par l'esprit Emmanuel
Xavier Candido Francisco
IL Y A DEUX MILLE ANS
Xavier Candido Francisco
IL Y A DEUX MILLE ANS
Sur les bords du lac Génésareth, Publias Lentulus (Emmanuel) eut une rencontre avec le Christ pour qu'il intervienne et guérisse sa petite fille Flavia qui avait contracté la lèpre.
Emu et fasciné par des émotions qui lui étaient encore inconnues, il entendit le Maître lui dire :
« (...) Tu aurais mieux fait de venir me voir en public et à l'heure la plus claire du jour pour acquérir d'un seul coup et pour toujours, la leçon sublime de la foi et de l'humilité.
(...) Après de longues années passées à te détourner du droit chemin, habitué à commettre de fracassantes erreurs, tu trouves, aujourd'hui, un point de référence pour régénérer ta vie. Il dépend de ta volonté d'en profiter à présent ou d'ici quelques millénaires...
(...) Mais personne ne pourra rien contre ta propre conscience si tu veux mépriser indéfiniment cette précieuse minute ! »
Puis il perçut que Jésus priait. Depuis cette nuit-là, sa fille alla de mieux en mieux jusqu'à son complet rétablissement.
Quelles furent les conséquences de cette rencontre avec le Divin Maître ?
La guérison de Flavia.
Livia, la dame patricienne, l'épouse de Publius Lentulus devint chrétienne.
Publius Lentulus retourna à ses activités politiques, mais refusa d'admettre que Jésus était celui qui avait sauvé sa fille.
Emmanuel nous raconte cette expérience personnelle avec cette richesse de détails qui caractérise tous ses livres pour que nous méditions sur les « moments » précieux qui nous sont offerts à travers la vie. Des moments très souvent gaspillés, retardant ainsi notre progrès et notre évolution.
Francisco Candido Xavier
IL Y A 2000 ANS
EPISODES DE L'HISTOIRE DU CHRISTIANISME AU PREMIER SIÈCLE
ROMAN D'EMMANUEL
Tome 1
EDITION ORIGINALE
OUVRAGES DEJA TRADUITS EN FRANÇAIS
Série : André Luiz (Collection La vie dans le monde Spirituel) 1-16
Nosso Lar, la Vie dans le Monde Spirituel,
Les Messagers
Missionnaires de la Lumière
Ouvriers de la Vie Eternelle
Dans le Monde Supérieur
Agenda Chrétien
Libération, par l'esprit André Luiz
Entre le Ciel et la Terre
Dans les Domaines de la Médiumnité
Action et Réaction
Evolution entre deux Mondes
Mécanismes de la Médiumnité
Et la Vie Continue
Conduite spirite
Sexe et destin
Désobsession
Série : Emmanuel Les Romans de l'histoire
Il y a deux mille ans
50 ans plus tard
Paul et Etienne
Renoncement
Avé Christ
Série: Source Vive
Chemin, Vérité et Vie.
Notre Pain
La Vigne de Lumière
Source de Vie
Divers
Argent
Choses de ce Monde (Réincarnation Loi des Causes et Effets)
Chronique de l'Au-delà
Contes Spirituels
Directives
Idéal Spirite
Jésus chez Vous
Justice Divine
Le Consolateur
Lettres de l'autre monde
Lumière Céleste
Matériel de construction
Moment
Nous
Religions des Esprits
Signal vert
Vers la lumière
SOMMAIRE
Dans l'intimité d'Emmanuel 7
PREMIÈRE PARTIE 11
Deux amis 11
Un esclave 20
Chez Pilate 31
En Galilée 40
Le Messie de Nazareth 50
L'enlèvement 60
Les prédications de Tibériade 72 VIII. Le grand jour du Calvaire 81
La calomnie victorieuse 90
L'apôtre de Samarie 103
DEUXIÈME PARTIE 133
La mort de Flaminius 133
Ombres et noces 147
Les desseins des ténèbres 158
Tragédie et espoirs 168
Aux catacombes de la foi et au cirque du martyre 185
Aubades du Royaume du Seigneur 211
Trame d'infortune 220
La destruction de Jérusalem 238
Souvenirs amers 255
Les dernières minutes de Pompéi 262
Biographie 270
Liste des ouvrages en langue brésilienne 273
■ r • DANS L'INTIMITE D'EMMANUEL
Au lectur
Cher lecteur,
Avant de franchir le seuil de cette histoire, il semble juste de satisfaire votre curiosité en présentant quelques commentaires d'Emmanuel - ex-sénateur Publius Lentulus descendant de l'illustre et fière famille de la « gens Cornelia » - qui nous viennent de ce généreux Esprit et furent reçus dans l'intimité du groupe d'études spiritualistes de Pedro Leopoldo, dans l'État de Minas Gérais, au Brésil.
À travers ces quelques lignes, vous découvrirez les premières paroles de l'auteur sur cette œuvre et ses impressions les plus profondes concernant ce travail réalisé du 24 octobre 1938 au 9 février 1939, selon la disponibilité de son médium, sans toutefois perturber les activités d'Emmanuel auprès des nombreux souffrants qui fréquemment viennent le voir, ou même troubler l'effort de diffusion du spiritisme chrétien dans la patrie brésilienne.
Le 7 septembre 1938, dans un court message adressé à ses amis incarnés, il affirmait :
« Le jour viendra, si Dieu me le permet, où je vous parlerai de l'orgueûleuxpatricien Publius Lentulus pour que vous preniez connaissance des pénibles expériences vécues par une âme indifférente et ingrate.
Attendons cette heure et l'autorisation de Jésus. »
Emmanuel n'oublia pas sa promesse. Et en effet, le 21 octobre de cette année-là, lors d'une communication personnelle, il en reparlait :
« Si la bonté de Jésus nous le permet, nous commencerons nos efforts dans quelques jours, j'espère pouvoir consigner nos souvenirs à l'époque du passage du Divin Maître sur la face de la terre.
Je ne sais pas si nous parviendrons à réaliser cette tâche aussi bien que nous le souhaitons. Aussi par avance, je veux témoigner ma confiance en la miséricorde de notre Père pour son infinie bonté. »
Puis quelques jours plus tard, le 24 octobre, le médium Xavier recevait la première page de ce livre et le lendemain, Emmanuel disait encore :
« Avec le soutien de Jésus, c'est sans prétention que nous initions un travaû de plus. Dieu fasse que nous puissions le mener à bon terme !
A présent, vous allez constater l'extension de mes faiblesses dans le passé, mais cela me réconforte d'apparaître en toute sincérité face au tribunal de vos consciences. Priez avec moi et demandons à Jésus que je puisse compléter cette tâche pour que grandisse cette assemblée bien au-delà de cet humble cercle et que ma confession soit un exemple pour tous.»
Tout le long de cet effort consacré à la psychographie de cet ouvrage, l'auteur de ce livre n'a jamais cessé d'enseigner l'humilité et la foi à tous ceux qui l'accompagnaient. Le 30 décembre 1938, il commentait dans un nouveau message plein de bonté :
« Je vous remercie, mes enfants, de votre précieux concours. Dans la mesure du possible, je me suis efforcé d'adapter une histoire ancienne au goût des expressions du monde moderne ; mais en relatant la vérité nous sommes amenés à pénétrer avant tout dans l'essence des choses, des faits et des enseignements.
Pour moi ces souvenirs furent très doux, mais aussi très amers. Doux pour leurs amicales réminiscences, mais profondément douloureux face à mon cœur endurci qui n'a pas su profiter de l'heure radieuse qui retentit à l'horloge de ma vie d'Esprit, il y a deux mille ans.
Permets-moi Jésus d'atteindre mon objectif en présentant dans ce travail, non pas un souvenir intéressant concernant ma pauvre personnalité mais une expérience à peine, pour ceux qui travaillent aujourd'hui à la semoule et à la moisson de notre divin Maître. »
Emmanuel enseignait aussi à ses compagnons incarnés combien il était important de se lier spirituellement à Jésus dans l'accomplissement de toutes les tâches. Le 4 janvier 1939, faisant encore allusion aux souvenirs lointains de son passé, il psychografiait cette prière :
« Jésus, agneau miséricordieux du Père de toutes les grâces, deux mille ans sont passés et ma pauvre âme revit encore ses jours tristes et amers !...
Qu'est-ce que deux millénaires, Seigneur, à l'horloge de l'Éternité ?
Je sens que ta miséricorde nous répond en ses profondeurs secrètes... Oui, le temps est le grand trésor de l'homme et vingt siècles, comme vingt existences différentes peuvent être vingt jours d'épreuves, d'expériences et de luttes rédemptrices.
Seule ta bonté est infinie ! Seule ta miséricorde peut embrasser tous les siècles et tous les êtres, parce qu'en Toi vit la glorieuse synthèse de toute l'évolution terrestre, ferment divin de toutes les cultures, âme sublime de toutes les pensées.
Devant mes pauvres yeux, la vieille Rome de mes remords et de mes chutes douloureuses se dessine... Je me sens encore plein de la misère de mes faiblesses et je contemple les monuments des vanités humaines...
Expressions politiques qui varient par leurs caractéristiques de liberté et de force, détenteurs d'autorité et de pouvoir, maîtres de fortune et d'intelligence, grandeurs éphémères d'un jour fugace !... Trônes et pourpres, mantes précieuses des honneurs terrestres, toges d'une justice humaine imparfaite, parlements et décrets présumés irrévocables !... En silence, Seigneur, tuas vu la confusion s'installer parmi les hommes inquiets et avec le même amour vigilant, tu as toujours sauvé les créatures à l'instant douloureux des ruines suprêmes... Tu as donné ta main miséricordieuse et immaculée aux peuples les plus humbles et les plus fragiles, tu as confondu la science mensongère de tous les temps, tu as humilié ceux qui se considéraient grands et puissants !...
Sous ton regard compatissant, la mort a ouvert ses portes de ténèbres et les fausses gloires du monde furent détruites dans le tourbillon des ambitions, réduisant toutes les vanités à un tas de cendres !...
Les souvenirs des élégantes constructions des célèbres collines me surgissent à l'esprit; j e vois le Tibre qui passe, charriant les détritus de la grande Babylone impériale, les aqueducs, les marbres précieux, les thermes qui semblaient indestructibles... Je vois encore les rues agitées où une plèbe misérable attendre les grâces des grands seigneurs, les aumônes de blé, les bouts de chiffon pour protéger du froid la nudité de leur chair.
Les cirques regorgent de monde... L'aristocratie du patriciat observe les jeux élégants du Champ de Mars ; et des passages les plus humbles aux palais les plus somptueux, on parle de César, l'Auguste !...
A travers ces souvenirs, Seigneur, je flâne entre les haillons et les splendeurs, ivre de mon misérable orgueil ! Des voiles épais de mes ténèbres, comment aurais-je pu te voir là haut, où tu gardes ton royaume de grâces inépuisables.
Alors que le grand Empire se livrait à ses luttes inquiétantes, ton cœur battait en silence et, comme les autres, je ne percevais pas que tu veillais !
Tu permis que la Babel romaine se hisse très haut, mais quand tu vis que la stabilité même de la vie sur la planète était menacée, tu dis : - « Cela suffit ! Le temps d'oeuvrer pour la vérité est venu ! » Et les grands monuments avec les statues des dieux antiques se sont effondrés de leurs merveilleux piédestaux ! Un souffle de mort a balayé les régions infestées du virus de l'ambition et de l'égoïsme effréné, dépeuplant alors la grande métropole du péché. Les cirques infernaux se sont écroulés, Tes palais se sont effondrés, les marbres luxueux ont noircis...
Une parole de toi avait suffi, Seigneur, pour que les grands maîtres retournent aux bords du Tibre comme de misérables esclaves !... Nous avons déambulé ainsi dans notre nuit jusqu'au jour où une nouvelle lumière a jailli de notre conscience, n fallut que les siècles passent pour que nous apprenions les premières lettres de ta science infinie de pardon et d'amour !
Nous sommes là, Jésus, pour louer ta grandeur ! Fais que nous puissions nous souvenir de toi à chacun de nos pas, entendre ta voix à chaque son perçu en chemin et fuir l'obscurité douloureuse !... Tends-nous tes mains et parle-nous encore de ton Royaume !... Notre soif de cette eau éternelle de la vie dont tu as parlé à la Samaritaine est immense...
Armée d'ouvriers de ton Évangile, nous nous plions à tes doux desseins sacrosaints ! Protège-nous, Seigneur, et ne retire pas de nos épaules la croix lumineuse et rédemptrice, mais aide-nous à sentir dans les travaux de chaque jour, la. lumière éternelle et immense de ton royaume de paix, d'harmonie et de sagesse sur notre route faite de luttes, de solidarité et d'espoir !... »
Le 8 février 1939, à la veille d'achever la réception de ce livre, Emmanuel remerciait ses compagnons incarnés de leur concours lors d'un communiqué en privé dont nous avons extrait quelques phrases :
- « Mes amis, que Dieu vous aide et vous récompense. Notre modeste travail se termine. R ne reste que quelques pages et c'est du fond du cœur que je vous remercie.
En retrouvant les Esprits amis du passé, mon cœur est satisfait et réconforté car je constate avec quel dévouement nous nous sommes tous attelés à la ferme intention d'évolution pour aller de l'avant et pour nous élever. En effet, ce n'est pas sans raison qu'aujourd'hui nous œuvrons à cette tâche faite d'efforts et de bonne volonté.
Jésus récompensera le concours amical et sincère que vous m'avez prêté et que son infinie miséricorde vous bénisse, telle sera toujours ma prière. »
Voici donc quelques annotations personnelles d'Emmanuel transmises à la réception de ce livre. L'humilité de ce généreux Esprit vient démontrer qu'au plan invisible, il faut aussi s'efforcer d'être patient et d'avoir la foi pour arriver à bonnes fins.
Les notes de l'auteur sont une invitation pour que nous sachions tous prier, travailler et croire en Jésus-Christ, sans faiblir dans la lutte que la bonté divine nous offre pour notre rachat sur le chemin de la rédemption.
Pedro Leopoldo, le 2 mars 1939
L'Éditeur
PREMIÈRE PARTIE I
DEUX AMIS
Les dernières clartés de l'après-midi s'étaient posées sur la ville romaine.
Les eaux du Tibre, bordant l'Aventin, laissaient entrevoir les ultimes lueurs du crépuscule tandis que dans les rues étroites, en hâte, passaient des litières portées par des esclaves musclés et véloces.
De lourds nuages s'accumulaient dans l'atmosphère annonçant des averses et les fenêtres encore ouvertes des résidences privées et collectives claquaient bruyamment au souffle des premiers vents de la nuit.
Parmi les constructions élégantes et sobres qui exhibaient de précieux marbres, au pied de la colline, il y avait un édifice qui attirait l'attention des étrangers par la singularité de ses colonnes sévères et majestueuses. D'un simple coup d'ceil à sa façade, vu son architecture et ses proportions, on pouvait imaginer le rang de son propriétaire.
En fait, il s'agissait de la résidence du sénateur Publius Lentulus Cornélius, un homme encore jeune qui, selon la coutume de son époque, exerçait au Sénat des fonctions législatives et judiciaires conformément aux droits qui lui revenaient en tant que descendant d'une ancienne famille de sénateurs et de consuls de la République.
L'Empire, fondé sous Auguste, avait limité les pouvoirs sénatoriaux dont les détenteurs n'exerçaient déjà plus aucune influence directe sur les affaires d'ordre privé du gouvernement impérial, mais l'hérédité des titres de dignité des familles patriciennes avait été maintenue, établissant ainsi plus nettement la séparation des classes dans la hiérarchie sociale.
Il était dix-neuf heures en ce jour du mois de mai de l'an 31 de notre ère. Allongé dans un triclinium en compagnie de son ami Flaminius Sévérus, Publius Lentulus finissait de dîner, tandis que Livia, sa femme, donnait des ordres à une jeune esclave étrusque.
Dans la trentaine, l'hôte était un homme relativement jeune, malgré son profil fier et austère allié à une tunique avec une large bande de pourpre qui imposait un certain respect à ceux qui l'approchaient ; il contrastait avec son ami qui portait le même habit de sénateur, mais laissait entrevoir un âge mûr, illuminé de cheveux blancs précoces qui témoignaient de sa bonté et de son expérience de la vie.
Laissant la jeune femme vaquer à ses occupations domestiques, tous deux se dirigèrent vers le péristyle pour chercher une bouffée d'air frais dans la nuit chaude, même si l'aspect menaçant du firmament présageait une pluie imminente.
La vérité, mon cher Publius - s'exclama Flaminius pensif -, est que tu te consumes à vue d'œil. Il faut que tu prennes la situation en main sans perdre de temps. Tu as déjà fait appel à tous les médecins pour ta fille ?
Malheureusement - rétorqua le patricien désolé -j'ai usé de tous les recours à notre portée - ces jours-ci encore, ma pauvre LMa l'a emmenée se distraire dans notre propriété à Tibur1, où elles sont allées voir l'un des meilleurs docteurs de la ville qui a affirmé qu'il s'agissait d'un cas irrémédiable pour la science de nos jours. Il n'a pas achevé son diagnostic, certainement en raison de sa compassion pour la malade et face à notre désespoir ; mais d'après nos observations nous pensons que le médecin de Tibur présumait avoir affaire à un cas de lèpre.
1 Aujourd'hui Tivoli (Note de l'éditeur).
C'est une hypothèse hasardeuse et absurde !
Toutefois, si nous ne pouvons avoir aucun doute concernant nos ancêtres quant à son origine, tu sais que Rome est pleine d'esclaves issus de toutes les régions du monde et qu'ils sont à notre contact quotidiennement.
C'est vrai... - acquiesça Flaminius amèrement.
Une sombre expression se lisait sur le front des deux amis, tandis que les premières gouttes de pluie étanchaient la soif des rosiers fleuris qui décoraient les colonnes gracieuses et claires.
Et le petit Pline ? - demanda Publius désireux de changer de conversation.
Lui, comme tu le sais, est en bonne santé et atteste d'une grande vitalité ; à tous moments, Calpurnia a du mal à satisfaire les caprices de ses douze ans à peine. Parfois, il est obstiné et rebelle, il désobéit au vieux Parménide, ne se livrant aux exercices de gymnastique que lorsque ça lui plait ; cependant, il a une grande prédilection pour les chevaux. Imagine- toi que sur un coup de tête, il a déjoué la vigilance de son frère et a participé à une course de biges réalisée lors des entraînements quotidiens d'un établissement sportif du Champ de Mars, obtenant l'une des meilleures places. Quand je regarde mes deux enfants, je me rappelle toujours ta petite Flavia Lentulia car tu connais bien mes projets quant au rapprochement des liens anciens qui unissent nos deux familles.
Publius écoutait son ami silencieusement comme si la jalousie blessait son cœur de père aimant.
Cependant - objecta-t-il -, malgré nos projets et tous nos soins, les augures ne favorisent pas nos espoirs car la vérité est que ma pauvre fille ressemble plutôt à l'une de ces malheureuses petites créatures jetées au Vélabre2.
(2) Quartier de la. Rome antique situé sur un marais.
Néanmoins, ayons confiance en la magnanimité des dieux.
Des dieux ? - répéta Publius avec un découragement mal dissimulé. - À propos de ce recours impondérable, mon cerveau bouillonnant a imaginé mille théories. Il y a quelques temps, en visite chez toi, j'eus l'occasion de connaître un peu mieux ton vieil affranchi grec. Parménide m'a parlé de sa jeunesse passée en Inde et me fit part des croyances hindoues et de leur conception mystérieuse de l'âme. Crois-tu que nous puissions tous revenir dans d'autres corps après la mort au théâtre de la vie ?
D'aucune façon - répliqua Flaminius, énergiquement. - Parménide, malgré son précieux caractère pousse très loin ses divagations spirituelles.
Et pourtant mon ami, je commence à penser qu'il a raison. Comment pourrions-nous expliquer la diversité des sorts en ce monde ? Pourquoi l'opulence de nos quartiers aristocratiques et les misères de l'Esquilin ? La foi dans le pouvoir des dieux n'arrive pas à élucider ces problèmes torturants. Quand je vois ma malheureuse fille avec sa chair lacérée et putréfiée, j'ai l'impression que ton esclave détient la vérité. Qu'a bien pu faire Flavia, cette petite à peine âgée de sept ans, pour mériter un châtiment aussi horrible des puissances célestes ? Quelle joie pourrait trouver nos divinités aux pleurs d'une enfant et aux larmes douloureuses qui brûlent nos cœurs ? Ne serait-il pas plus simple de comprendre et d'accepter que nous venons de loin avec nos dettes envers les pouvoirs du ciel ?
Flaminius hocha la tête comme pour écarter un doute, puis reprenant une expression normale, il objecta avec fermeté :
Tu te fais du mal à alimenter de telles pensées. En quarante-cinq ans d'existence, je n'ai jamais connu de croyances plus précieuses que les nôtres vouées au culte vénérable de nos ancêtres. Tu dois te dire que la diversité des positions sociales est un problème issu de l'ordre politique, le seul qui ait établi une séparation claire entre les valeurs et les efforts fournis par chacun ; quant à la question des souffrances, il convient de se rappeler que les dieux peuvent tester nos vertus morales en nous menaçant au plus profond de notre âme sans qu'il nous soit pour autant nécessaire d'adopter les principes absurdes des Égyptiens et des Grecs qui, d'ailleurs, les ont déjà réduits à l'anéantissement et à la captivité. As-tu déjà fait des offrandes au temple après des doutes aussi angoissants ?
J'ai effectivement fait des sacrifices aux dieux, conformément à nos coutumes - répondit Publius embarrassé - et je m'enorgueillis plus que quiconque des glorieuses vertus de nos traditions familiales. Néanmoins, mes observations ne concernent pas uniquement ma fille. Voilà plusieurs jours que je vis torturé par la troublante énigme d'un rêve.
Un rêve ? Comment la fantaisie peut-elle ébranler de la sorte la fibre d'un patricien ?
Publius Lentulus entendit cette question plongé dans de profondes inquiétudes. Son
regard fixe semblait dévorer un paysage que le temps avait éloigné au fil des années.
Une pluie battante tombait à présent par rafales faisant abondamment déborder l'impluvium et remplissant la piscine qui décorait la cour du péristyle.
Les deux amis s'étaient assis sur un grand banc en marbre pour se reposer sur les coussins orientaux qui le rembourraient, afin de poursuivre leur entretien amical.
Il est des rêves - continua Publius - qui se distinguent de la fantaisie par leur expression d'une réalité saisissante.
Je revenais d'une réunion au Sénat où nous avions évoqué un problème d'une profonde délicatesse morale quand je me sentis pris d'un abattement inexplicable.
Je me suis couché de bonne heure et alors qu'il me semblait distinguer près de moi l'image de Thémis que nous gardons sur notre autel domestique, comme tous ceux qui exercent les fonctions de la justice, j'ai sentis qu'une force extraordinaire scellait mes paupières fatiguées et endolories. Et je me mis à voir d'autres lieux, reconnaissant des paysages familiers à mon esprit que j'avais complètement oubliés.
Réalité ou rêve, je ne saurais le dire, mais je me suis vu portant l'habit de consul au temps de la République. Il me semblait avoir régressé à l'époque de Lucius Sergius Catilina car je le voyais à mes côtés avec Cicéron ; tous deux semblaient avoir deux personnalités, l'une du bien et l'autre du mal. Je me sentais lié au premier par des liens forts et indestructibles, comme si je vivais à la ténébreuse époque de sa conspiration contre le Sénat, à participer avec lui au complot ignominieux qui visait l'organisation même de la République. Je soutenais ses intentions criminelles, adhérais à tous ses projets usant de mon autorité administrative, assumant la direction de réunions secrètes où je décrétais des assassinats infâmes... En un éclair, je revécus toute la tragédie, sentant que mes mains étaient tachées du sang et des larmes des innocents. Épouvanté comme si je retournais involontairement à un passé obscur et pénible, je contemplais la trame des infamies perpétrées sous la révolution, écrasée à temps par Cicéron ; et le détail le plus terrible est que j'avais assumé l'un des rôles les plus importants et les plus saillant de cette ignominie. Toutes les scènes horribles de cette époque défilaient, alors, devant mes yeux éberlués...
Mais ce qui m'humiliait le plus dans ces visions de mon passé coupable, comme si j'avais maintenant honte de pareilles réminiscences, c'est que je me prévalais de mon autorité et de mon pouvoir pour profiter de la situation et exercer les plus dures vengeances envers mes ennemis personnels que je faisais emprisonner sous les plus terribles accusations. Et mon cœur pervers ne se satisfaisait pas de l'incarcération de mes ennemis dans des cachots infects qui les séparait de la douce et chère affection de leur famille ; j'en fis exécuter un grand nombre dans l'obscurité de la nuit. De plus, en ma présence, je fis arracher les yeux de nombreux adversaires politiques, constatant ainsi leur supplice avec la froideur brutale des vengeances cruelles !... Pauvre de moi qui répandais la désolation et la disgrâce parmi tant d'âmes, car un jour, elles se souviendraient d'éliminer leur cruel bourreau !
Après toute une série de scandales qui finirent par m'éloigner du consulat, je sentis que la fin était venue à mes actes infâmes et misérables. Devant des bourreaux inflexibles qui me condamnèrent au terrible supplice de la strangulation, j'éprouvai alors les affres de la mort.
Le plus intéressant, pourtant, est que je revis l'indescriptible instant de mon passage dans les eaux obscures de l'Achéron, alors qu'il me semblait être descendu dans les profondes ténèbres de l'Averne3, où ne pénétraient pas les clartés des dieux. Une foule de victimes cerna alors mon âme angoissée et souffrante pour réclamer justice et réparation, poussant des cris et des pleurs qui s'étouffaient au fond de mon cœur.
(3)Lac près de Naples considéré comme Ventrée des enfers (NDT)
Combien de temps suis-je resté, ainsi, prisonnier de ce martyre indéfinissable ? Je ne saurais le dire. Je me souviens à peine d'avoir distingué l'image céleste de Livia qui, au milieu de ce tourbillon de terreurs, me tendait des mains lumineuses et aimantes.
Il me semblait que ma femme m'était familière depuis des temps très reculés car je n'hésitai pas un seul instant à prendre ses mains délicates qui me conduisirent à un tribunal où se tenaient des figures étranges et vénérables. Des cheveux blancs auréolaient le visage calme et respectable de ces juges du ciel, émissaires des dieux pour juger des hommes de la terre. L'atmosphère était teintée d'une étrange légèreté, pleine d'une douce lumière qui illuminait, devant tout le monde, mes pensées les plus secrètes.
Livia devait être mon ange-gardien à ce conseil de magistrats intangibles car sa main droite se tenait au-dessus de ma tête comme pour m'imposer la résignation et la sérénité afin d'entendre les jugements suprêmes.
Il est inutile de te dire mon étonnement et mon appréhension devant ce tribunal qui m'était inconnu, quand la figure de celui qui semblait incarner l'autorité centrale m'adressa la parole en ces termes :
- Publius Lentulus, la justice des dieux dans sa miséricorde a décidé de ton retour au tourbillon des luttes du monde pour que tu laves tes fautes dans les pleurs de la rémission. Tu vivras à une époque de merveilleuses lueurs spirituelles, à combattre toutes les situations et difficultés, en dépit du berceau doré où tu renaîtras, afin d'élever ta conscience dénigrée dans les douleurs qui purifient et régénèrent !... Heureux tu seras si tu sais bien profiter de l'occasion bénie de la réhabilitation par le renoncement et par l'humilité... Tu seras donc puissant et riche, et que ton détachement des chemins humains, le moment opportun venu, puisse faire de toi un élément précieux pour tes mentors spirituels. Tu auras l'intelligence et la santé, la fortune et l'autorité pour faciliter la régénération intégrale de ton âme si tu sais préparer ton cœur à la nouvelle voie d'amour et d'humilité, de tolérance et de pardon qui s'ouvrira dans quelques années à la face obscure de la terre car viendra l'heure où tu seras astreint à mépriser toutes les richesses et toutes les valeurs sociales !... La vie est un concours de circonstances que tout esprit doit harmoniser pour son bien face au mécanisme de son destin. Profite donc de ces opportunités que la miséricorde des dieux met au service de ta rédemption. Ne néglige pas l'appel de la vérité quand sonnera l'heure du témoignage et des renoncements sanctifiants... Livia t'accompagnera sur la route douloureuse du perfectionnement et, en elle, tu trouveras les bras amis et protecteurs les jours d'épreuves rudes et acerbes. L'essentiel est la fermeté de ton courage sur ce sentier scabreux pour purifier ta foi et œuvrer à la réparation de ton passé délictueux et obscur !...
À cette hauteur de son récit, la voix altière du patricien devint angoissée et malaisée. D'amères commotions oppressaient son cœur tourmenté par un incoercible découragement.
Flaminius Sévérus l'écoutait avec intérêt et attention, cherchant le meilleur moyen de faire disparaître des impressions aussi pénibles. L'envie le prenait de détourner ses pensées, de l'arracher à ce monde d'émotions incompatibles avec sa formation intellectuelle en faisant appel à son éducation et à son orgueil ; mais en même temps, il n'arrivait pas à faire taire ses propres doutes face à ce rêve, dont la clarté et le caractère réaliste le confondaient. Il comprenait qu'il devait d'abord retrouver sa force intérieure et que l'indulgence devait lui servir de bouclier pour éclairer son ami qu'il considérait davantage comme un frère.
C'est ainsi que posant une fine main blanche sur son épaule, il lui demanda d'une voix douce et amicale :
Et après qu'as-tu vu d'autre ?
Se sentant compris, Publius Lentulus reprit courage et poursuivit :
Après les exhortations de ce juge sévère et vénérable, je n'ai plus entrevu la silhouette de Lisia à mes côtés, mais d'autres créatures gracieuses vêtues de péplum qui semblaient être en neige translucide, réconfortaient mon cœur de leurs sourires accueillants et bons.
Répondant à cet appel affectueux, je sentis que mon Esprit regagnait la terre.
Je vis Rome qui n'était plus vraiment la ville de mon époque ; un souffle de beauté avait rénové sa partie ancienne car je notai l'existence de nouveaux cirques, de théâtres somptueux, de thermes élégantes et de palais charmants que mes yeux n'avaient pas connus auparavant.
J'eus l'occasion de voir mon père penché sur ses papyrus et ses parchemins à étudier les procès du Sénat, tout comme nous le faisons de nos jours, et après avoir imploré la bénédiction des dieux à l'autel de notre résidence, j'éprouvai une sensation d'angoisse au plus profond de mon âme. Je semblais souffrir d'une douloureuse commotion cérébrale et je restai assoupi là, pris d'un inexplicable vertige...
Je ne saurais décrire exactement ce qui se passa, mais je me réveillai avec une forte fièvre comme si cette digression de la pensée par les mondes de Morphée avait envahi mon corps d'une pénible sensation de fatigue.
J'ignore ce que tu penses de cette confidence amère et difficile, mais j'aimerais que tu me l'expliques.
Texpliquer ? - réagit Flaminius, essayant de donner à sa voix toute la force de sa conviction.
Bien, tu sais tout le respect que m'inspirent les augures du temple, mais voyons, ce qui t'est arrivé n'est qu'un rêve, et tu sais combien nous devons craindre l'imagination dans nos principes d'hommes pragmatiques. Pour avoir rêvé avec excès, les illustres Athéniens furent réduits à de misérables esclaves, nous obligeant à reconnaître la bonté des dieux qui nous octroient le sens de la réalité, nécessaire aux conquêtes et aux triomphes. Serait-il juste de renoncer à ton amour-propre et à la position de ta famille pour te laisser porter par la fantaisie?
Publius laissa son ami s'exprimer longuement sur le sujet, écoutant ses exhortations et ses conseils, puis il prit ses mains généreuses et s'exclama angoissé :
Mon ami, je serais indigne de la magnanimité des dieux de me laisser aller au gré des événements. Un simple rêve ne susciterait pas de si pénibles conjectures, mais en vérité, je ne t'ai pas encore tout dit.
Flaminius Sévérus fronça les sourcils et ajouta :
Tu n'as pas encore tout dit ? Que signifient ces affirmations ?
À la description minutieuse de ce rêve impressionnant et fâcheux, un doute angoissant s'était déjà installé dans son cœur généreux et il parvenait difficilement, à présent, à cacher à son ami les fâcheuses émotions qui le tourmentaient.
Muet, Publius lui prit le bras et le conduisit aux galeries du tablinum situé à côté du péristyle, non loin de l'autel domestique où figuraient les ancêtres les plus chers et les plus sacrés de la famille.
Les deux amis pénétrèrent dans le bureau, puis dans la salle des archives avec une grande marque de respect et de recueillement.
Dans un coin étalent disposés en bon ordre de nombreux parchemins et papyrus, tandis que dans les galeries abondaient des portraits en cire d'ancêtres et de parents de la famille.
Publius Lentulus avait les yeux larmoyants et la voix tressaillante, il était dominé par de fortes émotions. Il s'approcha d'une image en cire, parmi toutes celles qui s'alignaient là et en quelques mots, attira l'attention de Flaminius :
Tu le reconnais ?
Oui - répondit son ami frémissant -, je reconnais cette effigie. Il s'agit de Publius Lentulus Sura, ton arrière grand-père paternel, étranglé il y a presque un siècle pendant la conjuration de Catilina.
Cela fait précisément quatre-vingt-quatorze ans que le père de mon grand-père a été éliminé dans ces terribles circonstances - s'exclama Publius avec emphase, comme s'il détenait la vérité. - Observe bien les traits de ce visage et tu pourras constater la ressemblance parfaite qui existe entre ce lointain ancêtre et moi. La clé de mon pénible rêve ne serait-elle pas là ?
Le noble patricien remarqua l'évidente similitude des traits physionomiques de cette effigie avec le visage de son ami présent. Il était au comble de l'incertitude face à ces démonstrations hallucinantes. Il allait élucider le sujet, prônant la question de la lignée et de l'hérédité, mais comme s'il devinait tous ses doutes, son interlocuteur anticipa sur lui en s'exclamant :
Moi aussi je suis passé par toutes les hésitations qui troublent ton raisonnement, à lutter contre le bon sens avant d'accepter l'hypothèse de notre conversation de ce soir. La ressemblance, aussi grande soit-elle, est naturelle et possible ; ceci, pourtant, ne me satisfaisait pas complètement. J'ai donc envoyé ces jours-ci l'un de nos esclaves à Taormina où nous possédons une vieille habitation à proximité ; c'est là que les archives du défunt, que j'ai fait transporter jusqu'ici, étaient conservées.
Visiblement sûr de ce qu'il avançait, il agita dans ses mains nerveuses quelques documents et s'exclama :
Regarde ces papyrus ! Ce sont des notes de mon arrière grand-père sur ses projets au consulat. Dans tous ces parchemins, j'ai trouvé consignés divers actes de condamnation à mort que j'avais déjà remarqués dans les digressions de mon rêve inexplicable... Compare l'écriture ! Ne ressemble-t-elle pas à la mienne ? Que nous faut-il de plus que ces preuves calligraphiques ? Depuis plusieurs jours, je vis cet obscur dilemme... Serais-je Publius Lentulus Sura, réincarné ?
Flaminius Sévérus pencha sa tête en avant avec une évidente inquiétude et une indicible amertume.
Nombreuses étaient les preuves de lucidité et de logique de son ami. Tout contribuait à ce que son château d'explications s'écroulât avec fracas face aux faits accomplis, mais sauvegardant les croyances et les traditions de leurs aïeux, il ne se laissa pas abattre et essaya d'éclairer l'esprit d'un compagnon de si longue date.
Mon ami - murmura-t-il en l'étreignant -, je comprends ta réaction face à ces événements hallucinants qui enflammeraient l'esprit le plus insensible, mais nous ne pouvons compromettre notre intégrité en suivant nos présomptions. Si tout cela semble être réel, il est des réalités tangibles et immédiates qui exigent de notre part des réactions imminentes. Considérant tes pondérations et croyant même en la véracité du phénomène, je ne crois pas qu'il faille plonger notre raisonnement dans ces sujets mystérieux et transcendants. Je suis hostile à ces rétrospections, certainement en vertu de mes expériences dans la vie pratique. Même si d'une manière générale, J'adhère à ton point de vue, je te conseille de ne pas en parler autour de toi, et malgré l'acuité des concepts qui témoignent de ta lucidité, je te sens fatigué et abattu dans ce tourbillon de travaux liés à ton milieu domestique et social.
Tout en réfléchissant, il fit une pause ; il cherchait un moyen efficace de remédier à la situation, puis suggéra avec douceur :
Tu pourrais faire un séjour en Palestine avec ta famille et t'y reposer.
Il existe là-bas des régions au climat exquis qui permettrait peut-être la guérison de ta fille et t'aiderait en même temps à reprendre des forces. Qui sait ? Tu oublierais sans doute le tumulte de la ville et reviendrait plus tard parmi nous dans de meilleures dispositions. L'actuel procurateur de Judée est notre ami. Tu pourrais ainsi résoudre différents problèmes d'ordre personnel tout en conservant tes fonctions. D'autant qu'il ne me serait pas difficile d'obtenir de l'Empereur une dispense à tes travaux au Sénat pour que tu continues à percevoir les subsides de l'État, tant que tu serais en Judée. Qu'en penses-tu ? Tu pourrais partir tranquille car je prendrais à ma charge la direction de toutes tes affaires à Rome en veillant à tes intérêts et sur tes propriétés.
Publius laissa transparaître dans son regard une lueur d'espoir, et comme s'il analysait ce projet sous tous ses angles, il dit :
L'idée est providentielle et généreuse, mais la santé de Livia ne m'autorise pas à prendre une décision immédiate et définitive.
Pourquoi ?
Nous attendons pour bientôt, notre deuxième enfant.
Et quand doit-il naître ?
Dans six mois.
Ce voyage t'intéresserait-il après l'hiver prochain ? -Oui.
Très bien, tu seras donc en Judée dans un an précisément.
Les deux amis reconnurent que leur entretien avait été long.
L'averse avait cessé. Le firmament épuré resplendissait de constellations limpides.
La circulation des charrettes bruyantes recommençait déjà, accompagnées des cris hargneux des conducteurs, car dans la Rome impériale, les heures du jour étaient exclusivement réservées au trafic des palanquins, des patriciens et des piétons.
Ému, Flaminius prit congé de son ami, puis remonta dans une litière somptueuse portée par des esclaves prestes et herculéens.
Dès qu'il fut seul, Publius Lentulus se dirigea vers la terrasse où soufflaient les brises de la nuit avancée.
À la lueur d'un somptueux clair de lune, il contempla le quartier romain qui s'étendait sur les collines sacrées de la cité glorieuse. Il étendit son regard au paysage nocturne et songeant aux problèmes profonds de la vie et de l'âme, il laissa pencher sa tête en avant, accablé. Une incoercible mélancolie dominait son esprit volontaire et sensible, tandis qu'un souffle d'amour-propre et d'orgueil étouffait les larmes de son cœur tourmenté par d'angoissantes pensées.
UN ESCLAVE
Dès début de l'Empire, la femme romaine s'était livrée aux distractions et au luxe excessif, au détriment des obligations sanctifiantes du foyer et de la famille.
La facilité avec laquelle il était possible d'acquérir des esclaves employés pour les services les plus rudes comme aux tâches les plus élevées d'ordre domestique, éducationnel et en matière d'instruction, avait fortement ébranlé l'équilibre moral des familles patriciennes. De plus, la propagation des articles de luxe venus d'Orient, associée à l'oisiveté, avait réduit les efforts et le travail des matrones romaines, les tournant vers les frivolités vestimentaires et les intrigues amoureuses, préludant de la plus complète désorganisation familiale dans l'oubli des traditions les plus remarquables.
Cependant, quelques foyers avaient résisté héroïquement à cette invasion de forces perverses et dévastatrices.
À cette époque, certaines femmes étaient fières des anciennes vertus familiales ; elles honoraient celles qui les avalent précédées et qui avaient créé des générations d'âmes sensibles et nobles.
Les épouses de Publius et de Flaminius étalent de ce nombre. Intelligentes et valeureuses, toutes deux fuyaient la vague dépravante de leur époque, et représentaient deux modèles de bon sens et de simplicité.
Les dernières traces de l'hiver de l'an 32 avaient déjà disparu. La terre printanière et épanouie se répandait en un immense jardin de fleurs et de parfums...
Par une belle journée claire et ensoleillée, Livia était chez elle à converser aimablement avec Calpurnia, pendant que deux jeunes garçons dessinaient distraitement dans un coin de la pièce.
Les deux femmes faisaient des préparatifs de voyage, retouchaient les défauts de quelques pièces en laine et échangeaient des impressions à mi-voix sur un ton amical et discret.
À un moment donné, alors que les deux garçons étalent en train de jouer dans une pièce contiguë, Livia attira l'attention de son amie en ces termes :
Tes petits ne font pas leurs exercices coutumiers, aujourd'hui ?
Non, ma bonne Livia - répondit Calpurnia avec délicatesse, devinant ses intentions -, non seulement Pline mais aussi Agrippa consacrent leur journée à ta petite malade. Je comprends tes appréhensions et tes scrupules maternels concernant la bonne santé de nos enfants ; mais tes craintes sont sans fondement...
Les dieux savent pourtant comment j'ai vécu ces derniers temps, depuis que le médecin de Tibur m'a donné son avis franc et sincère. Tu sais bien que pour lui, le cas de ma fille est un mal douloureux et sans remède. Depuis, ma vie est une succession d'inquiétudes et de martyres. J'ai pris toutes les mesures possibles pour que la petite soit isolée du cercle de nos relations, répondant nous-mêmes aux impératifs d'hygiène et au besoin de circonscrire cette terrible maladie.
Mais qui te dit que ce mal est incurable ? Un tel diagnostic procéderait-il de la parole infaillible des dieux ? Ne sais-tu pas combien la science des hommes est trompeuse ?
Il y a quelques temps, mes deux fils sont tombés malades et furent pris d'une fièvre insidieuse et violente. J'ai fait appel à plusieurs médecins que j'ai vus défiler dans le but de sauver mes deux enfants, sans résultats appréciables. Alors j'ai réfléchi à la providence des cieux et, immédiatement, j'ai fait un sacrifice au temple de Castor et Pollux, les sauvant d'une mort certaine. Grâce à cette attention, je les vois aujourd'hui souriants et heureux.
Maintenant que tu as non seulement la petite Flavia, mais aussi le petit Marcus, je te conseille d'en faire autant et de recourir aux dieux jumeaux.
Tu as raison, ma bonne Calpurnia, je le ferai avant notre prochain départ.
À ce propos, comment te sens-tu face à ce soudain changement ?
Tu sais bien que je ferais n'importe quoi pour la tranquillité de Publius et pour notre bonheur conjugal. Depuis quelques temps, je le sens abattu et fatigué de ses luttes épuisantes au service de l'État. De nature joviale et expansive, il est devenu taciturne et irritable. Il s'énerve pour tout et contre tout, j'en arrive à penser que la santé précaire de notre fille contribue de façon déterminante à sa misanthropie et à sa mauvaise humeur.
Face à cela, je suis tout à fait disposée à l'accompagner en Palestine, même si cela me coûte au fond d'être contrainte, bien que temporairement, à m'éloigner de ta compagnie et de tes conseils.
Je suis heureuse de te l'entendre dire car nous avons pour devoir de veiller aux besoins de celui que notre cœur a élu pour compagnon de vie, en nous efforçant de soulager ses tourments.
Publius a bon cœur, il est généreux et idéaliste, mais en tant que patricien descendant d'une famille des plus illustres de la République, il est vaniteux à l'excès. Des hommes de cette nature demandent de leur épouse une grande acuité psychologique ; il est donc indispensable que tu manifestes une parfaite similitude de sentiments, de manière à toujours le guider sur le meilleur chemin.
Flaminius m'a fait part des circonstances de ton séjour en Judée, mais il y a quelques détails que je ne connais pas encore. Resteras-tu vraiment à Jérusalem ?
Oui. Publius souhaite que nous séjournions chez son oncle Salvius à Jérusalem, jusqu'à ce que nous trouvions le meilleur climat pour la santé de notre fille.
Très bien - lui fit Calpurnia, prenant un air plus discret -, face à ton manque d'expérience, je me vois dans l'obligation de t'éclairer quant à la possibilité de complications futures.
Livia, toute ouïe, fut surprise par la remarque de son amie ; impressionnée, elle rétorqua :
Mais que veux-tu dire par là ?
Je sais que tu ne connais que très peu la famille de ton mari qui, depuis longtemps, est absente de Rome -murmura Calpurnia avec beaucoup de sensibilité - et en tant qu'amie, je dois te conseiller de ne pas te conduire avec une confiance excessive là où tu iras.
Il y a plusieurs années de cela, le prêteur Salvius Lentulus fut écarté du gouvernement des provinces et il n'assume plus maintenant que de simples attributions de fonctionnaire auprès de l'actuel procurateur de Judée. Il n'est pas vraiment comme ton mari qui, même s'il a certains défauts de famille, est un esprit droit et sincère. Tu étais encore très jeune quand eurent lieu des événements déplorables au sein de notre entourage et qui concernent les personnes que tu vas bientôt côtoyer.
L'épouse de Salvius, qui doit être encore jeune et bien conservée, est la sœur de Claudia, femme de Pilate, à qui ton mari est recommandé au sein de la haute administration de la province.
À Jérusalem, tu vas trouver que tous ces gens ont des coutumes bien différentes des nôtres et tu dois te dire que tu vas fréquenter des créatures sournoises et dangereuses.
Nous n'avons pas le droit de réprouver les actes de quiconque, si ce n'est en présence de ceux que nous considérons coupables ou passibles de récriminations, mais je dois te prévenir que l'Empereur, acculé, dut envoyer ces gens servir à l'étranger, face aux graves affaires personnelles survenues au sein même de la cour.
Que les dieux me pardonnent ces commentaires faits en leur absence, mais en tant que Romaine et femme de sénateur encore jeune, des hommages te seront rendus par nos lointains compatriotes que tu recevras en société comme des bouquets de rosés pleines de parfum, mais aussi pleines d'épines.
Livia, qui écoutait son amie à la fois étonnée et songeuse, s'exclama d'une voix discrète comme si elle voulait dissiper un doute :
Mais, le prêteur Salvius n'est-il pas un homme âgé?
Tu te trompes. Il est un peu plus jeune que Flaminius, mais son élégance d'homme du monde donne à sa personnalité une fïère allure.
Comment pourrais-je mener à bien mes devoirs, si je suis cernée par ces perfidies sociales, si communes à notre époque, sans aggraver le moral de mon mari ?
Ayons confiance en la protection divine - murmura Calpurnia, laissant transparaître la foi magnifique de son cœur maternel.
Mais elles ne purent poursuivre leur conversation. Un bruit fort annonçait l'approche de Publius et de Flaminius qui traversaient le vestibule à leur recherche.
Alors ? - s'exclama Flaminius de bonne humeur en passant la porte avec un sourire malicieux. - Entre la couture et la causerie, la réputation de quelqu'un doit souffrir dans cette pièce car mon père disait déjà qu'une femme seule pense toujours à sa famille ; mais si elle est en compagnie, elle pense bien vite... aux autres.
Un rire franc et général couronna ses joyeuses paroles, tandis que Publius s'exclama d'un air satisfait :
Sois sans crainte, ma LMa, car tout est prêt et à notre entière convenance. L'Empereur nous offre généreusement son aide et a transmis directement des ordres pour que dans trois jours une galère nous attende dans les environs d'Ostie pour que nous fassions un voyage tranquille.
Livia sourit satisfaite et réconfortée, tandis que de la chambre de la petite Flavia sortaient deux visages rieurs ; alors que Flaminius s'apprêtait à recevoir dans ses bras ses deux garçons en même temps.
Venez ici, illustres fripons ! Pourquoi avez-vous déserté vos cours, hier ? J'ai reçu aujourd'hui une plainte du gymnase en ce sens et je suis très contrarié par votre comportement...
L'air dépité, Pline et Agrippa entendirent ce reproche ; alors que le plus âgé répondit avec humilité :
Mais, papa, ce n'est pas de ma faute. Comme vous le savez, Pline a fui les exercices, m'obligeant à sortir à sa poursuite.
Et tu n'as pas honte, Agrippa - s'exclama Flaminius paternellement -, ton âge ne te permet plus de participer aux enfantillages de ton frère.
À cet instant, Calpurnia intervint pour calmer les esprits :
Voilà qui est juste, mais nous devrons résoudre ce problème à la maison car l'heure n'est pas aux discussions entre père et fils.
Les deux garçons baisèrent la main de leur mère comme pour la remercier de son intervention affectueuse et quelques minutes plus tard les deux familles prenaient congé, alors que Flaminius faisait la promesse d'accompagner ses amis jusqu'à Ostie, située à proximité de l'embouchure du Tibre, le jour de l'embarquement.
Après des heures d'affairement et de préparatifs, les Lentulus embarquèrent sur une galère somptueuse et confortable, amarrée dans les eaux d'Ostie où il n'existait pas encore les constructions du port qui furent édifiées plus tard par Claude.
Pline et Agrippa aidaient à installer la petite malade à l'intérieur, encouragés par leurs parents qui les préparaient de bonne heure aux délicatesses de la vie sociale. Pendant ce temps, Calpurnia et Livia donnaient des ordres à une servante pour accommoder le petit
Marcus. Non loin de là, Publius et Flaminius échangeaient des idées, et ce dernier faisait des recommandations à son ami sur un ton confidentiel ;
Tu sais que les sujets dominés par l'Empire éprouvent souvent à notre égard du mépris et de la Jalousie, nous obligeant à ne jamais démériter de notre position de patriciens.
D'après mes connaissances personnelles, certaines régions de la Palestine sont infestées de malfaiteurs et il est nécessaire de te mettre en garde contre eux, principalement sur la route qui mène à Jérusalem. Dès que tu débarqueras avec ta famille, prends avec toi le plus grand nombre d'esclaves pour vous protéger toi et les tiens, dans l'hypothèse d'une attaque et n'hésite pas à punir avec sévérité et rudesse.
Publius reçut cette exhortation avec sollicitude et quelques minutes plus tard, ils se dirigeaient tous deux vers l'intérieur de la nef où le voyageur interpella le chef de bord :
Alors, Aulus, tout est prêt ?
Oui, Illustrissime. Nous n'attendons plus que vos ordres pour le départ. Quant à l'équipage, il n'y a pas lieu de vous inquiéter car j'ai choisi avec soin les meilleurs Carthaginois pour le service des rames.
Alors vinrent les derniers adieux. Les larmes aux yeux, les deux dames s'étreignirent pleines de tendresse et d'affection, tandis qu'elles se promettaient de ne jamais s'oublier et demandaient la protection des dieux pour la tranquillité de tous.
Après d'émouvantes embrassades, la somptueuse galère où flottait fièrement le pavillon de l'aigle romain larguait les amarres au souffle des douces brises marines. Les vents et les dieux étaient favorables car rapidement au rythme des puissants coups de rames, grâce à l'effort herculéen des esclaves, les voyageurs contemplaient de loin la côte verdoyante italienne, avançant sur l'eau vers les étendues insondables de l'infini.
Le voyage se déroulait dans le plus grand calme et avec beaucoup de sérénité.
Malgré la beauté et la nouveauté des paysages pendant la traversée en Méditerranée, Publius Lentulus réfléchissait à la monotonie de ses tâches dans la vie romaine et aux nombreux procès de l'État ; il avait le cœur ombrageux. En vain, son épouse avait cherché à approcher son esprit irrité en essayant d'aborder des questions délicates d'ordre familial afin de connaître et d'apaiser ses profondes contrariétés. Il avait le sentiment qu'il s'acheminait vers des émotions décisives dans le dénouement de son existence. Il connaissait une partie de l'Asie car dans sa jeunesse, il avait servi pendant un an l'administration de Smyrne afin de mieux intégrer les mécanismes des travaux d'État, mais il ne connaissait pas Jérusalem où il était attendu en tant que légat de l'Empereur pour résoudre divers problèmes d'ordre administratif auprès du gouvernement de la Palestine.
Comment trouverait-il l'oncle SaMus, plus jeune que son père ? Cela faisait des années qu'il ne l'avait pas vu personnellement ; il était à peine plus vieux que lui. Et cette Fulvia frivole et capricieuse qui avait entraîné son oncle dans le tourbillon de ses nombreux scandales, se rendant presque indésirable au sein de la famille ? Il se souvenait des moindres détails du passé, mais s'abstenait de faire part à sa femme de ses pénibles expectatives. Il songeait également à la situation de son épouse et à celle de ses deux enfants, et envisageait avec anxiété les premiers obstacles à leur séjour en Judée en qualité de patriciens, mais aussi en tant qu'étrangers, se disant que les relations qui les attendaient étaient problématiques.
Entre ses appréhensions et les prières de sa femme, la traversée en Méditerranée touchait à sa fin, lorsque Publius attira l'attention de son fidèle serviteur en ces termes :
Coménius, d'ici peu nous serons aux portes de Jérusalem, mais avant cela, nous devrons faire un bout de chemin à pied après notre point de débarquement. Il faudra nous montrer très vigilant pour acheminer ma famille. Quelques représentants de l'administration de Judée seront présents, mais nous serons bien évidemment guidés par tes soins car nous nous trouverons dans une région qui m'est inconnue et étrangère. Rassemble tous les serviteurs sous tes ordres afin de garantir notre entière sécurité en chemin.
Seigneur, vous pouvez compter sur notre vigilance et notre dévouement - répondit le serviteur poli et respectueux.
Le lendemain, Publius Lentulus et sa suite débarquaient dans un petit port de la Palestine, sans incidents majeurs.
En plus du légat du procurateur, quelques licteurs et de nombreux soldats prétoriens, commandés par Sulpicius Tarquinius, dûment armés pour un voyage tranquille et confortable sur la route de Jérusalem, les attendaient.
Après s'être reposée, la caravane qui se mit en route ressemblait davantage à une expédition militaire qu'au transport d'une simple famille par les relais de repos qui jalonnaient son chemin.
Les armures des chevaux, les casques romains étincelant au soleil, les tenues extravagantes, les palanquins décorés, les animaux de traction et les véhicules lourds de bagages donnaient l'impression d'une expédition triomphale, bien que pressée et silencieuse.
La caravane arrivait à destination quand à proximité de Jérusalem, un incident se produisit. Un objet sifflant fendit l'air et vint se loger dans le palanquin du sénateur. On entendit alors un cri de douleur strident. Une minuscule pierre avait légèrement blessé le visage de Livia, provoquant une grande agitation parmi les nombreux serviteurs et cavaliers. Entre les voitures et les animaux qui s'arrêtèrent surpris, de nombreux esclaves encerclèrent leurs maîtres cherchant précipitamment à s'enquérir du fait. D'un clin d'œil, Sulpicius Tarquinius partit au galop pour arrêter un jeune qui s'enfuyait en bordure de chemin, effrayé. Coupable ou non, ce fut ce jeune de dix-huit ans qui fut présenté aux voyageurs pour la punition requise.
Publius Lentulus se souvint de la recommandation de Flaminius, quelques minutes avant son départ et contenant ses meilleurs sentiments de tolérance et de générosité, il décida de laisser influer sa position et son autorité aux yeux de ceux qui auraient à le suivre pendant son séjour dans ce pays étranger.
Publius ordonna aux licteurs qui l'accompagnaient de prendre des mesures immédiates et, à cet endroit même, à la clarté ardente d'un soleil de plomb, sous le regard épouvanté de quelques dizaines d'esclaves et de nombreux centurions, il décida de faire fouetter sans pitié le Jeune homme pour son étourderie.
La scène était désagréable et pénible.
Tous les serviteurs accompagnaient, affligés, les coups de fouet sur le dos à demi-nu de cet homme encore Jeune qui gémissait en sanglots sous les coups despotiques et cruels. Personne n'osa contrarier les ordres Impitoyables jusqu'à ce que Livia ne pouvant supporter plus longtemps la rudesse du spectacle, demanda à son époux d'une voix suppliante :
- Ça suffit, Publius, les droits de notre condition ne sont pas synonymes de manque de
pitié...
Le sénateur modéra alors sa sévérité excessive et rigoureuse et ordonna la suspension de la pénible punition, mais lorsque Sulpicius demanda quel serait le sort du malheureux, il fit sur un ton dur et irrité :
-Aux galères !...
Les personnes présentes frémirent car les galères signifiaient la mort ou l'esclavage à
vie.
Inerte, le malheureux se retenait aux mains des centurions qui l'entouraient, mais en entendant ces deux mots de sentence condamnatoire, il jeta sur son juge orgueilleux un regard de haine et de profond mépris. Au fond de son âme fulminaient des foudres de vengeance et de colère ; mais la caravane se remit en route entre le bruit des voitures chargées et le tintement des armures, au rythme des chevaux fougueux et agités.
L'arrivée à Jérusalem se fit sans autres faits majeurs.
Le nouvel environnement et la diversité des habitants impressionnèrent les voyageurs dès leur premier contact avec la cité dont l'aspect fut toujours le même le long des siècles, à de rares changements près, triste et désolé, en prélude aux paysages arides du désert.
Pilate et sa femme étaient présents aux solennités pour recevoir le sénateur qui allait incarner la loi et l'autorité en tant que légat de Tibère auprès de l'administration de la province.
Salvius Lentulus et son épouse, Fulvia Procula, reçurent leurs parents avec apparat et prodigalité. De nombreux hommages furent rendus à Publius Lentulus et à LMa, mais peut- être en raison des avertissements de Calpurnia ou par acuité psychologique, LMa reconnut rapidement que dans ce milieu, ne palpitaient pas les coeurs généreux et sincères de ses amis de Rome et ressentait au fond une pénible sensation d'amertume et d'angoisse. Mais elle constata avec satisfaction que sa petite Flavia allait mieux malgré le voyage éreintant. En même temps, elle souffrait de voir que Fulvia n'aurait pas une grandeur de cœur suffisante pour toujours les accueillir avec affection et bonté. Elle avait aussi observé qu'en lui présentant sa petite fille malade, la patricienne vaniteuse avait eu un mouvement instinctif de recul, éloignant d'eux sa petite Aurélia, fille unique du couple, et avait présenté des excuses inacceptables. Il avait suffi d'une journée dans cet étrange foyer pour que la pauvre femme comprenne l'extension des tourments qui l'attendaient en ces lieux, mesurant les sacrifices que la situation exigerait de son cœur sensible et aimant.
Et ce n'était pas seulement le cadre familial avec ses détails impressionnants qui torturaient son esprit assailli par des expectatives poignantes. Au moment même où Ponce Pilate lui fut présenté, elle ressentit au fond d'elle-même qu'elle venait de rencontrer un ennemi rude et puissant.
Des forces inconnues du monde invisible parlaient à son cœur de femme comme si des voix de l'au-delà préparaient son esprit aux épreuves particulièrement âpres des jours à venir. Symbole du sanctuaire du foyer et de la famille dans sa spiritualité, la femme peut très souvent, à une simple réflexion, percer les mystères insondables des caractères et des âmes derrière le voile épais et sombre des réincarnations successives et douloureuses.
À l'inverse de sa compagne, Publius Lentulus n'avait pas éprouvé les mêmes émotions. Ce nouvel environnement avait quelque peu modifié ses dispositions et il se sentait moralement réconforté face à la tâche qu'il aurait à accomplir dans le nouveau cadre de ses activités d'homme d'État.
Deux jours après leur arrivée, dès qu'il fut revenu de sa première visite aux installations de la tour Antonia où se cantonnaient les contingents des forces romaines et où il observa l'ardeur des casuistes et des docteurs au célèbre Temple de Jérusalem, il reçut la visite d'un homme humble et relativement jeune n'ayant pour seule lettre de créance qu'un cœur de père affligé et aimant.
Obéissant plus aux impératifs d'ordre politique qu'à des sentiments de générosité, le sénateur rompit avec l'étiquette du moment en le recevant dans son cabinet privé, prêt à l'entendre.
Un Juif, à peine plus âgé que lui, dans une attitude d'humilité respectueuse et s'exprimant avec difficulté, lui parla en ces termes pour se faire comprendre :
Très illustre sénateur, je suis André, fils de Gioras, un ouvrier modeste et très pauvre, même si de nombreux membres de ma famille ont des attributions importantes au Temple et dans l'exercice de la Loi. J'ose venir à vous réclamer mon fils Saul, emprisonné depuis trois jours, sous vos ordres et envoyé directement en captivité perpétuelle aux galères... Je supplie votre clémence et votre charité de réviser cette sentence qui a de terribles effets sur la stabilité de mon foyer... Saul est mon ainé et je porte en lui tous mes espoirs de père... Je reconnais son manque d'expérience de la vie et je ne viens pas l'innocenter de sa faute, mais faire appel à votre bienveillance et à votre magnanimité vu son ignorance de jeunesse. Et je vous jure sur la loi, de le conduire désormais sur le chemin du devoir rigoureusement accompli...
Publius se souvint alors du besoin de faire sentir l'autorité de sa position et répondit avec l'orgueil propre à ses résolutions :
Comment oses-tu discuter mes décisions quand j'ai conscience d'avoir exercé la justice ? Je ne peux changer mes délibérations et je suis surpris qu'un Juif mette en doute l'ordre et la parole d'un sénateur de l'Empire en formulant des réclamations de cette nature.
Mais, Seigneur, je suis père...
Si tu l'es, pourquoi as-tu fait de ton fils un vagabond et un vaurien ?
Je n'arrive pas à comprendre les raisons qui ont amené mon pauvre Saul à se comporter de cette manière, mais je vous jure qu'il est le bras droit de mes travaux de chaque jour.
Je n'ai pas à apprécier les raisons qui sont les tiennes, mais sache que j'ai donné ma parole irrévocablement.
André de Gioras regarda Publius Lentulus de haut en bas, blessé dans sa sensibilité de père et dans ses sentiments d'homme, ivre de douleur et de colère réprimée. Ses yeux larmoyants trahissaient toute son angoisse, et face à ce refus formel et sans appel, méprisant toutes les règles, il dit avec une orgueilleuse fermeté :
Sénateur, je suis descendu de ma dignité pour implorer votre compassion, et j'accepte votre refus ignominieux !...
Par dureté de cœur, vous venez de vous faire un ennemi éternel et implacable !... Avec vos pouvoirs et vos prérogatives, vous pouvez m'éliminer à jamais en me réduisant à la captivité ou en me condamnant à une mort infâme, mais je préfère affronter votre orgueilleuse arrogance... Vous venez de planter un arbre d'épines dont le fruit, un jour, aigrira sans remède votre cœur dur et insensible car ma vengeance peut tarder mais tout comme votre âme inflexible et froide, elle sera aussi indéfectible et ténébreuse !...
Le Juif n'attendit pas la réponse de son interlocuteur amèrement touché par la véhémence de ces propos, et sortit de la pièce d'un pas ferme, la tête haute, comme s'il avait obtenu les meilleurs résultats à son entrevue courte et décisive.
Mêlés d'orgueil et d'anxiété, Publius Lentulus ressentit en cet instant les sentiments les plus divers dominer son cœur. Il aurait voulu ordonner l'emprisonnement immédiat de cet homme qui lui avait jeté au visage les plus dures vérités, et il éprouvait simultanément le désir de le rappeler et de lui promettre le retour de son fils bien-aimé qu'il protégerait par son prestige d'homme d'État ; mais sa voix se perdit dans sa gorge, prise d'émotions qui volaient à nouveau sa paix et sa sérénité. Une douloureuse oppression paralysa ses cordes vocales, tandis que dans son cœur angoissé résonnaient encore ses paroles ardentes et cruelles.
Une suite de réflexions accablantes lui vint à l'esprit, dénonçant ses puissants conflits intérieurs. N'était-il pas père lui aussi et ne cherchait-il pas à garder ses enfants près de son cœur ? Cet homme avait toutes les raisons de penser qu'il était injuste et pervers.
Il se rappela le rêve inexplicable qu'il avait relaté à Flaminius qui était la cause indirecte de sa venue en Judée. Il songea aux larmes de repentir qu'il avait versées au contact du tourbillon des souvenirs pernicieux de son existence passée, face à tant de crimes et de subterfuges.
Il quitta son cabinet avec en tête la solution à cette question et ordonna qu'on lui amena le jeune Saul avec l'urgence que ce cas exigeait, afin de le renvoyer chez lui, modifiant ainsi les tristes impressions qu'il avait causées au pauvre André. Ses ordres furent exécutés sans délais ; néanmoins, une désagréable surprise l'attendait avec les renseignements fournis par les fonctionnaires à qui incombait l'accomplissement de cette tâche.
Le jeune Saul avait disparu, laissant croire à une évasion désespérée et fortuite. Les informations furent transmises à l'autorité supérieure, sans que Publius Lentulus sache que les mauvais serviteurs de l'État négociaient très souvent les jeunes prisonniers avec d'ambitieux marchands d'esclaves qui opéraient dans les centres les plus populeux de la capitale du monde.
Informé du fait que le prisonnier s'était évadé, le sénateur sentit sa conscience soulagée des accusations qui pesaient sur lui. Après tout, se dit-il, il s'agissait d'un cas de moindre importance puisque le jeune, loin du cachot, retournerait immédiatement chez son père ; et pour consolider sa tranquillité, il donna des ordres aux chefs du service de sécurité, leur recommandant de s'abstenir de poursuivre le fugitif, à qui l'on donnerait le moment opportun venu, la grâce de la loi.
Toutefois, le chemin de Saul fut tout autre.
Dans presque toutes les provinces romaines agissaient de terribles groupes de malfaiteurs qui, vivant dans l'ombre de la machine de l'État, s'étaient transformés en marchands d'âmes.
Le jeune Juif, dans sa jeunesse saine et prometteuse avait été victime de ces individus pervers. Vendu clandestinement à de puissants marchands d'esclaves de Rome, en compagnie de nombreux autres, il fut embarqué dans l'ancien port de Joppé, à destination de la capitale de l'Empire.
Anticipant la chronologie de notre récit, nous allons le retrouver quelques mois plus tard se tenant debout sur une grande estrade, près du Forum, où étaient alignés dans une affligeante promiscuité des hommes, des femmes et des enfants, presque tous dans des conditions misérables de nudité, portant chacun d'eux une petite plaque accrochée au cou. Les yeux fulminant de vengeance, Saul se trouvaient là, à moitié nu, un bonnet en laine blanche sur la tête, les pieds nus légèrement couverts de plâtre.
Dans cette masse de créatures infortunées, allait et venait un homme à l'air abject et répugnant qui s'exclamait d'une voix criarde à la foule de curieux qui l'entourait :
Citoyens, ayez la bonté d'apprécier... Comme vous le savez, je ne suis pas pressé d'écouler ma marchandise car je ne dois rien à personne, mais je suis là pour servir les illustres Romains !...
Et s'arrêtant à l'examen de tel ou tel malheureux, il poursuivait son harangue grossière et insultante :
Voyez ce jeune !... C'est un superbe exemple de santé, de sobriété et de docilité. Il obéit au doigt et à l'œil. Observez attentivement la qualité de sa chair ferme. Aucune maladie ne pourra avoir d'emprise sur son organisme.
Regardez bien cet homme ! Il parle couramment grec et il est bien constitué de la tête aux pieds !...
Avec sa véhémence de commerçant véreux, il poursuivait sa propagande individuelle face à une foule d'acheteurs qui le harcelaient. Puis vint le tour du jeune Saul, qui laissait transparaître dans son apparence misérable toute sa rage et sa colère :
Regardez bien ce garçon ! Il vient d'arriver de Judée, c'est le plus beau spécimen de simplicité et de santé, d'obéissance et de force. C'est l'un des plus riches échantillons de mon lot d'aujourd'hui. Voyez sa jeunesse, illustres Romains !... Je vous le donnerai au modeste prix de cinq mille sesterces !...
Le jeune esclave dévisagea le marchand, l'âme bouillonnante de haine, il nourrissait en son for intérieur les promesses les plus cruelles de vengeance. Ses traits juifs impressionnèrent la foule présente ce matin-là ; sa personne intéressante et fort originale suscita un élan de curiosité.
Un homme se détacha de l'attroupement, et se dirigea vers le négociant à qui il s'adressa à demi-voix, en ces termes :
Flacus, mon maître, a besoin d'un jeune élégant et fort pour les biges de ses enfants. Ce garçon m'intéresse. Tu n'en donnerais pas quatre mille sesterces ?
Soit - murmura l'autre sur un ton d'affaires -, mon intérêt est de bien servir mon illustre clientèle.
Valérius Brutus était l'acheteur, chef des services domestiques de Flaminius Sévérus, qui l'avait chargé d'acquérir un esclave jeune et robuste pour le service des biges de ses fils, les grands jours de fêtes à Rome.
Ce fut ainsi qu'ivre de sentiments ignobles et déplorables, Saul, le fils d'André, fut introduit par la force des circonstances auprès de Pline et d'Agrippa, dans la résidence de la famille Sévérus, au cœur de Rome, pour la misérable somme de quatre mille sesterces.
CHEZ PILATE
La sécheresse de la nature, où se dresse Jérusalem, confère à la célèbre ville une beauté mélancolique touchée d'une poignante monotonie.
À l'époque du Christ, le décor était déjà celui que l'on peut observer de nos jours. Seule la colline de Miçpa, avec ses traditions douces et belles, révélait un site vert et Joyeux où le regard du voyageur pouvait se reposer loin de l'aridité et de l'ingratitude des paysages.
Cependant, à l'époque du séjour de Publius Lentulus et de sa famille, Jérusalem affichait les nouveautés et les splendeurs d'une vie nouvelle. Les constructions hérodiennes se multipliaient aux alentours, dévoilant un nouveau sens esthétique, Israélite en partie. La prédilection pour les monolithes taillés dans la pierre brute, caractéristique à l'ancien peuple hébreu, avait été remplacée par les adaptations de l'art juif aux normes grecques, rénovant le paysage intérieur de la célèbre ville. Mais le Temple était son plus beau bijou, flambant neuf à l'époque de Jésus. Sa reconstruction fut une décision d'Hérode, en l'an 21. Les porches ne furent édifiés qu'au bout de huit années, quant au reste des travaux de cette œuvre grandiose, ils se poursuivirent lentement au fil du temps et ne furent finalement achevés que peu de temps avant sa complète destruction.
Sur les immenses parvis où se trouvaient le forum, l'université, le tribunal et le Temple suprême de toute une race, l'aristocratie de la pensée Israélite se réunissait là quotidiennement.
Le Temple imposant et grandiose concentrait toutes les ambitions et toutes les activités d'une patrie, c'est ainsi que les discussions délicates d'ordre théologique, tout comme les procédures civiles recevaient, en ces lieux, leur ultime verdict.
Les Romains, qui respectaient la philosophie religieuse des peuples étrangers, ne participaient ni aux thèses subtiles, ni aux sophismes débattus et examinés tous les jours ; mais la tour Antonia, où se cantonnaient les forces armées de l'Empire, dominait l'enceinte, facilitant la surveillance constante des allées et venues des prêtres et l'agitation des masses populaires.
Après l'incident du prisonnier qu'il continuait à considérer comme un épisode sans importance, Publius
Lentulus retrouvait une certaine sérénité pour faire face à ses obligations quotidiennes. Les aspects arides de Jérusalem avaient à ses yeux las, un nouvel enchantement où sa pensée se reposait des fatigues nombreuses et intenses de Rome.
Quant à Livia, vu la pauvreté d'esprit de son entourage, elle gardait son cœur tourné vers ses amitiés lointaines. Mais comme par miracle, la petite Flavia allait mieux. On pouvait observer une remarquable transformation des plaies qui couvraient son épiderme. Cependant, Fulvia, qui ne lui pardonnait pas sa charmante simplicité et les dons précieux de son intelligence, avec ses attitudes hostiles ne perdait jamais l'occasion de lui jeter au visage des petites allusions parfois ironiques et mordantes, la tourmentant et étourdissant son esprit plongé dans un tourbillon d'expectatives hallucinantes. Son mari n'était pas au courant de tels faits car la pauvre femme s'abstenait de lui raconter ses chagrins personnels.
Ces incidents toutefois n'étaient pas ce qui la contrariait le plus dans cet environnement de pénibles incertitudes.
Cela faisait une semaine qu'ils étaient en ville et, contrariant peut-être ses habitudes, Ponce Pilate comparaissait quotidiennement à la résidence du préteur, sous prétexte d'apprécier les entretiens avec les patriciens récemment arrivés de la cour. Il consacrait des heures à Cela ; mais dans le secret de son âme intuitive, Livia devinait les pensées inavouables du gouverneur à son égard, recevant avec contrariété ses aimables madrigaux et ses allusions indirectes.
Lors de ces approches sentimentales qui annonçaient une forte passion, l'agacement de Fulvia était également évident, prise d'une terrible jalousie face à la situation que l'attitude de Pilate était en train de provoquer. Dans les coulisses clinquantes de ce décor d'amitié artificielle qui les avaient reçus, Publius et Livia auraient dû comprendre qu'il existait une foule de passions inférieures qui allait certainement troubler la tranquillité de leur âme. Cependant, ils n'appréhendèrent pas les détails de la situation et pénétrèrent l'esprit confiant et ingénu sur le terrain obscur et pénible des épreuves que Jérusalem leur réservait.
Répétant d'incessantes faveurs et multipliant les gentillesses, Pilate décida d'offrir un dîner autour duquel toute la famille réunie pourrait se divertir dans la joie et la fraternité la plus complète.
Le jour venu, Salvius et Publius, accompagnés des leurs, comparaissaient à la résidence seigneuriale du gouverneur, où Claudia les attendait également avec un sourire accueillant, plein de bonté.
Livia était pâle dans sa toilette simple et discrète, d'autant que, contre toute attente de son époux, elle avait insisté pour amener sa fillette malade, se disant que son dévouement maternel calmerait peut-être les prétentions du conquérant que son cœur de femme devinait à travers les attitudes indiscrètes et intrépides de l'amphitryon de la soirée.
Le dîner fut servi dans des conditions exceptionnelles selon les règles les plus élégantes et les plus strictes de la cour.
Livia était étourdie par ces solennités qui s'étalaient dans le plus grand raffinement de l'étiquette romaine, des usages issus d'un milieu qu'elle et Calpurnia avaient toujours voulu éviter par simplicité de cœur. Une longue rangée d'esclaves se déplaçait dans toutes les directions, telle une armée de serviteurs face à un nombre de convives aussi restreint.
Après différents plats, les noms des invités furent cités pendant que des serviteurs apportaient d'autres mets disposés avec une singulière symétrie. Les hôtes s'allongèrent alors dans le triclinium garni de coussins moelleux et de pétales de fleurs. Les viandes étaient présentées sur des plats en or et les pains dans des paniers en argent, alors que les serviteurs se multipliaient à volonté, y compris ceux qui devaient goûter les plats et s'assurer de leur saveur pour la tranquillité de tous. Les garçons servaient un délicieux vin de Falerne aromatisé dans des coupes incrustées de pierres précieuses, tandis que d'autres esclaves les accompagnaient présentant dans des burettes en argent, de l'eau à la température ambiante ou froide, au goût des invités. Près des lits de table où chaque convive devait s'étendre mollement, se tenaient des esclaves jeunes, soigneusement vêtus, exhibant sur leur front un gracieux turban, les bras et les jambes à demi-nus, chacun ayant une fonction bien déterminée. Quelques-uns agitaient de la main de longs rameaux de myrte, chassant les mouches, pendant que d'autres, courbés aux pieds des convives devaient essuyer discrètement les marques de leur gloutonnerie et de leurs abus.
Quinze services différents se succédèrent grâce aux efforts des esclaves dévoués et humbles quand, après le repas, dans les salons où brillaient des centaines de torches, on entendit d'agréables symphonies. Des serviteurs jeunes et élégants exécutaient des danses sensuelles et voluptueuses en hommage à leurs maîtres, attisant leurs instincts primitifs avec leur art exotique et spontané. Seul le numéro des gladiateurs ne fut pas présenté comme il était d'usage lors des grands banquets à la cour, car Livia d'un regard suppliant avait demandé que fut épargné à cette fête le pénible spectacle du sang humain.
Comme la nuit était très chaude à Jérusalem, une fois le dîner terminé et les cérémonies complémentaires achevées, le groupe d'amis accompagné maintenant de Sulpicius Tarquinius, se dirigea vers la grande et magnifique terrasse où de jeunes esclaves jouaient une délicieuse musique orientale.
Je ne pensais pas trouver à Jérusalem une soirée patricienne comme celle-ci - s'exclama Publius, touché, en s'adressant au gouverneur avec une respectueuse courtoisie. - Je dois à votre noble et généreuse bonté la satisfaction de revivre l'ambiance et la vie inoubliable de la cour que les lointains Romains gardent dans leur cœur et dans leur pensée.
Sénateur, cette maison est la vôtre - répliqua Pilate amicalement. - J'ignore si ma suggestion vous sera agréable, mais nous rendrions grâce aux dieux, si vous nous accordiez l'honorable joie de loger ici avec votre digne famille. Je crois que la résidence du préteur Salvius ne vous offre pas tout le confort nécessaire, et considérant les liens de parenté qui unissent ma femme à l'épouse de votre oncle, je peux me permettre de vous faire cette suggestion, sans faillir à nos règles d'usage.
Cela non ! - s'exclama à son tour le préteur qui avait suivi attentivement l'offre délicate. - Fulvia et moi, nous nous opposons à cette mesure - et faisant un signe complice à sa compagne, il finit par dire -, N'est-ce pas la vérité, ma chérie ?
Fulvia néanmoins laissa transparaître une pointe de contrariété et répliqua à la surprise de tous :
Effectivement, Publius et Livia sont nos hôtes ; mais nous ne pouvons oublier que l'objectif de leur voyage tient à la santé de leur petite fille, l'objet de toutes leurs Inquiétudes actuellement ; nous ne pouvons donc les priver d'un quelconque recours qui pourrait être profitable à la petite malade...
Et se dirigeant instinctivement vers le banc en marbre où la petite se reposait, elle s'exclama au scandale de tous :
D'ailleurs, cette enfant représente une sérieuse inquiétude pour nous tous. Son épiderme lacéré accuse des symptômes rares, rappelant...
Mais, elle ne parvint pas à terminer l'exposition de ses craintes scrupuleuses car Claudia, cette âme noble et digne, l'antithèse de la sœur que le destin lui avait donnée, comprenant la fâcheuse situation que ses idées allaient provoquer, s'avança en rétorquant :
Je ne vois pas de raisons qui justifient de telles appréhensions ; je pense que la petite Flavia va mieux et qu'elle est plus robuste. Je veux croire d'ailleurs que le climat de Jérusalem suffira à sa complète guérison.
Et s'avançant vers la malade comme si elle désirait effacer la pénible impression de ces remarques indélicates, elle la prit dans ses bras et posa un baiser sur son front infantile, couvert de plaies violacées mal dissimulées.
Rouge d'humiliation suite aux propos de Fulvia, Livia reçut cette attention comme une douce consolation, précieuse à ses inquiétudes maternelles ; quant à Publius, qui était amèrement surpris, se dit que le moment était venu de retrouver sa sérénité et sa constance en dissimulant la peine que cette scène lui avait causée et reprit le fil de la conversation, bien qu'excessivement touché :
C'est la vérité, chers amis. La santé de notre pauvre Flavia est la raison principale de notre long voyage jusqu'ici. Une fois que les problèmes d'État qui m'ont amené à Jérusalem seront résolus, j'envisage sérieusement la possibilité de séjourner dans une région de l'intérieur propice au recouvrement du précieux équilibre physique de notre fille où elle pourra respirer un air plus pur.
Parfait - répliqua Pilate, avec assurance -, en matière de climat, je suis l'homme qu'il vous faut. Depuis six ans, je parcours ces contrées étant donné les fonctions qui m'incombent, j'ai donc visité presque tous les recoins de la province et des régions avoisinantes. J'ai, par conséquent, de bonnes raisons de penser que la Galilée est au premier plan. Chaque fois que je peux me reposer des labeurs intenses qui me retiennent ici, je regagne Immédiatement notre villa de la banlieue de Nazareth pour jouir de la sérénité du paysage et des brises délicieuses de son lac immense. J'avoue que la distance est très longue, mais si vous vous installez aux alentours de la ville, dans mes stations de villégiature, vous passerez votre temps à répondre aux sollicitations incessantes des rabbins du temple, toujours enclins à d'innombrables querelles. D'ailleurs, Sulpicius devra bientôt s'y rendre afin de surveiller quelques travaux de restauration dans notre résidence, car nous prétendons nous y reposer d'ici peu et vaincre l'épuisement des luttes quotidiennes.
Puisque mon hospitalité ne vous sera pas nécessaire à Jérusalem, peut-être aurons- nous le plaisir de vous recevoir plus tard dans la villa à laquelle je me réfère ?
Noble ami - s'exclama le sénateur reconnaissant -, Je dois vous épargner tant de travail, mais je vous serais immensément obligé si votre ami Sulpicius connaissait à Nazareth une maison confortable et simple à vendre, qui pourrait répondre à nos besoins en la réformant conformément à nos habitudes familiales et où nous poumons tranquillement résider pendant quelques mois.
Avec le plus grand plaisir.
Très bien - conclut Claudia avec bonté, alors que Fulvia dissimulait mal son sournois dépit -, je me chargerai d'adapter notre bonne Livia à la vie champêtre où l'on se sent si bien au contact direct de la nature.
Dès lors que vous ne vous transformez pas en juives... - dit le sénateur de bonne humeur, tandis que tout le monde souriait joyeusement.
À cet instant, entendant les détails des services qui lui seraient confiés dans les jours à venir, Sulpicius Tarquinius, homme de confiance du gouverneur, prit la liberté d'intervenir sur le sujet, s'exclamant à la surprise de ceux qui l'écoutaient :
Et à propos de Nazareth, vous avez déjà entendu parler de son prophète ?
Oui - poursuivit-il -, Nazareth a maintenant un prophète qui réalise de grandes
choses.
Que dis-tu là, Sulpicius ? - demanda Pilate, ironiquement. - Ne sais-tu pas qu'avec les juifs, des prophètes naissent tous les jours ? Les luttes au Temple de Jérusalem auraient-elles par hasard d'autres raisons ? Tous les docteurs de la Loi se croient inspirés par le ciel et chacun est maître d'une nouvelle révélation.
Mais, celui-là, Seigneur, est bien différent.
Serais-tu converti à une foi nouvelle ?
D'aucune manière, d'autant que je connais bien le fanatisme et l'aveuglement de ces misérables créatures ; mais j'ai été vraiment intrigué par la personnalité impressionnante d'un Galiléen encore jeune qui est passé, il y a quelques jours de cela, par Capharnaûm.
Au beau milieu d'une place, assis sur des bancs improvisés faits de pierres et de sable, j'ai vu une foule considérable écouter ses paroles, s'extasiant d'admiration et d'émotion...
Et comme si j'avais été touché par une force mystérieuse et invisible, je me suis également assis pour l'écouter.
De sa personnalité extraordinairement belle et simple, émanait un « je ne sais quoi » qui dominait la foule qui se calmait, petit à petit, en entendant ses promesses d'un règne éternel... Ses cheveux s'agitaient au gré des douces brises de l'après-midi, comme les rayons d'une lumière mystérieuse aux clartés du crépuscule ; et de ses yeux pleins de compassion semblait naître une vague de pitié et de commisération infinies. Pauvre et les pieds nus, on pouvait remarquer la propreté de sa tunique dont la blancheur épousait la légèreté de ses traits délicats. Sa parole était comme un cantique d'espoir pour tous les affligés du monde, suspendu entre ciel et terre, régénérant les pensées de ceux qui l'écoutaient... Il parlait de nos grandeurs et de nos conquêtes comme si elles étalent insignifiantes, faisait des commentaires amers concernant les œuvres monumentales d'Hérode, en Sébaste, et affirmait qu'au-dessus de César, il est un Dieu Tout-puissant, providence de tous les désespérés et de tous les angoissés... À travers ses enseignements d'humilité et d'amour, il considère tous les hommes comme des frères bien-aimés, fils de ce Père de miséricorde et de justice que nous ne connaissons pas...
La voix de Sulpicius était saturée d'émotion propre aux sentiments empreints de vérité.
L'auditoire, qui avait écouté ses propos avec le plus grand intérêt, était impressionné par l'émoi de son récit.
Pilate, sans rien perdre de sa vanité de gouverneur, l'interrompit en s'exclamant :
Tous frères ! Ceci est absurde. La doctrine d'un Dieu unique n'est pas une nouveauté pour nous autres sur cette terre d'ignorants ; mais nous ne pouvons être d'accord avec ce concept de fraternité sans restriction. Et les esclaves ? Et les sujets de l'Empire ? Que deviennent les prérogatives du patriciat ?
Ce qui m'étonne le plus, toutefois - s'exclama-t-il avec emphase, en s'adressant plus particulièrement au narrateur -, c'est que toi qui es un homme pragmatique et déterminé, tu te sois laissé convaincre par les folles paroles de ce nouveau prophète, en te mêlant à la foule pour l'entendre. Ne sais-tu pas que l'approbation d'un licteur peut signifier un énorme prestige pour les idées de cet homme ?
Seigneur - répondit Sulpicius, désappointé -, moi-même, je ne saurais expliquer la raison de mes observations de cet après-midi-là. Moi aussi, je me suis bientôt dit que les idées qu'il prêchait étaient subversives et dangereuses, puisqu'il mettait sur un pied d'égalité les serviteurs et les maîtres, mais j'ai également remarqué que sa rude condition d'indigence était considérée par ses disciples et ses partisans comme un état de grâce et de bonheur. Ce qui, en quelque sorte, n'est pas une menace pour les autorités de la province.
En outre, ces prêches ne nuisent pas aux paysans, puisqu'elles sont faites en règle générale pendant les heures de loisirs et de repos, à l'intervalle des travaux de chaque jour, sachant également que ses compagnons favoris sont les pêcheurs les plus ignorants et les plus humbles du lac.
Mais, comment as-tu pu te laisser influencer par cet homme ? - répliqua Pilate, énergiquement.
Vous vous trompez, quant à cela - répondit le licteur, maître de lui -je ne suis pas impressionné, comme vous le supposez, d'autant que remarquant son originalité simple et singulière, je ne lui reconnais pas de facultés surnaturelles et je crois que la science de l'Empire élucidera le fait que je vais vous relater, en réponse à votre blâme du moment.
Je ne sais si vous connaissez Coponius, un vieux centurion connu dans la ville que je viens de citer, il me revient donc de vous faire part d'un fait dont j'ai moi-même été témoin. Après que la voix du prophète de Nazareth ait laissé planer une douce quiétude autour de lui, ce centurion lui présenta son fils moribond, implorant la charité pour l'enfant qui agonisait. Je l'ai vu lever ses yeux radieux vers le firmament, comme s'il implorait la bénédiction de nos dieux, puis j'ai remarqué que ses mains touchaient l'enfant qui, à son tour, semblait avoir ressenti un flux de vie nouvelle. Il se leva subitement en pleurant et alla se blottir dans les bras de son père, après avoir posé sur le prophète ses yeux attendris...
Mais même des centurions assistent avec les juifs à ses affabulations ? Je dois en informer les autorités de Tibériade - s'exclama le gouverneur, visiblement contrarié.
Le fait est curieux - dit Publius Lentulus, intrigué par le récit.
En vérité, mon ami - objecta Pilate, s'adressant à lui -, dans ces parages, des religions naissent tous les jours. Ce peuple est très différent du nôtre, il se caractérise par un manque évident de raisonnement et de sens pratique. Un gouverneur, ici, ne peut se laisser impressionner par les apparences mais se maintenir ferme dans ses principes, afin de sauvegarder la souveraineté inviolable de l'État. C'est pour cette raison que répondant aux sages déterminations du siège du gouvernement, je ne m'arrête pas aux cas isolés, je ne fais que tempérer les querelles des prêtres du Sanhédrin qui représente l'organe du pouvoir légitime, apte à collaborer avec nous pour résoudre tous les problèmes d'ordre politique et social.
Publius fut satisfait par cet argument, mais les dames présentes, à l'exception de Fulvia, semblaient profondément impressionnées par la description des faits rapportés par Sulpicius, tout comme la petite Flavia, qui avait bu ses paroles avec toute sa curiosité enfantine.
Un voile d'inquiétude planait sur tous les convives, mais le gouverneur ne se résigna pas à l'attitude générale, et s'exclama :
Voyez-vous cela ! Un licteur qui, au lieu de faire respecter la loi pour notre bien, agit contre nous en troublant notre ambiance joyeuse, il mérite une sévère punition pour ses récits inopportuns !...
Un rire général suivit ses propos bruyants et légers, tandis qu'il concluait :
Descendons plutôt dans le jardin écouter une nouvelle musique et chasser de nos cœurs ces désagréments imprévus.
L'idée fut acceptée avec plaisir à l'unanimité.
La petite Flavia fut installée par la maîtresse de maison dans une chambre confortable, et en quelques minutes, les invités se divisaient en trois groupes distincts dans les allées du jardin éclairées par des torches flamboyantes au son de musiques raffinées et languissantes.
Publius et Claudia parlaient du paysage et de la nature ; Pilate multipliait les gentillesses envers LMa, tandis que Sulpicius se trouvait en compagnie de Fulvia, vu que le préteur Lentulus avait décidé de rester aux archives pour contempler quelques œuvres d'art.
En s'éloignant intentionnellement des autres groupes, le gouverneur remarqua la pâleur de sa compagne qui, cette nuit-là, lui semblait plus belle et plus séduisante.
Le respect que lui imposait sa grâce discrète semblait attiser en cette heure l'ardeur de son cœur passionné.
Noble Livia - s'exclama-t-il avec émotion -, je ne peux garder pour moi plus longtemps les sentiments que vos vertus pleines de beauté m'inspirent. Je sais la répulsion naturelle de votre âme digne, face à mes propos, mais je déplore que vous ne compreniez pas le cœur touché d'admiration qui me domine !...
Moi aussi - objecta la pauvre femme avec dignité et une énergie spontanée - je regrette d'avoir inspiré à votre âme une telle passion. Vos paroles me surprennent amèrement, d'autant qu'elles viennent d'un patricien chargé des hautes responsabilités de procurateur d'État, et quant on sait l'amitié confiante et noble que vous consacre mon époux.
Mais en affaires de cœur - l'interrompit-il avec sollicitude - les conventions d'ordre politique, même les plus élevées, ne peuvent prévaloir. J'ai la plus haute considération pour mes devoirs et je sais envisager la solution à tous les problèmes relevant de ma position, mais je ne me souviens pas où j'aurais pu vous voir auparavant !.., En réalité, depuis une semaine, j'ai le cœur lacéré et opprimé... En vous rencontrant, il m'a semblé retrouver une image adorée inoubliable. J'ai tout fait pour éviter cette scène désagréable et fâcheuse, mais j'admets qu'une force invincible confond mon cœur !...
Vous vous trompez, Seigneur ! Entre nous, il ne peut exister d'autre lien que celui inspiré par le respect de nos conditions sociales. Si vos obligations d'ordre politique vous sont si chères, vous ne devez oublier qu'un homme public doit cultiver les vertus de la vie privée en stimulant en lui-même, la vénération et l'incorruptibilité de sa propre conscience.
Mais votre personnalité me fait oublier tous ces impératifs. Où vous aurais-je rencontrée enfin pour que je me sente charmé de cette manière ?
Taisez-vous, par les dieux ! - murmura Livia, effrayée et pâle. - Jamais, je ne vous ai vu avant notre arrivée à Jérusalem, et j'en appelle à votre dignité afin que vous m'épargniez ces allusions qui me blessent !... J'ai des raisons de croire à votre bonheur conjugal auprès d'une femme digne et pure, telle que la vôtre, et je considère que les propositions que vos paroles me laissent entendre, relèvent de la folie ...
Pilate allait poursuivre ses arguments lorsque la pauvre femme, amèrement surprise, se sentit défaillir. En vain, elle mobilisa toutes ses forces pour ne pas s'évanouir.
Saisie d'un singulier abattement, elle s'appuya contre un arbre du jardin où se déroulait l'entretien. Craignant les conséquences, le gouverneur prit sa main délicate et gracieuse, torturée par ses inavouables pensées mais, à son léger contact, l'organisme de Livia sembla réagir énergiquement et avec une fermeté irréfutable.
En retrouvant des forces, elle fit de la tête un léger signe de remerciement, alors que Publius et Claudia s'approchaient d'eux. La conversation générale reprit à la satisfaction de tous.
Toutefois, la scène provoquée par la révélation des sentiments du gouverneur ne fut pas circonscrite aux deux acteurs qui la vécurent intensément.
Fulvia et Sulpicius la suivirent dans ses moindres détails à travers les sombres feuillages du jardin.
Eh bien ça ! - s'exclama le licteur à sa compagne en observant les détails de la conversation qui venait de se dérouler. - Alors, tu as déjà perdu les bonnes grâces du procurateur de Judée ?
À cette question, Fulvia, qui à son tour ne quittait pas la scène des yeux, trembla convulsivement, laissant place à une terrible jalousie et à un profond dépit.
Tu ne réponds pas ? - continua Sulpicius, jouissant du spectacle. - Pourquoi m'as-tu si souvent repoussé, si je peux t'offrir un sentiment profond de dévouement et de loyauté ?
L'interpellée gardait le silence à son poste d'observation, criant sa colère en son for intérieur quand elle vit que le gouverneur tenait, entre les siennes, la main inanimée de sa compagne, prononçant des mots qu'elle ne pouvait entendre mais que ses bas instincts présumaient deviner.
Mais dès que Claudia et Publius firent leur apparition, Fulvia se tourna vers son compagnon en murmurant d'une voix rauque :
J'accéderai à tous tes désirs si tu m'aides dans mes projets audacieux.
Quels sont-ils ?
Ceux de faire connaître au sénateur, en temps opportun, l'infidélité de sa femme.
Mais comment ?
Premièrement, tu éviteras l'installation de Publius à Nazareth pour éloigner le plus loin possible Livia du gouverneur et gêner leurs relations pendant son absence de Jérusalem, car j'ai le pressentiment qu'elle voudra déménager à Nazareth dans quelques jours. Puis, je chercherai à intervenir personnellement pour que tu sois désigné pour protéger le sénateur sur son lieu de villégiature et une fois investi de cette fonction, tu prépareras le terrain pour réaliser nos plans. Cela fait, je saurai récompenser tes efforts et tes bons offices par ma loyauté absolue.
Le licteur écouta sa proposition, silencieux, il était indécis. Mais comme si elle était anxieuse de sceller cette sinistre alliance, elle l'interrogea d'une voix ferme :
Entendu ?
Entendu !... - répondit Sulpicius sur un ton résolu.
Et les deux personnages qui incarnaient le dépit et la lasciveté rejoignirent le groupe d'amis, portant sur leur visage le masque des apparences joyeuses après avoir conclu ce funeste pacte.
Les dernières heures furent consacrées aux adieux avec l'affabilité superficielle du conventionnalisme social.
Livia s'abstint de raconter à son mari l'affligeante scène du jardin, considérant non seulement son besoin de repos, mais aussi l'importance sociale des personnalités en jeu, se promettant à elle-même d'éviter à tout prix, toute attitude indigne qui susciterait le scandale.
EN GALILÉE
Le lendemain de ces événements, aux premières heures du jour, dans l'intimité de son cabinet particulier, Publius Lentulus reçut la visite de Fulvia qui s'adressa à lui en ces termes diffamatoires :
- Sénateur, l'ascendant de nos liens familiaux me contraint à venir vous voir pour traiter d'un fait pénible et déplorable. Mon expérience de femme m'amène à vous suggérer de protéger votre épouse de la perfidie de vos propres amis car hier encore, j'ai eu l'occasion de la surprendre en compagnie du gouverneur à débattre d'un sujet intime...
Interpellé, Publius trouva cette attitude insolite, étrange et grossière, contraire à ses principes d'homme de bien.
Dignement, il réfuta cette accusation en faisant valoir la noblesse de caractère de son épouse. Ce qui poussa Fulvia à lui raconter dans les termes fantaisistes les plus exaltés de son imagination malsaine, la scène de la veille dans ses moindres détails.
Le sénateur resta pensif, mais trouva le courage moral nécessaire de récuser cette insinuation calomnieuse.
- Très bien - dit-elle, complétant sa dénonciation -, vous poussez très loin votre confiance et votre bonne foi. Un homme ne perd jamais rien à entendre les conseils d'une femme expérimentée. Vous aurez bientôt la preuve que Livia avance sur la voie facile de la prévarication puisqu'elle va prochainement vous demander de partir pour Nazareth où le gouverneur viendra la retrouver.
Et disant cela, elle se retira précipitamment, laissant le sénateur quelque peu découragé et troublé en pensant aux cœurs mesquins qui l'entouraient car, au tribunal de sa conscience, il n'était pas disposé à accepter une idée qui venait souiller la valeureuse noblesse de sa femme.
Un immense voile d'ombres couvrit son esprit sensible et affectueux. Il sentait qu'à Jérusalem, toutes les forces ténébreuses de son destin conspiraient contre lui, et il éprouvait dans son cœur une grande solitude.
Il ne trouverait pas là les paroles prudentes et généreuses d'un ami comme Flaminlus avec qui il pourrait soulager sa profonde amertume.
Absorbé dans ces réflexions angoissantes, il ne vit pas que les heures tournoyaient sans cesse dans le tourbillon du temps. Ce ne fut que bien plus tard qu'il perçut la voix d'un de ses serviteurs de confiance qui lui fit savoir que Sulpicius Tarquinius sollicitait la faveur d'une entrevue privée ; demande qu'il accepta très courtoisement.
Une fois à l'intérieur du cabinet, le licteur se référa, sans préambule, à l'objet de sa visite, expliquant avec prestance :
Sénateur, je suis honoré de la confiance que vous m'accordez pour assurer votre transfert vers un lieu de villégiature, et je viens vous suggérer la location d'une riche propriété appartenant à l'un de nos compatriotes aux alentours de Capharnaum. Il s'agit d'une charmante ville de Galilée, située sur la route de Damas. Il est vrai que vous avez déjà choisi Nazareth, mais le long de la plaine d'Esdrelon, les maisons confortables sont très rares, de plus les coûts de rénovation et d'amélioration pourraient être très élevés. À Capharnaum, la situation est bien différente. J'ai un ami là-bas, Caius Gratus, qui accepterait de louer pour une durée indéterminée sa splendide villa pourvue de tout le confort nécessaire dans un domaine avec de précieux vergers, dans un environnement d'une absolue tranquillité.
L'esprit ailleurs, le sénateur écoutait le préposé de Pilate ; mais brusquement il revint à lui et s'exclama comme s'il se parlait à lui-même :
De Jérusalem à Nazareth, il y a soixante-dix milles... Où se trouve Capharnaum?...
Très loin de Nazareth - répondit le licteur intentionnellement.
Très bien, Sulpicius - répondit Publius, sur un ton résolu -, je te suis très reconnaissant de ta gentillesse que je n'oublierai pas de te récompenser en temps opportun. J'accepte ta suggestion qui me semble raisonnable, car en fait, je ne peux être intéressé par l'acquisition définitive d'une propriété en Galilée, vu mon besoin de retourner à Rome, dans de brefs délais. Tu es autorisé à conclure cette affaire et je te félicite de tes informations, je me repose avec confiance sur ta connaissance du sujet.
Une secrète satisfaction transparut dans les yeux de Sulpicius qui prit congé tout en feignant d'être reconnaissant.
Publius Lentulus posa à nouveau ses coudes sur son bureau, plongé dans de profondes inquiétudes.
Cette suggestion de Sulpicius arrivait à l'instant précis où il passait par d'angoissantes cogitations, mais grâce à cette nouvelle mesure, il parviendrait à installer sa famille loin de toute influence de la résidence du procurateur de Judée, sauvant ainsi sa réputation des éclaboussures ignominieuses de la médisance.
Toutefois, la dénonciation de Fulvia multipliait ses appréhensions. Fût-ce par le caractère inopiné de la calomnie ou par l'esprit de perversité avec lequel elle avait été fomentée, sa pensée était assaillie par d'anxieuses expectatives.
Le soir même, après le dîner, il se trouvait seul avec Livia sur la terrasse de la résidence du préteur qui, à son tour, s'était absenté pendant quelques heures en compagnie de sa famille pour répondre à des impératifs de protocole.
Remarquant sur son visage les signes évidents d'une profonde contrariété, avec l'intimité charmante de son cœur féminin, son épouse lui dit :
Chéri, je souffre de te voir ainsi, sous le joug de tant de tourments, alors que ce long voyage aurait dû nous rendre la tranquillité nécessaire au déroulement de tes travaux... J'ose te demander de presser notre départ de Jérusalem vers un environnement plus calme où nous nous sentirons plus seuls, loin de ce cercle de créatures dont les coutumes ne sont pas les nôtres, et dont les sentiments nous sont inconnus. Quand partirons-nous pour Nazareth ?...
Pour Nazareth ? - répéta le sénateur sur un ton Irrité et ombrageux comme piqué par le venin de la Jalousie, se rappelant bien involontairement les accusations sans fondement de FuMa.
Oui - continua Livia, suppliante et affectueuse -, n'était-ce pas là les dispositions évoquées hier ?
C'est vrai chérie ! - s'exclama Publius, regrettant déjà d'avoir abrité le temps d'un instant de mauvaises pensées - mais j'ai finalement décidé que nous allions nous installer à Capharnaum, contrairement à nos dernières décisions...
Et prenant la main de sa compagne comme s'il cherchait un baume à son âme blessée, il lui murmura doucement :
Livia, tu es tout ce qu'il me reste en ce monde !... Nos enfants sont les fleurs de ton âme que les dieux nous ont données à ma grande joie !... Pardonne-moi, chérie... Il y a si longtemps que je vis renfermé et taciturne, oubliant ton cœur sensible et aimant ! J'ai l'impression de m'éveiller maintenant d'un sommeil profond et douloureux, l'âme craintive et oppressée. De tristes augures hantent mon esprit... Je crains de te perdre quand je voudrais te serrer contre ma poitrine et te garder éternellement dans mon cœur... Pardonne-moi...
Tandis qu'elle le contemplait, surprise, ses lèvres sèches couvraient ses mains de baisers ardents. Et ce ne fut pas seulement de tendres baisers qui jaillirent de ce débordement d'affection, une larme coula de ses yeux fatigués, se mêlant à la délicatesse de son émotion.
Mais, Publius ? Tu pleures ? - s'exclama Livia, à la fois attendrie et angoissée.
Oui ! Je sens les génies du mal assiéger mon cœur et mon esprit. Mon âme est peuplée de sombres visions prédisant la fin de notre bonheur ; mais je suis un homme et je suis fort... Chérie, ne me nie pas ta main pour traverser ensemble le chemin de la vie car avec toi, je vaincrais même l'impossible !...
Elle frémit face à ces confidences qui ne lui étaient pas coutumières.
En un clin d'œil, elle revit la nuit antérieure, se souvenant de l'intrépidité du gouverneur qu'elle avait dignement repoussé, éprouvant une souveraine tranquillité et, prenant rapidement les mains de son mari affligé, elle l'emmena dans un coin de la terrasse, se plaça devant une harpe harmonieuse et ancienne, et se mit à chanter doucement comme si sa voix, cette nuit-là, était le gazouillement d'une alouette poignardée :
« Âme sœur de mon être,
Fleur de lumière de ma vie,
Sublime étoile tombée
Des beautés de l'immensité !...
Quand j'errais de par le monde,
Triste et seul sur mon chemin,
Tu es arrivée doucement,
Et tu as rempli mon cœur.
Envoyée par la bénédiction des dieux,
Dans la divine clarté,
Pour tisser ma félicité,
Avec des sourires de splendeur !...
Tu es mon trésor infini,
Je te jure mon éternelle alliance,
Parce que je suis ton espérance,
Comme tu es tout mon amour !"
II s'agissait d'une composition écrite par Publius dans sa jeunesse, au goût de l'époque, dédiée à Livia et que son talent musical gardait toujours pour les occasions spéciales.
À cet instant, néanmoins, sa voix avait un timbre différent, comme si une fauvette divine exilée des prairies lumineuses du paradis, s'était enfermée dans sa gorge.
À la dernière note vibrante de tristesse et d'une angoisse indéfinissable, Publius la prit tendrement contre sa poitrine, fort et résolu, comme s'il voulait retenir à jamais dans son cœur, son joyau d'une inimaginable pureté.
Maintenant, c'était Livia qui pleurait copieusement dans les bras de son compagnon, et celui-ci l'embrassa, transporté par son âme loyale, parfois impulsive.
Après cette envolée sentimentale, Publius se sentit rassuré et serein.
- Pourquoi ne retournerions-nous pas à Rome le plus tôt possible ? - demanda LMa, comme si son esprit était éclairé par des lumières prophétiques quant aux jours à venir. - Avec nos enfants nous pourrions reprendre nos obligations coutumières, conscients que la lutte et la souffrance sont partout et que toute joie représente, en ce monde, une bénédiction des dieux!...
Le sénateur réfléchit à la proposition de sa compagne et analysa toute la situation pour finalement lui dire :
Ton commentaire est juste et providentiel, ma chérie, mais que diraient nos amis quand ils apprendraient qu'après tant de sacrifices supportés pendant ce voyage, nous aurions décidé de ne rester qu'une semaine dans cette région si lointaine ? Et notre petite malade ? Son organisme n'a-t-il pas réagi de façon positive au contact de ce nouveau climat ? Ayons confiance et gardons notre calme. Je hâterai notre départ pour Capharnaum et, dans quelques jours, nous serons dans un nouvel environnement, conformément à nos souhaits.
Et c'est effectivement ce qui se passa.
Réagissant énergiquement aux vibrations pernicieuses du milieu où ils se trouvaient, Publius Lentulus résolut tous les problèmes concernant leur déménagement. Il faisait la sourde oreille aux insinuations de Fulvia, tandis que Livia, s'appuyant sur la supériorité de son âme, cherchait à s'isoler dans le petit monde d'amour de ses deux enfants. Elle fuyait la présence du gouverneur qui n'abandonnait pas ses tentatives, et auprès duquel la noble Claudia savait éveiller en tous la sympathie la plus sincère.
Avant leur départ pour Capharnaum, deux servantes furent admises au service du couple ; elles n'étaient pas Indispensables à l'exécution des tâches domestiques, vu le grand nombre de serviteurs venus de Rome ; néanmoins, le sénateur avait étudié l'opportunité d'une telle disposition, considérant que sa famille et lui finiraient par avoir un contact plus direct avec les coutumes et les dialectes du peuple, et que toutes deux connaissaient la Galilée.
Anne et Sémélé avaient été recommandées par des amis du préteur, et furent reçues au service de Livia qui les accueillit avec bonté et sympathie.
Trente jours passèrent aux préparatifs du voyage.
Stimulé par les avantages de ses propres intérêts matériels, Sulpicius Tarquinius cherchait à gagner chaque fois davantage la confiance du sénateur, et aménageait la propriété avec une attention et une gentillesse toutes particulières, suscitant la satisfaction et les éloges de tous.
À la veille de leur départ, Publius Lentulus comparut au cabinet de Pilate pour le remercier et lui faire ses adieux.
Après l'avoir salué cordialement, le gouverneur s'exclama avec une jovialité forcée :
Quel dommage, cher ami, que les circonstances vous conduisent à Capharnaum, alors que j'espérais avoir la satisfaction de vous retenir dans le voisinage de notre maison, à Nazareth.
Mais tant que vous séjournerez en Galilée, plutôt que de faire mes visites habituelles à Tibériade, j'irai vous voir dans le nord.
Publius lui manifesta sa gratitude et sa reconnaissance et alors qu'il s'apprêtait à sortir, le procurateur de Judée continua sur un ton amical et de bon conseil :
Sénateur, non seulement en tant que responsable de la situation des patriciens de cette province, mais aussi en ma capacité d'ami sincère, je ne peux vous laisser partir à la merci du hasard avec pour seule compagnie des esclaves et des serviteurs de confiance. Je viens de désigner Sulpicius, un homme qui mérite toute mon estime pour diriger le service de sécurité qui vous est dû. Avec lui, un licteur et quelques centurions partiront pour Capharnaûm où ils resteront sous vos ordres.
Publius le remercia courtoisement, se sentant réconforté par cette offre, même s'il n'éprouvait pas beaucoup de sympathie pour le gouverneur.
Une fois les préparatifs de voyage terminés, le petit convoi se mit en route à travers les terres de Judée et les montagnes vertes de Samarie, vers sa destinée.
Ils passèrent quelques jours sur les routes à contourner plusieurs fois les eaux légères et limpides du Jourdain.
À proximité de Capharnaûm, à un demi-kilomètre de distance, entre les arbres touffus près du lac de Génésareth, une propriété imposante attendait la famille sur leur lieu de villégiature.
Sans relâches, Sulpicius Tarquinius avait donné aux moindres détails une touche du bon goût de cette époque.
La propriété était située sur une petite colline entourée d'arbres fruitiers des climats froids car la Galilée, aujourd'hui transformée en un poussiéreux désert, était un paradis de verdure il y a deux mille ans. Dans ses paysages merveilleux, poussaient des fleurs de toutes sortes. Son lac immense, formé par les eaux cristallines du fleuve sacré du christianisme, était peut-être le bassin le plus poissonneux de toute la planète qui bordait de ses vagues calmes et paresseuses les pieds des arbustes riches de sève dont les racines s'imprégnaient du parfum champêtre des lauriers-roses et des fleurs sylvestres. De gracieuses nuées d'oiseaux couvraient en bandes compactes ces eaux d'un fabuleux bleu céleste, aujourd'hui étranglées entre des rochers brûlants.
Au nord, les hauteurs enneigées du mont Hermon dessinaient une ligne blanche et joyeuse, séparant à l'ouest les plateaux élevés de la Gaulanitide4 limpide et de la Pérée, inondés de soleil, formant ensemble une immense contrée qui s'étendait de Césarée de Philippe jusqu'au sud.
4 Le plateau du Golan, parfois appelé Gaulanitide. (NDT)
Une végétation merveilleuse et exceptionnelle dégageait sans cesse un air très pur qui tempérait la chaleur de la région où se trouvait le lac, bien au-dessous du niveau de la Méditerranée.
Publius et son épouse ressentirent un souffle de vie nouveau que leurs poumons respiraient à grande haleine.
Mais il n'en était pas de même pour la petite Flavia dont l'état général empirait à l'extrême contre toutes attentes.
Les plaies qui recouvraient son corps maigrelet s'était aggravées et la pauvre enfant n'arrivait plus à quitter le lit, où elle se trouvait dans un état de profonde prostration.
Ainsi l'angoisse paternelle allait en s'accentuant. En vain, Publius avait eu recours à tous les moyens existants pour améliorer l'état de la petite malade.
Un mois s'était écoulé à Capharnaum où, familiarisés avec les dialectes du peuple, la réputation des œuvres et des prédications de Jésus ne leur étaient plus inconnues maintenant.
De nombreuses fois, sur le point de répondre à l'appel secret de son cœur, Publius avait songé s'adresser au thaumaturge afin de demander son intervention en faveur de sa fillette. Mais, il se disait qu'une telle attitude serait une humiliation pour sa position politique et sociale aux yeux des plébéiens et des sujets de l'Empire, et réfléchissait aux conséquences que pourraient avoir une telle démarche.
Malgré ces pondérations, il permettait à de nombreux serviteurs de sa maison d'assister, le samedi, aux prêches du prophète de Nazareth et parmi eux, il y avait Anne qui s'était prise d'une respectueuse vénération pour celui que les humbles appelaient maître.
Les esclaves tissaient sur lui les plus charmantes histoires. Le sénateur n'y voyait rien de plus que l'emportement instinctif de l'âme populaire, même s'il ne pouvait s'empêcher d'être surpris par l'opinion adulatrice d'un homme comme Sulpicius.
Un après-midi, cependant, les souffrances de la petite étaient à leur comble. En plus des blessures qui, depuis plusieurs années, s'étaient multipliées sur son petit corps gracieux, de nouveaux ulcères étaient apparus dans certaines régions de l'épiderme devenues violacés et qui transformaient ses délicats organes en pustules à vif.
Profondément consternés, Publius et Livia attendaient une fin toute proche.
Ce jour-là, après un dîner frugal, Sulpicius s'attarda un peu sous prétexte de réconforter le sénateur par sa présence.
Ils se trouvaient tous deux sur la terrasse spacieuse où Publius lui parla en ces termes :
Mon ami, que pensez-vous de ces rumeurs qui se propagent à propos du prophète de Nazareth ? Habitué à ne pas prêter l'oreille aux paroles ignorantes du peuple, j'aimerais à nouveau entendre vos impressions sur cet homme extraordinaire.
Ah ! Oui - dit Sulpicius, comme s'il s'efforçait de se rappeler quelque chose -, intrigué par la scène à laquelle j'ai assistée il y a quelques temps et que j'ai eu l'occasion de relater chez le gouverneur, j'ai cherché à suivre les activités de cet homme dans la mesure de mes disponibilités.
Certains de nos compatriotes le considèrent comme un visionnaire, un avis que je partage en ce qui concerne ses prêches pleins de paraboles incompréhensibles, mais non en ce qui concerne ses œuvres qui nous touchent le cœur.
Le peuple de Capharnaum est émerveillé par ses miracles et je peux vous assurer qu'autour de lui, s'est déjà formée une communauté de disciples dévoués qui sont prêts à le suivre où qu'il aille.
Mais enfin qu'enseigne-t-il aux foules ? - demanda Publius, intéressé.
Il prêche quelques principes qui froissent nos plus anciennes traditions, comme par exemple, la doctrine d'amour à nos propres ennemis et la fraternité absolue entre tous les hommes. Il exhorte ceux qui l'écoutent à chercher le royaume de Dieu et sa justice, mais il ne s'agit pas de Jupiter, le seigneur de nos divinités ; au contraire, il parle d'un Père miséricordieux et compatissant, qui nous observe depuis l'Olympe et qui peut connaître nos idées les plus secrètes. D'autres fois, le prophète de Nazareth s'exprime sur le royaume des cieux avec des paraboles intéressantes et incompréhensibles peuplées de rois et de princes créés par son imagination rêveuse qui jamais ne pourraient exister.
Le pire, toutefois - conclut Sulpicius, en donnant à ses paroles un ton grave -, est que cet homme singulier avec ces idées d'un nouveau royaume, passe pour un prince dans la mentalité populaire, venu pour revendiquer les prérogatives et les droits des juifs dont il voudra peut-être un jour prendre la tête...
Quelles mesures adoptent les autorités de Galilée à l'examen de ces idées révolutionnaires ? - s'enquit le sénateur avec beaucoup d'intérêt.
Les premières réactions se manifestent déjà de la part des sujets les plus proches d'Antipas. Il y a quelques jours, alors que je passais par Tibériade, j'ai remarqué que se formaient quelques courants d'opinion pour mener cette affaire devant les hautes autorités.
On voit bien - ajouta Publius - qu'il s'agit d'un homme simple du peuple que le fanatisme des temples judaïques a rempli d'un désir effréné de revendications injustifiables. Je présume que l'autorité administrative n'a rien à craindre d'un tel prêcheur, maître d'une humilité et d'une fraternité incompatibles avec les conquêtes contemporaines. D'autre part, d'après la description des faits que vous faites, j'ai l'impression que cet homme ne peut être une créature aussi vulgaire que nous l'avions pensé.
Souhaiteriez-vous le connaître de près ? - demanda Sulpicius, attentionné.
D'aucune façon - répondit Publius, affichant sa supériorité. - Une telle attitude de ma part viendrait rompre l'image que mes devoirs m'imposent en tant qu'homme d'État, discréditant mon autorité devant le peuple. D'ailleurs, je considère que les prêtres et les prédicateurs de la Palestine devraient faire des stages de travail et d'étude au siège du gouvernement impérial, afin de réformer cet esprit de prophétisme que l'on observe ici de toute part. Au contact du progrès de Rome, ils réformeraient leurs vieux concepts sur la vie, la société, la religion et la politique.
Tandis qu'ils poursuivaient leur entretien sur la personnalité et les enseignements du maître de Nazareth, Livia et Anne se trouvaient dans la chambre de la petite malade à panser les plaies qui couvraient son épiderme à présent transformé en ulcère généralisé.
A peine plus âgée que sa maîtresse, Anne, qui avait un cœur bon et tendre, était devenue sa compagne favorite au sein des tâches domestiques. Dans ce désert dénué de compassion, c'était en cette servante, intelligente et affectueuse, que l'âme sensible de Livia avait trouvé une oasis pour ses confidences et ses luttes de tous les jours.
Ah ! Madame - s'exclama l'esclave avec une bienveillance que ses yeux et ses gestes révélaient -, je garde en mon cœur une foi profonde dans les miracles du Maître, et je crois même que si nous amenions cette enfant recevoir la bénédiction de ses mains, ses plaies guériraient et elle reviendrait à votre amour maternel... Qui sait ?
Malheureusement - répondit Livia avec pondération et tristesse - je n'oserais pas en parler, consciente du fait que Publius refuserait vu notre position sociale ; mais j'aimerais vraiment voir cet homme charitable et extraordinaire dont tu me parles toujours.
Samedi dernier encore, Madame - répondit la servante animée par les paroles de sympathie qu'elle venait d'entendre -, le prophète de Nazareth a ouvert ses bras à de nombreux enfants.
Alors qu'il descendait de la barque de Simon, nous l'attendions en masse pour nous abreuver de ses enseignements consolateurs. Nous nous sommes précipités vers lui, tous désireux de recevoir en même temps les effluves sacrées de sa présence réconfortante, mais ce jour-là, beaucoup de mères comparurent à sa prédication avec des enfants qui faisaient un vacarme assourdissant, comme une nuée de petits oiseaux inconscients. Simon et quelques disciples se mirent à les réprimander sévèrement pour que nous ne perdions pas l'enchantement doux et tendre des paroles du Maître. Mais alors que nous nous y attendions le moins, II s'est assis sur un rocher comme d'habitude et s'exclama avec une indicible tendresse: - « Laissez venir à moi les enfants, car le royaume du ciel leur appartient. » II y eut, alors, un prodigieux silence parmi les auditeurs de Capharnaum et les pèlerins qui venaient d'arrivés de Corazim et de Magdala, tandis que ces petits fripons accouraient dans son giron aimant, baisant sa tunique avec une indicible joie.
Parmi eux beaucoup étaient souffrants et leurs mères les avaient amenés aux prédications du lac pour qu'ils guérissent de leurs maux ou de maladies considérées incurables...
Ce que tu me racontes est d'une beauté édifiante -dit Livia, profondément émue - ; et pourtant bien qu'ayant à portée de main tous les recours matériels possibles, je sens que je ne pourrai recevoir les grands bienfaits de ton Maître.
C'est bien dommage, maîtresse, car beaucoup de femmes de haut rang l'accompagnent en ville. Ce ne sont pas seulement les plus humbles comme nous qui se rendent à ses prêches, mais aussi des femmes distinguées de Capharnaum, des épouses de fonctionnaires d'Hérode et de publicains assistent aux leçons édifiantes du lac, se confondant avec les pauvres et les esclaves.
Et le prophète ne dédaigne personne. Il invite tout le monde au royaume de Dieu et de sa justice. Contrairement à tous les envoyés du ciel que nous connaissons, il s'esquive de ceux qui ont été favorisés par la chance pour se consacrer aux créatures les plus malheureuses, nous considérant tous comme les frères bien-aimés de son cœur...
Livia écoutait sa servante avec attention et ravissement. La personnalité de cet homme populaire et bon exerçait une attraction singulière sur elle.
Et tandis que ses grands yeux exprimaient le plus grand intérêt pour les récits charmants et simples de sa loyale servante, toutes deux ne remarquaient pas que la petite malade écoutait avec cette curiosité caractéristique aux âmes enfantines, malgré la forte fièvre qui dévorait son organisme.
Puis, après avoir pris congé de Sulpicius, le sénateur se rendit dans la chambre de la petite souffrante pour calmer son anxiété paternelle.
À son arrivée, les deux femmes se turent se livrant uniquement aux tâches qui les retenaient près du lit de l'enfant qui gémissait à présent péniblement.
Publius Lentulus se pencha sur le lit de sa fille, les yeux en larmes.
Il joua avec ses petites mains décharnées et ulcérées, faisant la fête, le cœur touché d'un infini chagrin.
Ma chérie, que veux-tu aujourd'hui pour mieux dormir ? - demanda-t-il la voix étranglée, arrachant des larmes des yeux de Livia.
Je t'achèterai beaucoup de jouets et beaucoup de choses nouvelles... Dis à papa, ce que tu veux...
Une forte sueur empâtait les excroissances ulcéreuses de la malade qui laissait transparaître une anxiété alarmante. On pouvait remarquer qu'elle faisait beaucoup d'efforts pour répondre à la question de son père.
Parle, mon enfant - murmura Publius suffoqué en constatant son désir d'exprimer une réponse.
J'irai chercher tout que tu voudras... J'enverrai spécialement à Rome un porteur pour qu'il te rapporte tous tes jouets...
Au terme d'un effort impossible, la petite parvint à murmurer d'une voix faible, presque inaudible :
-Papa... je veux... le prophète... de Nazareth...
Le sénateur baissa les yeux, humilié et confus face à cette réponse inattendue, tandis que Livia et Anne, comme touchées par une force invisible et mystérieuse face à la scène inopinée, cachaient leur visage inondé de larmes.
LE MESSIE DE NAZARETH
Le lendemain au lever du jour, de sérieuses inquiétudes attendaient Publius et sa
famille.
De bonne heure, il discutait déjà en compagnie de son épouse qui s'adressait à lui d'une voix suppliante et aimante :
Chéri, je pense que tu devrais assouplir un peu ta position face aux difficultés où le destin nous a placés et aller voir cet homme généreux pour le bien de notre fille. Tout le monde fait référence à ses actions, saisi par sa bonté édifiante, et je crois que son cœur s'apitoiera sur notre malheureuse situation.
Appréhensif et incertain, le sénateur l'écoutait, puis s'exclama finalement :
Très bien, Livia, j'accéderai à tes désirs mais seule l'angoisse qui nous fait souffrir me fait transiger aussi violemment avec mes principes.
Cependant, je ne procéderai pas comme tu le suggères. J'irai seul en ville, comme si de rien n'était, je passerai par le chemin de traverse qui conduit aux bords du lac, sans en arriver à aborder personnellement le prophète pour ne pas rabaisser ma dignité sociale et politique, mais si une occasion favorable se présente, je lui ferai comprendre combien sa visite à notre petite malade, nous ferait plaisir.
Très bien ! - dit Livia, à la fois réconfortée et reconnaissante - je garde en mon âme la foi la plus sincère et la plus profonde. Oui, va, chéri !... Je resterai ici à supplier la bénédiction des cieux pour notre initiative. Le prophète, qui à présent est considéré comme un véritable médecin des âmes, saura que derrière ta position de sénateur de l'Empire, il est des cœurs qui souffrent et pleurent !...
Publius remarqua que son épouse s'exaltait à ses considérations, se laissant aller à ce qu'il jugeait un excès de faiblesse et d'émotivité, mais il ne lui fit aucun reproche vu le moment difficile susceptible d'égarer l'esprit le plus solide.
Il laissa les heures agitées du jour s'écouler avec les clartés du coucher de soleil et lorsque le crépuscule déversa ses tons rouges sur le paysage merveilleux, il sortit, feignant d'être distrait et détendu, comme s'il désirait connaître de près l'ancienne fontaine de la ville, motif d'attraction pour tous les étrangers.
Après avoir parcouru environ trois cents mètres, il croisa des passants et des pêcheurs qui rentraient chez eux et le dévisageaient avec une curiosité mal dissimulée.
Une heure s'écoula alors qu'il était plongé dans ses tristes réflexions.
Un immense voile d'ombres envahissait toute la région pleine de vitalité et de parfums.
Où serait donc le prophète de Nazareth à cette heure ? L'histoire de ses miracles et de sa charmante magie sur les âmes ne serait-elle pas une simple illusion ? N'était-il pas absurde de le chercher le long des chemins, faisant taire les impératifs de sa hiérarchie sociale ? En tout cas, il devait s'agir d'un homme simple et ignorant, vu sa préférence pour Capharnaum et pour les pêcheurs.
Tout en laissant libre cours aux idées qui lui passaient par la tête, l'esprit bouillonnant et abattu, Publius Lentulus se dit que l'hypothèse d'une telle rencontre avec le maître de Nazareth était peu probable.
D'ailleurs, comment se comprendraient-ils ?
L'apprentissage minutieux des dialectes du peuple ne l'avaient pas intéressé et Jésus lui parlerait certainement en araméen, cette langue ordinairement utilisée dans le bassin de Tibériade.
De profondes inquiétudes débordaient de son esprit sur son cœur comme les ombres du crépuscule précédant la nuit.
Le ciel, à cette heure, était d'un bleu merveilleux alors que les clartés opalines du clair de lune n'avaient pas attendu que l'éventail immense de la nuit se referme complètement.
Le sénateur sentit son cœur perdu dans un abîme de cogitations infinies à palpiter effréné dans sa poitrine oppressée. Une pénible émotion assaillait à présent les fibres les plus intimes de son esprit. Machinalement, il s'assit sur un banc en pierres orné de ronces et se laissa aller à sonder l'infini de ses pensées.
Jamais il n'avait ressenti une telle sensation sinon dans ce rêve mémorable qu'il n'avait relaté qu'à Flaminius.
Il se rappelait des moindres faits de sa vie, il semblait avoir abandonné temporairement la geôle de son corps physique. Il ressentait une profonde extase devant la nature et ses merveilles, sans savoir comment exprimer l'admiration et la reconnaissance envers les pouvoirs célestes telle était la réclusion dans laquelle il avait toujours gardé son cœur orgueilleux et insoumis.
Des eaux calmes du lac de Génésareth semblaient émaner de doux parfums qui se mariaient délicieusement à l'arôme champêtre du feuillage.
Et à cet instant, comme si son esprit avait été sous l'emprise d'un étrange et doux magnétisme, il entendit des pas légers se rapprocher.
Devant ses yeux anxieux, un personnage unique et incomparable s'arrêta net. Il s'agissait d'un homme encore jeune qui laissait transparaître dans ses yeux, profondément miséricordieux, une beauté douce et indéfinissable. De longs cheveux soyeux entouraient son visage compatissant comme des fils châtains légèrement dorés par une lumière inconnue. Son sourire divin révélait en même temps une bonté immense et une singulière énergie, de sa personne mélancolique et majestueuse émanait une fascination irrésistible.
Publius Lentulus n'eut pas de mal à identifier cette créature impressionnante, mais dans son cœur s'agitait une foule de sentiments qui, jusqu'à présent, lui étalent inconnus. Même sa présentation à Tibère, dans les magnificences de Capri, n'avait provoqué en lui une telle émotion. Des larmes ardentes jaillirent de ses yeux qui avaient si rarement pleuré, et une force mystérieuse et invincible le fit s'agenouiller sur l'herbe baignée du clair de lune. Il voulut parler, mais sa poitrine oppressée étouffait. Ce fut alors que dans un geste de douceur et d'une souveraine bonté, le doux Nazaréen marcha vers lui, telle la vision concrétisée d'un dieu de ses croyances antiques et, posant affectueusement sa main droite sur son front, il s'exclama dans un langage charmant que Publius comprit parfaitement comme s'il entendait la langue patricienne lui donnant l'inoubliable impression que ses paroles étaient celles d'un esprit à un autre, d'un cœur à un autre cœur :
Sénateur, pourquoi me cherches-tu ?
Et parcourant d'un regard profond le paysage comme s'il désirait que sa voix fût entendue de tous les hommes sur la planète, il conclut avec une sereine noblesse :
Tu aurais mieux fait de chercher à me rencontrer en public et en plein jour pour que tu puisses acquérir d'un seul coup et pour toujours la leçon sublime de foi et d'humilité... Mais, je ne suis pas venu au monde pour déroger aux lois suprêmes de la nature et je viens à la rencontre de ton cœur affligé !...
Publius Lentulus ne put s'exprimer à travers ses larmes alors qu'il pensait amèrement à sa fillette ; mais comme s'il le dispensait de parler, le prophète poursuivit :
Oui... je ne viens pas voir l'homme d'État, superficiel et orgueilleux, que seul des siècles de souffrance pourront conduire au giron de mon Père ; je viens répondre aux suppliques d'un cœur malheureux et opprimé car vois-tu, mon ami, ce ne sont pas tes sentiments que sauvent ta miette lépreuse abandonnée par la science du monde, tu vis trop encore dans la raison égoïste et humaine ; mais la foi et l'amour de ton épouse car la foi est divine... Il suffit d'un rayon de ses puissantes énergies pour pulvériser tous les monuments des vanités de la terre...
Ému et fasciné telles étaient les émotions inconnues et soudaines qui endiguaient son cœur, le sénateur se dit que son esprit planait dans une atmosphère de rêve et voulait croire que ses sens réels étaient entravés par le jeu incompréhensible d'une complète illusion.
Non, mon ami, tu ne rêves pas... - s'exclama avec douceur et fermeté le Maître, en devinant ses pensées. -Après de longues années passées à te détourner du droit chemin, habitué à commettre de fracassantes erreurs, tu trouves, aujourd'hui, un point de référence pour régénérer ta vie.
Mais cela dépend de ta volonté d'en profiter à présent ou d'ici quelques millénaires... Si la multiplicité des vies humaines est soumise aux circonstances, il faut te dire qu'elles sont de toute nature ; pour autant il incombe aux créatures d'exercer le pouvoir de la volonté et des sentiments pour rapprocher leur destinée des courants du bien et de l'amour envers leurs semblables.
À cet instant, si tu sais utiliser ta liberté, une minute glorieuse retentit pour ton esprit qui sera désormais dans ton cœur un cantique d'amour, d'humilité et de foi, à l'heure indéterminable de ta rédemption pour l'éternité...
Mais personne ne pourra rien contre ta propre conscience si tu veux mépriser indéfiniment cette précieuse minute !
Berger des âmes humaines, depuis la formation de cette planète, voilà des millénaires que je cherche à rassembler les brebis égarées en essayant d'apporter à leur cœur les joies éternelles du royaume de Dieu et de sa justice !...
Publius fixait cet homme extraordinaire dont l'intrépidité provoquait son admiration et son étonnement.
Humilité ? De quel crédit jouissait donc ce prophète pour lui parler ainsi, à lui sénateur de l'Empire, investi de tous les pouvoirs devant un sujet ?
D'un seul coup, il se souvint de la ville de césars, couverte de triomphes et de gloires dont les monuments et les pouvoirs, à ses yeux, semblaient immortels.
- Tous les pouvoirs de ton Empire sont bien peu de chose et toutes leurs richesses bien misérables.
Les magnificences des césars sont les illusions éphémères d'un jour car tous les savants, comme tous les guerriers, sont appelés le moment opportun venu aux tribunaux de la justice de mon Père qui est au ciel. Un jour, leurs aigles puissants cesseront d'exister sous une poignée de cendres pitoyables. Leurs sciences se transformeront au souffle des efforts d'autres travailleurs plus dignes de progrès, leurs lois iniques seront englouties dans l'abîme ténébreux de ces siècles d'impiété, car seule une loi existe et survivra aux décombres de l'inquiétude de l'homme - la loi de l'amour, institué par mon Père, dès le début de la création...
Maintenant, retourne chez toi, conscient des responsabilités de ta destinée...
Si la foi restaure dans ton foyer la joie avec le rétablissement de ta fille, n'oublie pas que cela représente une aggravation de tes devoirs pour ton cœur devant notre Père Tout- puissant !...
Le sénateur voulut parler mais sa voix était saisie d'émotion et de sentiments profonds.
Il voulut se retirer, mais à cet instant, il remarqua que le prophète de Nazareth se transfigurait, les yeux fixés au ciel...
Ce lieu devait être le sanctuaire de ses méditations et de ses prières, au cœur parfumé de la nature, car Publius devina qu'il priait intensément et remarqua que de copieuses larmes baignaient son visage envahi alors par une douce clarté qui révélait sa beauté sereine et son indéfinissable mélancolie...
À cet instant, toutefois, une délicieuse torpeur paralysa les facultés d'observation du patricien qui s'apaisa, interdit.
Il devait être neuf heures du soir quand le sénateur sentit qu'il sortait de sa torpeur.
Une légère brise caressait ses cheveux et la lune déversait ses rayons argentés sur l'immense et délicat miroir des eaux.
Gardant en mémoire les moindres détails de cette minute inoubliable, Publius se sentit humilié et rabaissé devant la faiblesse dont il avait fait preuve face à cet homme extraordinaire.
Une avalanche d'idées conflictuelles assaillait son cerveau concernant ces blâmes et ces paroles à jamais gravées au fond de sa conscience.
Rome n'avait-elle pas aussi ses sorciers ? Il chercha à se remémorer tous les drames mystérieux de la cité lointaine avec ses personnages impressionnants et Incompréhensibles.
Cet homme ne serait-il pas une copie fidèle des mages et des devins qui fascinaient également la société romaine ?
Devrait-il, pour autant, abandonner les très chères traditions de sa patrie et de sa famille pour devenir un homme humble, frère de toutes les créatures ? Du haut de sa vaniteuse supériorité, il souriait en lui-même tout en examinant l'inanité de ces exhortations qu'il considérait méprisables. Néanmoins, son cœur envoyait d'autres appels émouvants à son esprit. Le prophète n'avait-il pas parlé d'une occasion unique et merveilleuse ? N'avait-il pas promis, avec assurance, la guérison de sa fillette pour le compte de la foi ardente de Livia ?
Plongé dans ces profondes réflexion, il ouvrit délicatement la porte de la résidence et se dirigea anxieux vers la chambre de la malade et, Oh ! doux miracle ! sa fille reposait dans les bras de Livia dans une sérénité absolue.
Une force surhumaine et inconnue avait atténué ses atroces souffrances car ses yeux laissaient entrevoir une douce satisfaction infantile qui illuminait son visage rieur. Pleine d'une joie maternelle, Livia lui raconta, alors, qu'à un moment donné, la petite avait dit ressentir sur son front le contact de mains affectueuses. Puis elle s'était assise dans son lit comme si une énergie mystérieuse et inattendue avait rendu brusquement à son organisme sa vitalité. Elle s'était alimentée et contre toutes attentes la fièvre avait disparu ; elle révélait déjà un air de convalescente et discutait avec sa tendre mère avec toute la grâce spontanée de sa jeunesse.
Une fois son récit terminé, la jeune femme dit avec enthousiasme :
- Depuis ton départ, Anne et moi avons prié avec ferveur auprès de notre petite malade, nous avons imploré le prophète de répondre à ton appel, d'entendre nos prières et, maintenant, voici que notre enfant se rétablit !... Serait-il, chéri, un plus grand bonheur ?... Oh ! Jésus doit être un émissaire direct de Jupiter, envoyé en ce monde dans une glorieuse mission d'amour et de joie pour toutes les âmes !...
À cet instant, dans un élan spontané et incoercible provoqué par un sentiment de reconnaissance, Anne, qui l'écoutait émue, intervint :
Non, Madame !... Jésus ne vient pas de la part de Jupiter. C'est le Fils de Dieu, son Père et notre Père qui est aux deux, dont le cœur est toujours plein de bonté et de miséricorde pour tous les êtres comme le Maître nous l'enseigne. Louons, donc, le Tout-puissant pour la grâce reçue et remercions Jésus avec une prière remplie d'humilité...
Publius Lentulus suivait la scène en silence, profondément contrarié en constatant l'étroite intimité de sa femme avec une simple servante de sa maison. Il observa, très mécontent, non seulement la spontanéité de la gratitude enthousiaste de Livia, comme l'intromission d'Anne dans la conversation, ce qu'il considérait comme une impudence. Bien vite, il mobilisa toutes les forces de son orgueil pour rétablir la discipline chez lui, et, reprenant l'attitude hautaine de son expression physionomique, il s'adressa sèchement à son épouse.
Livia, il faut que tu contrôles ces ravissements ! Après tout, je ne vois rien d'extraordinaire à ce qui vient de se produire. Rien a manqué à notre malade en matière de traitement et de soins requis, il était donc logique de nous attendre à une réaction salutaire de la part de son organisme, vu notre constante assistance.
Quant à toi, Anne - fit-il en se tournant avec arrogance vers la servante intimidée -, j'estime que la mission qui te retenait dans cette pièce est déjà accomplie, et étant donné l'état d'amélioration de la petite, il n'est pas nécessaire que tu restes plus longtemps ici auprès de ta maîtresse qui a fait venir de Rome les domestiques de son service personnel.
Consternée, Anne regarda sa maîtresse qui montrait sur son visage les signes évidents de son amertume face au caractère imprévu de ces propos intempestifs, et faisant une légère et respectueuse révérence, elle sortit de la chambre où elle avait déployé les meilleures énergies de son abnégation fraternelle.
Pourquoi cela, Publius ? - demanda Livia, très émue. - Juste à l'heure où nous devrions montrer la joie de notre reconnaissance à cette dévouée servante, tu agis avec une telle sévérité ?
Tes enfantillages m'y obligent. Que dira-t-on d'une matrone qui ouvre son âme à ses esclaves les plus humbles ? Qu'en sera-t-il de ton cœur avec ces excès de confiance ? Je remarque avec regret qu'entre nous il existe, à présent, de profondes divergences. Pourquoi cette confiance excessive vouée au prophète de Nazareth qui n'est pas supérieur aux mages et aux sorciers de Rome ? De plus, où places-tu les traditions de nos divinités familiales si tu ne sais pas garder ta foi auprès de l'autel domestique ?
Je ne suis pas d'accord avec toi, chéri, quant à ces pondérations. J'ai la pleine conviction que notre Flavia a été guérie par cet homme extraordinaire... à l'instant de son amélioration soudaine quand elle nous parlait des mains sublimes qui la caressaient, j'ai vu de mes propres yeux, que le lit de la petite était saturé d'une lumière différente que je n'avais jamais vue jusqu'à présent...
Une lumière différente ? Tu divagues certainement après tant de fatigue ; ou alors tu es contaminée par les hallucinations de ce peuple fanatique au sein duquel nous avons eu la malchance de tomber...
Non, mon ami, il ne s'agit pas de divagation. Même si ces propos viennent du cœur que j'adore et que j'admire le plus sur terre, je le reconnais, j'ai la certitude que le Maître de Nazareth vient de guérir notre fillette. Quant à Anne, chéri, je trouve ton attitude injuste, d'ailleurs, en contradiction avec ta proverbiale générosité à l'égard des serviteurs de notre foyer. Nous ne pouvons ni ne devons oublier qu'elle fut d'un dévouement à toute épreuve, auprès de notre fille et de moi-même en ces lieux solitaires. Quelles que puissent être ses croyances j'estime que sa conduite honnête et sanctifiante ne peut qu'honorer le service de notre maison.
Le sénateur réfléchit à la teneur élevée des remarques faites par son épouse et regrettant son attitude impulsive, il capitula face au bon sens de ces propos.
Très bien, Livia, j'apprécie ta noblesse de cœur et j'accepte qu'Anne reste à ton service ; mais je ne transige pas en ce qui concerne la guérison de notre fillette. Je n'admets pas que l'on attribue au mage de Nazareth son rétablissement. Quant au reste, tu devras toujours te rappeler qu'il me plaît de savoir que ta confiance et ton intimité me sont strictement réservées. Le patricien et la matrone romaine en particulier ne doivent pas ouvrir les portes de leur cœur aux employés ou aux inconnus.
Tu sais combien je respecte tes ordres - lui dit son épouse réconfortée lui adressant un regard affectueux et reconnaissant - et je te demande pardon si j'ai offensé ton âme généreuse et sensible !...
Non, ma chérie, si quelqu'un doit demander pardon, c'est à moi de le faire, mais tu n'es pas sans savoir que cette région me tourmente et me fait peur. Je me sens réconforté en constatant la réaction bénéfique de la nature organique de notre enfant car cela signifie notre prochain retour à Rome. Nous n'attendrons que quelques jours, mais dès demain je demanderai à Sulpicius de commencer les préparatifs de notre départ.
Livia approuva les commentaires de son mari, tout en caressant sa petite fille réanimée et remise de l'abattement profond qui l'avait prostrée pendant plusieurs jours. En son for intérieur, heureuse, elle remerciait Jésus. Son cœur lui disait que l'événement était une bénédiction que le Père des cieux lui avait envoyée à travers les mains charitables et saintes du Maître.
Mais obéissant à l'impulsion de sa vanité, Publius ne voulut pas se souvenir du personnage extraordinaire qu'il avait eu devant ses yeux éblouis. Dans son imagination surexcitée, il échafaudait des théories pour éloigner l'interférence directe de cet homme concernant la guérison de Flavia, répondant, ainsi, aux objections de son propre esprit d'observation et d'analyste méticuleux.
Il ne pouvait oublier que le prophète l'avait enveloppé de forces inconnues, faisant taire sa voix et l'obligeant à s'agenouiller. Cet incident, qu'il considérait comme une douloureuse humiliation, blessait son orgueil despotique.
Des idées torturantes peuplaient son cerveau épuisé par tant de luttes intérieures et, après avoir évoqué les génies protecteurs de la famille devant l'autel domestique, il chercha à se reposer de ses fatigues amères.
Cette nuit-là, cependant, son âme revécu les souvenirs de son existence passée dans les ailes envoûtantes de ses rêves.
Revêtu des mêmes insignes de consul au temps de Cicéron, il revit les atrocités pratiquées par Publius Lentulus Sura, son expulsion du consulat, les réunions secrètes de Lucius Sergius Catilina, les perversités révolutionnaires. Il se sentit à nouveau en présence de ce tribunal de juges austères et vénérables qui dans son rêve antérieur lui avait notifié sa renaissance sur terre à une époque de grandes clartés spirituelles.
Devant ces vénérables magistrats qui exhibaient des toges d'une blancheur de neige, il ressentit d'amères sensations d'angoisses qui troublaient immensément son cœur.
Dans une ambiance sublimée de lumière spirituelle, le même juge respectable se leva et s'exclama :
Publius Lentulus, pourquoi as-tu dédaigné la minute glorieuse qui t'aurait permis de racheter l'heure radieuse et infinie de ta rédemption pour l'éternité ?
Tu t'es trouvé cette nuit à la croisée de deux chemins - celui de serviteur de Jésus et celui de serviteur du monde. Pour le premier, ton joug eut été doux et ton fardeau léger ; mais tu as choisi le second où il n'existe pas d'amour suffisant pour laver toute l'iniquité... Prépare- toi, donc, à le suivre avec courage car tu as préféré le chemin le plus scabreux où les fleurs de l'humilité manquent pour atténuer la rigueur des épines vénéneuses !...
Tu souffriras beaucoup car sur cette route, le joug est inflexible et le fardeau très lourd ; mais tu as agi en toute liberté de conscience face à l'enjeu considérable des circonstances de ta vie... Conduit à une opportunité merveilleuse, tu persévères à parcourir la voie arrière et pénible des épreuves les plus rudes et les plus vives.
Nous ne te condamnons pas, nous déplorons à peine l'intransigeance de ton esprit face à la vérité et à la lumière ! Fortifie toutes les fibres de ton être car ta lutte sera désormais très longue !...
Attentivement, il écoutait ces exhortations émouvantes, mais à cet instant, il s'éveilla aux sensations de la vie matérielle, éprouvant une singulière fatigue psychique doublée d'une tristesse indéfinissable.
De bonne heure, son attention fut attirée par Livia qui lui apportait la petite Flavia convalescente et heureuse. Sa peau était comme lissée, soumise à un processus thérapeutique inconnu et merveilleux qui faisait disparaître les tons violacés qui auparavant précédaient les tons rosés des plaies à vif.
Le sénateur retrouva un peu sa sérénité en constatant l'amélioration évidente de sa fillette qu'il serra amoureusement contre son cœur, s'exclamant, plus tranquille :
Livia, il est vrai qu'hier soir, je me suis trouvé en présence du dit maître de Nazareth, mais la logique de mon éducation et de mes connaissances m'empêchent d'admettre qu'il puisse être l'auteur du rétablissement de notre fille.
Puis il se mit à lui relater d'une manière superficielle les événements passés, sans toutefois se rapporter aux détails qui l'avaient le plus impressionné.
Livia écoutait attentivement son récit, mais elle Observa ses dispositions intimes envers le prophète qu'elle considérait comme un être supérieur et vénérable, aussi ne voulut- elle pas exprimer sa pensée sur le sujet, craignant un conflit d'opinion inopportun et injustifiable. Dans son cœur, elle remerciait ce Jésus aimant et compatissant qui avait répondu à ses angoissantes suppliques maternelles et au fond de son âme, elle caressait l'espoir de baiser le bord de sa tunique avec humilité, en témoignage de sa reconnaissance sincère, avant de retourner à Rome.
Quatre jours plus tard, la petite malade présentait les signes évidents d'un rétablissement physique certain, ce qui était un motif de grande satisfaction pour tous les cœurs qui l'entouraient.
Par un matin radieux, la jeune Livia se trouvait chez elle avec son petit garçon qui allait bientôt avoir un an. Elle berçait son enfant et donnait des instructions à sa domestique Sémélé, d'origine juive, désignée pour veiller sur l'enfant, tel était l'intérêt qu'elle avait démontré pour le petit Marcus dès l'instant de son admission au service de la maison. Tout d'un coup, la servante s'exclama en montrant du doigt le large sentier rocailleux :
- Madame, deux cavaliers inconnus arrivent au grand galop !
À ce commentaire, Livia put également les voir le long de la route, et se dirigea immédiatement à l'intérieur afin de prévenir son mari.
Efficacement, quelques minutes plus tard, deux chevaux en sueur et haletants s'arrêtaient devant sa porte. Accompagné d'un guide juif, un homme vêtu à la romaine, bien disposé, mit lestement pied à terre.
Il s'agissait de Quirilius, un affranchi de confiance de Flaminius Sévérus qui venait, au nom de son maître, apporter à Publius et à sa famille quelques nouvelles et de nombreux souvenirs.
Cette charmante surprise remplit la journée d'agréables souvenirs et de doux moments qui furent une source de joies ineffables. Le noble patricien n'avait pas oublié ses amis lointains et parmi les nouvelles réconfortantes et une somme d'argent considérable, Calpurnia avait joint plusieurs cadeaux à l'intention de Livia et de ses deux enfants.
Ce jour-là, Publius Lentulus le passa à remplir de nombreux rouleaux de parchemin pour envoyer à son compagnon de lutte des nouvelles détaillées de tous les événements. Parmi eux, se trouvait la bonne nouvelle du rétablissement de sa fille attribuée au climat merveilleux de la Galilée. Mais comme il considérait ce valeureux descendant de Sévérus comme un frère dévoué et fidèle à qui son cœur n'avait jamais cessé de confier ses plus secrètes émotions, il lui écrivit une longue lettre supplémentaire, destinée au Sénat romain, sur la personnalité de Jésus-Christ. Il le décrivit avec sérénité, d'un point de vue strictement humain, sans emportement émotionnel. Enfin, Publius et Livia annonçaient joyeusement à leurs amis lointains que dans un mois, ils retourneraient certainement à Rome, étant donné le parfait rétablissement de la petite Flavia.
Il était déjà tard lorsque cette longue tâche fut achevée, mais à la tombée de la nuit alors que les deux époux conversaient dans le triclinium tout en relisant les douces paroles de leurs chers absents et faisaient de joyeux projets sur leur prochain retour, voilà que Sulpicius, en compagnie d'un messager de Pilate, se fit annoncer.
Le sénateur reçut la visite de l'émissaire dans son cabinet privé, qui lui adressa respectueusement la parole en ces termes :
Très illustre, le seigneur gouverneur de Judée vous fait part de son arrivée à sa résidence aux alentours de Nazareth où û espère avoir le plaisir de recevoir vos ordres et avoir de vos nouvelles.
Je vous remercie ! - répliqua Publius, de bonne humeur, en ajoutant : - Une chance que le seigneur procurateur ne soit pas loin, cela m'évitera de m'attarder à Jérusalem avant mon départ pour Rome dans quelques jours !...
Quelques formules protocolaires furent échangées tandis que Publius Lentulus ne remarqua rien dans l'attitude de Sulpicius qui lui envoyait des regards éloquents.
L'ENLÈVEMENT
Au temps du Christ, la Galilée était un vaste cellier qui approvisionnait presque toute la Palestine.
À cette époque, le niveau du beau lac de Génésareth n'était pas aussi bas que de nos jours. Toutes les terres avoisinantes étaient arrosées par les nombreuses sources et canaux, ainsi que par le travail des norias qui puisaient l'eau, produisant une végétation luxuriante qui garnissait de fruits et remplissait de parfums ces paysages paradisiaques.
Toute l'année la population semait et récoltait du blé, de l'orge, des citrouilles, des lentilles, des figues et du raisin qui donnaient le goût du plaisir et de l'abondance à la vie. Sur les collines, des palmiers et de précieux dattiers dont les fruits étaient les plus riches de Palestine se dressaient au milieu des vignes et des oliviers.
À Capharnaûm, en plus de ces richesses, l'industrie de la pêche prospérait grâce à l'abondance de poissons dans ce que l'on appelait à l'époque la « Mer de Galilée », réunissant les ingrédients d'une vie simple et tranquille. De tous les peuples des centres galiléens, celui de Capharnaûm se distinguait par sa beauté spirituelle, humble et sans prétention. Consciencieux et croyant, il acceptait la Loi de Moïse et était très loin des manifestations hypocrites du pharisaïsme de Jérusalem. En vertu de cette simplicité naturelle et de cette foi spontanée et sincère, le paysage de Capharnaûm servit de scène aux premières leçons inoubliables et immortelles du christianisme dans sa pureté originelle. Jésus trouva en ces lieux l'affection de cœurs dévoués et valeureux, et le monde spirituel mit en lumière les éléments propices à la formation de cette école inoubliable où le Divin Maître allait donner les exemples de ses enseignements.
Dans toutes les villes de la région, il y avait des synagogues pour que les leçons de la Loi fussent transmises les samedis, jour que chacun devait consacrer exclusivement au repos du corps et aux activités de l'esprit. Lors de ces petites assemblées, la parole était donnée à ceux qui désiraient la prendre, mais Jésus préférait le doux temple de la nature pour la diffusion de ses enseignements.
Les classes les plus pauvres accouraient toutes à ses prêches en plein air dont l'extraordinaire beauté séduisait les cœurs les plus endurcis.
Un vieil accord entre seigneurs avait décidé que le jour consacré aux études de la Loi serait le jour de repos des esclaves, et les Romains eux-mêmes respectaient ces traditions régionales pour gagner la sympathie du peuple conquis.
À cette époque, l'affluence des esclaves aux prédications consolatrices du Messie de Nazareth était grande.
Une semaine s'était écoulée depuis l'arrivée des nouvelles de Rome et, ce samedi-là, aux premières heures de l'après-midi, amicalement, Livia et Anne discutaient tranquillement en privé.
Oui - dit la jeune patricienne à sa servante qui était habillée prête à sortir -, si tu le peux aujourd'hui, remercie de vive voix le prophète en mon nom, car grâce à son infinie bonté, je suis vraiment heureuse. Dis-lui aussi qu'avant de partir pour Rome, si cela m'est possible, j'essaierai de le rencontrer pour baiser ses mains généreuses en témoignage de ma reconnaissance !...
Je n'oublierai pas vos ordres et j'espère que vous pourrez aller chez Simon pour lui rendre visite avant de quitter ces lieux... Aujourd'hui encore - a-t-elle continué sur un ton confidentiel - je dois rencontrer en ville mon vieil oncle Siméon qui est spécialement arrivé de Samarie pour recevoir sa bénédiction et ses enseignements. Je ne sais pas si vous êtes au courant mais entre les Samaritains et les Galiléens, il existe des conflits très anciens ; mais dans ses leçons d'amour et de fraternité, à plusieurs reprises déjà, le Maître a loué les premiers pour leur charité loyale et sincère. Il a déjà réalisé de nombreux miracles en Samarie et mon oncle est l'un de ceux qui en a bénéficié et qui aujourd'hui viendra recevoir la bénédiction de ses mains consolatrices !...
Une foi douce et émouvante remplissait l'âme de cette femme du peuple, accentuant chez Livia son désir de connaître cet homme extraordinaire qui savait illuminer de ses grâces, les cœurs les plus ignorants et les plus humbles.
Anne, attends un peu - dit-elle délicatement, puis se dirigea vers ses appartements. Quelques minutes plus tard, elle revint le visage radieux, satisfaite d'initier à cet instant son premier acte de fraternisation chrétienne et elle donna à sa servante quelques pièces de monnaie, s'exclamant avec joie :
Porte cet argent à ton oncle Siméon, en mon nom... Il vient de loin pour voir le Messie et il en aura besoin !
Ravie, Anne reçut les quelques deniers et la remercia de ce don qui était une vraie fortune. Quelques minutes plus tard, en compagnie de Sémélé et d'autres compagnes, elle prenait la route de Capharnaum en direction du lac où elles allaient attendre la tombée du jour que la barque de Simon Barjonas amène le Messie pour les prêches habituels.
En ville, la première chose qu'elle fit, fut de courir à une vieille cabane où le vénérable Siméon la serra affectueusement dans ses bras, pleurant de joie. Quelle ne fut pas la joie de ces cœurs infortunés en voyant le généreux don de Livia qui représentait pour eux un petit trésor !
Comme elle avait laissé ses compagnes à l'endroit habituel, Anne n'avait pu remarquer que, juste après s'être absentée, Sémélé était partie en hâte en direction d'une maison cachée entre de nombreux oliviers, au bout d'une ruelle presque abandonnée.
Elle frappa à une porte et une femme distinguée vint lui répondre aimablement.
Notre ami est-il arrivé ? - demanda l'employée, feignant l'insouciance.
Oui, Monsieur André est ici depuis hier, à vous attendre. Veuillez me donner un instant, je vous prie.
Quelques minutes plus tard, un homme vint rejoindre Sémélé. Dans un coin de la pièce, il l'étreignit avec effusion comme s'il lui était profondément attaché.
André de Gioras était à Capharnaum pour accomplir sa vengeance où il était aidé par une complice qu'il avait réussi à introduire chez Publius Lentulus, à Jérusalem, motivé par sa soif de représailles et une cruelle sagacité.
Après un long entretien à voix basse, la servante du sénateur lui parla en ces termes :
Il n'y a pas de doute... J'ai réussi à gagner la confiance de mes employeurs et l'affection du petit. Tu peux être tranquille car le moment est opportun, vu que le Sénateur prétend retourner à Rome dans quelques jours !
L'infâme ! - s'exclama André, plein de rage - alors, il pense déjà au retour ? Très bien!... Ce maudit Romain a réussi à asservir pour toujours mon pauvre fils en négligeant mes suppliques paternelles, et bien il va payer très cher son audace de conquérant, parce que son fils sera l'esclave de ma maison ! Un jour, je lui montrerai ma revanche en lui prouvant que moi aussi je suis un homme !...
Il prononça ces mots entre ses dents, d'une voix lugubre, le regard fixe et brillant, comme s'il apostrophait des êtres invisibles.
Alors, tout est prêt ? demanda-t-il à Sémélé sur un ton de résolution définitive.
Parfaitement - répondit la servante avec la plus grande sérénité.
Très bien, d'ici trois jours j'irai jusqu'à là-bas à cheval, aux premières lueurs du jour.
Et lui remettant un flacon minuscule qu'elle cacha soigneusement dans ses vêtements, il continua d'une voix sourde :
Vingt gouttes suffiront pour que l'enfant s'endorme et ne se réveille pas avant douze heures... Quand il fera nuit noire, donne-lui ce breuvage dans un peu d'eau légèrement mélangée à un tout petit peu de vin et attends mon signal. Hier, j'ai fait la reconnaissance des lieux, je serai donc à proximité de la maison à attendre le précieux chargement. Tu couvriras l'enfant endormi de sorte que l'on ne puisse en soupçonner son contenu à quelque distance que ce soit. Comme dans toute affaire de cette nature nous devons tenir compte de l'éventualité du témoignage d'un regard étranger, je serai donc vêtu à la romaine, et j'espère que tu réussiras à porter l'une des tuniques de ta maîtresse pour que nous évitions que la culpabilité de cet enlèvement ne retombe sur quelqu'un de notre race, au cas où surgirait un quelconque témoin inopportun et imprévu... Une fois que j'aurai donné le signal de ma présence sur la route qui borde le verger, tu me rejoindras pour me remettre le précieux fardeau.
Et, le regard perdu dans la vision anticipée de sa vengeance, André de Gioras s'exclama les poings serrés :
Si les maudits Romains réduisent sans pitié nos enfants à l'esclavage, nous pouvons aussi asservir leurs malheureux descendants !... Les hommes naissent avec des droits égaux en ce monde...
En entendant ses mots, quelque peu effrayée, Sémélé objecta poliment :
Mais, et moi ? Je n'accompagnerai pas le petit Marcus cette nuit-là ?
Ce serait une grande imprudence. Tu devras rester à Capharnaum tout le temps nécessaire jusqu'à ce que soient épuisées toutes les pistes du futur sénateur qui, d'ailleurs, ne sera rien de plus qu'un futur esclave. Tôt ou tard, ta fuite serait un indice certain et il nous faut éviter cela à tout prix.
Comme tu le sais, j'ai des parents fortunés en Judée et je nourris l'espoir qu'un coup de chance m'accordera le poste important auquel j'aspire au Temple de Jérusalem. Nous ne pouvons donc avoir des démêlés avec la justice, niais sois sans crainte, plus tard, tes efforts d'aujourd'hui seront largement récompensés.
La servante soupira résignée et accéda à toutes les suggestions de cet esprit vindicatif.
Quelques heures plus tard, à la tombée de la nuit, les esclaves de Publius retournaient à la propriété tout en commentant joyeusement avec enthousiasme les petits incidents et les préoccupations du jour.
Depuis longtemps, Sémélé avait été patiemment instruite par André pour collaborer avec détermination à cet acte de vengeance, elle n'était donc pas inquiète. De nombreux liens la rattachaient à la famille de Gioras et en coopérant à ce sinistre plan, elle ne faisait rien de plus, supposait-elle, que de racheter plusieurs dettes d'ordre matériel.
En fait, elle pensait qu'en liquidant le cas du petit, elle retournerait à Jérusalem quand bon lui semblerait, consciente d'avoir accompli son devoir en obéissant aux terribles exigences d'André.
Le lendemain, elle calcula toutes les possibilités de succès de cette affaire et le moment venu, elle prit toutes les mesures nécessaires.
Il ne lui fut pas difficile d'obtenir une tunique appartenant à Livia. Sa maîtresse en possédait un grand nombre et presque quotidiennement Anne se chargeait de préparer celles qui devaient être nettoyées ; et ce fut ainsi que, trompant le dévouement et la vigilance de sa collègue, Sémélé se procura une tunique élégante et discrète afin de suivre scrupuleusement les consignes de celui dont elle s'était rendue complice.
Depuis qu'ils étaient arrivés en Palestine, le sénateur et sa femme n'avaient jamais vécu des moments aussi paisibles, remplis d'espoirs. La guérison de leur fille était une joie à chaque instant, et ils faisaient les plus doux projets de bonheur pour les jours à venir.
Livia organisait déjà tous les préparatifs de voyage, car quelques jours plus tard, ils seraient à nouveau au vieux port de Joppé en partance pour la chère métropole.
Une sérénité, qui semblait imperturbable, reposait à présent sur le couple qui tranquillisait leur cœur aimant.
Publius avait complètement oublié les avertissements de son rêve qu'il considérait comme le fruit de son entretien impressionnant avec le prophète de Nazareth et son cœur se rassurait en considérant la valeur des pouvoirs humains dans sa vanité fière qui étouffait toutes ses Inquiétudes d'ordre spirituel. Une seule pensée dominait son cœur : retourner à Rome dans quelques jours.
Cette nuit-là, néanmoins, toutes ses espérances allaient s'éteindre et changer définitivement le cours de sa vie sur terre.
Celui qui connaissait la trame ourdie dans l'ombre par l'esprit vindicatif d'André, après minuit put entendre un long sifflement qui se répéta trois fois dans le silence lugubre du bosquet.
Un homme vêtu à la romaine descendit d'un cheval fougueux, à quelques mètres de la maison, sur le large chemin qui séparait la végétation des champs, des arbres fruitiers. Puis, une porte s'ouvrit furtivement et une femme habillée à la mode patricienne s'approcha du cavalier qui l'attendait anxieux et déposa délicatement dans ses bras un paquet volumineux.
Sémélé - s'exclama-t-il tout bas -, cette heure est décisive pour nos destins !
La servante de Lentulus ne put répondre tellement sa poitrine était oppressée.
À cet instant, ils ne remarquèrent pas qu'un homme s'était approché et s'était arrêté net à quelques pas de là dans l'épaisseur des sombres feuillages.
Maintenant - reprit le cavalier avant de partir dans une course folle - n'oublie pas que le silence est d'or et que si un jour tu es ingrate, tu pourras payer de ta vie la découverte de notre secret !...
Après cela, André de Gioras partit précipitamment à grand galop par les sombres chemins, emportant avec lui le paquet si précieux à ses yeux.
À la fois effrayée et émue, la servante le suivit du regard pendant quelques instants encore, avant de rentrer le pas chancelant.
Tous deux ne savaient pas que les yeux d'un calomniateur sont pires que les mains d'un voleur et que ces yeux les guettaient dans la solitude de la nuit.
C'était Sulpicius qui, par hasard, rentrait tard cette nuit-là, lorsqu'il surprit la scène faiblement éclairée par le clair de lune.
Observant de loin qu'un homme et une femme habillés à la romaine se trouvaient sur la route à une heure si inhabituelle, à pas de félin, entre les arbres, il s'approcha davantage afin de les identifier.
Mais la scène se déroula trop rapidement et il ne put entendre que les derniers mots « notre secret », prononcés par André dans sa promesse odieuse et menaçante.
Après le départ du cavalier, il vit que la femme était retournée à l'intérieur à pas vacillants comme prise d'un incoercible abattement. Il pressa alors le pas pour la surprendre et distingua sa silhouette à quelques mètres de distance. Mais il n'osa pas s'approcher, identifiant à peine les caractéristiques de ses vêtements à la faible lueur de la nuit. Cette tunique ne lui était pas inconnue. Cette femme, à son avis, était Livia, la seule d'ailleurs qui pouvait s'habiller de la sorte dans les environs.
D'un seul coup, avec l'esprit vif d'un homme rodé aux pires agissements, il associa les faits, les personnages et les choses. Il se souvint dans ses moindres détails de la scène à laquelle il avait assisté dans le jardin de Pilate et fut persuadé qu'il s'agissait de l'épouse de Publius qui avait réussi à se faire aimer du gouverneur dont elle avait dominé le cœur d'un seul regard en vertu de sa singulière beauté. Il se souvint pour terminer de la présence du procurateur en Judée, à Nazareth, et se dit finalement :
- Un gouverneur n'en est pas moins un homme, et un homme est bien capable de parcourir dans la nuit sur une bonne monture une distance comme celle qui va de Capharnaûm à Nazareth pour retrouver sa bien-aimée... Et bien ça alors !... Il nous faut continuer à observer le couple d'amoureux... Le seul fait étrange dans cette affaire est la facilité avec laquelle cette femme, si austère en apparence, se laisse dominer de la sorte ! Mais comme j'ai des intérêts avec Fulvia, nous allons réfléchir à la meilleure manière d'en informer le pauvre homme qui, tout en étant un sénateur jeune et riche, est un mari bien malchanceux !...
Et après ce prudent monologue, Sulpicius rentra particulièrement satisfait de se sentir maître de la situation. Il savourait déjà l'instant où il informerait Publius de son secret afin d'exiger plus tard, à Jérusalem, le prix ignominieux de sa perversité, selon les promesses de Fulvia.
Le lendemain réservait une douloureuse surprise au sénateur et à son épouse ahuris par le caractère inopiné de cet événement.
Personne ne connaissait les circonstances dans lesquelles s'était déroulé l'enlèvement de l'enfant dans le silence de la nuit.
Comme fou, Publius Lentulus prit toutes les mesures possibles auprès des autorités de Capharnaûm sans obtenir le moindre résultat. De nombreux serviteurs de confiance furent envoyés faire des battues dans les alentours, sans succès, et alors que son mari multipliait les ordres et les dispositions, Livia était cloitrée dans sa chambre, saisie d'une indéfinissable angoisse.
Sémélé, qui feignait la plus grande consternation, aidait Anne à soutenir sa maîtresse accablée de douleur.
Cet après-midi-là, Publius ordonna à Comenius, qui avait l'honneur d'être l'intendant de la propriété, de rassembler tous les serviteurs de la maison afin qu'une punition sévère fut infligée aux esclaves chargés de la surveillance nocturne, pour servir d'exemple. Durant toutes les heures du crépuscule, le fouet meurtrit la chair de trois hommes robustes qui, en vain, imploraient la clémence et la miséricorde, clamant leur innocence. Ce n'est que devant ces êtres injustement punis que Sémélé réalisa l'étendue de son acte, mais profondément terrifiée par les conséquences que pouvait entraîner son délit, elle se reprit et cacha bien davantage sa faute et son terrible secret.
Les punitions se poursuivirent jusqu'à ce que Livia tourmentée par ces cris lancinants et émouvants, se leva avec une extrême difficulté et appela son mari dans un coin du balcon d'où il assistait impassible à l'horrible sacrifice de ces misérables créatures et lui dit sur un ton suppliant :
Publius, ces hommes faibles et malheureux ont été suffisamment punis !... Ne serait- ce pas plutôt l'excès de Sévérité de notre part envers nos serviteurs, la cause d'une si triste punition des dieux à notre égard ? Ces esclaves ne sont-ils pas à leur tour les enfants de Créatures qui les ont beaucoup aimés en ce monde ? Dans mon angoisse maternelle, je nie rends compte que nous avons encore le droit et les moyens de garder auprès de nous nos enfants bien-aimés ; mais quel martyre torturant que celui d'une mère qui voit son malheureux enfant ravi de ses bras aimants pour être vendu par d'ignobles marchands d'âmes humaines !...
Livia, la souffrance te suggère de singuliers égarements - s'exclama le sénateur avec une fermeté sereine.
Comment peux-tu penser à une absurde égalité de droits entre une citoyenne romaine et de misérables servantes ? Ne vois-tu pas qu'entre toi et la mère d'un captif, il existe des différences de sentiment considérables ?
Je pense que tu te trompes - répliqua sa femme avec une intraduisible amertume -, car les animaux eux-mêmes possèdent un instinct des plus élevés...
Et même si j'avais tord, chéri, le bon sens veut que nous examinions notre condition de parents. Nous devons nous dire que personne, plus que nous-mêmes, n'est responsable de ce qui nous arrive car les enfants sont un don sacré des dieux qui les confient à nos cœurs, nous chargeant de redoubler d'affection et de vigilance à chaque instant. Et si je souffre amèrement, c'est en raison de l'amour sublime qui nous lie à nos petits sans pouvoir comprendre la cause de ce crime mystérieux, ni pouvoir imputer la faute de ce sinistre événement à nos serviteurs...