Les chaises

Ça a été terrible, à l’école, aujourd’hui !

Nous sommes arrivés ce matin, comme d’habitude, et quand le Bouillon (c’est notre surveillant) a sonné la cloche, nous sommes allés nous mettre en rang. Et puis tous les autres types sont montés dans leurs classes et nous, nous sommes restés seuls dans la cour de récré. On se demandait ce qui se passait, si la maîtresse était malade et si on allait nous renvoyer chez nous. Mais le Bouillon nous a dit de nous taire et de rester en rang. Et puis on a vu arriver la maîtresse et le directeur de l’école ; ils parlaient ensemble en nous regardant, et puis le directeur est parti et la maîtresse est venue vers nous.

— Les enfants, elle nous a dit, dans la nuit, une canalisation d’eau a gelé et a crevé, ce qui a inondé notre salle de classe. Des ouvriers sont en train de faire des réparations – Rufus, si ce que je dis ne vous intéresse pas, vous me ferez tout de même le plaisir de rester tranquille – et nous allons donc être obligés de faire la classe dans la buanderie. Je vous demande d’être très sages, de ne pas faire de désordre et de ne pas profiter de ce petit accident pour vous dissiper – Rufus, deuxième avertissement. En avant !

Nous, on était drôlement contents, parce que c’est amusant, quand il y a du changement à l’école. Là, par exemple, c’était chouette de suivre la maîtresse par le petit escalier en pierre qui descend vers la buanderie. L’école, on croit qu’on la connaît bien, mais il y a des tas d’endroits comme ça, où on ne va presque jamais parce que c’est défendu. Nous sommes arrivés dans la buanderie ; c’est pas très grand et il n’y a pas de meubles, sauf un évier et une chaudière avec des tas de tuyaux.

— Ah ! oui, a dit la maîtresse, il faut aller chercher des chaises dans la salle à manger.

Alors, on a tous levé le doigt et on s’est mis à crier : « Je peux y aller, mademoiselle ? Moi, mademoiselle ! Moi ! » et la maîtresse a tapé avec sa règle sur l’évier, et ça faisait moins de bruit que sur son bureau, en classe.

— Un peu de silence ! a dit la maîtresse. Si vous continuez à crier, personne n’ira chercher les chaises et nous ferons la classe debout... Voyons... vous, Agnan, et puis Nicolas, Geoffroy, Eudes, et... et... et Rufus, qui pourtant ne le mérite pas, allez dans la salle à manger, sans vous dissiper, et là-bas on vous donnera des chaises. Agnan, vous qui êtes raisonnable, je vous rends responsable de l’expédition.

Nous sommes sortis de la buanderie drôlement contents, et Rufus a dit qu’on allait bien rigoler.

— Un peu de silence ! a dit Agnan.

— Toi, le sale chouchou, on ne t’a pas sonné ! a crié Rufus. Je ferai silence quand je voudrai, non, mais sans blague !

— Non, monsieur ! non, monsieur ! a crié Agnan. Tu feras silence quand moi je voudrai, parce que la maîtresse a dit que c’était moi qui commandais, et puis je ne suis pas un sale chouchou, et je me plaindrai, tiens !

— Tu veux une gifle ? a demandé Rufus.

Et la maîtresse a ouvert la porte de la buanderie et elle nous a dit :

— Bravo ! Je vous félicite ! Vous devriez déjà être de retour et vous êtes encore en train de vous disputer devant la porte ! Maixent, prenez la place de Rufus. Rufus, vous étiez averti, retournez en classe !

Rufus a dit que ce n’était pas juste et la maîtresse lui a dit qu’il était un petit insolent, elle l’a averti encore une fois et elle lui a dit que s’il continuait elle finirait par le punir sévèrement, et Joachim a remplacé Geoffroy qui faisait des grimaces.

— Ah ! vous voici enfin ! nous a dit le Bouillon, qui nous attendait dans la salle à manger.

Et il nous a donné des chaises, on a dû faire plusieurs voyages, et comme on a fait un peu les guignols dans les couloirs et les escaliers, Clotaire a remplacé Eudes et moi j’ai été remplacé par Alceste. Mais après, j’ai remplacé Joachim, et pendant que la maîtresse ne regardait pas, Eudes a fait encore un voyage sans remplacer personne, et puis la maîtresse a dit qu’il y avait assez de chaises comme ça et qu’elle voulait un peu de calme, s’il vous plaît, et le Bouillon est arrivé avec trois chaises.

Il est drôlement fort, le Bouillon, et il a demandé s’il y avait assez de chaises comme ça, et la maîtresse a dit qu’il y en avait de trop et qu’on ne pouvait plus bouger tellement il y en avait, et qu’il faudrait en remporter, des chaises, et on a tous levé le doigt en criant : « Moi, mademoiselle ! moi ! » Mais la maîtresse a tapé avec sa règle sur la chaudière et c’est le Bouillon qui a remporté les chaises, et il a dû faire deux voyages.

— Mettez les chaises en rang, a dit la maîtresse.

Alors, on a commencé à ranger les chaises, et il y en avait partout, dans tous les sens, et la maîtresse s’est drôlement fâchée ; elle a dit que nous étions insupportables et c’est elle qui a rangé les chaises face à l’évier, et puis elle a dit de nous asseoir, et Joachim et Clotaire ont commencé à se pousser parce qu’ils voulaient tous les deux être assis sur la même chaise, dans le fond de la buanderie.

— Quoi encore ? a demandé la maîtresse. Vous savez que je commence à en avoir assez, moi ?

— C’est ma place, a expliqué Clotaire. En classe, je suis assis derrière Geoffroy.

— Peut-être, a dit Joachim, mais en classe, Geoffroy n’est pas assis à côté d’Alceste. Geoffroy n’a qu’à changer de place et tu te mettras derrière lui. Mais ça c’est ma place, près de la porte.

— Moi, je veux bien changer de place, a dit Geoffroy en se levant, mais il faudra que Nicolas me laisse sa chaise, parce que Rufus...

— Ce n’est pas un peu fini ? a dit la maîtresse. Clotaire ! Allez au coin !

— Lequel, mademoiselle ? a demandé Clotaire. Parce que c’est vrai, en classe, Clotaire va toujours au même coin, celui qui est à gauche du tableau, mais là, dans la buanderie, tout est différent et Clotaire n’est pas encore habitué. Mais la maîtresse était drôlement nerveuse ; elle a dit à Clotaire de ne pas faire le pitre, qu’elle allait lui mettre un zéro, et Clotaire a vu que ce n’était pas le moment de faire le guignol et il a choisi le coin qui est juste de l’autre côté de l’évier ; il n’y a pas beaucoup de place, mais en se serrant, on arrive à s’y mettre au piquet. Joachim s’est assis tout content sur la chaise du fond, mais la maîtresse lui a dit que « non, mon petit ami, ce serait trop facile ; venez plutôt devant où je peux mieux vous surveiller », et Eudes a dû se lever pour donner sa place à Joachim, et pour les laisser passer on a dû tous se lever, et la maîtresse a donné des grands coups de règle contre les tuyaux de la chaudière en criant :

— Silence ! assis ! assis ! M’entendez-vous ? assis !

Et puis la porte de la buanderie s’est ouverte et le directeur est entré.

— Debout ! a dit la maîtresse.

— Assis ! a dit le directeur. Eh bien, félicitations ! Joli vacarme ! On vous entend dans toute l’école ! Ce ne sont que galopades dans les couloirs, cris, coups sur les tuyaux ! Magnifique ! Vos parents pourront être fiers de vous, bientôt, car on se conduit comme des sauvages et on finit au bagne, c’est bien connu !

— Monsieur le Directeur, a dit la maîtresse, qui est chouette comme tout et qui nous défend toujours, ils sont un peu énervés, avec ce local qui n’est pas conçu pour les recevoir, alors il y a un peu de désordre, mais ils vont être sages maintenant.

Alors, le directeur a fait un grand sourire et il a dit :

— Mais bien sûr, mademoiselle, bien sûr ! Je comprends très bien. Aussi, vous pouvez rassurer vos élèves ; les ouvriers m’ont promis que leur salle de classe sera parfaitement en état de les recevoir demain, quand ils viendront. Je pense que cette excellente nouvelle va les calmer.

Et quand il est parti, on a été contents que tout se soit si bien arrangé, jusqu’au moment où la maîtresse nous a rappelé que demain, c’était jeudi.


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