7

Une nuit, très tard, nous nous reposions fatigués de l’amour. Le visage penché d’Eri était à l’intérieur de mon coude replié. En levant les yeux je pouvais voir, droit devant moi, à travers la fenêtre ouverte, des étoiles entre les nuages. Il n’y avait pas de vent, le rideau qui pendait derrière le rebord de la fenêtre était figé tel un spectre blême. Cependant des vagues mortes troublaient la surface de l’océan. J’entendais le long grondement annonçant l’approche de la vague, puis un bruit irrégulier quand elle rencontrait le rivage, ensuite il y avait quelques dizaines de battements de cœur de silence, et de nouveau les eaux invisibles attaquaient dans l’obscurité le plat rivage. Mais moi, je n’entendais presque pas ce témoignage répété de la présence de la Terre, je regardais, les yeux grands ouverts, la Croix du Sud. L’étoile Béta de cette constellation avait été notre guide, je commençais chaque jour par prendre sa position, si bien qu’à la fin je l’effectuais quasi automatiquement, préoccupé par d’autres pensées ; elle nous guidait infailliblement, phare éternel du vide. Je sentais presque dans mes mains le contact des poignées métalliques que je déplaçais pour amener le point brillant, une aiguille de ténèbres, au centre de l’écran, tandis que la bordure souple en caoutchouc protégeait mes sourcils et mes joues. Cette étoile, une des plus éloignées, ne changea pas d’un iota jusqu’à la fin du voyage, brillant toujours avec la même indifférence, cependant que toute la Croix du Sud s’était déjà disloquée et cessa d’exister pour nous car nous avions pénétré à l’intérieur de ses branches. A ce moment-là, ce point blanc, ce géant parmi les étoiles, cessa d’être ce qu’il paraissait être au début, un défi ; son caractère immuable nous fit voir sa vraie signification : il était un témoignage de la fragilité de notre entreprise, de l’indifférence du vide, de l’Univers — de l’indifférence que jamais un humain ne saurait accepter.

Mais maintenant, pendant que j’essayais d’entendre entre deux bruits du Pacifique le souffle d’Eri, maintenant je n’y croyais presque pas. Je pouvais me le répéter silencieusement : — Vraiment, vraiment j’y étais — mais cette affirmation n’ébranlait en rien ma stupéfaction sans bornes. Eri tressaillit. Je voulus me déplacer pour lui laisser plus de place mais je sentis son regard.

— Tu ne dors pas ? chuchotai-je. Je me penchai, cherchant sa bouche avec la mienne, mais elle posa sur mes lèvres le bout de ses doigts. Elle les maintint ainsi quelques secondes, puis descendit le long de la clavicule vers le sein, repéra une dure cavité entre les côtes, y colla sa paume.

— Qu’est-ce que c’est ? murmura-t-elle.

— Une cicatrice.

— C’était quoi ?

— J’ai eu un accident.

Elle se tut. Je sentais qu’elle me regardait. Elle souleva la tête. Ses yeux n’étaient qu’obscurité, sans reflet, je voyais à peine le contour de son bras, blanc, se mouvant au rythme de la respiration.

— Pourquoi ne me dis-tu rien ?

— Eri …

— Pourquoi ne veux-tu pas en parler ?

— Des étoiles ? compris-je tout d’un coup. Elle se taisait. Je ne savais pas quoi dire.

— Crois-tu que je ne comprendrais pas ?

Je la regardais de près, à travers l’obscurité de la chambre, à travers le bruit de l’océan qui, tour à tour, la remplissait et la quittait, et je ne savais pas comment le lui expliquer.

— Eri …

Je voulus la prendre dans mes bras. Elle se dégagea et s’assit sur le lit.

— Tu n’es pas obligé de parler si tu ne veux pas. Mais dismoi pourquoi.

— Ne sais-tu pas ? Vraiment ne le sais-tu pas ?

— Si. Maintenant je le sais. Tu voulais me … m’épargner ?

— Non. Vois-tu … j’en ai peur.

— Peur ? De quoi ?

— Je ne sais pas bien moi-même. Je ne veux pas rouvrir l’abcès. Remarque, je ne renie rien. D’ailleurs ce serait impossible. Mais en parler signifierait, du moins je le crois, m’enfermer dedans. Pour fuir tous et tout ce qui est … maintenant.

— Je comprends, dit-elle tout bas. La tache blanche de son visage disparut, elle avait penché la tête. Tu crois que je n’y attache aucune importance …

— Non, non, essayai-je de l’interrompre.

— Attends, maintenant c’est mon tour. Ce que je pense de l’astronautique et le fait que je n’aurais jamais quitté la Terre, moi, c’est une chose. Mais cela n’a rien à voir avec toi ni avec moi. En fait si, car nous sommes ensemble. Sans ça — jamais nous ne nous serions rencontrés … L’astronautique pour moi, c’est toi. C’est pourquoi je voudrais tant … mais ne te crois pas obligé … Si c’est comme tu le dis. Si tu le sens ainsi.

— Je vais te le dire.

— Mais pas aujourd’hui …

— Si, aujourd’hui.

— Etends-toi.

Je me laissai aller sur les coussins. Elle s’en fut sur la pointe des pieds, blanche dans le noir. Elle tira les rideaux. Les étoiles disparurent, il ne resta que le bruissement long, insistant, du Pacifique. Je ne voyais presque plus rien. Le déplacement d’air trahit ses pas, le lit se ploya sous elle.

— As-tu jamais vu un vaisseau comme Prométhée ?

— Non.

— Il est très grand. Sur Terre il pèserait plus de trois cent mille tonnes.

— Et vous y étiez si peu nombreux ?

— Douze. Tom Arder, Olaf, Arne, Thomas — les pilotes. Et moi, bien entendu. Et puis, sept scientifiques. Mais si tu crois qu’il était vide, tu te trompes. Les neuf dixièmes de la masse c’était le carburant, des groupes de photo-propulsion, des magasins, des réserves, des moteurs de rechange — la partie habitable était toute petite. Chacun de nous avait une cabine, plus les parties communes. Dans la partie centrale du corps il y avait le dispatching, de petites fusées d’atterrissage et des fusées-sondes, encore plus petites, pour prélever des échantillons des couronnes..

— Et Arcturus, tu y es allé dans une telle sonde ?

— Oui, avec Arder.

— Pourquoi n’y êtes-vous pas allés tous ensemble ?

— Dans une seule fusée ? Parce que les chances sont moindres.

— Pourquoi ?

— Une sonde, tu sais, c’est de la réfrigération. Une sorte de frigo volant. Juste la place de t’asseoir. On est assis dans une carapace de glace. Elle fond du côté de l’enveloppe extérieure et se reforme de nouveau sur les tuyaux. Mais les compresseurs peuvent tomber en panne, il suffirait d’une seconde, d’un ralentissement, car à l’extérieur il y a huit, dix, parfois même douze mille degrés. S’ils s’arrêtaient dans une fusée à deux places, deux personnes périraient. Autrement, une seule. Comprends-tu ?

— Oui je comprends.

Elle tenait toujours sa paume appuyée contre l’endroit insensible de mon torse.

— Et ça s’est passé là-bas …

— Non … Eri, si je te racontais autre chose ?

— D’accord.

— Seulement ne crois pas que … Ça, personne ne le sait.

— Ça ?

La cicatrice ressortait sous la chaleur de ses doigts — comme si elle se remettait à vivre.

— Oui.

— Comment est-ce possible ? Et Olaf ?

— Même pas Olaf. Je leur ai menti. Eri, maintenant je dois te le dire, je suis allé trop loin. Eri … C’était la sixième année. Nous revenions déjà, mais dans un nuage il n’est pas possible d’avancer rapidement. C’est une vue splendide ; plus grande est la vitesse du vaisseau, plus le nuage est luminescent — derrière nous s’étendait une queue, pas comme le panache d’une comète, non, plutôt comme l’aura polaire, dispersée sur les côtés, allant au fond du ciel, vers Alfa d’Eridan, s’étalant sur des milliers et des milliers de milles … Arder et Ennesson n’étaient plus. Venturi était mort, lui aussi. Je me réveillais toujours à six heures du matin, la lumière bleue devenait blanche. Un jour j’ai entendu Olaf dire quelque chose dans la cabine de pilotage. Il avait remarqué un drôle d’objet. Je suis descendu. Sur le radar on voyait une petite tache, pas exactement sur notre trajectoire. Thomas est venu lui aussi et nous nous demandions ce que ça pouvait être. Trop grand pour un météore, d’ailleurs les météores n’apparaissent jamais seuls. A tout hasard nous avons encore ralenti. Ça a réveillé les autres. Quand ils sont arrivés, je m’en souviens, Thomas disait pour plaisanter que c’était certainement un autre vaisseau. Nous le disions plus d’une fois. Il devait y avoir dans l’espace des fusées d’autres civilisations, mais il serait plus facile à deux moustiques lâchés de deux côtés opposés du globe terrestre de se rencontrer. Nous arrivions déjà à la limite du nuage, la poussière était devenue presque transparente, à l’œil nu on voyait des étoiles de sixième grandeur. Cette tache s’est avérée être un planétoïde. Quelque chose comme Vesta. Un quart de milliard de tonnes, peut-être un peu plus. Etonnamment régulier, presque rond. C’est très rare. Nous le voyions devant la proue, à deux mili-parsecs. Il avançait à la vitesse cosmique et nous derrière lui. Thurber m’a demandé si nous pouvions nous en approcher encore plus. Je lui ai répondu que oui, jusqu’à un quart de micro-parsec.

Nous nous en sommes approchés. Au télescope il avait l’apparence d’un hérisson — une boule pleine de piquants. Une chose étrange. Digne presque d’un musée. Thurber s’est mis alors à se disputer avec Biel au sujet de son origine tectonique. Alors Thomas a dit que ça pouvait se vérifier. Sans aucune perte d’énergie, de toute façon nous n’avions pas encore entrepris l’accélération. Il irait, disait-il, prendrait quelques échantillons et reviendrait. Gimma hésitait. Question de temps, nous disposions encore de toutes les réserves. En fin de compte il a été d’accord, probablement parce que j’étais là, bien que je n’aie rien dit, peut-être justement pour cela. Car des rapports bizarres s’étaient créés entre nous … mais cela est une autre histoire. Nous nous sommes arrêtés ; c’était une manœuvre très lente, pendant ce temps la petite planète s’était éloignée, mais nous la voyions toujours au radar. J’étais inquiet car, depuis que nous avions fait demi-tour, toute sorte de poisse nous arrivait sans cesse. De petites pannes stupides mais difficiles à réparer, qui plus est tout à fait imprévisibles. Je ne pense pas être superstitieux, néanmoins je crois à la loi des séries. Mais les arguments me manquèrent. Ça pouvait sembler infantile, mais j’avais moi-même vérifié le moteur de Thomas et lui ai dit de faire gaffe. A cause de la poussière.

— La poussière ?

— Oui. Dans un nuage froid des planétoïdes agissent comme des aspirateurs, tu sais. Ils ramassent les poussières de l’espace, et ils en ont bien le temps. La poussière se dépose par couches successives, elle peut même les faire doubler de volume. Mais il suffit de souffler avec les tuyaux, voire de taper du pied, pour soulever les particules qui resteront en suspension. On pourrait croire que ce n’est rien, mais on n’y voit goutte. Alors je lui ai dit. D’ailleurs il le savait aussi bien que moi. Olaf l’a fait partir par le lanceur de bord gauche, je suis remonté dans la cabine de mesures et je me suis mis à le guider. Je le voyais s’approcher, manœuvrer, se retourner et atteindre la surface, comme guidé par un fil. Alors, évidemment, je l’ai perdu de vue. U y avait quand même presque trois mille …

— Tu le voyais au radar ?

— Non, j’avais la liaison optique, c’est-à-dire par une lunette à infrarouges. Mais je parlais avec lui tout ce temps par radio. Au moment où je pensais qu’on n’avait pas vu depuis longtemps un atterrissage aussi soigné chez Thomas — nous faisions tous plus attention depuis que nous avions commencé à revenir … — , je vis une petit éclair blanc et une tache foncée s’est mise à grandir sur la surface du planétoïde. Gimma, qui était à mes côtés, a crié. Il avait cru que Thomas, au dernier moment, voulant freiner la chute, avait frappé avec la flamme. Nous appelions comme ça cette manœuvre, tu sais : on donne toute la poussée, instantanément, mais bien sûr pas dans ces conditions … Et je savais que Thomas n’aurait jamais fait ça. Ce devait être la foudre …

— La foudre ? Là-bas ?

— Oui, vois-tu, chaque corps se mouvant à grande vitesse dans un nuage acquiert par frottement de l’électricité statique. Entre le Prométhée et le planétoïde il y avait une différence de potentiels qui pouvait atteindre des milliards de volts, même plus. Quand Thomas avait atterri, une étincelle avait jailli. C’était ça l’éclair, la poussière s’était levée avec la chaleur subite, et une minute plus tard toute la surface était couverte par le nuage. Nous ne l’entendions plus, sa radio ne faisait que grésiller. J’étais furieux, surtout contre moi-même, d’avoir négligé cela. La fusée avait des parafoudres à cornes et toute la charge aurait dû s’écouler doucement par des feux d’Elm … Mais elle ne s’était pas écoulée. D’ailleurs il arrive que les décharges se produisent, mais pas de cette force, celle-là était d’une puissance extraordinaire. Gimma m’a demandé alors quand, selon moi, le nuage retomberait. Thurber ne demandait rien car il était évident que cela durerait des jours et des jours.

— Des jours entiers ?

— Plus que ça. La force d’attraction est très faible. Il arrive qu’une pierre qu’on laisse tomber mette plusieurs heures avant de toucher la surface, que dire alors des poussières qui avaient été projetées à plusieurs centaines de mètres en l’air. J’ai dit alors à Gimma de s’occuper de ses affaires, que nous ne pouvions qu’attendre.

— Et il n’y avait rien d’autre à faire ?

— Non, rien. C’est-à-dire que si j’avais eu la certitude que Thomas était resté dans sa fusée, j’aurais pu risquer quelque chose. J’aurais retourné le Prométhée, je me serais approché et j’aurais soufflé de près, à plein feu, pour que cette saleté se disperse sur toute la galaxie — mais je n’avais pas cette certitude. Quant aux recherches ? … Ce planétoïde avait quand même la superficie de … je ne sais pas …. de la Corse. De plus, dans le nuage de poussière je pouvais passer à côté de Thomas, à un pas, sans le voir. Il n’y avait qu’une seule solution. Lui seul pouvait la tenter : décoller et revenir …

— U ne l’a pas fait …

— Non.

— Sais-tu pourquoi ?

— Je le devine. U aurait dû décoller à l’aveuglette. Moi, je voyais que ce nuage atteignait, disons, un demi-mille au-dessus de la surface, mais lui, il ne le savait pas. U avait peur de se cogner contre un rocher, un mur. U a pu avoir atterri au fond d’un précipice, d’un trou profond. Ainsi nous sommes restés figés dans l’attente, un jour, puis un deuxième — il avait de l’oxygène et de la nourriture pour six jours. Evidemment personne ne pouvait rien faire pour lui. Nous traînions dans les couloirs et inventions des moyens de le sortir de là. Des projecteurs, sur toutes les longueurs d’ondes. Nous avons quand même jeté quelques fusées éclairantes. Nous n’avons même pas remarqué leur éclat, ce nuage était noir comme la mort. Troisième jour, troisième nuit. Nos mesures indiquaient que le nuage se sédimentait, mais je n’étais pas sûr de le voir retomber complètement au cours de ces soixante-dix heures qui restaient à Thomas. Il aurait pu à la limite y rester plus longtemps sans nourriture, mais pas sans oxygène. Puis une idée me vint à l’esprit. Je raisonnais ainsi : la fusée de Thomas était principalement construite en acier. Si, sur ce maudit planétoïde il n’y avait pas de minéraux de fer, alors il me serait peut-être possible de le retrouver à l’aide d’un ferro-indica-teur. Tu sais, un appareil qui sert à détecter des objets en fer. Nous en avions un, très sensible. U réagissait à un clou à sept cents mètres, alors une fusée, il la découvrirait à plusieurs milles. Nous avons encore dû vérifier quelques détails dans l’appareil. Puis j’ai dit à Gimma que je partais — et je suis parti.

— Seul ?

— Oui.

— Mais pourquoi seul ?

— Car sans Thomas nous n’étions plus que deux et le Prométhée devait avoir un pilote.

— Et ils étaient d’accord ?

Je souris dans l’ombre.

— J’étais premier pilote. Gimma n’avait pas à me donner d’ordres, il ne pouvait que me proposer, ensuite je calculais les chances et je concluais — oui ou non. C’est-à-dire que je disais oui, naturellement. Mais dans les cas d’urgence la décision m’appartenait.

— Et Olaf ?

— Bon, tu le connais déjà un peu. Alors comme tu peux te l’imaginer, je ne suis pas parti tout de suite. Mais il ne pouvait pas contester le fait que c’était en fin de compte moi qui avais envoyé Thomas. Enfin … je suis parti. Sans fusée, évidemment.

— Sans fusée ? …

— Oui, dans une combinaison, avec un pistolet à gaz. Ça a duré un moment, mais pas autant qu’on pourrait le croire. J’étais un peu gêné par le ferro-indicateur, c’était une sorte de caisse très difficile à manier. Il ne pesait rien là-bas, bien entendu, mais dans le nuage de poussière j’ai dû faire gaffe à ne rien heurter. A mesure que j’approchais, je cessais de voir le nuage, les étoiles aussi se sont mises à disparaître, d’abord une par une, celles que je voyais le moins bien, puis toute une moitié du ciel est devenue sombre — je me suis retourné, le Prométhée étincelait tout entier car on avait un dispositif pour luminiser tout son corps. Il avait l’air d’un long crayon blanc avec un petit champignon au bout — c’était le projecteur photonique. Tout d’un coup tout a disparu ; la transition était très rapide. Une seconde, peut-être, de brouillard noir, puis plus rien. Ma radio était débranchée, à sa place le ferro-indicateur chantait dans mes écouteurs. Quelques minutes à peine m’avaient suffi pour atteindre le bord du nuage, ensuite je tombai sur la surface pendant plus de deux heures, je devais faire attention. Ma lampe électrique ne m’a servi à rien, comme je m’y étais attendu d’ailleurs. J’ai commencé à chercher. Tu connais des grottes avec des stalactites …

— Oui.

— C’était quelque chose dans ce genre, seulement en plus étrange. Je te raconte ce que j’ai vu plus tard, quand le nuage s’est redéposé, car pendant ces recherches je ne voyais rien, comme si du goudron s’était collé à ma combinaison. La boîte était suspendue par des bretelles. Je devais bouger l’antenne, écouter, tout en avançant, les mains tendues vers l’avant — jamais de ma vie je ne suis tombé autant que là-bas. Ce n’était pas grave car il n’y avait pas de gravitation et, bien sûr, si j’avais pu y voir un peu, mille fois j’aurais eu le temps de reprendre l’équilibre. Mais là … quelqu’un qui ne connaît pas peut difficilement comprendre … Toute cette petite planète était composée de rochers, de pierres en équilibre instable — je posais le pied et je me mettais à voguer quelque part, comme au ralenti, naturellement, je ne pouvais pas faire des gestes brusques car alors j’aurais vogué pendant des dizaines de minutes. Je ne pouvais qu’attendre, avancer de nouveau, alors des éboulis se mettaient en branle, toutes ces roches, ces colonnes n’étaient liées que lâchement, une force presque inexistante les maintenait ensemble — ce qui ne veut pas dire qu’ils n’auraient pas pu écraser un homme en s’écroulant sur lui … car c’est alors la masse qui agit et non pas la force ; seulement, dans des circonstances normales, on a toujours le temps de sauter de côté, mais pour ça il faut voir ou du moins entendre cette chute, cet écroulement. Là-bas il n’y avait pas d’atmosphère, alors je n’étais guidé que par les vibrations des rochers sous mes pieds, je sentais par moments que j’avais dérangé un édifice de pierres et je ne pouvais que guetter et voir si dans cette purée noire n’apparaîtrait pas un rocher pour m’écraser … Pour tout dire, je vadrouillai là-bas pendant des heures et cette idée de ferro-indicateur ne me semblait plus du tout géniale … Je devais faire aussi attention à chaque pas car plus d’une fois je m’étais retrouvé dans l’air, sans appui, comme dans un rêve de jeunesse. Finalement, j’ai entendu le signal, je l’ai perdu et retrouvé au moins huit fois, je ne me rappelle plus exactement, et quand j’ai enfin retrouvé la fusée, il devait faire déjà nuit sur Prométhée.

Elle était enfoncée de biais dans cette poussière infernale.

C’était la chose la plus délicate, la plus inconsistante qui soit, tu sais. Une substance intouchable … Le duvet le plus léger sur Terre oppose mille fois plus de résistance. Ses particules étaient tellement fines …

J’ai jeté un coup d’œil à l’intérieur, Thomas n’était pas dans la fusée. Je viens de te dire qu’elle était de biais, mais je n’en étais pas du tout certain ; on ne pouvait y déterminer la verticale qu’avec des appareils très sensibles, de toute façon ça aurait duré des heures entières, tandis qu’un fil à plomb ordinaire, quasiment sans poids, voletterait comme une mouche au lieu de se tendre honnêtement … Alors je ne m’étonnai plus qu’il n’ait pas tenté de partir. Je suis monté. J’ai vu immédiatement qu’il avait tenté de bricoler un appareil de précision pour déterminer la verticale, mais qu’il n’y avait pas réussi. Il avait laissé pas mal de nourriture, en revanche il avait dû compresser tout l’oxygène dans ses bouteilles avant de sortir.

— Pourquoi sortir ?

— Oui, je me le demandais aussi, pourquoi ? Il y est resté trois jours. Dans une fusée-sonde il n’y a qu’un fauteuil, des écrans, des leviers et le sas de sortie derrière le dos. J’y suis resté un bon moment. J’avais déjà compris que je ne le retrouverais plus. Pendant quelques minutes j’ai cru qu’il était peut-être sorti justement quand j’arrivais, qu’il avait utilisé son pistolet à gaz pour revenir sur Prométhée et que maintenant il était assis confortablement, pendant que moi je me traînais ici comme un ivrogne aveugle … Je bondis de la fusée avec tellement d’énergie que j’ai été projeté en haut et que j’ai vogué. Aucun sens de l’orientation, rien. Tu sais comment c’est quand dans l’obscurité la plus totale tu vois une étincelle ? Quels rayons elle émet, quelles visions elle peut provoquer — ainsi, c’est la même chose avec le sens de l’orientation et de l’équilibre … Quand il n’y a pas du tout de pesanteur, ça va encore, quand on y est habitué. Mais quand elle apparaît, surtout très faible, comme sur cette coquille … alors le labyrinthe perturbé réagit justement de la même façon — tortueuse, pour ne pas dire labyrinthesque. Soit tu as l’impression de t’élever à toute vitesse en bougie, soit tu tombes dans un gouffre sans fond, et ainsi de suite. Et tu as encore la sensation vibrante que tes mains, tes jambes, ton torse changent réciproquement de place, comme si ta tête ne se trouvait plus à la sienne …

J’ai vogué comme ça jusqu’à buter contre un mur, j’ai rebondi, accroché quelque chose, me suis mis à rouler, mais j’ai eu le temps de m’agripper à une prise dans la roche … Il y avait quelqu’un. Thomas.

Elle se taisait. Le Pacifique murmurait dans l’obscurité.

— Non, pas ce que tu crois. U vivait. Immédiatement il s’est assis. J’ai branché la radio. A cette distance nous pouvions communiquer parfaitement.

— C’est toi ? dit-il.

— Oui, c’est moi, répondis-je. C’était comme dans un mauvais film, une scène tout à fait impossible. Mais c’était ainsi. Nous nous sommes levés tous les deux.

— Comment vas-tu ? demandai-je.

— A merveille. Et toi ?

J’ai été un peu surpris, mais j’ai continué :

— Je te remercie, très bien. A la maison aussi tout le monde va bien.

C’était complètement idiot mais je croyais qu’il le faisait exprès pour me montrer qu’il avait toujours le moral. Tu comprends ?

— Oui, je comprends.

Comme il se tenait tout près de moi je le voyais un peu à la lumière de la lampe d’épaule, formant une sorte d’ombre plus épaisse. J’ai tâté toute sa combinaison — elle était intacte.

— Tu as de l’oxygène ? demandai-je. C’était ce qu’il y avait de plus important.

— Ça n’a pas d’importance, me répondit-il.

J’hésitais sur la conduite à adopter. Décoller avec sa fusée ? Quand même pas, c’était trop risqué. A vrai dire je n’étais pas trop content. J’avais peur — je ne sais pas ce que c’était, c’est difficile à expliquer. Notre position était tout à fait irréelle, je sentais quelque chose d’étrange, bien que je n’aie pas su quoi, je ne m’en rendais pas compte. Le fait est que je n’étais pas trop emballé par cette découverte miraculeuse. Je me deman dais comment je pourrais sauver sa fusée. Finalement je me suis rendu compte que ce n’était pas ça le plus important. Je devais d’abord comprendre ce qui lui était arrivé. Pendant toute cette réflexion nous étions restés debout, l’un en face de l’autre sous cette nuit sans étoiles.

— Qu’as-tu fait tout ce temps ? demandai-je. Je voulais le savoir car ça avait son importance. Ç’aurait été un bon signe qu’il ait essayé de faire quoi que ce fût, ne serait-ce que de prélever des échantillons de minerais.

— Des choses et d’autres, répondit-il. Et toi, Tom, qu’as-tu fait ?

— Quel Tom ? demandai-je en ressentant un frisson de froid car Arder était mort depuis plus d’un an et il le savait très bien — Tu es Tom, non ? J’ai reconnu ta voix.

Je n’ai plus rien dit, tandis que lui a touché de son gant ma combinaison qui a émis un son métallique.

— Une saleté de monde, n’est-ce pas ? On n’y voit rien et il n’y a rien à voir. Je me l’imaginais autrement. Et toi ?

Je me suis dit qu’il n’avait fait qu’un lapsus en m’appelant Tom, finalement c’était déjà arrivé à d’autres …

— Oui, fis-je. C’est pas très intéressant ici. On se tire, hein ?

— Partir ? s’étonna-t-il. Comment ça … Tom ?

Je ne faisais plus attention à ce Tom.

— Pourquoi ? Tu veux rester ici ? demandai-je.

— Pas toi ?

Il me fait marcher, pensai-je, mais ça suffit comme ça.

— Non, dis-je. Nous devons rentrer. Où est ton pistolet ?

— Je l’ai perdu en mourant.

— Quoi ?

— Mais je ne m’en fais pas. De quelle utilité peut être un pistolet pour un mort ?

— Bon, bon, fis-je. Viens, je vais t’accrocher à moi et on s’en va.

— T’es devenu fou, ou quoi, Tom ? Où veux-tu aller ?

— Sur le Prométhée …

— Mais il n’est pas là …

— II nous attend plus loin. Allez, accroche-toi …

— Attends.

Il m’a repoussé.

— Ta voix me semble bizarre. Tu n’es pas Tom !

— Bien sûr que non. Je suis Hal.

— Alors tu es mort ? Quand ?

Je voyais à peu près ce qui ne tournait pas bien, alors je me suis mis au diapason.

— Eh bien … fis-je, ça fait déjà quelques jours. Viens, je t’accroche …

Mais il n’a pas voulu céder. Nous nous sommes mis à nous quereller, d’abord pour rire, puis de plus en plus sérieusement. Je voulais le saisir malgré lui, mais avec ma combinaison je n’y arrivais pas. Que faire ? Je ne pouvais pas l’abandonner ici car je ne l’aurais plus jamais retrouvé. Un tel miracle n’arrive qu’une seule fois. Et lui, il voulait y rester, se considérant comme mort. Quand j’ai eu l’impression de l’avoir convaincu, quand il a fait semblant d’être d’accord, je lui ai donné mon pistolet à gaz — pour mieux l’attacher à mon ceinturon —, il a approché son visage du mien, je l’ai presque vu à travers deux épaisseurs de verre, et il a crié :

— Salaud ! Tu m’as trompé ! Tu vis !

… et il a tiré à bout portant.

Depuis un long instant je sentais le visage d’Eri enfoui dans mon épaule. Au dernier mot elle tressaillit, comme sous l’effet d’une décharge électrique, et posa sa main sur ma cicatrice. Nous restâmes silencieux.

— C’était une bonne combinaison, tu sais. Elle a tout pris. Elle m’est rentrée dans le corps, elle m’a cassé une côte, l’a écrasée ainsi que quelques muscles, mais elle n’a pas cédé. Je n’ai même pas perdu connaissance, seulement pendant un moment je ne pouvais pas bouger mon bras droit et je sentais un liquide chaud, mon sang, dégouliner à l’intérieur. J’ai dû quand même être resté étourdi un instant car quand je me suis relevé, Thomas n’était plus là. Je ne sais pas quand il avait disparu, ni comment. Je le cherchais à tâtons, à quatre pattes, et à sa place je n’ai retrouvé que le pistolet. Il avait dû s’en débarrasser immédiatement après avoir tiré. Bon, alors je m’en suis sorti, à l’aide du pistolet. Us m’ont repéré dès que je suis apparu au-dessus du nuage. Olaf a rapproché le vaisseau encore plus et ils m’ont repêché. Je leur ai dit que je ne l’avais pas retrouvé, que je n’avais découvert que sa fusée vide, et que le pistolet m’avait échappé des mains et était parti quand j’avais trébuché. La combinaison était à double paroi. Un morceau de tôle de l’intérieur s’était décollé. Je l’ai toujours là, sous la côte.

De nouveau le silence et le grondement de la vague, long, croissant, comme si elle se préparait à sauter par-dessus toute la plage, après l’insuccès de toutes les vagues précédentes. Touchant le fond elle bouillonnait, se fracassait, on entendait son bruit de plus en plus faible, de plus en plus proche — et puis le silence.

— Vous êtes partis ?

— Non. Nous avons attendu. Deux jours plus tard le nuage s’est redéposé et je suis reparti. Seul. Tu comprends pourquoi, sans parler de toutes les autres raisons …

— Je comprends.

— Je l’ai retrouvé rapidement, car la combinaison était lumineuse dans l’obscurité. U reposait sous une aiguille de roche. Je ne voyais pas son visage, le verre s’était recouvert de givre à l’intérieur. En le soulevant j’ai cru une seconde tenir dans les mains la combinaison vide … il ne pesait presque rien. Mais c’était bien lui. Je l’ai laissé et je suis allé voir la fusée. Je l’ai auscultée à fond pour comprendre ce qui lui était arrivé. Son chronomètre s’était arrêté, rien qu’une panne de chronomètre … Il a perdu la notion du temps. Cette horloge décomptait les heures et les jours. Je l’ai réparée et remise en route pour que personne ne puisse deviner …

J’embrassai Eri. Je sentais mon souffle effleurer de façon quasi imperceptible ses cheveux. Elle caressait ma cicatrice et, soudain, cette caresse se mua en une question.

— Elle a une forme …

— Bizarre, n’est-ce pas ? Car ils ont dû me recoudre deux fois, les premiers points de suture n’ont pas tenu … C’est Thurber qui m’a recousu, car Venturi, notre médecin n’était plus de ce monde.

— Celui qui t’a donné un livre rouge ?

— Oui. Comment le sais-tu, Eri ? T’en ai-je parlé ? Non, c’est impossible..

— Tu le disais à Olaf, tu sais, quand …

— Mais oui ! Et tu t’en es souvenue ! Une telle broutille. En fait je suis un salaud. Il est resté sur le Prométhée avec tous les autres objets.

— Tu as encore des choses sur Luna ?

— Oui, mais au fond ça ne vaut pas la peine de les faire venir.

— Si, Hal, ça en vaut la peine.

— Tu sais, ma chérie, ça deviendrait tout de suite un musée. Et je déteste cela. Si je les fais venir, ce sera uniquement pour les brûler, je ne laisserai que quelques bibelots qui me rappelleront les autres. Ce caillou …

— Quel caillou ?

— J’en ai beaucoup, de cailloux. Un de Kérénéïa, un de la planète de Thomas — seulement ne va pas croire que je les collectionnais ! — , ils s’introduisaient dans les sillons de mes semelles, Olaf les recueillait et les rangeait avec des notes. Je n’arrivais pas à lui faire passer cette manie. C’est insignifiant, mais … je dois te le raconter pour que tu ne croies pas que tout était si horrible et que rien ne nous arrivait sauf de mourir. Imagine-toi … une interpénétration de couleurs. D’abord le rose, le plus léger, le plus délicat, un rouge indéfinissable ; et en lui naissait un autre rose, plus foncé, et plus loin encore le rouge, un rouge tirant sur le violet, mais ça, c’était beaucoup plus loin … Et tout autour de nous une clarté diffuse, légère, pas comme un nuage, pas comme le brouillard — autre tout simplement. Je ne connais pas de mots pour le décrire. Nous sommes sortis tous les deux de la fusée et nous avons contemplé cette vue. Eri, je ne le comprenais pas … Tu sais, j’ai encore la gorge nouée, tellement c’était joli. Pense un peu : pas de vie, pas de plantes, pas d’animaux ni d’oiseaux, rien … Pas d’yeux pour voir cette beauté. Je suis certain que depuis la création du monde, nous — Arder et moi, nous étions les premiers à la contempler. Et si notre gravipelengue n’était pas tombé en panne, si nous n’y avions pas atterri pour le graduer car le quartz s’était cassé et tout le mercure avait coulé — alors jusqu’à la fin du monde personne ne se serait arrêté pour le voir. N’est-ce pas extraordinaire ? Nous avions envie … Je ne sais pas de quoi … Nous ne pouvions pas repartir. Nous avions oublié pour quelles raisons nous y avions atterri, seulement on regardait et on contemplait …

— Qu’est-ce que c’était, Hal ?

— Je ne sais pas. Quand nous sommes revenus et quand nous l’avons raconté, Biel a voulu absolument y aller, mais ce n’était pas possible, nous n’avions pas assez de puissance de réserve. Nous avions fait énormément de photos, mais elles étaient toutes ratées. On n’y voyait qu’une sorte de purée rosâtre avec des traînées violettes et Biel s’était mis à dégobiller sur des exhalaisons phosphorescentes d’hydrosilico-nes, je pense qu’il n’y croyait pas lui-même, mais désespéré de ne pas pouvoir aller les étudier il essayait de trouver une explication. C’était comme … Justement, comme rien, rien que nous connaissions. Différent de tout. Il y avait une profondeur, mais ça ne ressemblait pas à un paysage. Je te dis, des nuances et des tons, proches et lointains, clairs et sombres — tout dansait devant les yeux. Un mouvement immobile. Comme un rythme respiratoire, mais rien ne changeait. Qui sait, c’est peut-être, c’est peut-être l’immensité qui nous faisait le plus d’effet. Comme si au-delà de cette immensité noire il en existait une autre, aussi éternelle, puissante et concentrée, tellement claire qu’en fermant les yeux on n’y croyait plus. Lorsque nous nous sommes regardés … Il fallait connaître Arder. Je te montrerai sa photo. C’était un gaillard — plus grand que moi, il donnait l’impression de pouvoir traverser même un mur de briques sans s’en apercevoir. Il parlait toujours très lentement. Tu as entendu parler de ce … de ce trou à Kérénéïa ?

— Oui.

— U avait été bloqué dans les roches, une boue brûlante bouillonnait sous lui, à chaque instant elle pouvait monter dans le siphon où il se trouvait, et lui disait :

— Hal, attends. Je vais essayer encore. Peut-être si j’enlevais ma bouteille … non. Je ne l’enlèverai pas, les ceintures se sont emmêlées. Mais attends encore … Et ainsi de suite. On pouvait croire qu’il parlait au téléphone d’une chambre d’hôtel. Ce n’était pas de la frime — il était comme ça. Le plus réfléchi de nous tous : il calculait toujours. C’est pour cela que plus tard il est parti avec moi et pas avec Olaf qui était son meilleur ami — mais tu as déjà entendu parler de ça …

— Oui.

— Alors … Arder. Quand je l’ai regardé là-bas, il avait les larmes aux yeux. Lui, Tom Arder. D’ailleurs il n’en avait pas honte, ni là-bas ni plus tard. Quand nous en parlions, et nous en parlions souvent, nous y revenions en pensées — les autres se fâchaient. Ils croyaient que nous le faisions exprès, que nous faisions semblant … Car nous devenions alors tellement … angéliques. C’est drôle, hein ? Bon, alors nous nous sommes regardés et la même idée nous est venue. Bien que nous ne sachions pas si nous réussirions à graduer convenablement ce gravipelengue, sans quoi nous n’aurions pas retrouvé le Prométhée. Nous avons pensé que ça en valait la peine. Juste pour nous trouver là-bas et pour contempler cette joyeuse majesté.

— Vous vous teniez sur un monticule ?

— Je ne sais pas, Eri, là-bas il y avait une perspective différente. Nous regardions vers le bas, mais ce n’était pas une colline. Attends. As-tu vu le Grand Canyon du Colorado ?

— Je l’ai vu.

— Imagine alors un canyon mille fois plus grand, que dis-je mille, un million de fois … Imagine encore qu’il est fait d’un or rose et rouge, presque entièrement transparent, qu’on voit à travers lui toutes les couches, tous les stades de sa formation géologique, que tout cela est liquide, sans pesanteur, et que tout cela te sourit d’un sourire sans visage. Non, ce n’est pas ça … Chérie, nous avons essayé, Arder et moi, de l’expliquer aux autres, de toutes les façons — mais ça n’a pas marché. Ce caillou — il vient justement de là … Arder l’a porté comme un talisman. Il l’avait toujours sur lui dans une boîte de vitamines vide. Lorsqu’il a commencé à s’émietter, il l’a entouré de coton. Puis, quand je suis revenu tout seul, je l’ai retrouvé sous la couchette de sa cabine. Il avait dû le perdre. Je crois qu’Olaf pensait que c’était à cause de ça, mais il n’avait pas osé me le dire, c’était trop stupide …

Quel rapport un vulgaire caillou pouvait-il avoir avec le fait qu’un fil ait grillé dans la radio d’Arder ?

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