme vacillante. S’il les fixait assez longtemps, avait-il songé, elles se mettraient en colère et sortiraient de leurs niches pour venir l’attraper.

Dietrich avait fini par conclure que ce n’était pas le Heinzelmännchen qui lui parlait, mais bien Kratzer qui s’exprimait par son entremise, et il s’était peu à peu contraint à considérer les propos de la tête parlante comme s’ils étaient émis par la sauterelle géante – ce qui n’enlevait rien au caractère merveilleux de la chose. Il s’ouvrit de cela à Kratzer, qui lui expliqua que la boîte concevait les mots comme des nombres.

— Un nombre peut s’exprimer comme un mot, répondit Dietrich. Ainsi, le mot eins désigne l’unité. Mais comment un mot peut-il s’exprimer en chiffres ? Ach… vous voulez parler d’une espèce de code. Les marchands et les agents de l’empire usent de tels chiffres pour rédiger leurs messages secrets.

Kratzer se pencha vers lui.

— Vous maîtrisez ce type de connaissance ?

— Les signes par lesquels nous désignons les êtres et les relations sont arbitraires. Les Français et les Italiens utilisent d’autres mots que nous, par exemple ; donc, la désignation d’un nombre n’est pas essentiellement différente. Mais comment fait le Heinzelmännchen pour… Ach ! je vois. Il effectue une sorte d’al-jabr sur son code.

Cette remarque l’amena à expliquer l’al-jabr, puis à s’étendre sur les Sarrasins.

— Bien, fit Kratzer au bout d’un temps. Mais ces nombres-ci ne s’écrivent qu’avec deux chiffres : zéro et un.

— Quelle piètre numération ! Il y a parfois plus d’un représentant d’une espèce donnée.

Kratzer se frictionna les bras.

— Écoutez ! Le… l’essence qui coule… le fluide ? Merci. Le fluide qui commande la tête parlante coule le long d’innombrables biefs. Un dit au Heinzelmännchen d’ouvrir une vanne afin que le fluide coule dans telle ou telle voie. Zéro lui dit de maintenir la vanne fermée.

La créature tambourina sur la table à un rythme saccadé, mais Dietrich était incapable d’en déduire son humeur. Chez un homme, il aurait conclu à un accès d’impatience ou de frustration. De toute évidence, Kratzer cherchait à lui communiquer certaines idées que la tête parlante était incapable d’articuler avec le pauvre vocabulaire qu’elle avait assimilé, de sorte que Dietrich devait extraire le sens de ses propos comme on démêle un écheveau.

Herr Gschert écoutait leur conversation depuis sa place habituelle, adossé au mur du fond. Il émit une série de bourdonnements et de cliquetis que la tête parlante capta grâce à l’automaton auquel Dietrich avait donné l’appellation grecque de mikrofoneh.

— Quel est l’usage de cette discussion ?

— Chaque savoir a un usage, répondit Kratzer.

Jugeant que cette remarque ne lui était pas adressée, Dietrich conserva un visage impassible – quoique l’absence d’expression exprimât peut-être quelque chose pour un peuple comme les Krenken. Le serviteur affecté à la tête parlante se tourna d’un iota et, bien que ses grands yeux à facettes ne parussent rien fixer de particulier, Dietrich eut l’étrange impression qu’il venait de le regarder pour jauger sa réaction. Ses lèvres supérieure et inférieure se collèrent l’une à l’autre puis se détachèrent, une mimique silencieuse dont le prêtre avait conclu qu’elle équivalait au rire chez les Krenken.

Je crois bien que j’ai vu sourire l’un de ces êtres. Cette idée surgie de nulle part lui procura un étrange réconfort.

— Le nombre deux est la plus petite unité de savoir, lui déclara Kratzer.

— Je ne suis pas d’accord, répliqua Dietrich. Cela n’est pas un savoir. Une phrase, voire un mot, peut exprimer un savoir. Mais pas un nombre, qui n’est qu’un simple son.

Kratzer se frotta les bras l’un contre l’autre d’un air absent, du moins Dietrich l’interpréta-t-il comme tel, se disant qu’un homme placé dans les mêmes circonstances se serait sans doute gratté la tête ou le menton.

— Le fluide qui commande la tête parlante, reprit-il au bout d’un temps, diffère de celui qui commande votre moulin, mais l’étude de l’un nous permet d’apprendre quelque chose sur l’autre. Avez-vous un mot qui exprime ceci ? Analogie ? Merci. Écoutez donc cette analogie. Vous pouvez briser une jarre en morceaux, et ces morceaux en fragments, et ces fragments en poussière. Mais la poussière à son tour peut être brisée en pièces plus petites encore.

— Ah ! vous parlez des atomes de Démocrite.

— Vous avez un mot pour cela ? (Kratzer se tourna vers Herr Gschert et, toujours traduit par la tête parlante, lui dit en aparté :) S’ils savent de telles choses, ils peuvent peut-être nous aider.

Mais le Herr répondit :

— Ne parlez pas de cela.

En entendant ces mots, Dietrich jeta un regard curieux au serviteur.

— L’analogie, reprit Kratzer, c’est que le nombre deux est l’« atome » du savoir, car le moins que l’on puisse dire d’une chose, c’est qu’elle est – ce qui nous fait un – ou qu’elle n’est pas – ce qui nous fait zéro.

Dietrich n’était pas convaincu. Il est certaines choses dont on ne peut rien dire de plus hormis qu’elles existent, car il n’est aucune cause à l’existence excepté la grâce de Dieu. Mais il garda ses doutes pour lui.

— Utilisons donc le terme de biβchen pour désigner votre nombre deux. Cela signifie « très peu », ou « en petite quantité », ce qui peut recouvrir une portion de connaissance. Personne non plus n’a jamais vu les atomes de Démocrite.

L’usage du mot « portion » l’amusait grandement. Il avait toujours considéré le savoir comme un breuvage – les sources de la connaissance –, mais c’était aussi une chose qu’on grignotait.

— Dites-m’en davantage sur vos nombres, demanda Kratzer. Les appliquez-vous au monde ?

— Si cela est approprié. Les astronomes calculent la position des sphères célestes. Guillaume Heytesbury, l’un des calculateurs de Merton, a appliqué les nombres au calcul du mouvement local et démontré que toute latitude supérieure à zéro degré, dans la mesure où elle est finie et s’acquiert ou se perd de façon uniforme, correspond à sa vélocité moyenne.

Dietrich avait passé de longues heures à lire les Sophismata de Heytesbury que Manfred lui avait offerts, retirant une grande satisfaction de la preuve d’Euclide que contenait cet ouvrage.

Kratzer se frotta les bras.

— Expliquez ce que cela signifie.

— Tout simplement qu’un corps en mouvement qui gagne ou perd de la latitude de façon uniforme au cours d’une période donnée traverse une distance égale à celle qu’il aurait traversée lors de la même période s’il se déplaçait uniformément à sa latitude moyenne. (Dietrich hésita un instant, puis ajouta :) C’est ce qu’a écrit Heytesbury, si je me souviens bien.

Au bout d’un temps, Kratzer déclara :

— Cela doit signifier : la distance est égale à la moyenne de la vitesse multipliée par le temps.

Il rédigea quelque chose sur une ardoise et Dietrich vit des symboles apparaître sur l’écran du Heinzelmännchen. Son cœur battit plus fort à mesure que Kratzer identifiait chacun des symboles : distance, vitesse et temps. C’était l’idée même de Fibonacci : utiliser des lettres pour énoncer succinctement les principes de l’al-jabr, afin qu’une seule ligne résume plusieurs paragraphes. Il attrapa un palimpseste dans sa bourse et, au moyen d’un charbon de bois, rédigea ses propres formules, utilisant l’alphabet allemand et les chiffres arabes. Ach ! comme l’énoncé y gagnait en clarté ! Son regard se brouilla et il se frotta les yeux. Ô mon Dieu, merci pour ce don.

— Ainsi nous découvrons les fruits du Saint-Esprit, dit-il.

— Le Heinzelmännchen ne comprend pas. Le mot « esprit » a trait au souffle, quel est son rapport avec le mouvement ?

— C’est une grande question que nous nous posons : un homme participe-t-il de l’Esprit immuable, ou bien est-ce l’Esprit qui croît et décroît dans l’homme ? Nous appelons cela « l’intention et la rémission des formes », ce qui peut, par analogie, s’appliquer à d’autres mouvements. Tout comme une succession de formes d’intensité variable explique l’augmentation ou la diminution de l’intensité d’une couleur, la succession des nouvelles positions consécutives à un mouvement peut être considérée comme une succession de formes représentant de nouveaux degrés dans l’intensité de ce mouvement. L’intensité d’une vélocité augmente avec la vitesse, tout autant que la rougeur d’une pomme augmente avec sa maturation.

La sauterelle géante s’agita sur son siège et échangea un regard avec le serviteur, lui lançant quelques mots que, cette fois-ci, le mikrofoneh ne traduisit point. L’échange entre les deux créatures se fit plus tendu, le serviteur se levant à moitié et Kratzer tapant des bras sur sa table, tandis que Herr Gschert contemplait la scène sans réaction visible, n’était le mouvement saccadé de ses lèvres latérales.

Dietrich s’était habitué à ces prises de bec, quoique leur véhémence ne laissât pas de l’effarer. On eût dit des orages éclatant sans prévenir par un bel après-midi, aussi violents que rapides. Les Krenken étaient colériques comme des Italiens, à moins qu’ils ne se trouvassent dans une situation désespérée.

Lorsque Kratzer eut recouvré sa contenance, il dit :

— Cela a été dit par un autre. (Il voulait parler du serviteur, se dit Dietrich.) « Vous prononcez un mot. Le Heinzelmännchen le répète dans notre langue. Mais dit-il la même chose que vous ? »

— C’est un grand problème de philosophie, admit Dietrich. Le signe n’est pas le signifié, pas plus qu’il n’est porteur de toute la signification.

Kratzer rejeta vivement la tête en arrière, un geste dont Dietrich ignorait encore le sens.

— C’est maintenant que nous l’entendons, se plaignit le Krenk. Ce pauvre Heinzelmännchen en reste muet. Qu’est-ce qu’un « problème » ? Qu’est-ce qu’une « philosophie » ? Comment la maturation d’un fruit ou votre « saint souffle » peuvent-ils être semblables à la vitesse d’un corps en chute libre ?

Le serviteur reprit la parole et, cette fois-ci, la boîte traduisit son discours :

— La boîte-qui-parle dit que le mot « philosophie » n’est pas de langue allemande.

— « Philosophie » est un mot grec, expliqua Dietrich. Les Grecs sont un autre peuple, différent des Allemands, plus ancien et plus instruit, sauf que leur grande époque appartient au passé. Ce mot signifie « amour de la sagesse ».

— Et que signifie « sagesse » ?

Dietrich fut soudain pris de pitié pour l’Achille de Zénon, condamné à courir derrière une tortue qu’il ne parviendrait jamais à rattraper.

— La « sagesse », c’est… eh bien, peut-être connaître les réponses à quantité de questions. Nos « philosophes » sont ceux qui cherchent de telles réponses. Un « problème », c’est une question dont nul n’a encore trouvé la réponse.

— Comme nous connaissons cela !

Gschert s’écarta du mur, Kratzer se tourna vers le serviteur, et Dietrich comprit que c’était ce dernier qui venait de parler, sans y être invité qui plus est. Que ce soit l’un ou l’autre qui lui ait ordonné de faire silence, il fit comme s’il n’avait pas entendu.

— Vous pourriez le lui demander.

Herr Gschert franchit d’un bond la largeur de la pièce. Vif comme l’éclair, il vola au-dessus des meubles et, avant que Dietrich ait eu le temps de comprendre ce qui se passait, il se mit à frapper le serviteur en moulinant des bras, lui infligeant à chaque coup de nouvelles blessures. Kratzer vint à son aide et bourra la malheureuse créature de coups de pied.

Dietrich resta interdit quelques instants, puis poussa un cri et, sans réfléchir à ce qu’il faisait, s’interposa entre les belligérants. Le premier coup qu’il reçut sur le crâne l’assomma, si bien qu’il ne sentit pas les autres.


Lorsqu’il reprit conscience, il se trouvait toujours dans la même salle et gisait sur le sol. De Gschert et de Kratzer, il n’y avait aucune trace. Mais le serviteur était assis près de lui, ses longues jambes ramenées contre son torse. Dans une position similaire, un homme aurait posé la tête sur ses genoux, mais ceux de la créature arrivaient plus haut que son crâne. Sa peau présentait déjà les marbrures vert foncé signalant de nouveaux hématomes. Lorsque Dietrich se redressa, le serviteur prononça quelques mots et la boîte les traduisit.

— Pourquoi avez-vous pris ces coups ?

Dietrich secoua la tête pour faire taire le tocsin sans son crâne, mais celui-ci persista. Il porta une main à son front.

— Ce n’était pas mon but. Je voulais les arrêter.

— Mais pourquoi ?

— Ils vous battaient. Je pensais que ce n’était pas bien.

— « Penser »…

— Je parlais dans mon crâne sans que personne puisse m’entendre.

— Et le « bien » ?

— J’implore votre pardon, amie sauterelle, mais il y a trop de bruit dans mon crâne pour que je réponde à une question aussi subtile.

Dietrich se leva à grand-peine. Le serviteur ne fit pas mine de l’aider.

— Notre chariot est cassé, dit-il.

Dietrich se palpa l’épaule et grimaça.

— Hein ?

— Notre chariot est cassé et son Herr est mort. Et nous devons rester ici et mourir sans jamais revoir notre patrie. L’intendant du chariot, qui règne à présent sur nous, dit qu’en révélant cela nous montrerions notre faiblesse et inviterions les attaques.

— Jamais le Herr ne…

— Nous entendons les mots que vous dites, poursuivit le Krenk. Nous voyons les choses que vous faites, et le Heinzelmännchen a appris tous les mots portant sur ces choses. Mais les mots portant sur ceci… (Et la créature posa sur son ventre sa main à six doigts aux formes graciles.) Ces mots-là, nous ne les avons pas. Et peut-être que nous ne les aurons jamais, car vous êtes très, très étranges.

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