Le jardin immobile

On marche dans un jardin, l'été, quelque part en Aquitaine. C'est le creux du mois d'août, au début de l'après-midi. Pas un souffle de vent. Même la lumière semble dormir sur les tomates: juste un point de brillance sur chaque fruit rouge. La dernière pluie les a maculés d'un peu de terre. C'est bon, l'idée de les passer sous l'eau fraîche, et de goûter leur chair encore attiédie. À l'heure qui ne passe pas, juste déguster la déclinaison patiente des couleurs. Il y a des tomates d'un vert pâle, un peu plus foncé au cœur du réceptacle, et d'autres d'un presque orangé où dort une touche d'acide. Celles-là ne semblent pas faire ployer la branche. Seules les tomates mûres ont la sensualité penchée.

Un escabeau s'appuie contre le prunier d'ente. Plusieurs fruits sont tombés dans la petite allée qui court autour du potager. De loin, les prunes paraissent mauves, mais on découvre en les approchant toute une lutte entre bleu sombre et rose, et quelques grains de sucre collés sur la peau fragile: les fruits tombés se sont ouverts et pleurent une chair abricot brunie par la terre mouillée. Dans l'arbre, les prunes pas tout à fait mûres ont des rougeurs tachetées sur fond d'ocre-vert: le bleuté de leurs aînées les tente et les effraie.

On voudrait s'en tenir à l'ombre. Mais le soleil pleut dans les branches avec une implacable douceur. C'est lui qui fait le blond de tout le potager: celui des laitues paresseuses, mais aussi des bettes affalées contre le sol. Seules les feuilles des carottes résistent en piquante verdeur, comme si leur minceur les préservait d'un abandon languide. Au bout, contre la haie, c'est trop tard pour les framboisiers: loin du velours rubis-grenat, on en est déjà là au dessèchement brun, à la scorie parcheminée. De l'autre côté, le long du petit mur de pierre, court le poirier en espalier, avec cet ordonnancement symétrique des bras que vient féminiser l'oblongue matité du fruit moucheté de sable roux. Mais la fraîcheur la plus acidulée, la plus désaltérante monte du pied de vigne muscate déployé juste à côté. Les grappes hésitent entre l'or pâle et le vert d'eau, entre l'opaque et le translucide; les unes se gorgent de lumière quand les autres, plus réservées, préservent une pellicule de buée-poussière. Mais quelques grains déjà se nuancent de lie-de-vin, et dérangent la séduction adolescente des grappes vertes happant le soleil d'août.

Il fait chaud, mais le prunier, l'abricotier, le cerisier donnent leur ombre où dort aussi la table de ping-pong inemployée – quelques prunes rouges sont tombées sur la peinture émeraude écaillée. Il fait chaud, mais au plus profond d'août dort au jardin l'idée de l'eau. C'est autour d'une longue tige de bambou le tuyau d'arrosage aux couleurs délavées. La courbe irrégularité de ses méandres, la vétusté de ses raccords emmaillotés de chatterton et de ficelle ont quelque chose de familial, de pacifiant; l'eau qui viendra de là ne peut avoir de violence calcaire, de fraîcheur mécanique. De là coulera dans le soir une eau-douceur, une eau-sagesse, juste assez.

Mais maintenant, c'est l'heure du soleil, de l'immobilité sur tous les blonds, les verts, les roses – c'est l'heure de cueillir et d'arrêter.

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