Maxwell s’attendait à trouver des journalistes devant chez Oop, mais il n’y avait personne. À première vue, sa retraite n’avait pas été découverte.
Dans la torpeur de la fin d’après-midi, le soleil inondait d’or fondu les vieilles planches de la cabane. Devant la porte, des abeilles bourdonnaient au-dessus d’un buisson d’asters et des papillons jaunes voletaient dans la fin de journée brumeuse ; ils se détachaient sur le fond de collines qui dominaient la chaussée roulante.
Maxwell ouvrit la porte et avança la tête dans l’entrebâillement. Personne. Oop devait encore marauder et Fantôme n’était toujours pas là. Le feu rougeoyait dans la cheminée, abandonné.
Maxwell referma et s’assit devant la cabane.
Loin vers l’ouest, un des quatre lacs du campus brillait comme un miroir bleuté. Des laiches mortes et l’herbe brûlée teintaient la campagne de bruns et de jaunes. Çà et là, des groupes d’arbres ponctuaient le paysage de taches de feu.
La chaleur et la douceur invitaient au rêve, à l’opposé des paysages violents et sombres que Lambert avait peints à une époque lointaine.
Il se demanda pourquoi il avait gardé un souvenir aussi précis des paysages de Lambert, et comment le peintre avait découvert l’apparence éthérée des fantômes de la planète de cristal. Il ne pouvait s’agir d’un simple hasard. Un esprit humain ne pouvait avoir inventé cette étrange propriété. La voix de la raison disait que Lambert devait avoir eu connaissance de l’existence des fantômes et elle disait aussi que c’était impossible.
Et toutes les autres créatures ? Tous ces monstres grotesques peints par un pinceau rageur et insensé ? Que représentaient-ils, d’où venaient-ils ? N’étaient-ils que les chimères d’un esprit torturé ? Était-ce bien les habitants de la planète de cristal que Lambert avait représentés ? Cela semblait peu vraisemblable. Il devait aussi avoir vu les autres créatures quelque part, d’une façon ou d’une autre. Et le paysage, l’avait-il inventé pour créer l’atmosphère adéquate ? ou bien était-ce la planète de cristal avant qu’elle ne soit close sous son dôme ? Mais c’était impossible, elle l’avait été avant l’apparition de l’univers actuel. Cela représentait au moins dix billions d’années, peut-être cinquante billions.
Maxwell s’étira. Il était mal à l’aise. Tout cela était insensé. Il se dit qu’il avait assez de problèmes sans, en plus, s’occuper des tableaux de Lambert. Il n’avait plus de travail, ses biens étaient sous scellés. Il n’avait pas même d’existence légale en tant qu’homme.
Mais rien de tout cela n’était important, tout au moins pour l’instant. Il fallait d’abord s’occuper du trésor de savoir de la planète de cristal, l’Université devait en devenir propriétaire. Cela représentait davantage que toute la science de l’entière galaxie. Sûrement qu’une partie serait la répétition de ce qu’on connaissait déjà mais, il en était sûr, il devait y avoir une masse de données et de renseignements auxquels on n’avait pas même songé. Le peu qu’il avait vu le confirmait dans cette idée.
Il se revit installé devant la table sur laquelle étaient empilées les feuilles de métal qu’il avait prises sur les étagères. Il avait autour de la tête l’espèce de traducteur, d’interprète.
Il se souvenait de la feuille de métal qui parlait de l’esprit, non pas en termes philosophiques ou métaphysiques mais comme d’un simple mécanisme, avec des mots hermétiques. Il s’était débattu avec la terminologie car il s’agissait d’un domaine inconnu de l’homme, mais, au bout d’un moment, il avait dû abandonner. Et puis il y avait une autre feuille qui avait l’air d’exposer les principes de l’application des mathématiques aux sciences sociales. Il avançait comme un aveugle, abordant des sujets complètement inconnus. Il avait appris qu’il y avait eu deux et non pas un seul univers, il avait parcouru un traité d’histoire naturelle qui décrivait des formes de vie incroyables dans leurs principes élémentaires et dans leurs fonctions. Il y avait aussi une feuille si mince qu’il pouvait la plier comme du papier et dont le contenu était tellement au-dessus de son entendement qu’il ne savait toujours pas quel en était le sujet. Et une autre, beaucoup plus épaisse sur laquelle il prit connaissance de pensées et de philosophies émanant de civilisations disparues depuis longtemps et dont l’inhumanité l’avait à la fois terrifié et émerveillé.
Tout cela, multiplié par un trillion, donnait là-bas sur la planète de cristal.
Il était important qu’il remplisse la mission dont on l’avait chargé. Il y avait de grandes chances qu’en cas d’échec de sa part, la planète de cristal s’adresse ailleurs pour proposer sa bibliothèque. Elle la proposerait peut-être à une autre partie de la galaxie, peut-être même en dehors.
Il était possible que l’Artifact soit le prix demandé. Qu’une proposition en ait été faite et que Churchill y soit mêlé, rendait la chose assez plausible, mais pour l’instant, on ne pouvait rien affirmer. Il se pouvait que l’Artifact soit convoité par quelqu’un qui avait enfin découvert quel en était le secret. Il essaya d’imaginer ce qu’on pouvait avoir trouvé mais il dut abandonner.
Un vol de merles passa au-dessus de la cabane, en direction de la chaussée. Maxwell les vit qui se posèrent parmi la végétation mourante d’un marais. Leurs corps se balançaient délicatement sur des touffes d’herbe. Ils étaient là pour une heure environ, prenant des forces pour voler jusqu’à la prochaine étape vers le sud.
Maxwell se leva. Il aurait bien fait une sieste. La tranquillité et le calme de l’après-midi s’étaient emparés de son corps. Il se dit qu’Oop renterait bientôt ; il le réveillerait et ils discuteraient en mangeant quelque chose avant d’aller chez Nancy.
Il ouvrit la porte et pénétra dans la cabane. Il se dirigea vers le lit puis il pensa qu’il ferait mieux de vérifier s’il lui restait une chemise propre et une paire de chaussures pour la soirée. Il souleva son sac et le posa sur le lit.
Il l’ouvrit et en sortit un pantalon pour atteindre les chemises qui étaient dans le fond. Les chemises étaient bien à leur place, mais il y avait autre chose : un boitier avec une sangle et des sortes d’œillères.
Il savait bien ce que c’était. Le transposeur dont il s’était servi sur la planète de cristal. Il le balança, le tenant par la courroie. Il était complet : la sangle, le générateur de puissance et les deux œillères à mettre en position une fois l’engin placé sur la tête.
Il avait dû l’emporter par mégarde, mais il ne s’en souvenait absolument pas. De toute façon, il était trop tard et peut-être que cela n’avait pas d’importance. Cela pourrait même lui servir un jour ou l’autre à prouver qu’il avait bien été sur la planète de cristal. D’ailleurs, le transposeur n’était pas une bonne preuve, ce n’était qu’un gadget à l’aspect banal… Mais quand le mécanisme était en train, il n’était plus si banal que cela.
Maxwell perçut un léger tapotement. Surpris, il se redressa et tendit l’oreille. Sans doute une branche qui battait contre le toit. Pourtant, le bruit était un peu différent.
Le tapotement cessa puis reprit, cette fois-ci d’une façon rythmée, trois coups rapides – une pause – deux coups rapides – une pause et de nouveau la même chose. On aurait dit un code.
Il y avait quelqu’un à la porte.
Maxwell quitta le lit et demeura un instant indécis. Peut-être était-ce un journaliste et alors il valait mieux ne pas ouvrir. Mais le tapotement n’était pas assez impatient pour provenir d’un ou de plusieurs journalistes qui auraient découvert sa retraite. C’était des coups légers, timides, comme si la personne ne voulait pas dévoiler sa présence, n’étant pas très sûre de ses intentions. Et de toute façon, s’il s’agissait de journalistes, il ne servait à rien de ne pas ouvrir car ils essaieraient d’eux-mêmes, et trouvant la porte ouverte, ils entreraient dans la cabane.
Le tapotement, qui avait cessé, reprit. Maxwell ouvrit la porte en grand. Sur le seuil se détachait la silhouette blanche et fantomatique de la Crevette. Un de ses membres, qui lui servait plus de bras que de jambe, tenait un paquet enveloppé de papier.
— Entrez, dit sèchement Maxwell, avant que quelqu’un ne vous voie.
La Crevette entra et Maxwell se demanda ce qui l’avait poussée à la faire se hâter ainsi.
— Pas besoin avoir peur, dit la Crevette. Aucun glaneur de potins ne m’a suivi. Mon aspect tellement bizarre, personne ne me suit jamais, personne ne fait attention à moi.
— Vous avez de la chance. C’est sans doute ce qu’on appelle la protection par la couleur.
— Me revoilà, dit la Crevette, pour miss Clayton. Elle sait vous avez emporté peu de vêtements dans voyage. Pas eu temps faire des courses ou aller à teinturerie. Ne veut pas vous vexer, mais vous envoie vêtements. M’a demandé dire cela avec enthousiasme.
La Crevette tendit à Maxwell le paquet qu’elle tenait sous son bras.
— C’est très gentil de la part de Nancy.
— Elle très attentionnée. M’a demandé de vous dire autre chose.
— Je vous écoute.
— Un véhicule à roues vous emmènera à la maison.
— Je n’en ai pas besoin, la chaussée roulante passe juste en bas de chez elle.
— Encore une fois, excusez, dit la Crevette fermement, mais elle pense c’est mieux. Il y a beaucoup de remue-ménage parmi toutes sortes de créatures pour savoir où vous êtes.
— Pouvez-vous me dire comment miss Clayton le sait ?
— Je ne sais vraiment pas.
— Bon, ça va. Vous remercierez Miss Clayton de ma part.
— Avec plaisir.