Leçon de code
Quelquefois, en allant à l’école, on se retrouve à plusieurs copains, et là on rigole bien. On regarde les vitrines, on se fait des croche-pieds, on fait tomber les cartables, et puis après, on est en retard, et il faut drôlement courir pour arriver à l’école, comme cet après-midi avec Alceste, Eudes, Rufus et Clotaire, qui habitent pas loin de chez moi.
Nous courions en traversant la rue pour entrer dans l’école (la cloche avait déjà sonné), quand Eudes a fait un croche-pied à Rufus, qui est tombé, qui s’est relevé et qui a dit à Eudes : « Viens un peu ici, si t’es un homme ! » Mais Eudes et Rufus n’ont pas pu se battre, parce que l’agent de police qui est là pour empêcher les autos de nous écraser, s’est fâché ; il nous a tous appelés au milieu de la rue, et il nous a dit :
— Qu’est-ce que c’est que cette façon de traverser ? On ne vous apprend donc rien à l’école ? Vous allez finir par vous faire écraser à faire les pitres sur la chaussée. Ça m’étonne surtout de ta part, Rufus ; j’ai bien envie d’en parler à ton père !
Le père de Rufus est agent de police, et tous les agents de police connaissent le père de Rufus, et des fois c’est bien embêtant pour Rufus.
— Oh ! non, m’sieur Badoule, a dit Rufus. Je ne le referai plus ! Et puis c’est la faute à Eudes, c’est lui qui m’a fait tomber !
— Cafard ! a crié Eudes.
— Viens un peu ici, si t’es un homme ! a crié Rufus.
— Silence ! a crié l’agent de police. Ça ne peut plus continuer comme ça ; je vais m’occuper de cette affaire. En attendant, allez à l’école, vous êtes en retard.
Nous sommes entrés dans l’école, et l’agent de police a fait avancer les autos qui attendaient.
Quand nous sommes revenus de la récré, pour la dernière heure de classe de l’après-midi, la maîtresse nous a dit :
— Les enfants, nous n’allons pas faire de grammaire, comme le prévoit notre emploi du temps...
On a tous fait : « Ah ! », sauf Agnan, qui est le chouchou de la maîtresse et qui sait toujours ses leçons ; la maîtresse a tapé avec sa règle sur son bureau, et puis elle a dit :
— Silence ! Nous n’allons pas faire de grammaire, parce qu’il est arrivé tout à l’heure un incident très grave : l’agent de police qui veille sur votre sécurité est allé se plaindre à M. le Directeur. Il lui a dit que vous traversiez les rues comme des petits sauvages, en courant et en faisant les pitres, mettant ainsi votre vie en danger. Je dois dire que, moi-même, je vous ai souvent vus courir étourdiment dans les rues. Donc, et pour votre bien, M. le Directeur m’a demandé de vous faire une leçon sur le Code de la route. Geoffroy, si ce que je dis ne vous intéresse pas, ayez au moins la politesse de ne pas dissiper vos camarades. Clotaire ! Qu’est-ce que je viens de dire ?
Clotaire est allé se mettre au piquet, la maîtresse a fait un gros soupir, et elle a demandé :
— Est-ce qu’un de vous peut me dire ce qu’est le Code de la route ?
Agnan, Maixent, Joachim, moi et Rufus, nous avons levé le doigt.
— Eh bien ! Maixent ? a dit la maîtresse.
— Le Code de la route, a dit Maixent, c’est un petit livre qu’on vous donne à l’auto-école et qu’il faut apprendre par cœur pour passer son permis. Ma mère en a un. Mais elle n’a pas eu son permis, parce qu’elle a dit que l’examinateur lui a posé des questions qui n’étaient pas dans le livre...
— Bon ! ça va, Maixent, a dit la maîtresse.
— ... Et puis ma mère a dit qu’elle allait changer d’auto-école, parce qu’on lui avait promis qu’elle aurait son permis, et...
— J’ai dit : bon ! Maixent. Asseyez-vous ! a crié la maîtresse. Baissez votre bras, Agnan, je vous interrogerai plus tard. Le Code de la route, c’est l’ensemble des règles qui régissent la sécurité des usagers de la route. Non seulement pour les automobilistes, mais aussi pour les piétons. Pour devenir un bon automobiliste, il faut d’abord être un bon piéton. Et je pense que vous voulez tous devenir de bons automobilistes, n’est-ce pas ? Alors, voyons... Qui peut me dire quelles sont les précautions à prendre pour traverser une rue ?... Oui, vous, Agnan.
— Bah ! a dit Maixent. Lui, il ne traverse jamais seul. C’est sa mère qui l’amène à l’école. Et elle lui donne la main !
— C’est pas vrai ! a crié Agnan. Je suis déjà venu seul à l’école. Et elle me donne pas la main !
— Silence ! a crié la maîtresse. Si vous continuez tous comme ça, nous allons faire de la grammaire, et tant pis pour vous si, plus tard, vous n’êtes pas capables de conduire convenablement une auto. En attendant, Maixent, vous allez me conjuguer le verbe : « Je dois faire bien attention en traversant les rues et veiller à ce que le passage soit libre, et ne pas m’engager sur la chaussée en courant étourdiment. »
La maîtresse est allée au tableau, et elle nous a fait un dessin, avec quatre lignes qui se croisaient.
— Ça, c’est un carrefour, a expliqué la maîtresse. Pour traverser, vous devez emprunter les passages réservés aux piétons, là, là, là et là. S’il y a un agent de police, vous devez attendre qu’il vous fasse signe de traverser. S’il y a des feux de signalisation, vous devez les observer et ne traverser que quand le feu est vert pour vous. Dans tous les cas, vous devez regarder à droite et à gauche, avant de vous engager sur la chaussée, et surtout, surtout, ne jamais courir. Nicolas, répétez ce que je viens de dire.
Moi, j’ai répété, et j’ai presque tout dit, sauf pour le coup des feux, et la maîtresse a dit que c’était bien, et elle m’a mis 18. Agnan a eu 20, et presque tous les autres ont eu entre 15 et 18, sauf Clotaire qui, comme il était au piquet, a dit qu’il ne savait pas que lui aussi devait écouter.
Et puis le directeur est entré.
— Debout ! a dit la maîtresse.
— Assis ! a dit le directeur. Eh bien ! mademoiselle, vous avez fait la leçon de Code à vos élèves ?
— Oui, monsieur le Directeur, a dit la maîtresse. Ils ont été très sages, et je suis sûre qu’ils ont très bien compris.
Alors le directeur a fait un gros sourire et il a dit :
— Très bien. Parfait ! J’espère que je n’aurai plus de plaintes de la police au sujet de la conduite de mes élèves. Enfin, nous verrons tout ça dans la pratique.
Le directeur est sorti ; nous nous sommes rassis, et puis la cloche a sonné ; nous nous sommes levés pour sortir, mais la maîtresse nous a dit :
— Pas si vite, pas si vite ! Vous allez descendre gentiment, et je veux vous voir traverser la rue. Nous verrons si vous avez compris la leçon.
Nous sommes sortis de l’école avec la maîtresse, et l’agent de police, quand il nous a vus, il a fait un sourire. Il a arrêté les autos, et il nous a fait signe de passer.
— Allez-y, les enfants, nous a dit la maîtresse. Et sans courir ! Je vous observe d’ici.
Alors, nous avons traversé la rue, tout doucement, les uns derrière les autres, et quand nous sommes arrivés de l’autre côté, nous avons vu la maîtresse qui parlait avec l’agent de police, sur le trottoir, en rigolant, et le directeur qui nous regardait de la fenêtre de son bureau.
— Très bien ! nous a crié la maîtresse. M. l’Agent et moi sommes très contents de vous. A demain, les enfants.
Alors nous avons tous retraversé la rue en courant pour lui donner la main.