Il termina son dessin dans l'exaltation, le signa, le data et l'appela l'Homme transparent.


73. LA MAISON DE HAMADHAN


ON n'avait aucune nouvelle de la guerre. Quatre caravanes de ravitaillement étaient parties, comme prévu, à la recherche de l'armée mais on ne les avait jamais revues ; sans doute, ayant retrouvé Ala, avaient-elles rejoint ses troupes. Et puis, un après-midi, juste avant la quatrième prière, un cavalier arriva pour annoncer le désastre.

Quand Masud s'était arrêté à Ispahan, ses forces étaient déjà engagées contre les Persans. Il avait envoyé deux de ses meilleurs généraux organiser l'attaque. Cachés derrière le village d'al-Karaj, ils avaient scindé leurs troupes en deux corps, qui avaient surpris Ala sur ses deux flancs, se rejoignant en vaste mouvement tournant pour l'encercler, comme pris au filet.

Les Persans avaient tenté de se reprendre et s'étaient vaillamment battus, mais, débordés, ils avaient perdu du terrain, pour découvrir enfin qu'une troisième armée, conduite par le sultan, attaquait leurs arrières. La cavalerie de Masud, peu nombreuse et rompue aux manœuvres perfides, renouvela la bataille historique des Romains et des Parthes : harcelant l'ennemi, elle disparaissait pour sans cesse reparaître. Puis, à la faveur d'une tempête de sable, Masud lança contre les Perses décimés et désorganisés une offensive générale de ses trois armées. Au matin, le soleil se leva sur ce qui avait été l'armée persane : des corps d'hommes et de bêtes sous un tourbillon de sable. Quelques-uns s'étaient échappés ; Ala était-il parmi eux ? Le messager n'en était pas sûr.

« Qu'est devenu Ibn Sina ? lui demanda al-Juzjani.

Il a quitté l'armée bien avant al-Karaj. Une douleur terrible lui enlevait tous ses moyens et, avec la permission du chah, le plus jeune des médecins, Bibi al-Ghuri, l'a emmené à Hamadhan. Le maître y a encore une maison qui appartenait à son père.

– Je la connais. »

Sachant que le chirurgien voudrait s'y rendre, Rob demanda à l'accompagner ; il perçut dans son regard un éclair de jalousie, vite réprimé, et ils partirent immédiatement.


Ce fut un voyage triste et pénible. Al-Juzjani était accablé de chagrin ; ils pressaient leurs montures, craignant d'arriver trop tard. Ils avaient fait un détour par l'est pour éviter la guerre. Peut-être durait-elle encore dans la région de Hamadhan. Mais, quand ils atteignirent la capitale qui donnait son nom à tout le territoire, ils la trouvèrent paisible et endormie, sans aucune trace du grand massacre qui s'était produit quelques milles plus loin.

La maison de pierre et de boue convenait mieux à Ibn Sina que sa grande propriété d'Ispahan ; comme ses vêtements habituels, elle était vieille, quelconque et confortable. Mais il y régnait l'odeur de la maladie. Rob, prié d'attendre à la porte de la chambre, fut surpris puis inquiet d'entendre des murmures, suivis du son parfaitement identifiable d'un coup de poing. Le jeune Bibi al-Ghuri surgit, pâle, en larmes, et sans saluer Rob se précipita hors de la maison. Al-Juzjani reparut peu après, suivi d'un mullah.

« Ce jeune charlatan a tué Ibn Sina : il lui a fait prendre des graines de céleri pour libérer le ventre, mais au lieu de deux danaqs il lui en a donné cinq dirhams, c'est-à-dire quinze fois la dose, et depuis cette purge brutale, le maître ne cesse de perdre du sang en abondance. Quelle cruelle ironie ! Le grand médecin victime d'un hakim imbécile... »

Rien ne pouvait le consoler.

« Le maître sait-il ?

– Oui, dit le mullah, Il a libéré ses esclaves et donné ses biens aux pauvres. »

Dans la chambre, Rob fut bouleversé. En quatre mois, Ibn Sina avait fondu, les yeux clos étaient enfoncés, les traits creusés, le teint de cire. L'erreur d'al-Ghuri n'avait fait que hâter l'inévitable issue du cancer. Il lui prit les mains, et y sentit si peu de vie qu'il ne trouva pas le courage de parler. Alors, les yeux s'ouvrirent et Rob lut dans le regard d'Ibn Sina qu'il avait compris sa pensée. Inutile de feindre.

« Maître, dit-il, comment se fait-il qu'un médecin, malgré tout ce dont il est capable, ne soit qu'une feuille dans le vent, et que le pouvoir réel n'appartienne qu'à Allah ? »

Il vit s'illuminer le visage ravagé, et comprit soudain.

« C'est l'énigme ?

– Oui, mon Européen... Et tu dois passer le reste de ta vie... à chercher... comment y répondre. »

Ibn Sina referma les yeux et Rob, après un silence, se mit à parler en anglais.

« J'aurais pu aller ailleurs sans déguisement. Dans le califat occidental, à Tolède, à Cordoue...

Mais j'ai entendu parler d'un homme, Avicenne, dont le nom arabe m'a donné la fièvre : Abu Ali al-Husayn ibn Abdullah ibn Sina. »

Le vieil homme n'avait compris que son nom mais il rouvrit les yeux et ses mains pressèrent légèrement celles de Rob.

« Pour toucher l'ourlet de votre vêtement... Le plus grand médecin du monde. »

Il se rappelait à peine son père naturel, le pauvre charpentier épuisé par la vie. Le Barbier l'avait bien traité mais l'avait laissé à court d'affection.

« Voici le seul père que mon âme ait connu », se dit-il. Oubliant ce qu'il avait pu critiquer, il n'avait plus conscience que d'un besoin profond.

« Bénissez-moi », dit-il.

Les quelques mots hésitants qu'il entendit étaient de pur arabe mais il n'était pas nécessaire de les comprendre : Ibn Sina l'avait béni depuis longtemps. II lui donna le baiser d'adieu et, quand il partit, le mullah avait repris sa place et lisait à haute voix le Coran.


74. LE ROI DES ROIS


IL rentra seul à Ispahan. Al-Juzjani tenait à rester avec son maître mourant jusqu'à ses derniers moments.

« Nous ne le reverrons jamais », dit-il à Mary, qui détourna la tête et pleura comme un enfant.

A peine reposé, il courut au maristan. L'hôpital désorganisé était plein de désœuvrés et il fallut toute la journée s'occuper des patients, donner un cours sur les blessures et s'entretenir avec le hadji Davout Hosein de l'administration de l'école. Dans ces temps troublés, beaucoup d'étudiants, renonçant à leur apprentissage, avaient quitté la ville pour rentrer chez eux ; une équipe réduite devait assurer le travail. Heureusement, il y avait aussi moins de patients : les gens se souciaient plus de la guerre que de leurs maladies.

Ce soir-là, Mary avait les yeux rouges. Rob et elle s'étreignirent avec une tendresse qu'ils avaient presque oubliée. En partant le matin, il sentit que quelque chose avait changé : la plupart des boutiques étaient fermées au marché juif, et Hinda emballait fiévreusement ses marchandises.

« Qu'est-ce qui se passe ?

– Les Afghans. »

Sur les remparts, on s'alignait dans un silence pesant. L'armée de Ghazna était là : les fantassins dans la vallée, les cavaliers et les chameaux au flanc des collines ; plus haut, les éléphants, près des tentes des nobles et des officiers dont les étendards claquaient au vent. Au milieu du camp, la longue bannière des Ghaznavides faisait flotter sur fond orange sa tête de panthère noire.

« Pourquoi ne sont-ils pas entrés dans la ville ? demanda Rob à l'un des hommes du kelonter.

– Ils ont poursuivi Ala jusqu'ici. Il est dans les murs et Masud veut le voir trahi par son peuple. Si nous le livrons, nos vies seront épargnées, sinon, on fera de nos os une montagne sur la place centrale.

– Va-t-on le livrer ? »

L'homme eut un regard terrible et cracha.

« Nous sommes persans, et il est le chah. »

Rob rentra chez lui prendre son épée ; il dit à Mary de sortir celle de son père et de barricader la porte derrière lui, puis, remontant à cheval, il se rendit au palais. Il croisa en chemin quelques groupes inquiets ; il y avait peu de monde avenue des Mille-Jardins, personne aux portes du Paradis. Tout semblait à l'abandon et une seule sentinelle montait la garde.

« Je suis Jesse, hakim au maristan. Le chah m'a convoqué. »

Le jeune soldat parut hésiter, puis il s'effaça pour laisser passer le cheval. Rob s'arrêta derrière les écuries, là où s'était installé le forgeron indien. Dhan Vangalil et son fils aîné avaient été enrôlés dans l'armée ; sa famille était partie, laissant la maison déserte, et l'on avait détruit le four si soigneusement construit.

Sans rencontrer de garde, il attacha son cheval près du pont-levis et ses pas résonnèrent dans le palais vide. Enfin, dans un coin de la salle d'audience, il trouva Ala assis par terre, seul devant un pichet de vin et un échiquier. Aussi négligé que ses jardins, il avait la barbe hirsute, des poches violettes sous les yeux et sa maigreur accusait la dureté de son profil de faucon.

« Eh bien, dhimmi, tu viens prendre ta revanche ? » dit-il en voyant Rob debout, la main sur la garde de son épée.

Il fallut au dhimmi un moment pour comprendre que le roi parlait du jeu du chah. Haussant les épaules, il s'installa en face de lui et la partie commença.

« Des troupes fraîches », dit Ala sans humour en avançant un fantassin d'ivoire.

Rob s'étonna de l'absence de Farhad. Il avait fui, ce que n'aurait jamais fait Khuff. Zi l'éléphant était tombé devant al-Karaj, et son mahout avant lui, une lance en pleine poitrine.

« Assez parlé », fit soudain le chah et il s'absorba dans le jeu car son adversaire avait l'avantage.

Il essayait en vain ses vieilles ruses contre un joueur expérimenté qui avait appris à oser avec Mirdin, à prévoir avec Ibn Sina. La sueur perlait sur son front. Il ne lui resta plus, bientôt, que trois pièces : le roi, le général et un chameau. Rob s'empara du chameau, en regardant le roi dans les yeux, et, avec les cinq pièces qu'il avait encore, il réussit à capturer le général blanc. Alors, son général d'ébène mit en échec le roi d'ivoire.

« Retire-toi, ô chah », dit-il doucement.

Il le dit trois fois, en disposant ses pièces de manière à interdire tout mouvement au vaincu.

« Chahtreng, dit-il enfin.

– Oui. Le supplice du roi », reprit Ala en balayant les figurines qui restaient sur l'échiquier.

Ils se regardèrent et Rob remit la main à son épée.

« Masud a dit que, si le peuple ne vous livrait pas, les Afghans tueraient les habitants et pilleraient la ville.

– Ils le feront, qu'on me livre ou pas. Il ne reste qu'une chance à Ispahan. Je défierai Masud en combat singulier : roi contre roi. »

Rob fronça les sourcils ; il aurait voulu le tuer, pas l'admirer. Il regarda le roi tendre son grand arc, ceindre l'épée d'acier que Vangalil lui avait forgée.

« Vous allez vous battre ? Maintenant ?

– C'est le moment.

– Vous voulez que je vous accompagne ?

– Non ! »

Le ton méprisant de l'exclamation n'irrita pas le dhimmi, au contraire. Mourir aux côtés du chah, pour une impulsion irréfléchie, n'aurait été ni raisonnable ni glorieux. Mais Ala s'était radouci.

« C'était une offre virile, dit-il. Réfléchis à la récompense que tu souhaiterais. A mon retour, je t'accorderai un calaat. »


Rob monta tout en haut du chemin de ronde, d'où l'on voyait les plus beaux quartiers d'Ispahan, les habitants sur les remparts, plus loin la plaine et le camp de Ghazna. Il attendit longtemps, les cheveux au vent, sans voir paraître le roi. L'aurait-il trompé ? S'était-il enfui ? Que ne l'avait-il tué tout à l'heure !

Il le vit enfin. Le chah sortait de la ville, sur son admirable étalon blanc qui caracolait en secouant impatiemment la tête. Il marcha sur le camp ennemi, puis s'arrêta et se dressa sur ses étriers pour crier son défi. Ses sujets aussitôt, se rappelant le duel légendaire du premier chahinchah, l'acclamèrent du haut des remparts.

En face, une petite troupe de cavaliers s'avança, précédée d'un homme au turban blanc, Masud sans doute, qui, lui, n'avait que faire des légendes. Et les archers à cheval surgirent des rangs afghans. Sans chercher à leur échapper, Ala se dressa à nouveau et hurla des insultes au jeune sultan qui lui refusait le combat. Les soldats allaient l'atteindre quand, brandissant son arc immense, il commença à fuir sur son beau cheval, qui avait à peine la place de galoper. Alors, se retournant sur sa selle, il décocha un trait qui abattit son premier assaillant. Un « tir parthe » exemplaire salué par les cris d'enthousiasme des habitants sur leur mur.

Mais une pluie de flèches lui avait déjà répondu. Quatre avaient aussi touché le cheval blanc, qui vomit un flot de sang avant de vaciller et de s'écrouler sur le sol avec son cavalier mort. Les Afghans attachèrent une corde aux chevilles d'Ala et le tirèrent dans leur camp, laissant derrière lui un sillage de poussière grise. Et, sans savoir pourquoi, Rob fut particulièrement choqué qu'ils aient traîné le roi la face contre terre.


Il mena le cheval brun dans l'enclos des écuries royales, le dessella et lui dit au revoir avec une tape amicale sur la croupe, puis, l'ayant vu rejoindre le troupeau, il referma soigneusement la porte. Dieu sait à qui il appartiendrait le lendemain ! Dans l'enclos des chameaux, il choisit deux jeunes et fortes chamelles. La première essaya de le mordre quand il s'approcha pour la brider mais le bon Mirdin lui avait appris comment convaincre les chameaux, et un solide coup de poing dans les côtes la rendit plus docile. Sans doute instruite par l'exemple, la seconde ne fit pas de difficultés. Il monta sur la plus grande et mena l'autre au bout d'une corde.

La ville était devenue folle, les gens affluaient de partout, portant des ballots, menant des bêtes chargées de leurs biens. Au marché, des commerçants avaient abandonné leurs marchandises, et Rob, ayant surpris des regards de convoitise autour des chamelles, tira son épée et la garda ostensiblement sur ses genoux. Il dut faire un détour pour éviter l'est d'Ispahan, où se pressaient tous ceux qui espéraient fuir par la porte orientale, à l'opposé du camp ennemi.

Quand il arriva chez lui, Mary ouvrit la porte à son appel, blême et l'épée de son père à la main.

« Nous rentrons », dit-il, et malgré sa peur elle murmura une prière d'action de grâces.

Il ôta le turban et l'habit persan pour remettre son caftan noir et son chapeau de cuir. Ils prirent le Canon d'Ibn Sina, les dessins anatomiques, roulés dans une tige de bambou, le cahier de notes et les instruments, l'échiquier de Mirdin, des vivres et quelques drogues, l'épée de Cullen et une petite boîte contenant leur argent ; tout cela fut chargé sur l'une des chamelles. Sur les flancs de l'autre, il suspendit, d'un côté un panier de roseaux, de l'autre un sac grossièrement tissé. Dans une fiole où restait un peu de buing, il trempa le bout de son petit doigt qu'il fit sucer par Rob J. et Tarn ; quand ils furent endormis, il installa l'aîné dans le panier, le bébé dans le sac et Mary monta entre eux sur le dos de la grande chamelle.

Il ne faisait pas tout à fait nuit quand ils quittèrent pour toujours la maison du Yehuddiyyeh, mais ils n'osèrent pas attendre car les Afghans pouvaient entrer dans la ville d'un instant à l'autre. L'obscurité était totale lorsqu'ils franchirent la porte occidentale déserte. La piste de chasse qu'ils suivirent à travers les collines passait si près du camp de Ghazna qu'ils entendaient les soldats chanter et crier, s'excitant au pillage.

Un instant, un cavalier sembla galoper à leur suite, puis le bruit des sabots s'éloigna. L'effet du buing commençant à se dissiper, Rob J. gémit et se mit à pleurer, assez fort pour les trahir, se dit son père, craignant le pire, mais Mary calma l'enfant en lui donnant le sein. Il n'y eut pas de poursuite. Ils laissèrent derrière eux le camp ennemi et, lorsque Rob se retourna, il vit un large nuage rose monter à l'horizon. Ispahan était en flammes.

Ils voyagèrent toute la nuit. Aux premières lueurs de l'aube, les collines étaient dépassées. Pas de soldats en vue. Rob avait le corps engourdi, et les pieds plus douloureux encore dès qu'il arrêtait de marcher. Les enfants pleurnichaient, leur mère gardait les yeux clos dans un visage défait. Il fallait avancer coûte que coûte vers l'ouest, forçant à chaque pas les jambes épuisées, jusqu'au premier village juif.


SEPTIÈME PARTIE


Le retour


75. LONDRES


ILS traversèrent la Manche le 24 mars 1043 et accostèrent à Queen's Hythe en fin d'après-midi. S'ils étaient arrivés à Londres par un beau jour d'été, peut-être le reste de leur vie aurait-il été différent, mais Mary mit pied à terre sous une averse de grésil, portant l'enfant qui, comme son père, n'avait pas cessé de vomir depuis la France jusqu'à la fin du voyage. Dès ce premier moment triste et glacé, elle détesta Londres et s'en méfia.

Il y avait à peine la place de débarquer : plus d'une vingtaine de sombres vaisseaux de guerre étaient à l'ancre et les bateaux de commerce remplissaient le port. Tous quatre, épuisés, allèrent dans une des auberges du marché que Rob se rappelait à Southwark, mais c'était un pauvre gîte, où grouillait la vermine, pour ajouter à leurs malheurs.

Le lendemain matin, il sortit très tôt à la recherche d'un logis et traversa le pont de Londres, bien entretenu, qui seul lui parut familier dans la ville en évolution. Les prés et les vergers avaient fait place à un méandre de rues aussi tortueuses que celles du Yehuddiyyeh. Au nord, les vieilles demeures de son enfance, entourées de champs et de jardins, étaient remplacées par des forges et des ateliers, dans la fumée, le bruit des marteaux et la puanteur des tanneries. Rien ne le satisfaisait : Cripplegate trop près des marais, Holborn et Fleet Street trop loin du centre, Cheapside trop peuplé de petits commerces. Plus au sud, l'encombrement était peut-être pire, mais il y avait vécu une époque héroïque. Il se retrouva au bord du fleuve.

La rue de la Tamise était la plus importante de Londres. Toute une population de petites gens vivait dans un labyrinthe entre le dock de Puddle et la colline de la Tour ; la rue elle-même formait avec ses quais le centre prospère des échanges commerciaux. Plus au nord, elle devenait sinueuse, tantôt étroite, tantôt large, avec des grandes maisons, de petits jardins ou des entrepôts, mais partout une circulation humaine et animale dont il se rappelait bien la vitalité et le bourdonnement.

On lui indiqua dans une taverne une maison à louer non loin de Walbrook, et il pensa que le voisinage de la petite église Saint-Asaph plairait à Mary. Le propriétaire, Peter Lound, vivait au rez-de-chaussée. Le premier étage, libre, comportait une petite pièce et une grande, avec un escalier raide donnant sur la rue. Il n'y avait pas de punaises, le loyer semblait raisonnable et la maison était bien située, à proximité des .demeures et des boutiques de riches marchands. Rob alla sans tarder chercher sa famille à Southwark.

« Ce n'est pas encore très bien, mais ça ira, qu'en penses-tu ? »

Mary hésita et sa réponse se perdit dans le bruit assourdissant des cloches de Saint-Asaph qui sonnaient à toute volée.

Aussitôt qu'ils furent installés, il se précipita chez un marchand d'enseignes pour faire graver des lettres noires sur une planche de chêne, qu'il fixa près de la porte de la maison ; ainsi chacun pouvait voir que c'était là le domicile de Robert Jeremy Cole, médecin.

Mary trouva d'abord agréable de vivre chez les Britanniques et de parler anglais, bien qu'elle continuât à utiliser l'erse avec ses enfants, car elle voulait leur enseigner la langue des Ecossais. On trouvait tout ce que l'on voulait à Londres : une couturière lui fit une jolie robe marron, longue, avec une encolure ronde et des manches si larges qu'elles s'épanouissaient en plis somptueux autour de ses poignets. Elle commanda pour Rob un pantalon gris, une tunique et, malgré ses protestations, deux robes de médecin, dont une pour l'hiver avec un capuchon garni de renard.

Il portait encore la tenue européenne qu'il avait achetée à Constantinople, après l'itinéraire suivi d'un village juif à l'autre, comme au long d'une chaîne, maillon par maillon. Il avait taillé sa barbe en bouc et Jesse ben Benjamin ayant disparu, Robert Jeremy Cole s'était joint à une caravane pour ramener sa famille au pays. Mary, toujours économe, coupait dans le caftan les vêtements de ses fils. Ceux de Rob J. servaient ensuite à Tarn, bien que l'aîné fût grand pour son âge, alors que son frère restait plus petit que la moyenne à cause d'une grave maladie contractée pendant le voyage.

Dans la ville franque de Freising, les enfants avaient été pris d'une amygdalite purulente, accompagnée d'une forte fièvre. Rob J. s'était bien guéri, mais la maladie avait affecté la jambe gauche de Tarn : elle devenait livide et apparemment sans vie. La caravane qui les avait amenés refusant d'attendre, Rob l'envoya au diable et poursuivit le long traitement : bandages chauds et humides renouvelés jour et nuit, patients exercices pour faire travailler les muscles et les articulations entre ses grandes mains qui massaient la petite jambe avec de la graisse d'ours. Tarn se remit lentement et ils demeurèrent à Freising presque un an, en attendant sa guérison, puis une caravane qui leur convienne. Sans réussir à aimer les Francs, Rob se fit à leurs manières ; bien qu'il ignorât leur langue, les gens venaient le consulter, sachant les soins et la tendresse qu'il prodiguait à son propre fils. Maintenant, l'enfant traînait un peu la jambe gauche quelquefois, mais il était parmi les plus vifs des petits Londoniens.

Les deux garçons s'acclimataient mieux que leur mère. Elle trouvait le climat humide et les Anglais froids. Chez les commerçants, elle regrettait les marchandages à l'orientale. Rob lui-même avait la nostalgie des effusions persanes même si, la plupart du temps, ce n'était que du vent. Mary s'inquiétait d'une sorte de morosité dans ses rapports conjugaux ; amaigrie, sans éclat, la poitrine fatiguée par l'allaitement, elle craignait que toutes ces prostituées, dont la ville était pleine, ne détournent d'elle son mari, et qu'il ne leur fasse partager les raffinements de l'amour persan où ils avaient trouvé tant de plaisir.

Londres lui paraissait un sombre bourbier, avec ses égouts à ciel ouvert et sa crasse, ses quartiers surpeuplés puant l'ordure et l'excrément. A Constantinople, se retrouvant en milieu chrétien, elle s'était offert une orgie de dévotion, mais à Londres les églises étaient partout, dominaient les maisons les plus hautes, vous assourdissaient à toute occasion de leurs sonneries, plus obsédantes que les muezzins. Elle avait pris les cloches en horreur.

Le premier visiteur de Rob ne fut pas un patient mais un homme fluet et voûté aux petits yeux clignotants.

« Nicholas Hunne, médecin, dit-il en redressant sa tête chauve.

– J'ai remarqué votre enseigne, maître Hunne. Vous êtes à un bout de la rue de la Tamise et je me suis établi à l'autre. Il y a assez de malades par ici pour occuper une douzaine de médecins.

– Ne croyez pas cela. Londres a déjà trop de médecins, et une ville des environs serait un meilleur choix pour un débutant. »

Il demanda où il avait fait ses études. Dans le royaume franc d'Orient, répondit Rob. Et quels seraient ses tarifs ? Le « débutant », qui n'y avait pas songé, apprit que les prix de consultation étaient élevés, qu'il fallait laisser la populace aux barbiers-chirurgiens et les nobles aux quelques praticiens qui en avaient l'exclusivité.

« Mais la rue regorge de riches marchands -qu'il est prudent de faire payer d'avance, quand la maladie les rend anxieux, ajouta-t-il avec un clin d'œil. La concurrence peut être un avantage : on fait venir le confrère en consultation et cela impressionne toujours le patient.

– Je préfère travailler seul », dit Rob froidement.

L'autre rougit de ce rejet catégorique.

« Vous serez satisfait, maître Cole, car ce sera répété et aucun autre médecin ne vous adressera la parole. »


Il vint peu de malades. Rien d'étonnant, se dit Rob. Mieux valait patienter qu'accepter les jeux malpropres et lucratifs de ce Hunne. En attendant, il s'installait. Il emmena sa femme et ses enfants à Saint-Botolph, au cimetière où reposaient les siens. Il sentait, au fond de lui-même, qu'il ne reverrait jamais ses frères ni sa sœur, mais, heureux et fier de sa nouvelle famille, il espérait que, d'une manière ou d'une autre, Samuel, Mam et Pa en sauraient quelque chose.

Il trouva à Cornhill une taverne qui lui plut ; le Renard était le genre d'endroit où son père se réfugiait autrefois. Il y rencontra un entrepreneur nommé Marckham qui avait fait partie de la guilde et se rappelait Nathanael Cole. C'était un neveu de Richard Bukerel et il avait été l'ami de Turner Horne, le maître charpentier chez qui vivait Samuel avant l'accident. Turner, sa femme et leur plus jeune fille étaient morts depuis cinq ans de la malaria, par un terrible hiver. Anthony Tite, aussi, avait succombé l'an passé à sa maladie de poitrine.

Ils burent en silence pendant un long moment, puis Rob apprit des uns et des autres la chronique royale des années passées, dont Bostock lui avait conté une partie à Ispahan. Harold Harefoot, ayant laissé mourir son demi-frère Alfred en prison après lui avoir arraché les yeux, était mort lui-même d'indigestion. Son successeur, un autre demi-frère, le fit aussitôt déterrer et jeter dans un marécage.

« Son demi-frère ! Jeté comme un sac de merde ou un cadavre de chien ! dit Marckham indigné. Finalement, par une nuit froide où le brouillard cachait la lune, nous sommes allés en barque le repêcher dans les roseaux et on l'a enterré décemment au petit cimetière de Saint-Clément. C'était un devoir pour des chrétiens, non ? »

Après deux ans de règne, Harthacnut à son tour mourait subitement au cours d'un festin. Le roi actuel, Edward, était aimé du peuple ; il avait fait construire une bonne flotte de vaisseaux noirs qui tenaient en respect les pirates hors des routes maritimes. Toute cette histoire, embellie d'anecdotes et de souvenirs, donnait soif à l'auditoire autant qu'aux conteurs, si bien que plusieurs soirs Rob tituba en rentrant du Renard, et Mary dut déshabiller et mettre au lit un ivrogne mal embouché.

« Mon amour, partons d'ici, lui dit-elle un jour.

– Pourquoi ? Où irions-nous ?

– Nous pouvons vivre à Kilmarnock, où j'ai mon domaine et une grande famille qui serait heureuse d'accueillir mon mari et mes fils.

– Donnons encore une chance à Londres », dit-il doucement.

Il se promit d'être plus prudent au Renard et d'y aller moins souvent. Ce qu'il ne disait pas à Mary, c'est que Londres n'était pas seulement pour lui un lieu où exercer sa profession. C'était un grand projet. Ce qu'il avait appris en Perse faisait désormais partie de lui-même, mais n'était pas connu ici. Il avait besoin des échanges d'idée qui l'avaient enrichi à Ispahan ; cela supposait un hôpital et Londres serait un lieu idéal pour un maristan.


Un matin d'automne, le soleil perçant à travers la brume, il se promenait sur un quai où des esclaves entassaient des barres de fonte avant de les embarquer. Les piles de lourd métal semblaient trop hautes, irrégulières et, quand un fardier recula brutalement sous les coups de fouet du conducteur, la voiture heurta l'échafaudage.

Rob détestait les fardiers ; il ne laissait pas ses enfants jouer sur les quais, où son frère Samuel était mort écrasé dans des circonstances analogues. Il vit avec horreur le nouvel accident qui venait de se produire. Sous le choc, une barre de fonte avait glissé du haut de la pile, en entraînant deux autres avec elle. Les cris d'avertissement vinrent trop tard : un esclave écrasé était mort sur le coup, un autre, la jambe droite atrocement mutilée, s'était évanoui.

Rob fit dégager le corps et envoya un homme chez lui demander à Mary sa trousse chirurgicale. Ne pouvant sauver ni le pied ni la cheville, il commença à inciser la peau saine au-dessus de la blessure pour préparer l'amputation.

« Qu'est-ce que vous faites là ? »

Celui qui se tenait debout devant lui, Rob l'avait vu pour la dernière fois en Perse, chez Jesse ben Benjamin, et il dut faire effort pour n'en rien témoigner.

« Je soigne un homme.

– Ils disent que vous êtes médecin.

– C'est exact.

– Je suis Charles Bostock, marchand importateur, propriétaire de cet entrepôt, et je n'aurais pas la sottise, foutre Dieu, de payer un médecin pour un esclave ! »

Rob haussa les épaules. La trousse était arrivée ; il prit sa scie, coupa le pied écrasé et ferma le moignon avec autant de soin qu'en aurait exigé al-Juzjani. Puis il tapota le visage de l'esclave avec deux doigts, et l'homme gémit. Bostock était toujours là ; il tint à répéter qu'il ne paierait rien, pas un penny.

« Qui êtes-vous ? demanda-t-il.

– Robert Cole, médecin rue de la Tamise.

– Nous nous sommes déjà rencontrés ?

– Pas à ma connaissance. »

Il prit ses affaires et s'en alla, laissant Bostock stupéfait, qui le suivit du regard un long moment. Dans le Londonien à la courte barbe, avait-il reconnu le Juif enturbanné d'Ispahan ? Y avait-il là un danger, surtout pour Mary et les enfants ?

Ce soir-là, justement, elle parla de Kilmarnock, de son désir d'y revoir les siens, et Rob entrevit une solution.

« J'ai encore à faire ici, dit-il en lui prenant les mains. Mais je pense que toi et les petits vous pourriez partir sans moi. »

Elle resta immobile et muette. Sa pâleur accentuait la hauteur des pommettes, la minceur du visage agrandissait les yeux. Les coins de sa bouche, qui la trahissaient toujours, disaient sa peine. Enfin, elle parla d'un ton tranquille.

« Si c'est ce que tu veux, nous partirons. »

Les jours suivants, il changea dix fois d'avis. On n'était pas venu l'arrêter, fallait-il tant s'inquiéter ? Bostock ne l'avait pas identifié, même si son visage lui avait paru familier. Il voulait dire à Mary « Ne pars pas », mais les mots ne franchissaient pas ses lèvres. Il avait peur ; mieux valait les savoir tous trois ailleurs, en sécurité, pendant quelque temps.

« Si tu pouvais nous aider à rejoindre le port de Dunbar..., lui dit-elle. Là, les MacPhee, qui sont de nos parents, assureront notre retour à Kilmarnock. »

En cette fin d'été, il trouva aisément un bateau pour Dunbar, qui partait moins de deux semaines plus tard. Le capitaine, un Danois grisonnant, n'était pas fâché d'être payé pour trois passagers qui ne coûteraient pas cher à nourrir. Il restait peu de temps pour préparer le départ, remettre en état les vêtements, choisir ce que Mary emporterait ou non. Rob promettait d'aller les retrouver bientôt.

« Mais... si tu ne viens pas, si la vie nous sépare d'une manière ou d'une autre, sache que les miens élèveront les garçons. »

Il en fut plus contrarié que rassuré et regretta sa décision. C'était la dernière nuit, ils se touchaient comme deux aveugles pour retenir dans leurs mains les plus chers souvenirs du corps de l'autre. Ils firent l'amour tristement, on eût cru un adieu. Puis elle pleura et il la garda dans ses bras sans rien dire.

Le matin, il les conduisit à bord de l’Aelgifu, un bon bateau viking, en chêne, avec un seul mât et une grande voile carrée, qui saurait se garder des pirates et de la tempête en suivant prudemment les côtes. Mary avait le visage fermé dont elle s'armait contre les menaces du monde. Le pauvre Tarn était déjà pâle et angoissé.

« Continue à faire travailler sa jambe », cria Rob en mimant les gestes du massage.

Mary acquiesça et se pencha vers Rob J. qui lança de sa voix claire un « Adieu, Pa ! » auquel Rob répondit : « Dieu vous garde ! » ils disparurent très vite et, les cherchant encore des yeux, il resta longtemps sur ce quai où il était déjà venu quand il avait neuf ans, seul dans Londres, sans famille et sans amis.


76. LE LYCÉE DE LONDRES


CETTE année-là, le 9 novembre, une femme nommée Julia Swane fut arrêtée comme sorcière. Elle était accusée d'avoir changé en cheval volant sa fille de seize ans et de l'avoir chevauchée avec tant de brutalité que la jeune Glynna était estropiée pour toujours. On ne parlait que de cela en ville. Le propriétaire de Cole jugeait odieux et criminel de traiter ainsi son propre enfant.

Rob s'ennuyait des siens et de leur mère. La première tempête était survenue plus d'un mois après leur départ ; ils avaient sans doute depuis longtemps débarqué à Dunbar et, où qu'ils soient maintenant, il les espérait en sécurité. Promeneur solitaire, il revoyait les quartiers qu'il avait connus enfant. Devant le palais royal, qui lui semblait autrefois le symbole même de la magnificence, il comparait la simplicité anglaise et le luxe flamboyant du palais du Paradis. Le roi Edward vivait surtout à Winchester, mais il l'aperçut un matin marchant en silence parmi les gens de sa maison, pensif et renfermé. On disait qu'il avait blanchi très jeune en apprenant comment Harold avait traité son frère Alfred ; il faisait plus vieux que ses quarante et un ans, et moins royal que le chah, mais lui au moins était vivant.

L'hiver fut précoce et pluvieux. Le solitaire passait souvent ses soirées au Renard, essayant d'éviter l'alcool et les putains qui avaient perdu son père, mais les fêtes de Noël furent une dure épreuve et, quand il quitta la taverne ce jour-là, il avait énormément bu. Avisant deux marins qui corrigeaient à coups de poing un homme en caftan noir, dont le chapeau de cuir avait roulé dans la boue, il les interpella. Ils voulaient, dirent-ils, tuer ce sale Juif de Normandie pour venger la mort du Christ. Excité par l'alcool, il se jeta sur eux, les mit en fuite et se fit insulter. La victime en piteux état pleurait surtout d'humiliation.

« Que se passe-t-il ? demanda un barbu au poil rouge et au nez congestionné.

– Cet homme a été attaqué.

– Vous êtes sûr que ce n'est pas lui qui a commencé ? »

L'autre avait retrouvé la voix pour dire sans doute sa gratitude, dans un français volubile.

« Comprenez-vous cette langue ? » demanda Rob au rouquin, qui secoua la tête avec mépris.

Il aurait aimé parler au Juif dans la Langue pour lui souhaiter une fête des Lumières plus paisible, mais, devant un témoin malintentionné, il n'osa pas. Resté seul, il s'offrit un flacon de vin qu'il alla boire au bord du fleuve en contemplant les eaux grises. Il était content de lui. Fils de son père, ne pouvait-il boire s'il en avait envie ? Une métamorphose s'était opérée : il était Nathanael Cole. Chose étrange, il était aussi Mirdin et Karim. Ala et Dhan Vangalil. Et surtout, oh ! surtout, il était Ibn Sina ! Mais il était encore le gros bandit qu'il avait tué autrefois et cette saloperie de Davout Hosein...

Il était tous les hommes et tous étaient en lui. Quand il se battait contre ce sacré Chevalier noir, c'était un combat pour sa propre survie. Seul et ivre, il en prenait conscience pour la première fois. Emportant le flacon vide qui servirait à un médicament ou une analyse d'urine honnêtement payée, il s'en retourna, lui et tous les autres, à pas prudents et incertains, vers son refuge rue de la Tamise.


Il n'avait pas laissé femme et enfants pour devenir ivrogne, se dit-il sévèrement le lendemain quand il eut retrouvé ses esprits. Pour renouveler sa réserve d'herbes médicinales, il alla chez un herboriste de sa rue, un petit homme méticuleux nommé Rolf Pollard, qui semblait compétent.

« Où pourrais-je rencontrer d'autres médecins ? lui demanda-t-il.

– Au lycée, je pense, maître Cole. Les médecins de la ville s'y réunissent régulièrement. Je n'en sais pas davantage, mais maître Rufus vous renseignera sans doute. »

Le conduisant à l'autre bout de la pièce, il présenta Rob à un client qui flairait une branche de pourpier sec. Aubrey Rufus, médecin de la rue Fenchurch, un homme posé un peu plus âgé que lui, passa sa main dans une chevelure blonde qui commençait à s'éclaircir et répondit aimablement.

« La réunion a lieu le premier lundi de chaque mois, à l'heure du dîner, dans une salle de la taverne Illingsworth à Cornhill. C'est surtout un prétexte pour nous empiffrer. Chacun paie son écot.

– Faut-il être invité ?

– Pas du tout, c'est ouvert aux médecins de Londres. Mais, si cela vous fait plaisir, je vous invite. »

Rob sourit, le remercia et prit congé. Le premier lundi de la nouvelle année, il retrouva à l'Illingsworth une vingtaine de médecins, bavardant et riant autour des tables, qui l'examinèrent avec la curiosité furtive de tout groupe pour un nouvel arrivant. Il reconnut tout de suite Hunne qui fronça les sourcils en le voyant et chuchota quelque chose à ses voisins. Mais Aubrey Rufus lui fit signe de le rejoindre, à une autre table, et le présenta à ses quatre compagnons. Un nommé Brace demanda avec qui il avait fait son apprentissage et combien de temps.

« J'ai été six ans l'assistant d'un médecin de Freising, dans le royaume franc oriental, qui s'appelait Heppmann. »

C'était le nom du propriétaire qui les avait logés pendant la maladie de Tarn. Il y eut des mines dédaigneuses pour cette référence étrangère, mais l'arrivée des victuailles coupa court à l'interrogatoire : une volaille trop cuite avec des navets et de la bière, dont Rob usa modérément. Après le repas, Brace, qui était chargé de la conférence, parla des ventouses.

« Il faut prouver aux patients votre confiance dans l'efficacité des ventouses et des saignées répétées, afin qu'ils partagent votre optimisme. »

L'exposé était mal préparé et il apparut au cours de la discussion que le Barbier en savait beaucoup plus à ce sujet que la plupart des médecins. Le Lycée se révélait bien décevant. On y était obsédé d'honoraires et de revenus. Rufus même plaisantait avec envie le président, Dryfield, qui recevait chaque année, comme médecin du roi, un traitement et des robes.

« Un médecin peut toucher un traitement sans servir le roi, dit Rob, éveillant l'attention générale.

– Comment cela ? demanda Dryfield.

– En travaillant pour un hôpital, un centre de soins consacré aux patients et à l'étude des maladies. »

Certains le regardèrent, ébahis, mais Dryfield acquiesça.

« C'est une idée qui vient d'Orient. On parle d'un nouvel hôpital à Salerne et l'Hôtel-Dieu existe depuis longtemps à Paris, mais il faut savoir que les gens ne sont envoyés à l'Hôtel-Dieu que pour y mourir oubliés. C'est un lieu effroyable.

– Les hôpitaux ne sont pas forcément ainsi, dit Rob, contrarié de ne pouvoir leur parler du maristan.

– Ce système convient peut-être aux incapables, mais les médecins anglais ont l'esprit plus indépendant et doivent être libres de mener leurs propres affaires.

– La médecine est plus qu'une affaire.

– Ce n'est pas une affaire, dit Hunne, les honoraires étant ce qu'ils sont et des petits merdeux débarquant sans cesse à Londres. Où voyez-vous " plus qu'une affaire " là-dedans ?

– C'est une vocation, maître Hunne. De même que d'autres se sentent appelés par l'Eglise. »

Brace allait exploser, mais le président toussa : la dispute avait trop duré.

« Qui se propose pour la conférence du mois prochain... ? Allons, chacun doit participer ! » dit Dryfield avec impatience.

Rob savait qu'il commettait une erreur en se proposant dès la première réunion, mais personne ne disait mot et il parla.

Le président haussa les sourcils, lui demanda quel sujet il aborderait et en parut enchanté.

« L'affection abdominale ? Maître... Crowe, n'est-ce pas ?

– Cole.

– Maître Cole, une causerie sur l'affection abdominale, mais c'est parfait ! »


Julia Swane avait avoué, et l'on avait découvert la marque de la sorcière sur la chair douce et blanche de son bras, juste sous l'épaule gauche. Sa fille Glynna déclarait que Julia l'avait tenue, en riant, tandis que quelqu'un la violait, le diable sans doute. Plusieurs de ses victimes l'accusèrent d'envoûtement. C'est au moment d'être plongée dans l'eau glacée de la Tamise que la sorcière avait tout confessé, et maintenant, elle répondait aux questions des exorcistes sur les différents sujets touchant à la sorcellerie. Rob essayait de ne pas penser à elle.

Il acheta une jument grise, ni jeune ni belle, un peu grasse, et la logea aux anciennes écuries d'Egglestan, qui appartenaient maintenant à un certain Thorne. Elle le menait chez les patients qui l'envoyaient chercher, et d'autres venaient chez lui. C'était la saison du croup ; regrettant le tamarin, la grenade et la figue en poudre qu'utilisait la médecine persane, il préparait des potions avec ce qu'il avait sous la main : du pourpier macéré dans l'eau de rose, en gargarismes pour les gorges irritées, une infusion de violettes séchées contre les maux de tête et la fièvre, de la résine de pin mêlée de miel pour traiter le phlegme et la toux.

Un nommé Thomas Hood à la barbe et aux cheveux carotte vint un jour rue de la Tamise et Rob se rappela brusquement où il l'avait vu ; c'était le témoin de l'incident avec le Juif et les deux marins. Il se plaignait d'avoir les symptômes du muguet, mais il n'avait pas trace de pustules dans la bouche, ni de fièvre, ni de rougeur dans la gorge et semblait bien trop vif pour un malade. Il ne faisait que poser des questions : Où Rob avait-il fait son apprentissage ? Vivait-il seul ? Pas de femme ? Pas d'enfants ? Depuis quand était-il à Londres ? D'où venait-il ? Un aveugle aurait su que le prétendu malade était un mouchard. Rob ne dit rien, prescrivit un purgatif énergique que l'autre ne prendrait pas, et le poussa dehors avec son flot de questions.

Mais qui l'avait envoyé ? Pour qui travaillait-il ? Etait-ce simple coïncidence s'il avait vu la bagarre avec les marins ? Il eut quelques éléments de réponse le lendemain chez l'herboriste, où il rencontra de nouveau Rufus.

« Hunne dit de vous tout le mal possible. Il vous trouve l'air d'un voyou et d'un escroc plus que d'un médecin, et cherche à fermer le Lycée à qui ne serait pas l'élève d'un médecin anglais.

– Que me conseillez-vous ?

– Ne faites rien. Il est clair qu'il refuse de partager avec vous la rue de la Tamise. Tout le monde sait qu'il arracherait les couilles de son grand-père pour la moindre piécette, et personne n'y fait attention. »

Rob en fut réconforté. Il balaierait leurs doutes en préparant son exposé comme il l'aurait fait à la madrassa. Aristote enseignait à Athènes dans le premier Lycée qu'il avait fondé. Eh bien, lui, qu'Ibn Sina avait formé, montrerait à ces médecins anglais ce qu'une conférence médicale pouvait être.

Ils furent intéressés, sans doute, ayant tous perdu des malades de cette terrible douleur dans la partie droite de l'abdomen. Mais le mépris et l'ironie le guettaient à chaque phrase. On se moqua du « petit ver » qu'il prétendait avoir observé. Aucun auteur n'en avait jamais fait mention, disait Dryfield : ni Galien, ni Celsus, Rhazes, Aristote ou Dioscoride. D'ailleurs, l'avait-il trouvé en disséquant un porc ? Non, bien sûr. Et chacun sait que le porc et l'homme ont même anatomie.

« Il y a, expliqua patiemment Rob, de subtiles différences. »

Il déroula son dessin de l'Homme transparent et le commenta en montrant les différents stades de la maladie.

« A supposer que l'affection abdominale corresponde à votre description, dit un médecin au fort accent danois, quel traitement proposez-vous ?

– Je ne connais pas de traitement.

– Alors, à quoi nous sert de connaître l'origine du mal ? »

Tout le monde approuva, oubliant l'hostilité habituelle à l'égard des Danois pour faire bloc contre le nouvel arrivant.

« La médecine, reprit Rob, se construit comme un édifice. Nous avons une chance, dans le temps d'une vie, de poser une brique. Si nous expliquons la maladie, quelqu'un, plus tard, trouvera le remède. »

Grommelant de plus belle, ils s'étaient rassemblés autour de l'Homme transparent, et le président avait noté la signature.

« C'est un excellent travail, dit-il. Qui vous a servi de modèle ?

– Un homme qui avait été éventré.

– Vous n'avez donc vu qu'un seul appendice, s'écria Hunne triomphant, et, naturellement, la voix toute-puissante de votre " vocation " affirme aussi l'universelle présence de ce petit ver rose dans les intestins ? »

Rob, vexé, dit l'avoir vu dans plusieurs corps. Combien ? Six. Des hommes et des femmes ? Dans quelles circonstances ? Mal à l'aise, il avait l'impression de sonner faux. Ils conclurent à la coïncidence ou, pire, au mensonge et, apercevant une lueur de joie mauvaise dans les yeux de Hunne, il comprit que cette conférence prématurée au Lycée avait été une erreur.


Julia Swane ne pouvait échapper à la Tamise. Le dernier jour de février, plus de deux mille personnes s'assemblèrent au petit matin pour applaudir quand on la cousit dans un sac avec un coq, un serpent et une grosse pierre, avant de la jeter au plus profond du bassin de Saint-Giles.

Rob n'assista pas à la noyade. Il cherchait en vain au dock de Bostock l'homme qu'il avait amputé, inquiet de ce qu'il était devenu car le sort d'un esclave dépend de sa capacité de travail. Il en vit un autre dont le dos était balafré de coups de fouet qui semblaient lui ronger le corps. Il rentra chez lui préparer un baume à base de graisse de chèvre et de porc, d'huile, d'encens et d'oxyde de cuivre, puis retourna au quai l'appliquer sur la peau malade. Mais il n'avait pas fini qu'un surveillant se précipitait sur eux.

« C'est le quai de maître Bostock ! Qu'est-ce que vous foutez là ? »

L'esclave avait déjà fui. Sous le regard menaçant du garde, Rob quitta les lieux, heureux de s'en tirer sans autre dommage.


On venait le consulter. Il guérit de ses maux de ventre une femme pâle et larmoyante en lui donnant du lait de vache bouilli. Un riche armateur arriva, la tunique trempée du sang de son poignet, si profondément entaillé que la main semblait gravement atteinte. Déprimé par l'alcool, il avait voulu, avec son propre couteau, mettre fin à ses jours. Il avait bien failli réussir. Rob avait appris dans ses dissections que l'artère du poignet passe tout contre l'os et l'homme s'était arrêté juste avant. Il avait tout de même endommagé des ligaments qui commandent et contrôlent les mouvements du pouce et de l'index. Quand le poignet fut recousu et pansé, les deux doigts restèrent inertes.

« Retrouveront-ils le mouvement et la sensibilité ?

– Si Dieu le veut. Vous vous y êtes très bien pris ; la prochaine fois, vous ne vous manquerez pas. Si vous voulez vivre, évitez l'alcool. »

C'était l'époque de l'année où l'on a besoin de purgatifs après un hiver sans légumes verts ; il prépara une teinture de rhubarbe qu'il épuisa en une semaine. Il soigna un homme mordu par un âne, perça deux furoncles, traita un poignet foulé et un doigt cassé. Au milieu de la nuit, une femme effrayée vint le chercher pour son mari, qui était palefrenier aux écuries de Thorne. Il s'était blessé au pouce trois jours avant, et souffrait la veille de douleurs dans les reins. Maintenant, les mâchoires crispées, une salive écumeuse filtrant entre les dents serrées, il était tendu comme un arc, la tête et les talons reposant seuls sur sa couche. C'étaient bien les symptômes, décrits par Ibn Sina, d'une crise d'épilepsie, mais on ne connaissait pas de traitement et l'homme mourut à l'aube.

Malgré l'amère expérience du Lycée, Rob se força, le premier lundi de mars, à suivre la conférence en spectateur muet, mais le mal était fait : on le considéra comme un fanfaron emporté par son imagination. Il ne rencontra qu'ironie et froideur, Rufus détourna les yeux, et les étrangers près de qui il s'assit ne lui adressèrent pas la parole. Un petit homme rondouillard parla des fractures du bras, des côtes, des luxations de la mâchoire, de l'épaule et du coude ; cours nul et bourré d'erreurs qui aurait mis Jalal en rage.

Puis on parla de l'exécution de la sorcière et de la vigilance qui s'imposait.

« En examinant les patients, nous devons rechercher sur leur corps et signaler au besoin la marque du diable.

– Veillons à nous montrer au-dessus de tout reproche, dit Dryfield. Chez certains, la médecine frôle la sorcellerie. On m'a dit qu'un médecin sorcier pouvait faire écumer la bouche d'un patient et le rendre rigide comme un cadavre. »

Rob pensa au palefrenier épileptique qu'il avait visité, à la limite du « territoire » de Hunne. Celui-ci, justement, demandait à quoi on pouvait reconnaître les sorciers mâles.

« Ils ressemblent aux autres hommes, répondit le président, mais ils sont, paraît-il, circoncis comme les païens. »

Conscient des menaces qui se précisaient autour de lui, Rob prit bientôt congé, décidé à ne jamais revenir. L'expérience du Lycée n'avait été que déception et insultes calomnieuses. Mais il était en pleine santé et mettait tous ses espoirs dans le travail.

Le lendemain matin, Thomas Hood, le mouchard, se présenta à sa porte avec deux hommes armés.

« Que puis-je pour vous ? » demanda Cole. Mais il savait déjà.

« Nous sommes mandatés par la cour de justice de l'évêque. »

Hood s'interrompit pour cracher sur le sol propre.

« Nous venons vous arrêter, Robert Jeremy Cole, pour vous mener devant la justice de Dieu. »


77. LE MOINE GRIS


LE tribunal se réunissait au porche sud de Saint-Paul. On poussa l'accusé dans une petite pièce pleine de gens qui attendaient. Il y avait des gardes à la porte. Rob se crut revenu au royaume de l'imam Qandrasseh. Dieu merci, Mary et les enfants n'étaient pas avec lui ! Il pria silencieusement pour que lui soit épargné le plongeon dans un sac avec un coq et un serpent. A quels témoins serait-il confronté ? Les médecins ? La femme du palefrenier ? Quel mensonge inventerait Hunne pour le convaincre de sorcellerie ? Sa circoncision accidentelle le trahirait-elle ? et quelle autre marque diabolique découvrirait-on sur son corps ? Il eut tout le temps de ruminer ses craintes car c'est seulement au début de l'après-midi qu'on l'introduisit devant les juges.

Vêtu de laine brune, avec étole et chasuble, un homme âgé, qui louchait, siégeait sur un trône de chêne. C'était Aelfsige, évêque ordinaire de Saint-Paul, aux jugements impitoyables. Il avait à sa droite deux prêtres en noir, et, à sa gauche, un jeune bénédictin sévèrement vêtu de gris. Un clerc s'approcha de Rob, lui donna les Saintes Ecritures à baiser et lui fit jurer solennellement que son témoignage serait véridique.

« Comment vous appelez-vous ? demanda Aelfsige en l'observant.

– Robert Jeremy Cole, Excellence.

– Résidence et profession ?

– Médecin, rue de la Tamise. »

L'évêque fit un signe de tête à son voisin de droite.

« Le 25 décembre dernier, avec un Hébreu étranger, vous êtes-vous livré, sans avoir été provoqué, à une attaque contre maître Edgar Burstan et maître William Symesson, chrétiens libres londoniens de la paroisse de Saint-Olaf ? »

Un instant déconcerté, Rob se rassurait : il n'était pas question de sorcellerie, mais d'aide à un Juif, charge mineure, même s'il devait être condamné.

« Un Juif normand nommé David ben Aharon, dit l'évêque en clignant les yeux car il avait la vue basse.

– Je n'ai jamais entendu ce nom ni ceux des plaignants, mais le témoignage des marins est inexact. Ce sont eux qui ont attaqué le Juif de façon déloyale, et c'est pourquoi je suis intervenu.

– Etes-vous chrétien ?

– Je suis baptisé.

– Suivez-vous régulièrement les offices ?

– Non, Excellence. »

L'évêque renifla et hocha la tête avec gravité, puis il pria le moine gris de faire entrer le témoin. Rob, à sa vue, sentit renaître ses craintes. Charles Bostock, richement vêtu, portait au cou une lourde chaîne d'or et au doigt une large bague gravée d'un sceau. Elevé par le roi à la dignité de thane pour ses voyages, il était, dit-il, chanoine honoraire de Saint-Pierre. On le traita avec déférence.

« Eh bien, maître Bostock, connaissez-vous cet homme ?

– C'est Jesse ben Benjamin, Juif et médecin.

– Etes-vous certain qu'il est juif ? »

Bostock résuma son voyage à Byzance, sa mission auprès du pape, et comment, à Ispahan, il avait entendu parler d'une chrétienne qui, après la mort de son père, avait épousé un Juif.

« Invité chez eux, j'ai voulu vérifier mes doutes et je les ai trouvé fondés, à mon profond écœurement.

– Etes-vous certain, dit le moine, parlant pour la première fois, qu'il s'agit bien du même homme ?

– J'en suis sûr, saint frère. Il est venu à mon quai voici quelques semaines essayant de se faire payer très cher pour avoir charcuté un de mes esclaves. J'ai refusé bien entendu, et je me suis rappelé l'avoir vu à Ispahan. C'est un suborneur de chrétiennes. En Perse, elle avait déjà un. enfant de lui et il l'avait engrossée une seconde fois.

– Sous serment solennel, quel est votre nom, maître ? demanda l'évêque en se penchant vers Rob.

– Robert Jeremy Cole.

– Le juif ment, dit Bostock.

– Maître marchand, intervint le moine, vous ne l'avez vu qu'une fois en Perse ? Et vous ne l'aviez pas revu depuis presque cinq ans ?

– Plutôt quatre que cinq, mais c'est vrai », reconnut le témoin de mauvaise grâce.

Il répéta néanmoins sa certitude d'avoir raison, la cour le remercia et on le raccompagna, tandis que Rob faisait effort pour garder son calme.

« Si vous êtes un chrétien né libre, dit l'évêque insidieusement, n'est-il pas étrange que vous comparaissiez devant nous sous deux inculpations différentes ? Selon l'une, vous aidiez un Juif : selon l'autre, vous êtes juif vous-même.

– Je suis Robert Jeremy Cole. J'ai été baptisé à un demi-mille d'ici, à Saint-Botolph, comme en témoigne le registre de la paroisse. Mon père était Nathanael Cole, compagnon menuisier de la guilde des charpentiers. Il est enterré au cimetière de Saint-Botolph, de même que ma mère, Agnes, qui était couturière et brodeuse.

– Avez-vous fréquenté l'école de Saint-Botolph ? demanda le moine.

– Deux ans seulement.

– Qui enseignait les Saintes Ecritures ?

– C'était le père... Philibert, dit Rob, fermant les yeux pour rassembler ses souvenirs. Oui, le père Philibert.

– Ce nom ne me dit rien, fit l'évêque en haussant les épaules.

– Et en latin ? Qui vous a enseigné le latin ? reprit le moine.

– Frère Hugolin.

– Ah oui ! Je me le rappelle. Il est mort il y a des années. Nous vérifierons sur le registre de la paroisse, naturellement, soupira l'évêque. Eh bien, je vous laisse libre, sur la foi de votre serment d'être ce que vous prétendez. Vous devrez revenir devant cette cour dans trois semaines, avec douze hommes libres pour témoigner en votre faveur, chacun prêt à jurer que vous êtes Robert Jeremy Cole, chrétien et né libre. Vous comprenez ? »

Quelques minutes plus tard, il se sentait à peine libéré de leur inquisition.

« Maître Cole ! » cria quelqu'un derrière lui et, se retournant, il vit le bénédictin qui se hâtait de le rejoindre.

« Voulez-vous m'accompagner à la taverne, maire ? J'ai à vous parler. »

Qu'était-ce encore ? Traversant la rue boueuse ils entrèrent dans la salle et choisirent un coin tranquille. Le moine se nomma : frère Paulinus. Ils commandèrent de la bière.

« Il me semble que finalement, cela s'est bien passé pour vous ? »

Rob ne répondit pas et le moine surpris haussa les sourcils.

« Allons, un honnête homme peut bien en trouver douze autres.

– J'étais né à Saint-Botolph, mais je l'ai quitté tout enfant, pour parcourir l'Angleterre comme assistant d'un barbier-chirurgien. Il me faudra un temps fou pour découvrir douze hommes, honnêtes ou non, qui se souviennent de moi et acceptent de venir jusqu'à Londres pour en témoigner.

– Si vous ne les trouvez pas, c'est clair : il ne vous reste que l'ordalie. »

La bière prenait soudain une saveur bien amère.

« L'Eglise a recours à quatre ordalies : eau froide, eau chaude, fer chaud et pain consacré. L'évêque aime particulièrement le fer chaud. On vous fait boire de l'eau bénite et on vous en asperge la main. Vous prenez dans le feu un fer chauffé à blanc, vous le portez en parcourant neuf pieds en trois pas, puis vous le lâchez et vous vous précipitez vers l'autel où votre main est enveloppée et scellée. Si trois jours plus tard, elle se trouve blanche et saine, vous êtes innocent ; sinon, vous êtes excommunié et remis aux autorités civiles. A moins que vous n'ayez la conscience plus pure que la plupart des mortels, je vous conseille de quitter Londres, conclut Paulinus sèchement.

– Pourquoi me dites-vous tout cela ? Et pourquoi ce conseil ? »

Ils se regardèrent. Le moine avait une barbe épaisse et bouclée, une couronne de cheveux brun clair, des yeux ardoise, comme durs... mais aussi secrets, ceux d'un homme referme sur lui-même. Et la fine entaille d'une bouche intraitable. Rob était sûr de ne l'avoir jamais vu avant ce matin-là.

« Je sais que tu es Robert Jeremy Cole.

– Comment le savez-vous ?

– Avant de devenir Paulinus dans la communauté bénédictine, je m'appelais Cole. Il est à peu près sûr que je suis ton frère. »

Rob le crut instantanément. Il l'attendait depuis vingt-deux ans, mais l'intense jubilation qu'il en éprouva d'abord se heurta aussitôt à un mur. Comme une fausse note, ou une mise en garde. Il s'était levé mais l'autre, immobile, le surveillait d'un œil calculateur et vigilant qui le tint à distance et le fit se rasseoir.

« Tu es plus âgé que ne serait le petit Roger. Et Samuel est mort. Tu le savais ?

– Oui.

– Alors, tu es Jonathan ou...

– Je suis William.

– William. Après la mort de Pa, tu es parti avec un prêtre qui s'appelait Lovell.

– Le père Ranald Lovell. Il m'a emmené au monastère de Saint-Benoît à Jarrow, mais il n'a vécu que quatre ans, et l'on a décidé que je serais oblat. L'abbé de Jarrow, Edmund, a été l'affectueux gardien de ma jeunesse ; il m'a instruit, formé, si bien que, très jeune, je suis devenu novice, moine, puis prévôt. J'étais plus que son bras droit. Il se vouait entièrement à prier, à apprendre et enseigner, à écrire, et moi j'étais l'administrateur sévère. Je n'étais pas populaire, dit-il avec un sourire tendu. Quand il est mort, il y a deux ans, je n'ai pas été élu pour le remplacer, mais l'archevêque m'a demandé de quitter la communauté qui m'avait servi de famille. Je vais être ordonné et je serai évêque auxiliaire de Worcester. »

Curieux discours de retrouvailles que ces propos sans amour, ce plat résumé de carrière avec ses perspectives et son ambition.

« De hautes responsabilités t'attendent.

– Cela dépend de Lui, dit Paulinus en haussant les épaules.

–Au moins, je n'ai plus que onze témoins à trouver. Peut-être l'évêque reconnaîtra-t-il que le témoignage de mon frère en vaut plusieurs.

– Quand j'ai vu ton nom dans la plainte, j'ai fait une enquête. Avec quelques encouragements, le marchand Bostock pourrait éclairer un point intéressant. Que diras-tu si l'on t'accuse d'avoir feint d'être juif pour suivre un enseignement païen au défi des lois de l'Eglise ?

– Je dirai que, dans sa sagesse, Dieu m'a permis de devenir médecin parce qu'il n'a pas créé les hommes et les femmes seulement pour la souffrance et la mort.

– Dieu a une armée consacrée qui interprète ses volontés quant au corps et à l'âme des hommes. Ni les barbiers-chirurgiens ni les médecins païens n'ont reçu l'onction divine, et nous avons des lois ecclésiastiques pour arrêter des gens tels que toi.

– Vous nous faites des difficultés. Vous avez pu nous ralentir mais je ne pense pas, William, que vous puissiez nous arrêter.

– Tu vas quitter Londres.

– Est-ce l'amour fraternel qui t'anime ou la crainte que l'évêque auxiliaire de Worcester ne se trouve un jour dans l'embarras à cause d'un frère excommunié et exécuté pour athéisme ? »

Ils restèrent un long moment silencieux.

« Je t'ai cherché toute ma vie. Je rêvais toujours de retrouver les enfants, dit Rob avec amertume.

– Nous ne sommes plus des enfants, et les rêves ne sont pas la réalité.

– As-tu des nouvelles des autres ?

– De la fille seulement. Elle est morte il y a six ans.

– Oh ! s'écria Rob en se levant lourdement. Où trouverai-je sa tombe ?

– Il n'y a pas de tombe. C'était un grand incendie. »

Avec un signe de tête, Rob quitta la taverne sans se retourner. Il avait moins peur maintenant d'une arrestation que des tueurs payés par un homme puissant pour se débarrasser d'un gêneur. II passa tout de suite aux écuries de Thorne régler sa note et reprendre son cheval. Rue de la Tamise, il n'emporta que l'essentiel. Las de ces départs précipités et de ces longs voyages, il y était devenu efficace et prompt. Tandis que frère Paulinus dînait au réfectoire de Saint-Paul, son frère laissait Londres derrière lui. Sur la route boueuse de Lincoln, il avançait pas à pas vers le nord, poursuivi par des furies auxquelles il n'échapperait jamais parce qu'il les portait en lui.


78. LA ROUTE DU NORD


LA première nuit, il dormit confortablement sur un tas de foin au bord de la route. En s'éveillant à l'aube, il se rappela l'échiquier de Mirdin qu'il avait laissé rue de la Tamise, l'objet si précieux rapporté de Perse à travers le monde ! Cette perte lui fut comme un coup de poignard. Il avait faim, mais, renonçant à s'arrêter dans une ferme au risque d'être repéré, il chevaucha le ventre vide la moitié de la matinée. Dans un village, il acheta au marché du pain et du fromage.

Il broyait du noir. Trouver un frère pareil, c'était pire que de l'avoir perdu. Il se sentait volé et trahi. Mais le Willum qu'il avait pleuré, c'était celui de son enfance et il n'avait aucune envie de revoir ce Paulinus aux yeux froids.

« Que le diable t'emporte, évêque auxiliaire de Worcester ! » hurla-t-il, faisant fuir les oiseaux et broncher le cheval.

Puis il sonna de la corne saxonne, dont la voix familière le réconforta. A partir de Lincoln, il évita les grandes routes, où pouvaient le chercher d'éventuels poursuivants, et longea la côte. Un itinéraire qu'il avait suivi maintes fois avec le Barbier. Plus de tambour ni de spectacle, plus de patients pour le médecin fugitif. Personne ne reconnut le jeune barbier-chirurgien d'autrefois ; inutile de se chercher des témoins dans ces villages du bord de mer. Il aurait été condamné. Bénissant la chance qui lui avait permis de fuir, il comprit que, pour lui, dans la vie, tout était encore possible.

Quelques souvenirs lui revenaient ici et là ; telle église avait été détruite par le feu, tel édifice était de construction récente, ailleurs on avait défriché la forêt. Il avançait lentement car la jument qui l'avait bien servi à Londres était trop âgée pour s'adapter aux pistes boueuses de la campagne. Il fallait s'arrêter souvent pour la laisser reposer et brouter l'herbe tendre du printemps tandis qu'il s'allongeait au bord d'une rivière.

Il ménageait son argent et dormait dans des granges chaque fois qu'on l'y autorisait, mais allait à l'auberge quand il ne pouvait l'éviter. Un soir, dans une taverne du port, à Middlesbrough, il remarqua deux marins qui absorbaient une quantité incroyable de bière. L'un d'eux, un trapu aux cheveux noirs sous un bonnet de tricot, frappa du poing sur la table.

« Il nous faut un équipier. On suit la côte jusqu'au port d'Eyemouth, en Ecosse. Pêche au hareng tout du long. Y a quelqu'un ici ? »

Il y eut un silence et quelques rires étouffés, mais personne ne bougea. Fallait-il prendre le risque ? Ce serait plus rapide, et mieux valait l'océan que ce piétinement dans la boue. Il se leva et vint à eux.

« Le bateau est à vous ?

– Oui, je suis le capitaine. Je m'appelle Nee et voici Aldus.

– Moi c'est Jonsson », dit Rob.

C'était un nom aussi bon qu'un autre. L'autre le regardait.

« Un costaud », dit-il, puis il prit sa main et il fit la grimace en touchant la paume lisse.

« Je sais travailler.

– On verra ça », répondit Nee.

Rob donna la jument à un client de la taverne ; il n'aurait pas eu le temps de la vendre le lendemain et elle ne lui aurait pas rapporte grand-chose. Le bateau lui parut aussi vieux et misérable qu'elle, mais Nee et Aldus y avaient bien passé l'hiver, les joints avaient été calfatés à l'étoupe et à la poix ; il affrontait la houle avec légèreté.

Le nouvel équipier ne tarda pas à vomir, penché par-dessus bord, tandis que les autres l'insultaient, menaçant de le jeter à la mer. Il s'obligeait à travailler, mais la pêche était maigre, Nee était de méchante humeur, et seul sa taille évitait à Rob les mauvais traitements. Il ne garda rien du repas du soir : pain dur, poisson fumé plein d'arêtes, eau parfumée de hareng. Pour tout arranger, Aldus pris de colique empuantit le baquet commun. Mais, endurci par son expérience à l'hôpital, le hakim eut tôt fait de vider le seau et de le laver à fond, si bien que les marins surpris cessèrent de l'injurier.

Le lendemain, le filet se remplit de poissons frétillants. Enfin, le hareng ! Quand le bateau fut plein, on regagna la côte pour vendre la pêche aux marchands. Et ce fut ainsi chaque jour. Les mains de Rob devinrent douloureuses puis s'endurcirent ; il apprit à réparer le filet. Le quatrième jour, ses nausées avaient disparu pour ne plus revenir et il se promit de le dire à Tarn. Nee avait le sourire et confiait à Aldus que ce Jonsson leur portait chance. Dans les ports où ils abordaient, il offrait à son équipage un repas chaud et tous trois s'attardaient le soir, à boire et à chanter. Rob apprit beaucoup de couplets obscènes pendant son apprentissage de marin.

« Tu ferais un bon pêcheur, lui dit Nee. Nous restons cinq ou six jours à Eyemouth pour réparer les filets puis nous retournons à Middlesbrough. Veux-tu rester avec nous ? »

Rob remercia, content de l'offre, mais il les quitterait, dit-il, à Eyemouth. C'était un joli port, animé, où ils arrivèrent peu de jours après. Nee le paya de quelques pièces et d'une claque dans le dos. Sachant qu'il cherchait une monture, il le mena chez un honnête marchand de la ville qui lui recommanda une jument et un hongre. La jument était plus avenante.

« J'ai déjà eu un hongre qui m'a fidèlement servi », dit Rob en choisissant celui-ci, qui avait deux ans et semblait alerte et vigoureux.

Il installa son bagage derrière la selle, monta vivement et quitta Nee en lui souhaitant bonne pêche.

« Dieu te garde, Jonsson », dit le marin.


Rob s'entendit très bien avec son cheval, qu'il appela Al Borak comme celui qui, selon les musulmans, porta Mahomet de la terre au septième ciel. Chaque jour, au plus chaud de l'après-midi, il tâchait de s'arrêter près d'un lac et d'une rivière pour baigner le hongre et démêler sa crinière. La bête semblait infatigable, les routes s'asséchaient et il voyageait plus vite. Le bateau l'avait mené au-delà des régions familières et tout lui paraissait plus intéressant dans ce paysage nouveau pour lui. Il suivit cinq jours le cours de la Tweed puis la laissa pour entrer plus au nord dans un pays de landes coupées d'escarpements rocheux, où la fonte des neiges gonflait encore les cours d'eau.

Les fermes étaient rares et dispersées, grandes propriétés ou modestes domaines, presque toujours bien tenues, au prix d'un dur travail. Il fit souvent résonner la corne saxonne sans s'attirer de réactions hostiles chez les fermiers pourtant vigilants. En observant le pays et ses habitants, il y déchiffrait pour la première fois certains aspects du caractère de Mary. Il ne l'avait pas vue depuis de longs mois. Ce voyage n'était-il pas une folie ? Peut-être avait-elle maintenant un nouveau compagnon.

Cette terre accueillante aux hommes était aussi celle des moutons et des vaches. Si le sommet des montagnes restait aride, la plupart des pentes offraient de riches pâturages. Tous les bergers avaient des chiens que Rob apprit à craindre. Non loin de Cumnock, il s'arrêta pour demander dans une ferme l'autorisation de dormir sur le foin de la grange, et il apprit que la veille la fermière avait eu un sein arraché par un chien.

« Dieu soit loué ! » s'écria le mari en apprenant que Rob était médecin.

C'était une femme robuste avec de grands enfants. Elle était folle de douleur ; la bête l'avait attaquée sauvagement et mordue comme un lion.

« Où est le chien ?

– Il n'existe plus », dit le fermier d'un air sinistre.

Ils firent avaler à la blessée de l'alcool de grain qui la fit suffoquer mais l'aida à supporter l'opération. Rob coupa les chairs déchiquetées, recousit la plaie. Elle aurait survécu de toute manière ; les soins assurèrent sa guérison. Au lieu de suivre un jour ou deux l'état de la patiente, il resta une semaine et finit par se rendre compte, un matin, que parvenu tout près de Kilmarnock, il redoutait l'issue du voyage.

Le fermier lui indiqua le chemin et, deux jours plus tard, il avait encore l'accident présent à l'esprit quand surgit devant son cheval un grand chien qui défendait le passage en grondant. Il allait tirer son épée mais le berger rappela l'animal et dit à Rob quelques mots en erse

« Je ne comprends pas votre langue.

– Vous êtes sur la terre des Cullen.

– C'est là que je vais.

– Ah oui ? Pourquoi ça ?

– Je le dirai à Mary Cullen. »

L'homme était encore jeune mais déjà grisonnant et aussi vigilant que le chien. Rob lui demandant son nom, il hésita un moment à répondre puis dit enfin :

« Craig Cullen.

– Je m'appelle Cole. Robert Cole. »

L'Ecossais acquiesça, ni surpris ni cordial.

« Suivez-moi », dit-il, et il partit devant.

Rob ne l'avait pas vu faire signe au chien, qui pourtant prit position derrière le cheval. Il arriva ainsi entre l'homme et le chien, comme une chose égarée qu'ils auraient retrouvée dans les collines.

La maison et la grange étaient en pierre, de bonne construction ancienne. Des enfants le suivaient en chuchotant et il mit un moment à reconnaître ses fils parmi eux. Tarn parlait à son frère en gaélique.

« Qu'est-ce qu'il a dit ?

– Il m'a demandé : " C'est lui notre papa ? " et j'ai dit oui. »

Rob sourit et voulut les prendre mais ils se sauvèrent en criant, avec les autres, dès qu'il sauta de sa selle. Il remarqua avec joie que Tarn courait sans difficulté même s'il boitillait encore légèrement.

« Ils sont un peu timides mais ils vont revenir », dit Mary sur le seuil.

Elle détournait la tête sans chercher son regard. Peut-être n'était-elle pas heureuse de le revoir ? Puis elle fut dans ses bras, où elle se sentait si bien. Il découvrit en l'embrassant qu'elle avait perdu une dent, en haut à droite.

« Je me suis battue avec une vache pour la remettre dans l'enclos et je suis tombée contre ses cornes... Je suis vieille et laide, dit-elle en pleurant.

– Je ne suis pas marié avec une dent ! dit-il d'un ton rude, en caressant doucement du doigt la gencive dans sa bouche chaude. Ce n'est pas une dent que j'ai pris dans mon lit.

– Dans ton champ de blé, dit-elle, souriant à travers ses larmes... Mais tu dois être épuisé et mort de faim. »

Elle lui prit la main et le mena dans la cuisine, lui donna des galettes d'avoine, du lait. C'était étrange de la voir là, si à l'aise chez elle. Il lui parla de son frère retrouvé et perdu, de sa fuite.

« Autrement, serais-tu revenu ?

– Tôt ou tard, oui. C'est un beau pays, mais rude.

– On y est mieux par temps chaud. Mais avant, il faudra labourer.

– Allons-y », dit-il en riant et elle rougit.

Elle ne changera jamais, pensa Rob avec plaisir. Elle le mena dans la maison et bientôt ils furent pris d'un tel fou rire qu'il craignit de ne pouvoir lui faire l'amour. Mais il n'y eut aucun problème, finalement.


79. L'AGNELAGE


LE matin, chacun tenant un enfant sur sa selle, ils allèrent faire le tour de l'immense propriété, parmi les collines. Partout des moutons levaient leur tête blanche, noire ou brune sur le passage des chevaux. Mary était fière de montrer son domaine. Trente-sept petits fermiers vivaient autour de la grande ferme, et tous étaient ses parents. Quarante et un hommes.

« Toute ta famille est ici ?

– Les Cullen seulement. Les Tedder et les MacPhee sont aussi nos parents. Les MacPhee habitent à l'est, à une matinée de cheval ; les Tedder à une journée de cheval, au nord, après le fleuve.

– Combien d'hommes dans ces trois familles ?

– Peut-être cent cinquante.

– C'est ton armée, dit-il avec une moue.

– Oui, c'est rassurant. »

Les moutons lui semblaient déferler comme un fleuve sans fin.

« Nous les élevons pour les peaux et les toisons. Nous mangeons la viande, qui ne se conserve pas. Tu seras vite las du mouton. Les brebis ont commencé à mettre bas, il faut les aider jour et nuit. Certains agneaux doivent être tués entre le troisième et le dixième jour, quand la peau est la plus belle. »

Elle le laissa près de Craig. Au milieu de la matinée, les bergers l'avaient déjà accepté, le voyant calme devant les naissances difficiles et habile à aiguiser et manier les couteaux. Il fut consterné de les voir châtrer les agneaux mâles en arrachant d'un coup de dents les testicules qu'ils jetaient dans un seau. Craig lui sourit, la bouche sanglante.

« On peut pas avoir que des béliers, tu vois.

– Mais pourquoi ne prends-tu pas un couteau ?

– On a toujours fait comme ça. C'est plus vite fini et moins douloureux pour la bête. »

Ils reconnurent ensuite que le scalpel d'acier spécial de Rob était très efficace aussi, mais il ne leur parla pas de son expérience avec les futurs eunuques. Ces bergers étaient des hommes indépendants et compétents. Dans une pièce qui puait le mouton et le sang, on avait écorché des peaux toute la journée. Après le maristan et l'expédition indienne, Rob n'était pas dépaysé. Mary semblait fatiguée.

« Il te faudra un berger de moins, maintenant que je suis là.

– Tu es fou ! »

Le prenant par la main, elle le mena à un autre bâtiment de pierre. A l'intérieur, trois pièces blanchies à la chaux : un bureau, une salle d'examen comme à Ispahan et une troisième avec des bancs de bois pour faire attendre les patients.


Il fit peu à peu connaissance avec les gens. Un musicien nommé Ostric s'était ouvert une artère en écorchant un agneau. Rob arrêta le sang, ferma la plaie et rassura l'homme qui craignait de ne plus pouvoir jouer de sa cornemuse. Plus tard, il rencontra le père de Craig, dont il examina les doigts déformés, gonflés et les ongles étrangement incurvés.

« Tu souffres depuis longtemps d'une mauvaise toux, et de fièvres fréquentes ? demanda-t-il au vieillard.

– Qui te l'a dit ? » dit Malcolm Cullen, surpris.

Ce symptôme qu'Ibn Sina avait appelé les « doigts d'Hippocrate » indiquait toujours une maladie des poumons.

« Je le vois dans tes mains. Tes orteils sont atteints aussi, n'est-ce pas ? »

En posant l'oreille contre sa poitrine, il entendit comme un crépitement de vinaigre qui bout.

« Tu es plein de liquide. Viens au dispensaire, je percerai un petit trou entre deux côtes et je retirerai l'eau peu à peu. En attendant, je vais analyser ton urine et te donner des fumigations et un régime pour assécher ton corps. »


« As-tu ensorcelé le vieux Malcolm ? lui dit Mary le soir. Il raconte à tout le monde que tu guéris par ta magie. »

Pendant les jours suivants, il ne vit personne et s'inquiéta. Mais c'était le temps de l'agnelage. Les clients revinrent dix jours plus tard. On savait maintenant par-delà les collines que l'époux de Mary Cullen était un vrai médecin. Il n'y en avait jamais eu à Kilmarnock et Rob devrait lutter des années contre les idées fausses et les remèdes de bonne femme. On lui demandait aussi de soigner les animaux. Il disséqua une vache et quelques moutons, pour y voir plus clair. Ils étaient différents du porc et de l'homme.

Dans la chambre où ils consacraient leurs nuits à engendrer un nouvel enfant, il voulut la remercier pour ce dispensaire qu'elle avait entrepris dès son retour à Kilmarnock.

« Mais, dit-elle en se penchant sur lui, combien de temps t'aurais-je gardé sans ton travail, hakim ? »

Il n'y avait aucun reproche dans ses paroles, et elle s'empressa de lui fermer la bouche d'un baiser.


80. UNE PROMESSE TENUE


ROB emmenait ses enfants dans la forêt et les collines à la recherche des plantes dont il avait besoin, qu'il faisait sécher ou réduisait en poudre. Il leur expliquait tout, en montrant chaque feuille et chaque fleur ; il leur parlait des herbes, celles qu'on utilise pour les maux de tête, la crampe, la fièvre ou le catarrhe, pour le saignement de nez, les engelures, l'amygdalite purulente ou les douleurs osseuses.

Craig Cullen, qui fabriquait des cuillers en bois, mit tout son art à façonner des boîtes couvertes pour y conserver les plantes. Elles étaient, comme ses cuillers, ornées de nymphes, d'elfes et d'autres créatures sauvages, ce qui donna à Rob l'idée de dessiner quelques-unes des pièces du jeu du chah.

« Pourrais-tu faire quelque chose comme ça ?

– Pourquoi pas ? » répondit Craig intrigué.

Il sculpta chaque pièce et fit l'échiquier d'après les dessins, si bien que Rob et Mary purent à nouveau passer des heures au jeu enseigné par le roi mort. Comme il voulait apprendre le gaélique, elle lui enseigna d'abord les dix-huit lettres de l'alphabet. Grâce à son expérience des langues, il sut, dès le début de l'hiver, écrire de courtes phrases en erse, essayant aussi de parler, ce qui amusa beaucoup les bergers et les enfants.

L'hiver fut rude, surtout vers la Chandeleur. Puis on chassa, en repérant les traces dans la neige, le gibier à plume, les chats sauvages et les loups qui décimaient les troupeaux. Le soir, on veillait devant le feu dans la grande salle, chacun occupé à de petits travaux, et Ostric parfois jouait de la cornemuse. On fabriquait à Kilmarnock un célèbre tissu de laine, teint aux couleurs de la bruyère avec des lichens de rochers. Pour éviter qu'elle ne rétrécisse par la suite, l'étoffe, mouillée d'eau savonneuse, était foulée et frottée par les femmes, qui se la passaient tout autour de la table.

La chapelle la plus proche étant à trois heures de cheval, Rob espérait éviter les prêtres, mais, un matin de son second printemps en Ecosse, il vit arriver un petit homme tout rond au sourire las.

« C'est le père Domhnall ! » s'écria Mary, courant à sa rencontre.

Entouré, chaleureusement accueilli, il passa un moment près de chacun, posant des questions avec un sourire, une tape amicale, un mot d'encouragement. Le bon seigneur et ses manants, se dit Rob agacé.

« Ainsi, tu es l'époux de Mary Cullen ? Es-tu pêcheur ?

– Je pêche la truite, dit Rob déconcerté.

– Je l'aurais parié. Je t'emmène pêcher le saumon demain matin. »

Dès l'aube, ils gagnèrent une petite rivière au cours rapide. Domhnall avait apporté deux pieux massifs, une ligne solide et de longs appâts empennés qui dissimulaient de traîtres crochets.

« Comme des hommes que je connais », dit Rob, et le prêtre hocha la tête avec un regard surpris.

Il lui montra comment lancer l'appât et le ramener en arrière, par à-coups, comme pour ferrer un petit poisson. Ils le firent plusieurs fois sans résultat et Rob était perdu dans le flot rapide quand un saumon l'éclaboussa en attrapant l'appât qu'il emporta pour remonter aussitôt le courant.

– Suis-le, cria Domhnall, sinon il va briser la ligne ou arracher l'hameçon ! »

Rob pataugeait comme il pouvait dans l'eau glaciale, suivant le lit pierreux ou enfonçant quand il se creusait. Le lourd poisson l'entraînait à toute vitesse, il changea plusieurs fois de direction et dériva enfin en se débattant. Avec une dernière convulsion, il libéra l'hameçon, resta un moment immobile, puis, perdant un flot de sang, il disparut dans l'eau profonde. Le saumon était mourant, mais tout était gâché.

Instinctivement, Rob descendit la rivière et, après quelques pas, se précipita vers une tache argentée qui lui échappa deux fois avant de s'arrêter contre un rocher. Affrontant le froid paralysant de l'eau, il ramena à deux mains le poisson sur la rive et l'acheva d'un coup de pierre. Il pesait plus de vingt livres.

Domhnall revenait avec sa prise, qui semblait loin d'être aussi lourde.

« Ton poisson suffira à nous nourrir tous, eh ? » dit-il en reportant son saumon dans la rivière.

Il le tenait avec précaution, pour laisser l'eau faire son œuvre. Les nageoires remuaient lentement puis les branchies se remirent à battre et Rob vit frémir la vie tout le long du corps de la bête, qui s'éloigna dans le courant. Il savait désormais que ce prêtre serait son ami.

Ils ôtèrent leurs vêtements trempés pour les faire sécher et s'allongèrent sur un rocher chauffé par le soleil.

« Ce n'est pas la pêche à la truite, dit le prêtre avec un soupir.

– Aussi différent que cueillir une fleur et abattre un arbre. »

Rob était couvert de coupures et de bleus. Ils se sourirent. Domhnall se grattait le ventre et ne disait rien. Pas de questions ; on sentait qu'il savait écouter intensément et attendre. Cette patience en ferait un adversaire redoutable au jeu du chah.

« Mary et moi, nous ne nous sommes pas mariés à l'église, vous le savez ?

– J'en ai eu quelques échos.

– Nous avions engagé notre foi devant Dieu. » Il raconta leur histoire, sans omettre ni sous-estimer les incidents de Londres et la menace d'excommunication qui pouvait faire obstacle au mariage religieux.

« L'évêque auxiliaire de Worcester a tout intérêt à étouffer l'affaire. Un homme aussi ambitieux choisira de faire oublier son frère plutôt que de risquer un scandale. Tu n'as pas de preuve de ton excommunication ?

– Non, mais elle est possible.

– Mon ami, que sont tes craintes devant le Christ ? Depuis mon ordination, je n'ai jamais quitté cette paroisse de montagne où, je l'espère, je finirai mes jours. A part toi, je n'ai jamais vu personne de Londres ou de Worcester. Je n'ai reçu de message ni d'un archevêque ni du pape, mais seulement de Jésus. Crois-tu que la volonté de Dieu n'est pas que je fasse de vous quatre une famille chrétienne ? »

Rob secoua la tête et lui sourit.

Les deux enfants se rappelleraient toute leur vie le mariage de leurs parents, et le raconteraient à leurs propres petits-enfants. La messe dite dans la grande salle fut courte et simple. Mary portait une robe grise d'étoffe légère avec une broche d'argent et une ceinture en daim cloutée d'argent. Elle était calme mais ses yeux brillèrent lorsque le père Domhnall la déclara unie pour toujours, elle et ses enfants à Robert Jeremy Cole. Toute la parenté fut ensuite invitée à venir rencontrer son mari.

Les MacPhee vinrent de l'ouest à travers les collines et les Tedder traversèrent la grande rivière. Ils apportaient des cadeaux, des gâteaux, des pâtés de gibier... On mit à la broche un taureau et un bœuf, huit moutons, une douzaine d'agneaux et d'innombrables volailles. On joua de la harpe, de la cornemuse, de la viole, de la trompette et Mary chanta avec les autres femmes.

L'après-midi, pendant les concours de lutte et d'athlétisme, Rob rencontra ses légions de cousins ; il apprécia les uns, pas les autres et, résistant aux invites des plus ivres, s'en tira avec un mot gentil et un sourire.

Le soir, il partit se promener loin de la fête, dans la nuit étoilée et fraîche. Il respira l'odeur des ajoncs, entendit les moutons, le hennissement d'un cheval, le souffle du vent dans les collines, le murmure des eaux. Et il crut sentir sous ses pieds de fortes racines poussant au plus profond de ce sol de terre et de silex.


81. LE CYCLE ACCOMPLI


POURQUOI une femme allait-elle ou non concevoir une nouvelle vie, c'était le grand mystère. Avec deux enfants et cinq ans sans grossesse, Mary se trouva enceinte après son mariage. Elle se ménageait davantage, demandait plus volontiers l'aide des hommes. Ses fils la suivaient, se chargeant des tâches à leur portée. On savait déjà qui serait berger. Rob J. semblait se plaire au travail mais Tarn était toujours prêt à nourrir les agneaux et suppliait qu'on le laisse tondre. Un autre don apparut en lui quand il commença à dessiner par terre avec un bâton. Son père lui donna du charbon de bois, une planchette de pin, lui montra comment on peut représenter les objets ou les gens, n'eut pas besoin de lui dire de ne pas omettre les défauts.

Au-dessus de son lit, on avait mis au mur le tapis des rois samanides ; chacun savait qu'il lui appartenait et que c'était le cadeau d'un ami persan. Mary et Rob n'évoquèrent qu'une fois ce qu'ils avaient enfoui au fond de leur mémoire. Il ne serait pas bon pour Tarn d'apprendre qu'il avait peut-être une armée de demi-frères étrangers qui lui resteraient inconnus.

« Nous ne le lui dirons jamais.

– Il est de toi », dit-elle en le prenant dans ses bras, et entre eux grandissait ce qui allait être Jura Agnes, leur seule fille.

Rob sut bientôt la langue que l'on parlait autour de lui. Le père Domhnall lui prêta une bible traduite en erse par des moines irlandais et, comme il avait travaillé le persan en lisant le Coran, il étudia le gaélique dans les Saintes Ecritures. Il avait accroché dans son bureau l'Homme transparent et la Femme enceinte, ainsi commença-t-il à enseigner l'anatomie à ses fils en répondant à leurs questions. Quand on l'appelait pour soigner un malade ou un animal, il emmenait souvent l'un ou l'autre. Un jour, Rob J. monta derrière son père sur le dos d'Al Borak et ils allèrent jusqu'à la petite maison des collines où mourait Ardis, la femme d'Ostric. L'enfant regarda Rob doser l'infusion, la donner à la malade, puis préparer un linge mouillé.

« Tu peux lui baigner le visage. »

Il le fit avec douceur, prenant grand soin des lèvres gercées. Alors Ardis prit les jeunes mains dans les siennes et aussitôt Rob J. pâlit, se troubla et retira ses mains.

« Tout va bien, dit Rob en serrant contre lui les minces épaules. Tout va bien. »

Sept ans seulement. Deux ans de moins que lui lors de sa première expérience. Il s'émerveilla de cette continuité dans sa vie : un grand cycle était accompli. Il réconforta et soigna Ardis. Dehors, il regarda son fils en lui tenant les mains pour qu'il se rassure au contact de sa vitalité.

« Ce que tu as senti chez Ardis et la vie que tu sens en moi, tout cela est un don du Tout-Puissant. Il n'est pas diabolique mais salutaire. Tu le comprendras plus tard. N'aie pas peur.

– Oui, papa », dit l'enfant, qui avait repris ses couleurs.

Ardis mourut huit jours plus tard. Pendant des mois, Rob J. ne vint plus au dispensaire et ne demanda plus à visiter les malades. S'impliquer dans la souffrance du monde doit être un acte volontaire, se dit Rob, même pour un enfant.

Après les soins aux moutons avec Tarn ou les longues courses solitaires à la recherche de bonnes herbes, Rob J. revint à son père en qui il avait une totale confiance et continua peu à peu son instruction au dispensaire. Quand il eut neuf ans, il demanda à venir chaque jour et devint l'assistant de Rob.

Un an après la naissance de Jura Agnes, Mary eut un troisième garçon, Nathanael Robertson. Ce fut son dernier enfant et elle s'affligea des accidents et fausses couches qui suivirent. Rob fut heureux de la voir enfin retrouver ses forces et son allant. Nathanael avait cinq ans quand on vit arriver un jour, menant un âne chargé, un homme à cheval qui portait un caftan noir et un chapeau de cuir. Il s'appelait Dan ben Gamliel, venait de Rouen et semblait épuisé de son long voyage.

Il fut surpris de voir le maître de maison l'accueillir dans la Langue, s'occuper de ses bêtes, lui servir des mets non interdits avec les bénédictions rituelles.

« Vous êtes donc juifs ?

– Non, nous sommes chrétiens. Mais nous avons une grande dette envers vous. »

Rob eut même envie de travailler après le repas sur les commandements, mais l'homme se déroba avec embarras, « n'étant pas un érudit, dit-il. » Le lendemain matin, ce fut pire quand il vit son hôte se joindre à ses prières avec châle et phylactères.

« Je sais ce que tu es. Tu es un Juif apostat, qui a tourné le dos à notre peuple et à notre Dieu pour donner son âme à une autre nation.

– Non, dit Rob, désolé d'avoir ainsi perturbé les dévotions de ben Gamliel. Je t'expliquerai quand tu auras fini. »

Mais, quand il revint un peu plus tard, le voyageur avait disparu avec son cheval, son âne et son bagage. Il avait préféré s'enfuir plutôt que de s'exposer à la contagion de l'apostasie.

Rob ne vit plus jamais de Juifs. Il oubliait aussi le persan et s'imposa de traduire le Canon en anglais pour pouvoir encore consulter le maître médecin. Il pensait souvent à Jesse ben Benjamin mais, faisant la paix avec son passé, il en vint à ne plus parler de ce qu'il avait vécu. Parfois, occupé à une de ces tâches quotidiennes qui rythment la vie en Ecosse : nettoyer un enclos, dégager des congères ou couper du bois, il se souvenait soudain de la Perse. Le désert la nuit, Fara Askari allumant les bougies du sabbat, le barrissement de l'éléphant qui charge pendant la bataille, ou la sensation merveilleuse de voler, perché sur un chameau en pleine course.

Peut-être avait-il toujours vécu à Kilmarnock et tout ce passé n'était qu'un conte, comme on en écoute autour du feu quand un vent glacé souffle dehors.

Ses enfants grandissaient, changeaient, sa femme devenait plus belle avec l'âge. Une seule chose était constante : son don de médecin qui, au chevet d'un malade solitaire ou dans la foule du dispensaire, le rendait sensible à la douleur des patients. Et cet élan de gratitude d'avoir été choisi. Qu'une telle chance de servir et de soigner ait été donnée à l'apprenti du Barbier.


REMERCIEMENTS



Le Médecin d'Ispahan est une histoire où seuls deux personnages sont tirés de la réalité, Ibn Sina et al-Juzjani. Un chah s'est appelé Ala al-Dawla, mais dont on sait si peu de chose que le personnage de ce nom est fondé sur un amalgame de chahs.

J'ai dépeint le maristan d'après les descriptions de l'hôpital médiéval de Bagdad.

Une bonne partie de l'ambiance et des événements du XIe siècle a été perdue pour toujours. Là où l'information était inexistante ou obscure, je n'ai pas hésité à romancer. On comprendra donc que ce livre est une œuvre d'imagination et non une tranche d'Histoire. Toutes les erreurs, grandes ou petites que j'ai faites dans le but de récréer le sens du temps et du lieu sont miennes. Néanmoins, ce roman n'aurait pu être écrit sans l'aide d'un certain nombre de bibliothèques et de personnes.

Je remercie l'université du Massachusetts, à Amherst, qui m'a permis d'avoir accès à toutes ses bibliothèques, et Edla Holm, du service de prêts de cette université.

J'ai trouvé une bonne quantité de livres sur la médecine et l'histoire médicale à la bibliothèque Lamar Soutter du Centre médical de l'université du Massachusetts.

Le Smith Collège a eu l'amabilité de m'autoriser à utiliser la bibliothèque William Allan Neilson. J'ai trouvé à la bibliothèque Werner Josten, du Smith's Center for the Performing Arts, de nombreux détails sur les vêtements et les costumes.

Barbara Zalenski, bibliothécaire à la Belding Mémorial Library d'Ashfield, dans le Massachusetts, ne m'a jamais fait défaut pour trouver un livre que je lui demandais, quelle que soit l'importance des recherches.

Kathleen M. Johnson, Référence Librarian à la bibliothèque Baker de la Graduate School of Business Administration de Harvard, m'a envoyé des matériaux sur l'histoire de la monnaie au Moyen Age.

J'aimerais aussi remercier les bibliothécaires et les bibliothèques de l'Amherst Collège, du Mount Holyoke Collège, de l'université Brandeis, de l'université Clark, la bibliothèque de médecine Count-way à la Médical School de Harvard, à la Public Library de Boston et à la Library Consortium de Boston.

Richard M. Jakowski, V.M.D., pathologiste des animaux au Veterinary Médical Center de Tufts-New England, à North Grafton, Massachusetts, a comparé pour moi les anatomies internes des porcs et des hommes, de même que Susan L. Charpen-ter. Ph. D., post-doctoral fellow aux Rocky Mountain Laboratories de l'Institut national de la santé, à Hamilton, Montana.

Le rabbin Louis A. Rieser, de l'Israël Temple de Greenfield, Massachusetts, a répondu à mes questions répétées sur le judaïsme, pendant plusieurs années.

Le rabbin Philip Kaphan, des Associated Synagogues de Boston, m'a donné des détails sur l'abattage kascher des bêtes.


La Graduate School of Geography de l'université Clark m'a procuré des cartes et des informations sur la géographie du XIe siècle.

Les enseignants du Classics Department du Collège of the Holy Cross, à Worcester, Massachusetts, m'ont aidé pour plusieurs traductions latines.

Robert Ruhloff, forgeron à Ashfield, Massachusetts, m'a donné des renseignements sur l'acier bleu indien, et m'a fait connaître le journal des forgerons, The Anvil's Ring.

Gouverneur Phelps d'Ashfield m'a parlé de la pêche au saumon en Ecosse.

Patricia Schartle Myrer, mon ancien agent littéraire (à la retraite aujourd'hui), m'a donné des encouragements, de même que mon agent actuel Eugène H. Winick, de Mclntosh and Otis, Inc. C'est à la suggestion de Pat Myrer que j'écris l'histoire de la dynastie médicale d'une seule famille sur de nombreuses générations, une suggestion qui m'a conduit à écrire une suite au Médecin d'Ispahan, qui progresse aujourd'hui.

Herman Gollob, chez Simon & Schuster, a été le directeur littéraire idéal – dur et exigeant, chaleureux et se niable –, grâce à qui la publication de ce livre est une expérience importante.

Lise Gordon m'a aidé dans la mise au point éditoriale du manuscrit et m'a apporté son soutien moral et son amour, avec Jamie Gordon, Vincent Rico, Michael Gordon, et Wendi Gordon.

Et, comme toujours, Lorraine Gordon m'a donné, avec ses critiques et la douceur de sa raison, la constance et l'amour dont je lui suis très reconnaissant depuis longtemps.


« Ashfield, Massachusetts

26 décembre 1985.


L'AUTEUR

Noah Gordon a été journaliste scientifique, directeur de journaux médicaux et romancier, auteur de best-sellers, dont The Rabbi (Le Rabbin), The Death Committee (Le Comité de la mort) et The Jérusalem Diamond (Le Diamant de Jérusalem). Il vit avec sa femme Lorraine dans une exploitation forestière des monts Berkshire, à l'ouest du Massachusetts. Lorraine Gordon est rédactrice en chef du journal local, et Noah Gordon est un technicien médical d'urgence dans le service volontaire d'ambulance de leur petite ville. Ils ont trois enfants, Lise, Jamie et Michael. Noah Gordon écrit en ce moment le deuxième volume de sa série de romans qui racontera l'histoire de la dynastie médicale des Cole.













Table



PREMIERE PARTIELE BARBIER 1. LE DIABLE À LONDRES.................................................................... 92. UNE FAMILLE DE LA GUILDE....................................................... 173. LA SÉPARATION............................................................................... 274. LE BARBIER-CHIRURGIEN............................................................ 325. LA BÊTE DE CHELMSFORD............................................................ 406. LES BALLES DE COULEUR............................................................. 497. LA MAISON SUR LA BAIE DE LYME........................................... 548. LE BATELEUR.................................................................................... 619. LE DON................................................................................................ 6510. LE NORD............................................................................................ 7411. LE JUIF DE TETTENHALL.............................................................. 7812. L'ARRANGEMENT........................................................................... 8313. LONDRES.......................................................................................... 8714. LEÇONS............................................................................................. 9415. LE COMPAGNON........................................................................... 10016. LES ARMES..................................................................................... 10817. LE NOUVEAU CONTRAT............................................................. 11318. REQUIESCAT.................................................................................. 11819. UNE FEMME SUR LA ROUTE...................................................... 12220. CHEZ MERLIN................................................................................ 12821. LE VIEUX CHEVALIER................................................................ 141 DEUXIÈME PARTIELE LONG VOYAGE 22. LA PREMIÈRE ÉTAPE................................................................... 15323. ÉTRANGER EN PAYS ÉTRANGE................................................ 15924. LANGUES INCONNUES............................................................... 16525. LA CARAVANE.............................................................................. 16926. LE PERSAN...................................................................................... 17627. MORT D'UNE SENTINELLE......................................................... 18128. LES BALKANS................................................................................ 18929. TRYAVNA....................................................................................... 19430. L'HIVER DANS LA MAISON D'ÉTUDE..................................... 20331. LE CHAMP DE BLÉ........................................................................ 21032. L'OFFRE........................................................................................... 21833. LA DERNIÈRE CITÉ CHRÉTIENNE............................................ 225



TROISIÈME PARTIE ISPAHAN 34. LA DERNIÈRE ÉTAPE................................................................... 23335. LE SEL.............................................................................................. 24136. LE CHASSEUR................................................................................ 24937. LA CITÉ DE REB JESSE................................................................ 25838. LE CALAAT..................................................................................... 270 QUATRIÈME PARTIELE MARISTAN 39. IBN SINA......................................................................................... 28340. L'INVITATION................................................................................ 29441. LE MAIDAN.................................................................................... 30242. LA FÊTE DU CHAH........................................................................ 31143. L'ÉQUIPE MÉDICALE................................................................... 32244. LA PESTE NOIRE........................................................................... 33345. LE SQUELETTE DU MORT........................................................... 34746. L'ÉNIGME........................................................................................ 35447. L'EXAMEN....................................................................................... 36648. UNE JOURNÉE À LA CAMPAGNE............................................. 37049. CINQ JOURS À L'OUEST.............................................................. 37750. LA COURSE..................................................................................... 386 CINQUIÈME PARTIELE CHIRURGIEN MILITAIRE 51. LA CONFIANCE............................................................................. 40152. LA FORMATION DE JESSE.......................................................... 40653. QUATRE AMIS................................................................................ 41154. LES ESPÉRANCES DE MARY...................................................... 41955. L'IMAGE INTERDITE.................................................................... 42556. UN ORDRE...................................................................................... 43257. LE CHAMELIER............................................................................. 43758. L'INDE.............................................................................................. 44159. LE FORGERON INDIEN................................................................ 45060. QUATRE AMIS................................................................................ 457 SIXIÈME PARTIEHAKIM 61. LA PROMOTION............................................................................. 46562. L'OFFRE DE RÉCOMPENSE......................................................... 47163. CONSULTATION À IDHAJ........................................................... 47764. LA JEUNE BÉDOUINE.................................................................. 48665. KARIM.............................................................................................. 49266. LA CITÉ GRISE............................................................................... 49967. DEUX NOUVEAUX VENUS......................................................... 50468. LE DIAGNOSTIC............................................................................ 51069. LES MELONS VERTS..................................................................... 51470. LA CHAMBRE DE QASIM............................................................ 51971. L'ERREUR D'IBN SINA................................................................. 52472. L'HOMME TRANSPARENT........................................................... 52873. LA MAISON DE HAMADHAN..................................................... 53374. LE ROI DES ROIS........................................................................... 537 SEPTIÈME PARTIELE RETOUR 75. LONDRES........................................................................................ 54776. LE LYCÉE DE LONDRES.............................................................. 55777. LE MOINE GRIS............................................................................. 56878. LA ROUTE DU NORD.................................................................... 57679. L'AGNELAGE.................................................................................. 58380. UNE PROMESSE TENUE............................................................... 58781. LE CYCLE ACCOMPLI.................................................................. 592REMERCIEMENTS............................................................................... 596

























Achevé d'imprimer en décembre 2007 au Danemark par

Norhaven, Viborg

N° d'éditeur : 97033

Dépôt légal 1re publication : février 1990

Edition 17 - décembre 2007

LIBRAIRIE GÉNÉRALE FRANÇAISE -31, rue de Fleurus - 75278 Paris cedex 06


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