CHAPITRE 2

Le XXIIe siècle

Borza avait été surnommé l’Inventeur depuis sa première année d’études supérieures. Certes, le qualificatif n’avait rien de honteux, mais entre les murs de l’Académie de l’Espace il revêtait un caractère un peu ironique. En effet, parmi les élèves-pilotes, qui raffolaient des étoiles, Borza passait pour un merle blanc, même s’il n’oubliait pas les astres. Il ne consacrait pas ses loisirs à déchiffrer les vieilles cartes cosmiques, aux microfilms relatant des expéditions d’antan, aux comptes rendus des vols devenus des classiques, enfin, à la composition de poèmes sur le légendaire commandant Fiodor Icarov, ancien élève de l’Académie, qui conduisit le pul-soplan photonique Pivoine vers l’Étoile noire, mais au maniement de fioles, de cornues, pleines d’agents chimiques et de bioréactifs, ainsi qu’aux autres attributs de la panoplie des biocybernéticiens. Rien ne pouvait causer à Borza un plus grand plaisir que de rassembler, à partir des cellules protéiques élémentaires qu’il avait lui-même cultivées, une structure logique insolite qui frappait l’imagination de ses camarades par ses idées originales. Il savait tenir parfois des propos tels que ses copains ne faisaient que hocher la tête, ne sachant pas si l’Inventeur parlait sérieusement ou, comme à son habitude, plaisantait.

— Dès le début, notre civilisation a suivi le mauvais chemin, déclara-t-il un jour. Elle penche trop vers la technologie. A peine descendus des arbres et ayant commencé à fabriquer des outils, nos ancêtres ont cavé, taillé, foré, puis fondu, raboté, poli à outrance.

— Au lieu de… ? demanda Piotr Braga, son ami.

— Au lieu de cultiver, de rechercher des espèces hybrides, de planter. Bref, il fallait orienter la nature plutôt que de la mutiler, expliqua Borza.

L’année d’après le départ de l’Orion, le Conseil suprême de coordination décida de réserver un vaste territoire à une sorte de cité pour les équipages des vaisseaux cosmiques qui revenaient sur Terre. Prise en vue d’un avenir lointain, la décision était dictée par la vie. Plus on perfectionnait les vaisseaux qui transperçaient l’espace, plus leur vitesse approchait celle de la lumière, plus leur propre temps ralentissait, « se congelait » par rapport à celui de la Terre. Au début, cet effet fut si négligeable que seuls les chronomètres l’enregistraient. Puis, la différence se mesura en journées, en mois, en années, et on put alors la constater de visu. C’est à cette époque qu’arriva une histoire qui devait confirmer l’hypothèse d’Einstein et entrer dans les manuels scolaires.

…Il était une fois deux frères jumeaux, si ressemblants que même leur mère les confondait. Les frères grandirent ensemble et dans l’amitié, mais après l’école leurs chemins se séparèrent. L’un rêvait du Cosmos et eut la chance d’entrer à l’Académie de l’Espace qui venait d’être instituée. L’autre devint ingénieur, spécialiste de la transformation de la nature. Vint le jour des adieux… L’un allait partir dans l’espace, l’autre était allé le saluer à bord du vaisseau. Est-il besoin de préciser qu’au dernier moment le commandant faillit les confondre ? Faut-il évoquer les difficultés du vol ? Le moment venu, le vaisseau rentra sur Terre. Et tout le monde s’étonna en voyant s’embrasser deux jumeaux : un garçon de vingt ans et un homme allant sur sa quarantaine.

Naturellement, le décalage dans le temps avait touché sans exception tous les membres de l’équipage qui sortirent du vaisseau sur le cosmodrome situé en pleine steppe : chacun avait « rajeuni » de vingt ans exactement par rapport aux parents et amis venus à leur rencontre. Seulement, c’était sur les jumeaux que c’était le plus visible. Aussi, l’histoire entra-t-elle dans les manuels…

Pour les futurs équipages ce décalage ne devait qu’augmenter inexorablement.

En prenant sa décision, le Conseil de coordination comptait aussi avec le fait que le rythme de vie sur Terre allait s’accélérer d’année en année et que, respectivement, devaient changer non seulement les matériels, mais encore les goûts et les coutumes des gens.

Lorsque le décalage dans le temps serait supérieur à un siècle, les astronautes, à leur retour, auraient manifestement du mal à comprendre les Terriens. C’est donc à leur intention qu’une cité fut fondée au cœur du continent australien, non loin du nouveau Musée d’astronautique. Les hommes attardés dans le passé pourraient s’y acclimater, prendre connaissance, ne serait-ce que brièvement, de tout ce que les Terriens avaient appris entretemps, s’adapter à leur rythme de vie. C’est après seulement que les arrivants regagneraient la famille humaine.

On chercha longtemps comment baptiser la cité. Le nom fut proposé par le commandant de l’un des premiers équipages qu’elle accueillit : Hôtel Sigma. Pourquoi Hôtel ? Parce que les voyageurs n’y séjourneront qu’un certain temps, s’occupant des affaires courantes. Quant au signe « sigma », en mathématiques il désigne, c’est connu, une somme. De la sorte, Hôtel Sigma symbolisera la somme, l’union de tous les hommes.

Les trois années de service de quarantaine passèrent inaperçues pour Borza. Accueillant les vaisseaux qui revenaient du Cosmos, il plongeait dans des temps révolus, ce qui était pour lui invariablement intéressant et nouveau. Borza occupait ses moments perdus en travaillant au laboratoire, c’est-à-dire dans la minuscule pièce deson appartement de célibataire. Borza n’avait pour seule compagnie que Bouzivse, un chimpanzé bourru, qui serait bientôt porté dans les annales de la planète. Les parents de Borza étaient partis pour un voyage spatial, et il préférait ne pas penser au siècle où ils seraient de retour. Adorant les anciens ustensiles de laboratoire, il pouvait manipuler toute la nuit les cornues à deux cols, les bio-stats et les éprouvettes, brasser, évaporer, porter à ébullition, mélanger des réactifs, cultiver des cellules pour structures logiques. Au demeurant, tous les engouements de Borza étaient subordonnés à sa grande passion. Dans une maison de campagne laissée à l’abandon, il assemblait la machine de synthèse de ses rêves, l’affaire de toute sa vie. Il est vrai que la machine était désapprouvée par les amis de Borza, des physiciens. « L’idée est curieuse, mais comment la réaliseras-tu ? » lui disaient-ils. Borza n’en démordait pas, il avait un caractère dur comme le silex. A mesure qu’il multipliait les échecs, il se consolait en songeant que de tout temps il y a eu des inventeurs méconnus.

Ce jour-là, Borza, accompagné de quatre aides, se trouvait à bord d’un satellite de quarantaine pour accueillir et contrôler l’Albert, un vaisseau qui rentrait d’une expédition lointaine et était en train d’effectuer des révolutions autour de la Terre, « dérivait », comme disaient les responsables du service de quarantaine. L’appareil fit plusieurs fois le tour de l’Albert pour effectuer des relevés dosimétriques. Il ressemblait à un duvet volant autour d’un peuplier.

Loin devant, sur la proue de l’Albert, à côté d’un canot à ailes pointues, une petite étoile émeraude chatoyait. Borza songea que cela pouvait être un minéral luminescent ramené d’une planète lointaine.

Le revêtement du vaisseau n’était pas irradié au-dessus de la norme, ce qui mit Borza de bonne humeur. Fredonnant une rengaine à la mode, il procédait aux derniers préparatifs avant de pénétrer en « terre inconnue ». Voici le sas… Il allait s’entrouvrir…

— Un retard de cent à cent-vingt ans. Construit au vingt-et-unième siècle, établit à haute voix Borza en considérant, d’un œil de connaisseur, la poupe massive de l’Albert qui émergeait des profondeurs de l’écran. En matière d’histoire, Borza avait la réputation d’être incollable.

L’équipage du vaisseau n’avait pu ouvrir le sas, les courants de Foucault l’ayant soudé au revêtement. Il avait fallu employer de puissants manipulateurs, dont le maniement était une chose coutumière pour Borza.

Borza fut le premier à monter à bord du vaisseau. A sa demande, l’équipage se réunit au poste de commandement.

Les hommes et les appareils cybernétiques de Borza se dispersèrent dans les compartiments. Un travail de responsabilité les y attendait. Ayant donné un ordre général à chacun, Borza, prenant un manipulateur, entra dans le compartiment qui suivait le sas.

Le manipulateur suivait Borza sans le quitter d’une semelle. Les quatre opérateurs ne cessaient de rapporter par la biocommunication, que le contrôle de l’Albert se déroulait sans complications.

Eh bien, il était temps de gagner le compartiment du commandant. Avant de sortir, Borza jeta un coup d’œil autour de lui. Son attention fut attirée par un objet qui voguait librement dans l’espace près d’un hublot empoussiéré.

En trois ans de service de quarantaine, sans parler des entraînements à l’Académie de l’Espace, Borza s’était habitué à l’apesanteur. « Les barres d’appui ne sont bonnes que pour les débutants », se plaisait à dire Joy Argo. D’une détente quasi automatique, calculée avec précision, Borza s’arracha au plancher, traversa en ligne droite le compartiment, se cramponna au dernier instant d’une main à la grille qui protégeait le hublot et tendit l’autre vers l’objet qui l’avait intéressé et qui passait lentement devant lui.

Le manipulateur répéta exactement le saut de son maître.

Lâchant la grille, Borza se mit à tourner entre ses doigts l’étrange objet nu. Comment appelait-on déjà dans le passé ce petit sac ? Ah oui, blague à tabac. Exact, une blague à tabac. On en usait il y a bien longtemps, avant même la découverte de Vostokov.

La blague à tabac était brodée de fils d’argent. De l’index de sa main droite, protégée par un gant, Borza toucha les fines arabesques du dessin, puis tendit la blague vers le manipulateur. Quelques secondes plus tard, sur le tableau lumineux de celui-ci, il put lire : « Pas de danger ». A l’intérieur, se trouvait une masse fibreuse brun foncé, complètement desséchée. Qui sait, pendant combien de temps ce tabac avait été irradié. Quelles propriétés avait-il acquis du fait d’un tel traitement ? Et pourtant, il serait bon d’en emporter une petite quantité. Pour des expériences. Pour le tester avec des agents chimiques. Et surtout, en ajouter à la substance de travail de la machine de synthèse. Mais oui, il sera prudent. Et puis, la substance est bien isolée…

Une fois de plus, Borza regarda le bibelot à la forme élégante.

Non, il ne prendra pas la blague à tabac : dans le vaisseau, tous les objets doivent rester à leur place.

Strictement parlant, il enfreint déjà la règle de la quarantaine… Mais la tentation était trop forte. Borza fourra dans sa poche une pincée de masse fibreuse, referma la blague et la renvoya flotter dans le compartiment.

La fin de son service et les quelques journées qui suivirent se passèrent pour Borza dans une sorte de brouillard. Il avait devant les yeux Zarika, la fille au visage de reine orientale et aux yeux d’un bleu profond. A plusieurs reprises, il voulut appeler Sigma de chez lui. Il s’approchait de son vidéophone, appuyait sur les touches, puis annulait l’appel au dernier moment. Bouzivse, le chimpanzé bourru, suivait en silence, mais avec une manifeste désapprobation, les gestes du maître. C’était un mélancolique, et un chicaneur de surcroît. Il prenait en grippe les visiteurs. Or, il y avait souvent du monde chez Borza. Bouzivse tolérait plus ou moins les vieilles connaissances de son maître, mais les nouveaux étaient rembarrés. Il en résultait des situations comiques et, parfois, pas tellement, mais Borza s’était trop attaché au vieux singe pour se décider à s’en séparer. Il découvrit par hasard que la vue de Bouzivse avait sensiblement baissé. Le médecin prescrit à Bouzivse le port de lunettes, et Borza fut enthousiasmé par cette idée : si, des fois, le singe était morose et peu sociable à cause de son handicap physique ?

Bouzivse accepta les lunettes, mais son caractère n’en changea pas pour autant.

Finalement, un soir, Borza composa le code d’Hôtel Sigma. Un robot le brancha sur le bâtiment où logeait l’équipage de l’Albert.

— Permettez-moi, Zarika, de venir vous accueillir quand vous quitterez Hôtel Sigma.

Zarika baissa les yeux.

— Je vous ferai visiter la Terre, dit Borza.

Le regard de Zarika s’illumina :

— D’accord.

L’écran étant à peine éteint, Borza sauta comme un fou, attrapa Bouzivse et se mit à valser avec lui. Le chimpanzé ne se laissait contraindre que par un seul être au monde, son maître. Grondant et montrant ses dents jaunies, il se dandinait d’une jambe sur l’autre. Borza ne laissa Bouzivse en paix que quand les lunettes finirent par tomber de son nez.


A la sortie de Sigma, Borza attendait Zarika avec une immense gerbe de fleurs.

— Elles sont ravissantes ! s’exclama la jeune fille. Il faut les mettre dans un vase.

— Je le ferai sans faute, réagit Borza, tout en regardant Zarika.

L’équipage de l’Albert, sorti en même temps que Zarika, fit ses adieux aux jeunes gens et se dirigea vers le parking des autojets. Le commandant partit le dernier.

La place resta vide.

— Où vous a-t-on affectée ? demanda Borza.

— A une station biologique, répondit Zarika. Le Doigt du diable. Joli comme nom ?

— C’est loin, ça, dit Borza. Sur la mer Noire.

Zarika hocha la tête.

— Oui, je sais. C’est en Crimée, dit-elle.

Ils s’assirent sous un parasol. Zarika posa le bouquet devant elle, occupant presque toute la surface de la tablette.

Elle regarda les fleurs.

— Dommage, elles vont se faner, dit-elle.

Ils finirent leurs jus de fruits et se levèrent.

— Vous habitez loin d’ici ? s’enquit Zarika.

— A côté du Musée d’astronautique, à deux pas d’ici.

— Eh bien, faisons un saut chez vous, histoire de mettre les fleurs dans l’eau, suggéra Zarika.

Devant la porte de son appartement, Borza s’excusa :

— Je dois entrer le premier pour retenir Bouzivse.

Le chimpanzé binoclard accueillit la visiteuse sans aménité. A l’étonnement de Borza, toutefois, Bouzivse se borna cette fois à grogner.

— T’as de la chance, dit Borza. Bouzivse t’a reconnue.

Le chimpanzé se mit à quatre pattes et, dressant sa courte queue, vint près de son maître.

— Il ressemble à un ourson. Viens, Nounours ! appela Zarika.

Borza mit les fleurs dans un vase, fit visiter à Zarika son appartement et lui présenta ses robots. Le soir tombait. Ils restèrent longtemps devant la fenêtre, regardant la ville. Les flèches des maisons étaient encore éclairées par le soleil, alors que les rez-de-chaussée commençaient déjà à luire, jetant une lumière douce dans les rues.

— Tu me conduiras à la biostation ? demanda Zarika.

— Oui, mais d’abord dînons, répondit Borza.

Après le repas, Zarika se sentit fatiguée. Pourtant, tout ce que Borza lui racontait était tellement intéressant qu’elle faisait de son mieux pour chasser le sommeil. Elle était installée dans un rocking-chair, Borza était assis à ses pieds sur la superbe peau phosphorescente d’une bête inconnue pour Zarika. Plus tard, elle apprit que la peau était synthétique. Bouzivse, lui, somnolait près de son maître.

Zarika se balança dans son fauteuil.

— Je veux devenir microbiologiste, dit-elle. J’en rêve depuis toujours.

— Tiens, mais tu dors ! la voix de Borza lui sembla lointaine.

— Oui, reconnut-elle. Et si tu veux dissiper mon sommeil, montre-moi un tour de passe-passe.

— Les tours, c’est mon métier, dit Borza et, plongeant la main dans sa poche, en tira une boule multicolore.

Zarika applaudit, ce qui fit gronder tout bas Bouzivse.

— Est-il possible que tu m’étonnes encore aujourd’hui avec quelque chose ? dit Zarika.

— Voilà un bioémetteur. Tout le monde en a un. Le tien, on te le donnera à la station biologique.

— Comme je suis en retard sur vous autres, soupira Zarika. Il est vrai qu’à Sigma j’ai appris certaines choses. Mais c’est si peu… Il faut croire que tu as des prodiges plein les poches.

— Assurément, dit Borza qui sortit d’une poche la pincée de fibres brun foncé et la considéra avec perplexité.

— Il est sympathique, ton Bouzivse, prononça Zarika après une pause pour changer de sujet de conversation.

Entendant son nom, Bouzivse tourna la tête et regarda Zarika.

— T’es sympa, Nounours, dit Zarika et, tendant la main, fit enfin ce à quoi elle ne s’était pas décidée de la soirée : caressa la tête de Bouzivse.

Ce qui suivit, se déroula en un clin d’œil. Bouzivse ouvrit la gueule et rugit. Zarika n’eut pas le temps de retirer la main. Sur la main, apparut un demi-cercle écarlate : la trace de la morsure. Au même moment, Borza frappa le chimpanzé de son poing qui serrait le tabac. Le singe geignit, toussa, poussa un éternuement assourdissant. Borza leva la main encore une fois. Bouzivse bondit, se blottit dans un coin, levant les pattes antérieures d’un air menaçant.

— Laisse-le, pria Zarika.

Borza lava la morsure et mit du sparadrap dessus.

— Tu as mal ? demanda-t-il.

Zarika fit un signe de tête négatif.

— Accompagne-moi jusqu’à l’autojet.

— Où iras-tu si tard ? Reste là ; le matin, on partira ensemble. Demain, je suis libre et je t’y conduirai, dit Borza, ramassant sur le tapis les brins de tabac.

Ayant installé Zarika dans la chambre, il se coucha dans son laboratoire.

Borza fut réveillé la nuit par le mal de tête. La porte du salon était entrouverte. Sur le seuil, quelque masse noire se détachait vaguement. Borza se leva, s’approcha et faillit hurler : c’était le cadavre de Bouzivse. Le rocking-chair du salon était renversé, tout comme le vase, une flaque s’étant formée sur le tapis. La pièce était emplie d’une odeur inconnue, amère. Du tabac, peut-être ? Le mal de tête était si intense qu’il décida de brancher le bioémetteur pour appeler le centre médical. C’est si simple, une pression du doigt… Borza y pensa, mais ne bougea pas. Il restait debout, le front brûlant appuyé contre la vitre, envahi d’une curieuse indifférence.

Et dire que le lendemain matin il avait l’intention d’aller à la serre chercher des fleurs pour Zarika. Zarika… Après, il l’accompagnera jusqu’au Doigt du diable. On pourra s’y baigner… A propos, sait-elle nager ? L’eau est chaude en cette saison.

Qu’est-ce qui a jailli là-bas, derrière la vitre ? Un torrent de flammes. Se peut-il que ce soit déjà le matin ? Non, c’est l’Orion qui s’en va. Le vaisseau prêt à bondir. Le visage tendu de Piotr Braga sur l’écran de l’interphone. Il cria alors quelque chose à Borza, mais le bruit des moteurs couvrit sa voix.

Il ne saura plus jamais ce que Piotr voulait lui dire en guise d’adieu. D’ailleurs, il ne verra jamais personne de l’équipage de l’Orion, pas plus que ceux qui seront nés au cours de ce vol relativement bref : une trentaine d’années à l’heure du vaisseau. Et sur Terre, combien de siècles se sera-t-il écoulés ? Le calcul, des plus complexes, ne pourra être fait que sur le chemin de retour, lorsque l’Orion se sera rapproché de la Terre, sorti de sa dernière pulsation.

Borza glissa sur le plancher. Il essaya de se redresser, mais son corps ne lui obéissait plus.

Dans un dernier sursaut, il leva quand même la main et frappa la vitre. La dernière chose que sa conscience enregistra ce fut le bruit que firent des carreaux en tombant.

Quant à la fraîcheur de la nuit, Borza ne la sentit pas.

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