II
Un jeune homme à lunettes
Il n’y avait plus que deux ou trois groupes qui s’attardaient à table. Des chambres du premier jaillissaient les protestations d’enfants qu’on forçait à se coucher.
Une voix de femme dit, derrière une fenêtre ouverte :
— Tu as vu le gros monsieur, hein ? C’est un agent de police ! Si tu n’es pas sage, il te mettra en prison…
Tout en mangeant et en laissant son regard errer sur le décor, Maigret entendait un bourdonnement obstiné. C’était l’inspecteur Grenier, de Nevers, qui parlait pour le plaisir de parler.
— Ah ! si seulement on lui avait volé quelque chose ! Tout deviendrait d’une simplicité enfantine. Nous sommes lundi… Le crime a été commis dans la nuit de samedi à dimanche… C’était la fête… Ces jours-là, outre les forains, dont j’ai pour principe de me méfier, on voit rôder des gens de toutes sortes… Vous ne connaissez pas les campagnes, commissaire !… Peut-être y rencontre-t-on de pires individus que dans les bas-fonds de votre Paris…
— En somme, interrompit Maigret, si ce n’avait pas été la fête, le crime aurait été découvert tout de suite.
— Que voulez-vous dire ?
— Que c’est grâce au tir et aux pétards que personne n’a entendu le coup de feu… Ne m’avez-vous pas dit que Gallet n’est pas mort de sa blessure à la tête ?
— Le médecin le prétend. L’autopsie confirmera cette hypothèse. L’homme a d’abord reçu une balle dans la tête. Mais il paraît qu’il aurait pu vivre encore deux ou trois heures. Tout de suite après, il a reçu un coup de couteau en plein cœur et la mort a été instantanée… Le couteau a été retrouvé.
— Et le revolver ?
— On l’a cherché en vain !
— Le couteau était dans la chambre ?
— A quelques centimètres du cadavre… Et il y a des ecchymoses au poignet gauche de Gallet… Sans doute est-ce lui qui, blessé, a brandi l’arme en se précipitant vers son agresseur… Mais il était affaibli… L’assassin lui a saisi le poignet, l’a retourné et a fait pénétrer la lame dans la poitrine… C’est non seulement mon avis, mais celui du docteur.
— Donc, sans la fête, Gallet ne serait sans doute pas mort !
Maigret n’essayait pas de se livrer à des déductions ingénieuses, ni d’étonner son collègue de province. Cette idée le frappait. Il la suivait, curieux de voir ce qui allait en sortir.
Sans le vacarme des chevaux de bois, du tir et des pétards, la détonation aurait été entendue. Des gens de l’hôtel se seraient précipités, seraient peut-être intervenus avant le coup de couteau.
La nuit était tombée. On ne voyait que quelques reflets de lune sur la rivière et les deux lanternes plantées à chaque bout du pont. A l’intérieur du café, des clients jouaient au billard.
— Une drôle d’histoire ! conclut l’inspecteur Grenier. Dites donc, il n’est pas onze heures, au moins ? Mon train est à onze heures trente-deux et j’en ai pour un quart d’heure à atteindre la gare. Je disais que si quelque chose avait pu disparaître…
— A quelle heure ferment les loges foraines ?
— A minuit ! C’est le règlement !
— De sorte que le crime a été commis avant minuit et que, par conséquent, tout le monde, à l’hôtel, ne devait pas être couché.
Chacun des deux hommes suivait le cours de ses pensées et la conversation se poursuivait à bâtons rompus.
— C’est comme ce nom de M. Clément qu’il se donnait… Le patron a dû vous renseigner… Il venait de temps à autre… Tous les six mois à peu près… Et il y a bien dix ans qu’il est descendu ici pour la première fois… Toujours sous le nom de M. Clément, rentier, à Orléans…
— Il n’avait pas de mallette comme en transportent d’habitude les voyageurs de commerce ?
— Je n’ai rien remarqué de semblable dans la chambre… Mais l’hôtelier vous le dira… M. Tardivon !… Hé !… Un instant, s’il vous plaît… C’est le commissaire Maigret de Paris, qui voudrait vous poser une question… Est-ce que M. Clément était muni, d’ordinaire, d’une mallette de voyageur de commerce ?
— Contenant de l’argenterie ! précisa le commissaire.
— Non ! Il avait toujours un sac de voyage contenant ses effets, car il était très soigneux de sa personne. Tenez ! Je ne l’ai pas vu deux fois en veston. La plupart du temps, il portait une jaquette noire, ou gris sombre…
— Je vous remercie !
Et Maigret songeait à la Maison Niel et Cie, dont M. Gallet était l’agent général pour la Normandie. Cette maison était spécialisée dans l’orfèvrerie pour cadeaux : hochets, gobelets de style, couverts en argent, corbeilles à fruits, services à découper, pelles à tarte…
Il avala le minuscule morceau de gâteau aux amandes qu’une servante avait posé devant lui, bourra sa pipe.
— Un petit verre d’alcool ? questionna M. Tardivon.
— Si vous voulez…
Il alla chercher lui-même la bouteille, s’assit à la table des deux policiers.
— Alors c’est vous, commissaire, qui allez poursuivre l’enquête ? Quelle histoire, hein ? Et cela, au moment où la saison commence ! Si je vous disais que j’ai sept clients qui sont partis ce matin pour aller s’installer au Commerce !… A votre santé, messieurs… Pour ce qui est de M. Clément… Car je suis tellement habitué à l’appeler ainsi… Et d’ailleurs, qui se serait douté que ce n’était pas son vrai nom ?
La terrasse devenait de plus en plus déserte. Un garçon rangeait contre le mur les lauriers en caisse qui encadraient les tables. Un train de marchandises passa sur l’autre rive et les trois hommes suivirent machinalement des yeux le halo rougeâtre qui filait au pied de la colline.
M. Tardivon avait commencé sa carrière comme cuisinier de grande maison et il en avait gardé une certaine solennité, une façon un tant soit peu condescendante de parler en se penchant vers son interlocuteur.
— Le plus extraordinaire, dit-il en chauffant son verre d’armagnac dans la paume de sa main, c’est que cela a tenu à un cheveu que le crime n’ait pas lieu…
— La fête foraine ! s’empressa Grenier en lançant une œillade au commissaire.
— Je ne sais pas ce que vous voulez dire… Non !… Quand M. Clément est arrivé, samedi matin, je lui ai donné la chambre bleue, qui donne sur le chemin des orties, comme nous disons… C’est le chemin que vous voyez à gauche… On l’appelle ainsi parce que, depuis qu’il ne sert plus, il est envahi par les orties…
— Pourquoi ne sert-il plus ? questionna Maigret.
— Vous voyez ce mur, tout de suite après le chemin, n’est-ce pas ?… C’est le mur de la villa de M. de Saint-Hilaire… Dans le pays, on dit plus souvent le petit château, pour le distinguer du grand, l’ancien château de Sancerre, qui est au-dessus de la côte… D’ici, l’on peut apercevoir les tourelles… Il y a un très beau parc… Donc, autrefois, quand l’Hôtel de la Loire n’existait pas, ce parc venait jusqu’ici et l’entrée d’honneur, avec grille en fer forgé, était au fond du chemin des orties… La grille y est encore, mais on ne s’en sert plus, car on a percé une autre entrée sur le quai, à cinq cents mètres…
» Bref, j’avais donné à M. Clément la chambre bleue, dont les fenêtres donnent de ce côté. C’est calme. Il ne passe jamais personne, puis le chemin n’aboutit nulle part…
» Je ne sais pas pourquoi, l’après-midi, quand il est revenu, il m’a demandé si je n’avais pas une autre chambre, avec vue sur la cour…
» Je n’avais rien de libre… L’hiver, on a le choix, parce qu’il ne vient guère que des habitués, des voyageurs de commerce qui font leur tournée à date fixe… Mais l’été !… Croiriez-vous que la plupart de mes locataires sont des Parisiens ?… Rien ne vaut l’air de la Loire…
» Donc, j’ai dit à M. Clément que c’était impossible et je lui ai fait remarquer que sa chambre était la plus agréable…
» Dans la cour, il y a des poules, des oies… A tout moment on va tirer de l’eau du puits et la chaîne a beau être graissée, elle s’obstine à grincer…
» Il n’a pas insisté… Mais supposez que j’aie eu une chambre sur la cour… Il ne serait pas mort !…
— Parce que ?… murmura Maigret.
— On ne vous a pas dit que le coup de feu a été tiré au moins à six mètres ?… La chambre n’en a que cinq… Donc, l’assassin était dehors… Il a profité de ce que le chemin des orties est désert… Il n’aurait pas pu pénétrer dans la cour pour faire son coup… D’ailleurs, on l’aurait entendu… Encore un petit verre, messieurs ? Bien entendu, c’est ma tournée…
— Et de deux ! articula le commissaire.
— Deux quoi ? questionna Grenier.
— Deux hasards ! D’abord, il fallait la fête pour étouffer la détonation. Ensuite il fallait que toutes les chambres donnant sur la cour fussent occupées…
Il se tourna vers M. Tardivon, qui achevait d’emplir les verres.
— Combien de locataires avez-vous pour le moment ?
— Trente-quatre, y compris les enfants…
— Personne n’est parti, depuis le crime ?
— Sept personnes, je vous l’ai dit. Une famille de la banlieue de Paris, de Saint-Denis, je crois… Une espèce de mécanicien, avec sa femme, sa belle-mère, sa belle-sœur et ses gosses… Des gens assez mal élevés, par parenthèse, que je n’ai pas été fâché de voir aller au Commerce… On a chacun sa clientèle… Ici, tout le monde vous le dira, on ne rencontre que des personnes comme il faut…
— A quoi M. Clément employait-il ses journées ?
— Il me serait difficile de vous le dire… Il s’en allait, à pied… Un moment, j’ai cru qu’il avait dans les environs un enfant naturel. Une simple supposition, parce que, malgré soi, on cherche à se rendre compte des choses… C’était un homme très poli, qui avait toujours l’air triste… Jamais je ne l’ai vu manger à la table d’hôte… Car, l’hiver, nous avons une table d’hôte… Il préférait s’installer dans un coin, tout seul…
Maigret avait tiré de sa poche un vulgaire calepin de blanchisseuse couvert d’une toile cirée noire. Il nota au crayon :
1° Télégraphier Rouen.
2° Télégraphier Maison Niel.
3° Visiter la cour.
4° Prendre renseignements sur propriété Saint-Hilaire.
5° Empreintes digitales couteau.
6° Liste des locataires.
7° Famille mécanicien Hôtel du Commerce.
8° Gens ayant quitté Sancerre le dimanche 26.
9° Annoncer par le tambour de ville récompense à ceux qui auront rencontré M. Gallet le samedi 25.
Son collègue de Nevers, un sourire forcé aux lèvres, suivait des yeux ses moindres mouvements.
— Alors ? Vous avez déjà votre idée ?
— Rien du tout ! Deux télégrammes à envoyer, et je me couche…
Il n’y avait plus, dans le café, que des gens du pays qui achevaient leur partie de billard. Maigret alla jeter un coup d’œil au chemin des orties, qui avait été l’allée centrale d’une propriété de maître et qui en avait gardé deux rangées de beaux chênes.
Une végétation touffue avait tout envahi. A cette heure, on n’y voyait rien.
Grenier se disposait à gagner la gare et Maigret revint sur ses pas pour lui serrer la main.
— Bonne chance ! Mais, entre nous, c’est une sale histoire, pas vrai ?… Rien de sensationnel !… Rien non plus à quoi se raccrocher… A vrai dire, j’aime mieux pour vous que pour moi…
On conduisit le commissaire dans une chambre du premier étage où des moustiques commencèrent leur musique autour de sa tête. Il était de méchante humeur. La besogne qu’il avait en perspective était morne, quelconque, peu passionnante.
Et pourtant, une fois couché, au lieu de s’endormir, il se mit à évoquer la figure de Gallet, dont il ne voyait tantôt qu’une joue, tantôt que le bas du visage.
Dix fois il se retourna gauchement dans les draps moites. Il pouvait entendre le murmure de la rivière qui clapotait le long des bancs de sable.
Chaque affaire criminelle a sa caractéristique, qu’on saisit plus ou moins vite et qui donne souvent la clé du mystère.
Est-ce que la caractéristique de celle-ci n’était pas la médiocrité ?
Médiocrité à Saint-Fargeau ! Villa médiocre ! Décor étriqué, avec le portrait du gamin en premier communiant et le père en jaquette trop étroite sur le piano !
Médiocrité à Sancerre ! Villégiature à bon marché ! Hôtel de second ordre !
Tous les détails venaient alourdir cette grisaille.
Représentant de la Maison Niel : fausse argenterie, faux luxe, faux style !
Une fête foraine, un tir et des pétards par surcroît…
Et jusqu’à la distinction empruntée de Mme Gallet, dont le chapeau orné de strass avait roulé dans la poussière de la cour d’école !
Ce fut un soulagement pour Maigret d’apprendre, le matin, que la veuve avait pris le premier train pour Saint-Fargeau et que le cercueil contenant les restes d’Emile Gallet s’acheminait, dans une camionnette de location, vers les Marguerites.
Il avait hâte d’en finir. Tout le monde était parti : le juge, le médecin aux sept invités et l’inspecteur Grenier.
Si bien qu’il restait seul avec des tâches précises.
D’abord, attendre la réponse aux télégrammes expédiés la veille au soir.
Ensuite, examiner la chambre où le crime avait été commis. Enfin, s’occuper de tous ceux qui auraient pu commettre ce crime et qui, par conséquent, étaient suspects.
La réponse de Rouen ne tarda pas. Elle émanait de la police de cette ville :
Interrogé personnel Hôtel de la Poste. Caissière, Irma Strauss, a déclaré qu’un nommé Emile Gallet lui envoyait sous enveloppe cartes postales à réexpédier. Recevait cent francs par mois. Faisait ce trafic depuis cinq ans et croit savoir que caissière précédente le faisait aussi.
Une demi-heure plus tard, c’est-à-dire à dix heures, arrivait un télégramme de Niel :
Emile Gallet ne fait plus partie maison depuis 1912.
C’était le moment où le tambour de ville commençait sa tournée. Maigret, qui venait de terminer son petit déjeuner, examinait la cour de l’hôtel, qui n’avait rien de particulier, quand on vint lui annoncer que le cantonnier demandait à lui parler.
— J’étais sur la route qui conduit à Saint-Thibaut, exposa-t-il, quand j’ai vu M. Clément en question, que je connaissais pour l’avoir rencontré quelquefois et surtout rapport à sa jaquette. Un jeune homme débouchait justement du chemin de la ferme et ils se sont trouvés face à face. J’étais comme qui dirait à cent mètres d’eux, mais j’ai bien compris qu’ils se disputaient…
— Ils se sont séparés aussitôt ?
— Non ! Ils ont monté la côte un bout de chemin. Puis le vieux est repassé tout seul. Ce n’est qu’une demi-heure plus tard, sur la place, que j’ai revu le jeune à l’Hôtel du Commerce !
— Comment était-il ?
— Un grand maigre… Avec une longue figure et des lunettes…
— Quels vêtements portait-il ?
— Je ne pourrais pas dire… Mais il était plutôt en gris… ou en noir… Est-ce que j’ai droit aux cinquante francs ?…
Maigret les lui remit, se dirigea vers l’Hôtel du Commerce où, la veille au soir, il avait pris l’apéritif.
Le jeune homme y avait déjeuné le samedi 25 juin, mais le garçon qui l’avait servi était en congé à Pouilly, à une vingtaine de kilomètres.
— Vous êtes certain qu’il n’a pas dormi ici ?
— Il figurerait sur notre registre…
— Personne ne se souvient de lui ?
La caissière se rappelait que quelqu’un avait réclamé des nouilles sans beurre et qu’on avait dû les préparer tout exprès.
— Un jeune homme qui était assis là, tenez, à gauche du pilier, et qui avait un teint maladif.
Il commençait à faire chaud et, d’autre part, Maigret n’avait déjà plus sa nonchalance ennuyée du matin.
— Une tête longue ?… Des lèvres minces ?…
— Une grande bouche méprisante, oui !… Il n’a voulu prendre ni café ni liqueurs… Des clients comme ça, vous savez…
Pourquoi Maigret venait-il d’évoquer le portrait du premier communiant ?
Il avait quarante-cinq ans. Il avait passé la moitié de sa vie dans les services les plus divers de la police : aux mœurs, à la voie publique, à la mondaine, à la brigade des gares et à celle des jeux.
C’est assez pour tuer toute velléité de mysticisme et pour enlever la foi dans l’intuition.
N’empêche que, depuis près de vingt-quatre heures, ces deux portraits, celui du père et celui du fils, le hantaient, en même temps qu’une phrase banale de Mme Gallet : « Il était au régime… »
Ce fut sans idée bien arrêtée qu’il se dirigea vers le bureau de poste et demanda au bout du fil la mairie de Saint-Fargeau.
— Allô !… Ici la Police judiciaire… Pouvez-vous me dire quand a lieu l’enterrement de M. Gallet ?
— Demain, à huit heures…
— A Saint-Fargeau ?
— Ici, oui !…
— Encore une question ! Qui est à l’appareil ?
— L’instituteur…
— Vous connaissez M. Gallet fils ?
— C’est-à-dire que je l’ai vu quelquefois… Il est venu ce matin pour les papiers…
— A quoi ressemble-t-il ?
— Que voulez-vous dire ?
— Il est grand, maigre ?
— Oui… Plutôt…
— Il porte des lunettes ?
— Attendez !… Je me souviens !… Des lunettes d’écaille…
— Vous ne savez pas s’il est malade ?
— Comment le saurais-je ? Il est pâle, bien sûr…
— Je vous remercie…
Dix minutes plus tard, le commissaire pénétrait à nouveau au Café du Commerce.
— Dites, madame, votre client de samedi portait-il des lunettes ?
La caissière chercha dans ses souvenirs, finit par secouer la tête.
— Oui… Non… Je ne sais plus… L’été, il passe tant de monde !… C’est surtout sa bouche qui m’a frappé… Même que j’ai dit au garçon qu’il avait une bouche de crapaud…
Ce fut plus long de retrouver le cantonnier, car il était en train de boire ses cinquante francs en compagnie de camarades dans un petit bistrot caché derrière l’église.
— Vous m’avez dit que votre homme avait des lunettes.
— Le jeune, oui ! Pas le vieux…
— Quelles lunettes ?
— Toutes rondes, vous savez, avec des cercles noirs…
En se levant, le matin, Maigret était tout heureux d’apprendre que le mort était parti, ainsi que Mme Gallet, le juge, le médecin et les policiers.
Il espérait rester enfin aux prises avec un problème objectif et n’avoir plus à évoquer l’étrange tête du vieillard à barbiche.
A trois heures de l’après-midi, il prenait le train pour Saint-Fargeau.
Tout d’abord, il n’avait vu, d’Emile Gallet, qu’une photographie. Il avait aperçu ensuite la moitié du visage.
Maintenant, il ne trouverait qu’un cercueil définitivement clos.
Pourtant, alors que le train se mettait en marche, il avait un peu l’impression gênante de courir après le mort.
A Sancerre, M. Tardivon, déçu, confiait à ses meilleurs clients, tout en leur offrant un verre d’armagnac :
— Un homme qui avait l’air sérieux… Un homme de notre âge !… Et le voilà qu’il file sans même être entré dans la chambre !… Vous voulez voir la place où il est mort !… C’est curieux… Cependant ce ne sont que des policiers de Nevers qui ont fait ça… Quand ils ont emporté le corps, ils ont d’abord dessiné son contour sur le plancher, avec de la craie… Attention de ne toucher à rien, hein !… Ces affaires-là, on ne sait jamais où elles peuvent vous mener.