Leçon de choses
Demain, nous a dit la maîtresse, nous aurons une leçon de choses tout à fait spéciale ; chacun de vous devra apporter un objet, un souvenir de voyage, de préférence. Nous commenterons chaque objet, nous l’étudierons, et chacun d’entre vous nous expliquera son origine et les souvenirs qui s’y rattachent. Ce sera, à la fois, une leçon de choses, un cours de géographie et un exercice de rédaction.
— Mais quel genre de chose il faudra apporter, mademoiselle ? a demandé Clotaire.
— Je vous l’ai déjà dit, Clotaire, a répondu la maîtresse. Un objet intéressant, qui ait une histoire. Tenez, ça fait de cela quelques années, un de mes élèves a apporté un os de dinosaure, que son oncle avait trouvé en faisant des fouilles. Un de vous peut-il me dire ce qu’est un dinosaure ?
Agnan a levé la main, mais on s’est tous mis à parler des choses qu’on apporterait, et avec le bruit que faisait la maîtresse en tapant avec sa règle sur son bureau, on n’a pas pu entendre ce que racontait ce sale chouchou d’Agnan.
En arrivant à la maison, j’ai dit à Papa qu’il fallait que j’apporte à l’école une chose qui serait un souvenir terrible de voyage.
— C’est une bonne idée, ces cours pratiques, a dit Papa. La vue des objets rend la leçon inoubliable. Elle est très bien, ta maîtresse, très moderne. Maintenant, voyons... Qu’est-ce que tu pourrais bien emmener ?
— La maîtresse a dit, j’ai expliqué, que ce qu’il y avait de plus chouette, c’était les os de dinosaure.
Papa a ouvert des yeux tout étonnés et il m’a demandé :
— Des os de dinosaure ? En voilà une idée ! Et d’où est-ce que tu veux que je sorte des os de dinosaure ? Non, Nicolas, je crains fort qu’il ne faille nous contenter de quelque chose de plus simple.
Alors, moi j’ai dit à Papa que je ne voulais pas apporter des choses simples, que je voulais apporter des choses qui épateraient drôlement les copains, et Papa m’a répondu qu’il n’avait pas de choses pour épater les copains. Alors moi, j’ai dit que, puisque c’était comme ça, c’était pas la peine d’apporter des choses qui n’épateraient personne et que j’aimais mieux ne pas aller à l’école demain, et Papa m’a répondu qu’il commençait à en avoir assez, et qu’il avait bien envie de me priver de dessert, et que ma maîtresse avait vraiment des drôles d’idées ; et moi, j’ai donné un coup de pied dans le fauteuil du salon. Papa m’a demandé si je voulais une claque, je me suis mis à pleurer, et Maman est arrivée en courant de la cuisine.
— Quoi encore ? a demandé Maman. Je ne peux pas vous laisser tous les deux seuls sans qu’il y ait des histoires. Nicolas ! Cesse de pleurer. Que se passe-t-il ?
— Il se passe, a dit Papa, que ton fils est furieux parce que je lui refuse un os de dinosaure.
Maman nous a regardés, Papa et moi, et elle a demandé si tout le monde était en train de devenir fou dans cette maison. Alors Papa lui a expliqué, et Maman m’a dit :
— Mais enfin, Nicolas, il n’y a pas de quoi en faire un drame. Tiens, il y a, dans le placard, des souvenirs très intéressants de nos voyages. Par exemple, le gros coquillage que nous avons acheté à Bains-les-Mers, quand nous y sommes allés en vacances.
— C’est vrai ça ! a dit Papa. Ça vaut tous les os de dinosaure du monde, ce coquillage !
Moi, j’ai dit que je ne savais pas si le coquillage épaterait les copains, mais Maman m’a dit qu’ils trouveraient ça formidable et que la maîtresse me féliciterait. Papa est allé chercher le coquillage, qui est très gros, avec « Souvenir de Bains-les-Mers » écrit dessus, et Papa m’a dit que je pourrais épater tout le monde en racontant nos vacances à Bains-les-Mers, notre excursion à l’île des Embruns et même le prix qu’on payait à la pension. Et si ça, ça n’épatait pas les copains, c’est que les copains étaient difficiles à épater. Maman a rigolé, elle a dit qu’on passe à table et, le lendemain, je suis parti à l’école, fier comme tout, avec mon coquillage enveloppé dans du papier marron.
Quand je suis arrivé à l’école, tous les copains étaient là, et ils m’ont demandé ce que j’avais apporté.
— Et vous ? j’ai demandé.
— Ah, moi, je le montrerai en classe, m’a répondu Geoffroy, qui aime bien faire des mystères.
Les autres non plus ne voulaient rien dire, sauf Joachim, qui nous a montré un couteau, le plus chouette qu’on puisse imaginer.
— C’est un coupe-papier, nous a expliqué Joachim, que mon oncle Abdon a rapporté de Tolède, en cadeau pour mon père. C’est en Espagne.
Et le Bouillon – c’est notre surveillant, mais ce n’est pas son vrai nom – a vu Joachim et il lui a confisqué le coupe-papier, en disant qu’il avait déjà interdit mille fois qu’on amène des objets dangereux à l’école.
— Mais, m’sieur, a crié Joachim, c’est la maîtresse qui m’a dit de l’apporter !
— Ah ? a dit le Bouillon. C’est la maîtresse qui vous a demandé d’apporter cette arme en classe ? Parfait. Alors, non seulement je confisque cet objet, mais vous allez me conjuguer le verbe :
« Je ne dois pas mentir à M. le Surveillant quand celui-ci me pose une question au sujet d’un objet particulièrement dangereux que j’ai introduit clandestinement dans l’école. » Inutile de crier, et vous autres, taisez-vous, si vous ne voulez pas que je vous punisse aussi !
Et le Bouillon est allé sonner la cloche, nous nous sommes mis en rang et, quand nous sommes entrés en classe, Joachim pleurait toujours.
— Ça commence bien, a dit la maîtresse. Eh bien, Joachim, que se passe-t-il ?
Joachim lui a expliqué, la maîtresse a poussé un soupir, elle a dit que d’apporter un couteau n’était pas une très bonne idée, mais qu’elle essaierait d’arranger ça avec M. Dubon, et ça, c’est le vrai nom du Bouillon.
— Bon, a dit la maîtresse. Voyons un peu ce que vous avez apporté. Mettez les objets devant vous, sur votre pupitre.
Alors on a tous sorti les choses qu’on avait apportées : Alceste avait amené un menu d’un restaurant où il avait très bien mangé avec ses parents, en Bretagne ; Eudes avait une carte postale de la côte d’Azur ; Agnan, un livre de géographie que ses parents lui avaient acheté en Normandie ; Clotaire a apporté une excuse, parce qu’il n’avait pas bien compris, il croyait qu’il fallait apporter des os ; et Maixent et Rufus, ces imbéciles, ont apporté chacun un coquillage.
— Oui, a dit Rufus, mais moi, j’ai trouvé le mien sur la plage, la fois où j’ai sauvé un homme qui se noyait.
— Ne me fais pas rigoler, a crié Maixent. D’abord, tu ne sais même pas faire la planche, et puis après, si tu l’as trouvé sur la plage, ton coquillage, pourquoi est-ce qu’il y a écrit dessus :
« Souvenir de Plage-des-Horizons » ?
— Ouais ! j’ai crié.
— Tu veux une baffe ? m’a demandé Rufus.
— Rufus, sortez ! a crié la maîtresse. Et vous serez en retenue jeudi. Nicolas, Maixent, tenez-vous tranquilles si vous ne voulez pas être punis aussi.
— Moi, j’ai apporté un souvenir de Suisse, a dit Geoffroy avec un gros sourire, tout fier. C’est une montre en or que mon père a achetée là-bas.
— Une montre en or ! a crié la maîtresse. Et votre père sait que vous l’avez apportée à l’école ?
— Ben non, a dit Geoffroy. Mais quand je lui dirai que c’est vous qui m’avez demandé de l’amener, il ne me grondera pas.
— Que c’est moi qui ?... a crié la maîtresse. Petit inconscient ! Vous allez me faire le plaisir de remettre ce bijou dans votre poche !
— Moi, si je ramène pas mon coupe-papier, mon père va drôlement me gronder, a dit Joachim.
— Je vous ai déjà dit, Joachim, que je m’occuperai de cette affaire, a crié la maîtresse.
— Mademoiselle, a crié Geoffroy. Je ne retrouve plus la montre ! Je l’ai mise dans ma poche, comme vous me l’avez dit, et je ne la retrouve plus.
— Mais enfin, Geoffroy, a dit la maîtresse, elle ne peut pas être bien loin. Vous avez cherché par terre ?
— Oui, mademoiselle, a répondu Geoffroy. Elle n’y est pas.
Alors la maîtresse est allée vers le banc de Geoffroy, elle a regardé partout, et puis elle nous a demandé de regarder aussi, en faisant attention de ne pas marcher sur la montre, et Maixent a fait tomber mon coquillage par terre, alors je lui ai donné une baffe. La maîtresse s’est mise à crier, elle nous a donné des retenues, et Geoffroy a dit que si on ne retrouvait pas sa montre, il faudrait que la maîtresse aille parler à son père, et Joachim a dit qu’il faudrait qu’elle aille parler au sien aussi, pour le coup du coupe-papier.
Mais tout s’est très bien arrangé, parce que la montre, Geoffroy l’a retrouvée dans la doublure de son veston, le Bouillon a rendu le coupe-papier à Joachim et la maîtresse a levé les punitions.
C’était une classe très intéressante, et la maîtresse a dit que, grâce aux choses que nous avions apportées, elle n’oublierait jamais cette leçon.