La visite de mémé
Je suis drôlement content, parce que mémé vient passer quelques jours à la maison. Mémé, c’est la maman de ma maman, je l’aime beaucoup, et elle me donne tout le temps des tas de chouettes cadeaux.
Papa devait sortir plus tôt de son travail, cet après-midi, pour aller chercher mémé au train, mais mémé est arrivée toute seule en taxi.
— Maman ! a crié Maman. Mais nous ne t’attendions pas si tôt !
— Oui, a dit mémé, j’ai pris le train de 15 h 47, au lieu de celui de 16 h 13, c’est pour ça. Et j’ai pensé que ça ne valait pas la peine de dépenser une communication téléphonique pour vous prévenir... Comme tu as grandi, mon lapin ! Tu es un vrai petit homme ! Viens encore me faire un bisou. Tu sais, j’ai des surprises pour toi dans ma grosse valise, que j’ai laissée à la consigne !... À propos, et ton mari, où est-il ?
— Eh bien, a répondu Maman, justement, il est allé te chercher à la gare, le pauvre.
Mémé, ça l’a fait beaucoup rire, ça, et elle rigolait encore quand Papa est arrivé.
— Dis mémé ! j’ai crié. Dis mémé ! Et les cadeaux ?
— Nicolas ! Veux-tu te taire ! Tu n’as pas honte ? m’a dit Maman.
— Mais il a parfaitement raison, mon petit ange, a dit mémé. Seulement, comme personne ne m’attendait à la gare, j’ai préféré laisser ma valise à la consigne ; elle est très lourde. J’ai pensé, gendre, que vous pourriez aller la chercher...
Papa a regardé mémé, et il est ressorti sans rien dire. Quand il est revenu, il avait l’air un peu fatigué. C’est que la valise de mémé était très lourde et très grosse, et Papa devait la porter avec les deux mains.
— Qu’est-ce que vous transportez là-dedans ? a demandé Papa. Des enclumes ?
Papa s’était trompé ; mémé n’avait pas apporté d’enclumes, mais il y avait un jeu de constructions pour moi, et un jeu de l’oie (j’en ai déjà deux), et un ballon rouge, et une petite auto, et un camion de pompiers, et une toupie qui fait de la musique.
— Mais tu l’as trop gâté ! a crié Maman.
— Trop gâté, mon Nicolas ? Mon petit chou ? Mon ange ? a dit mémé. Jamais de la vie ! Viens me faire un bisou, Nicolas.
Après le bisou, mémé a demandé où elle dormirait, pour pouvoir commencer à ranger ses affaires.
— Le lit de Nicolas est trop petit, a dit Maman. Il y a, bien sûr, le sofa du salon, mais je me demande si tu ne serais pas mieux avec moi, dans la chambre ?
— Mais non, mais non, a dit mémé. Je serai très bien sur le sofa. Ma sciatique ne me fait presque plus souffrir du tout.
— Non, non, non ! a dit Maman. Nous ne pouvons pas te laisser dormir sur le sofa ! N’est-ce pas, chéri ?
— Non, a dit Papa en regardant Maman.
Papa a monté la valise de mémé dans la chambre, et pendant que mémé rangeait ses affaires, il est redescendu dans le salon, et comme il fait toujours, il s’est assis dans le fauteuil avec son journal, et moi j’ai joué avec la toupie, et c’est pas trop rigolo, parce que c’est un jouet de bébé.
— Tu ne peux pas aller faire ça plus loin ? m’a demandé Papa.
Et mémé est arrivée, elle s’est assise sur une chaise, et elle m’a demandé si elle me plaisait bien, la toupie, et si je savais la faire marcher. Moi j’ai montré à mémé que je savais, et mémé a été très étonnée et drôlement contente, et elle m’a demandé de lui donner un bisou. Après, elle a demandé à Papa de lui prêter le journal, parce qu’elle n’avait pas eu le temps de l’acheter avant le départ du train. Papa s’est levé, il a donné le journal à mémé, qui s’est assise dans le fauteuil de Papa, parce que la lumière est meilleure pour lire.
— A table ! a crié Maman.
Nous sommes allés dîner, et c’était terrible ! Maman avait fait un poisson froid avec des tas de mayonnaise (j’aime beaucoup la mayonnaise) et puis il y a eu du canard avec des petits pois, et puis du fromage, et puis un gâteau à la crème, et puis des fruits, et mémé m’a laissé reprendre de tout deux fois, et même, pour le gâteau, après la deuxième fois, elle m’a donné un bout du sien.
— Il va être malade, a dit Papa.
— Oh, pour une fois, ça ne peut pas lui faire du mal, a dit mémé.
Et puis, mémé a dit qu’elle était très fatiguée par le voyage, et qu’elle voulait se coucher de bonne heure. Elle a donné des bisous à tout le monde, et puis Papa a dit que lui aussi il était très fatigué, qu’il devait être de bonne heure le lendemain à son bureau, parce qu’il était parti très tôt aujourd’hui pour chercher mémé à la gare, et tout le monde est allé se coucher.
J’ai été très malade pendant la nuit, et le premier qui est venu, c’est Papa qui est monté du salon en courant. Mémé, qui s’était réveillée aussi, était très inquiète, elle a dit que c’était pas normal, et elle a demandé si on avait consulté un docteur au sujet du Petit. Et puis je me suis endormi.
Ce matin, Maman est venue me réveiller, et Papa est entré dans ma chambre.
— Tu ne pourrais pas dire à ta mère de se dépêcher ? a demandé Papa. Ça fait une heure qu’elle est dans la salle de bains ! Je me demande ce qu’elle peut bien y faire !
— Elle prend son bain, a dit Maman. Elle a le droit de prendre son bain, non ?
— Mais je suis pressé, moi ! a crié Papa. Elle ne va nulle part, elle ! Moi, je dois aller à mon bureau ! Je vais être en retard !
— Tais-toi, a dit Maman. Elle va t’entendre !
— Qu’elle m’entende ! a crié Papa. Après la nuit que j’ai passée sur ce sofa de malheur, je...
— Pas devant le petit ! a dit Maman, qui est devenue toute rouge et fâchée. Oh, et puis d’ailleurs, j’ai bien vu depuis qu’elle est arrivée, que tu avais l’intention d’être désagréable avec elle ! Bien sûr, quand il s’agit de ma famille, c’est toujours la même chose. Par contre, ton frère Eugène, par exemple...
— Bon, bon, ça va, a dit Papa. Laisse Eugène tranquille, et demande à ta mère de te passer mon rasoir et le savon. J’irai faire ma toilette dans la cuisine.
Quand Papa est arrivé pour le petit déjeuner, mémé et moi, nous étions déjà à table.
— Dépêche-toi, Nicolas, m’a dit Papa. Toi aussi, tu vas être en retard !
— Comment ? a dit mémé. Vous allez l’envoyer à l’école après la nuit qu’il a passée ? Mais regardez-le, enfin ! Il est tout pâlot, le pauvre chou. N’est-ce pas que tu es fatigué, mon lapin ?
— Oh oui, j’ai dit.
— Ah, vous voyez ? a dit mémé. Moi, je crois tout de même que vous devriez consulter un docteur à son sujet.
— Non, non, a dit Maman, qui entrait avec le café. Nicolas ira à l’école !
Alors moi je me suis mis à pleurer, j’ai dit que j’étais très fatigué et drôlement pâle, Maman m’a grondé, mémé a dit qu’elle ne voulait pas se mêler de ce qui ne la regardait pas, mais qu’elle pensait que ce ne serait pas un drame si je n’allais pas à l’école pour une fois, et qu’elle n’avait pas si souvent l’occasion de voir son petit-fils, et Maman a dit que bon, bon, pour cette fois seulement, mais qu’elle n’était pas contente du tout, et mémé a dit que je lui donne un bisou.
— Bon, a dit Papa, je file. J’essaierai de ne pas rentrer trop tard, ce soir.
— En tout cas, a dit mémé, surtout, ne changez rien à vos habitudes pour moi. Faites comme si je n’étais pas là.