Prendre un porto

D'emblée, c'est hypocrite:

– Un petit porto, alors!

On dit cela avec une infime réticence, une affabilité restrictive. Bien sûr, on n'est pas de ces rabat-joie qui refuseraient toutes les largesses apéritives. Mais le «petit porto alors» tient davantage de la concession que de l'enthousiasme. On jouera sa partie, mais tout petit, mezza voce, à furtives lampées.

Un porto, ça ne se boit pas, ça se sirote. C'est l'épaisseur veloutée qui est en cause, mais aussi la parcimonie affectée. Pendant que les autres se livrent à l'amertume triomphale et glaçonnée du whisky, du martini-gin, on fera dans la tiédeur vieille France, dans le fruité du jardin de curé, dans le sucré suranné – juste de quoi faire rosir des joues de demoiselle.

Les deux «o» de porto gouleyent au fond de la bouteille noire. Porto, ça roule au fond d'un golfe sombre, avec un port de tête altier de gentilhombre. De la noblesse cléricale, austère, et cependant galonnée d'or. Mais dans le verre, il reste seulement l'idée du noir. Plus grenat que rubis, c'est de la lave douce où donnent des histoires de couteau, des soleils de vengeance, et des menaces de couvent sous le fil du poignard. Oui, toute cette violence, mais endormie par le cérémonial du petit verre, par la sagesse des gorgées timides. Du soleil cuit, des éclats assourdis. Une saveur perverse de fruit mat où se seraient noyés les débordements, les brillances. À chaque lampée, on laisse le porto remonter vers une source chaude. C'est un plaisir à l'envers, qui s'épanouit à contretemps, quand la sobriété se fait sournoise. À chaque coup de langue en rouge et noir monte plus fort le lourd velours. Chaque gorgée est un mensonge.

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