Le lundi à l'aube, Lawrence boucla son sac, l'arrima à sa moto et se prépara à rejoindre le Mercantour. Surveiller Marcus et Proserpine dans leurs jeunes amours, repérer Sibellius, vérifier les déplacements de la troupe, les présents, les absents, nourrir l'ancêtre, et puis chercher Electre, une petite femelle perdue de vue depuis huit jours. Il pisterait Sibellius vers le sud-est, au plus près du village de Pierrefort où s'était produite la dernière attaque.
Lawrence suivit la piste de Sibellius durant deux jours sans pouvoir repérer l'animal, ne s'arrêtant dans l'ombre d'une bergerie que lorsque cette saleté de soleil cuisait trop. En même temps, il contrôla vingt-deux kilomètres carrés de territoire, à la recherche hasardeuse de quelques restes de moutons broyés. Jamais Lawrence n'aurait été infidèle à sa passion pour les grands ours canadiens, mais il devait admettre que ce ramassis de maigres loups d'Europe avait en six mois creusé en lui des routes assez profondes.
C'est en passant avec précaution un sentier étroit bordé d'un à-pic qu'il repéra Electre, blessée tout au fond de la ravine. Lawrence évalua ses chances d'atteindre le bas de la pente broussailleuse où avait glissé la louve et estima pouvoir s'en débrouiller seul. Tous les gardes du Mercantour arpentaient le territoire et il faudrait attendre trop longtemps le secours d'un collègue. Il mit plus d'une heure à rejoindre l'animal, assurant prise après prise sous un soleil de forçat. La louve était à ce point faible qu'il n'eut pas même besoin de lui juguler les crocs pour la palper. Une patte cassée, pas mangé depuis des jours. Il la coucha sur une toile qu'il noua à son épaule. La bête, même amaigrie, pesait ses trente kilos, une plume pour un loup, un fardeau pour un homme remontant un à-pic. Parvenu au sentier, Lawrence s'accorda une demi-heure de repos, étendu à l'ombre sur le dos, une main posée sur le pelage de la femelle, pour bien lui faire comprendre qu'elle allait pas crever là toute seule comme aux débuts du monde.
A huit heures du soir, il apportait la louve au baraquement des soins.
– Il y a du grabuge en bas ? demanda le vétérinaire en transportant Electre sur une table.
– Rapport ?
– Rapport aux brebis égorgées.
Lawrence hocha la tète.
– Faut qu'on mette la main dessus avant qu'ils montent ici. Saccageraient tout.
– Tu repars ? demanda le vétérinaire en voyant Lawrence empocher du pain, une saucisse et une bouteille.
– Ai à faire.
Oui, aller chasser pour le vieillard. Ça pouvait prendre un bout de temps. Parfois il ratait ses coups, comme le vétéran.
Il laissa une note pour Jean Mercier. Ils ne se croiseraient pas ce soir, il dormirait à sa bergerie.
Ce fut Camille qui l'alerta le lendemain par téléphone, un peu avant dix heures, alors qu'il poursuivait son inspection vers le nord. A sa voix rapide, Lawrence comprit que le grabuge s'accélérait.
– Ça a recommencé, dit Camille. Un carnage aux Ecarts, chez Suzanne Rosselin.
– À Saint-Victor ? dit Lawrence, en criant presque.
– Chez Suzanne Rosselin, répéta Camille, au village. Le loup en a égorgé cinq et blessé trois.
– Bouffées sur place ?
– Non, il en a arraché des morceaux, comme pour les autres. Il n'a pas l'air d'attaquer pour se nourrir. Sibellius, tu l'as vu ?
– Pas trace.
– Faudrait que tu descendes. Deux gendarmes se sont pointés, mais Gerrot dit qu'ils ne sont pas foutus d'examiner les animaux correctement. Et le vétérinaire est en poulinage à des kilomètres. Tout le monde hurle, tout le monde gueule. Merde, descends, Lawrence.
– Dans deux heures, aux Écarts.
Suzanne Rosselin dirigeait seule l'élevage des Ecarts, à l'ouest du village, et d'une main de fer, disait-on. Les manières rudes et même viriles de cette grande et grosse femme l'avaient fait respecter et craindre de tout le canton, mais, hors de son domaine, elle était peu recherchée. On la trouvait trop brutale, trop grossière. Et moche. On racontait qu'un Italien de passage l'avait séduite trente ans plus tôt et qu'elle avait voulu le suivre sans le consentement de son père. Séduite jusqu'au bout, précisait-on. Mais la vie ne lui avait pas même laissé le temps de fronder que l'Italien avait disparu dans sa botte natale et que les parents étaient décédés dans l'année. Ensuite, on disait que la trahison, la honte, et le manque d'homme avaient durci la tête de Suzanne. Et que c'est le destin, par vengeance, qui l'avait rendue si hommasse. D'autres assuraient que non, qu'elle avait toujours été hommasse. C'était un peu pour toutes ces raisons que Camille aimait bien Suzanne, dont le langage de charretier, porté jusqu'à l'incandescence, avait quelque chose d'admirable. Camille, par les enseignements de sa mère, tenait la grossièreté pour un art de vivre, et la pratique professionnelle de Suzanne l'impressionnait.
Une fois par semaine environ, elle montait à la bergerie payer la caisse de nourriture que lui préparait Suzanne. Et sitôt qu'on pénétrait sur les terres des Ecarts, c'en était fini des aigres commentaires et des railleries : les cinq hommes et femmes qui travaillaient là se seraient fait hacher pour Suzanne Rosselin.
Elle suivit le chemin pierreux qui grimpait entre les terrasses jusqu'à la maison, une bâtisse de pierres haute et étroite percée d'une porte basse et d'ouvertures asymétriques et exiguës. Camille pensait que la toiture délabrée ne tenait le coup que par la grâce d'une solidarité occulte entre tuiles, soudées les unes aux autres par esprit de corps. L'endroit était désert et elle gagna la longue bergerie, plantée à flanc de pente cinq cents mètres plus haut. On entendait Suzanne Rosselin gueuler dans les lointains. Camille plissa les yeux dans le soleil pour distinguer les chemises bleues de deux gendarmes, et le boucher Sylvain qui s'agitait en tous sens. Dès qu'il s'agissait de viande, il fallait qu'il soit là.
Et puis, hiératique, droit, debout contre le mur de la bergerie se tenait le Veilleux. Elle n'avait pas encore eu l'occasion d'apercevoir de près le très vieux berger de Suzanne, toujours planqué au cœur de ses moutons. On disait qu'il couchait dans la vieille bâtisse, au milieu des bêtes, mais ça ne choquait personne. On l'appelait « le Veilleux », c'est-à-dire le « veilleur », le « gardeur », ainsi que Camille avait fini par le comprendre, et elle ne savait pas son nom véritable. Maigre et raide, le regard hautain, les cheveux blancs un peu longs, les poings serrés sur un bâton fiché dans le sol, il était au sens vrai du mot un majestueux vieillard, au point que Camille ne sut si on pouvait, ou pas, se permettre de lui adresser la parole.
De l'autre côté de Suzanne, tout aussi droit que le Veilleux, et comme par mimétisme, se tenait le jeune Soliman. On aurait cru, à les voir encadrer Suzanne comme deux gardes immobiles, qu'ils attendaient un seul signe d'elle pour disperser d'un revers de bâton une cohue d'assaillants imaginaires montant à l'assaut. Rien de tel. Le Veilleux était dans sa pose naturelle, et Soliman, en ces circonstances un peu dramatiques, se réglait tout simplement à son pas. Suzanne parlementait avec les gendarmes, on remplissait des constats. Les brebis égorgées avaient été transportées plus au frais, dans l'obscurité de la bergerie.
En apercevant Camille, Suzanne lui posa une grosse poigne sur l'épaule et la secoua.
– Ce serait le moment qu'il soit là, ton trappeur, dit-elle. Qu'il nous dise. Il est sûrement plus dégourdi que ces deux connards qui ne sont pas foutus de se démerder.
Le boucher Sylvain risqua un geste.
– Ta gueule, Sylvain, interrompit Suzanne. T'es aussi abruti que les autres. Je ne t'en veux pas, t'as des excuses, c'est pas ton boulot.
Personne ne s'offensait et les deux gendarmes, comme blasés, remplissaient péniblement les formulaires.
– Je l'ai prévenu, dit Camille. Il descend.
– Si t'as une minute, après. Il y a fuite aux latrines, faudrait que tu m'arranges ça.
– Je n'ai pas mes outils, Suzanne. Plus tard.
– En attendant, va voir ce trafic là-dedans, ma fille, dit Suzanne en pointant son pouce épais vers ïa bergerie. Un vrai sacrifice de sauvage.
Avant de passer la porte basse, Camille salua respectueusement le Veilleux, intimidée, et serra la main de Soliman. En revanche, elle connaissait bien Soliman, qui suivait Suzanne comme une ombre et la secondait dans toutes ses tâches, et elle connaissait aussi son histoire.
C'était même la première histoire qu'on lui avait contée à son arrivée, comme s'il y avait urgence : un Noir dans le village, c'est à peine si on s'en était remis vingt-trois ans après. Le jeune Africain avait été, comme dans les contes, déposé tout bébé dans un panier à figues devant la porte de l'église. Personne n'avait jamais vu aucun Noir à Saint-Victor ni dans les environs, et on supposait que le bébé avait été fait à la ville, à Nice peut-être, où tout est envisageable, y compris les bébés noirs. Mais c'était bien devant le porche de Notre-Dame de Saint-Victor qu'il braillait comme un perdu, qu'il était. A l'aube de ce jour, la moitié du village tournait, éperdue, autour du panier et de l'enfant tout noir. Puis des bras de femme, au départ réticents, s'étaient tendus pour le soulever, puis le bercer, tenter de l'apaiser. Lucie, qui tenait le café de la place, avait la première osé poser un baiser sur la joue enduite de morve. Mais rien ne calmait le petit qui s'étranglait dans ses hurlements. « Il a faim, le négrillon », disait une vieille, « il a chié », disait un autre. Puis la massive Suzanne s'était approchée d'un pas d'athlète, avait rompu les rangs, attrapé le petit et l'avait calé sur son bras. L'enfant avait cessé sur l'instant de hurler et laissé tomber sa tête sur la grosse poitrine. Dès ce moment, chacun, comme dans un conte où les princesses auraient été des grosses Suzannes, avait admis comme une évidence que le petit négrillon appartiendrait désormais à la maîtresse des Ecarts. Suzanne avait enfoncé son index dans la bouche avide et avait gueulé – Lucie s'en souviendrait toute sa vie :
– Fouillez le panier, connards ! Y a forcément un mot !
Il y avait un mot. Ce fut le curé qui, montant sur le perron de l'église, tendit gravement un bras pour réclamer le silence et entreprit de le lire à haute voix : Sil vu plai, ocupé lui…
– Articule, connard ! avait clamé Suzanne en secouant le bébé. On comprend rien !
Ça, Lucie s'en souviendrait toute sa vie. Suzanne Rosselin ne respectait rien.
– Sil vu plai, avait repris le curé en obéissant, ocupé lui, ocupé bien. Il s'appelé Soliman Melchior Samba DIAWARA, dite lui sa mère bonne et son pèr cruel comme enfer du marais. Ocupé lui aimé lui, sil vu plai.
Suzanne s'était collée au curé pour lire par-dessus son épaule. Puis elle lui avait pris le papier pisseux et l'avait fourré dans une poche de sa robe-sac.
– Soliman Melchior Truc Merde ? avait dit Germain, le cantonnier, en rigolant. Et puis quoi encore ? C'est quoi ce bordel ? Peut pas s'appeler Gérard comme tout le monde ?
Elle croit qu'il est sorti d'où, la mère ? De la cuisse de Jupiter ?
Il y avait eu quelques rires, mais pas trop. Faut reconnaître ça aux gens de Saint-Victor, précisait Lucie, c'est pas tous des cons, ils savent se retenir quand c'est vraiment nécessaire. Pas comme à Pierrefort où l'humain ne vaut pas grand-chose.
En attendant, la petite tête noire du bébé était toujours calée contre l'aisselle de la grande femme. Il avait quoi ? Un mois, à tout casser. Et il aimait qui ? Suzanne. C'est comme ça, l'existence.
– Bon, avait dit Suzanne en toisant tout son monde depuis le perron. Si quelqu'un le réclame, il est aux Écarts.
Et ça avait clos l'affaire.
Personne n'était jamais venu réclamer le petit Soliman Melchior Samba Diawara. Et parfois, on se demandait ce qui se serait passé aux Écarts si la mère naturelle s'était avisée de venir le reprendre. Car Suzanne Rosselin, dès ce moment crucial – qu'on appelait au village « le moment du perron » -, s'était farouchement attachée au petit, et on doutait qu'elle eût accepté de le restituer sans combattre. Au bout de deux ans, le notaire l'avait convaincue d'aller faire des paperasses pour l'enfant. Pas l'adopter, non, elle n'en avait pas le droit, mais légaliser la tutelle.
C'est comme ça que le petit Soliman était devenu le fils Rosselin. Suzanne l'avait élevé comme un garçon du pays, mais éduqué en sous-main comme un roi d'Afrique, confusément convaincue que son petit était un prince bâtard écarté d'un puissant royaume. Beau comme il était devenu, comme un astre, ce serait le moins. Aussi, à vingt-trois ans, le jeune Soliman Melchior en savait-il autant sur les boutures de tomates, la pression des olives, la pousse des pois chiches et l'épandage du purin que sur les us et coutumes du grand continent noir. Tout ce qu'il savait des moutons, le Veilleux le lui avait appris. Et tout ce qu'il savait de l'Afrique, ses heurs, malheurs, contes et légendes, il l'avait tiré des livres que lui avait lus scrupuleusement Suzanne, devenue à son tour au fil des années une africaniste experte.
Aujourd'hui encore, Suzanne guettait à la télévision tout documentaire sérieux susceptible d'informer le garçon, réparation d'un camion-citerne sur une piste du Ghana, singes verts de Tanzanie, polygamie au Mali, dictatures, guerres civiles, coups d'Etat, origines et grandeur du Royaume du Bénin.
– Sol, appelait-elle, bouge ton cul ! On parle de ton pays à la télé.
Suzanne n'avait jamais réussi à se décider sur le pays d'origine de Soliman, aussi estimait-elle plus simple de considérer que l'Afrique noire tout entière lui appartenait. Et il ne s'agissait pas que Soliman manquât un seul de ces documentaires. A dix-sept ans, le jeune homme avait tenté une unique rébellion.
– J'en ai rien à foutre de ces types, avait-il gémi devant un reportage sur la chasse au phacochère.
Et pour la première et dernière fois, Suzanne lui avait retourné une baffe.
– Parle pas comme ça de tes origines ! avait-elle ordonné. Et comme Soliman avait manqué pleurer, elle avait tenté de s'expliquer plus tendrement, sa grosse main serrée sur l'épaule délicate du petit.
– On s'en branle, Sol, de la patrie. On naît où on naît. Mais tâche de pas renier tes vieux, c'est un truc à te foutre dans la merde. C'est renier qui n'est pas bon. Renier, dénier, cracher, c'est pour les aigris, les fortiches, les types qui veulent croire qu'ils se sont faits tout seuls et personne avant eux. Les cons, quoi. Toi, t'as les Écarts et puis t'as toute l'Afrique. Prends le tout, ça te fera double.
Soliman mena Camille dans la bergerie, lui désigna d'un geste les bêtes ensanglantées alignées sur le sol. Camille les regarda de loin.
– Qu'est-ce qu'elle dit, Suzanne ? demanda-t-elle.
– Suzanne est contre les loups. Elle dit qu'il n'en sortira rien de bon. Que cette bête-là attaque pour le plaisir de tuer.
– Elle est pour la battue ?
– Elle est contre les battues aussi. Elle dit qu'on le chopera pas ici, qu'il est ailleurs.
– Et le Veilleux ?
– Le Veilleux est sombre.
– Il est pour la battue ?
– Je ne sais pas. Depuis qu'il a découvert les brebis, il en a pas décoincé une.
– Et toi, Soliman ?
Lawrence entra à cet instant dans la bergerie, en se frottant les yeux pour les habituer à l'obscurité soudaine. Le vieux local puait intensément la laine grasse et la vieille pisse, il trouvait les Français cradingues. Pourraient nettoyer. Il était suivi de Suzanne, qui puait aussi, à l'avis de Lawrence, et, à distance respectueuse, des deux gendarmes et du boucher, que Suzanne avait tenté de faire dégager sans succès. « C'est moi qu'ai la chambre froide, c'est moi qu'emporte les moutons », avait-il rétorqué.
– Que dalle, avait répondu Suzanne. C'est le Veilleux qui les enterrera, ici, aux Écarts, avec les respects dus aux braves tombés au champ d'honneur.
Ça avait cloué le bec de Sylvain, mais il avait suivi quand même. Le Veilleux était resté à la porte. Il veillait.
Lawrence salua Soliman puis s'agenouilla près des corps dépecés. Il les retourna, examina les blessures, les doigts fouillant dans la laine souillée, en quête de l'empreinte la plus nette. Il tira à lui une toute jeune femelle, inspecta la trace de la saisie à la gorge.
– Sol, décroche la lampe, dit Suzanne. Eclaire-le.
Sous le faisceau jaune, Lawrence se pencha sur la blessure.
– La carnassière a à peine planté, murmura-t-il, mais la canine, oui.
Il ramassa un brin de paille et l'enfonça dans l'orifice sanglant.
– Qu'est-ce que tu fous ? dit Camille.
– Je sonde, répondit tranquillement Lawrence.
Le Canadien retira la paille et repéra d'un trait d'ongle la limite rougie. Il la passa sans un mot à Camille puis saisit une seconde paille qu'il ajusta entre les blessures. Il se redressa et ressortit à l'air libre, l'ongle du pouce toujours fixé sur la brindille. Il avait besoin de respirer.
– Les brebis sont à toi, dit-il en passant au Veilleux, qui fit un signe de tète.
– Sol, reprit-il, trouve-moi une règle.
Soliman descendit vers la maison en une longue foulée et en revint cinq minutes plus tard avec le mètre de couturière de Suzanne.
– Mesure, dit Lawrence en tendant les deux pailles bien droites. Mesure précis.
Soliman appliqua le mètre le long de la trace sanglante.
– Trente-cinq millimètres, annonça-t-il.
Lawrence eut une grimace. Il mesura l'autre paille et rendit le mètre à Soliman.
– Et alors ? demanda l'un des gendarmes.
– Canine de presque quatre centimètres.
– Et alors ? répéta le gendarme. C'est embêtant ?
Il se fit un silence assez lourd. Chacun entrevoyait. Chacun commençait à comprendre.
– Grosse bête, conclut Lawrence, résumant le sentiment général.
Il y eut un moment de flottement, le groupe se disloqua. Les gendarmes saluèrent, Sol partit vers la maison, le Veilleux rentra dans la bergerie. Lawrence, à l'écart, s'était rincé les mains, avait enfilé ses gants et ajustait son casque de moto. Camille s'approcha de lui.
– Suzanne nous invite à boire un coup, pour se nettoyer les yeux. Viens.
Lawrence fit la moue.
– Elle pue, dit-il.
Camille se raidit.
– Elle pue pas, dit-elle un peu âprement, au mépris de toute vérité.
– Elle pue, répéta Lawrence.
– Sois pas salaud.
Lawrence rencontra le regard froncé de Camille et sourit brusquement.
– D'accord, dit-il en ôtant son casque.
Il la suivit sur le chemin d'herbes sèches qui redescendait à la baraque de pierres. Il n'avait rien à redire en revanche contre cette habitude des Français de se démolir à coups de gnôle dès midi. Les Canadiens le faisaient tout aussi bien.
– N'empêche, dit-il à Camille en lui posant une main sur l'épaule. Elle pue.