Spin

Par sécurité, je me suis éloigné de quelques kilomètres du ranch Condon avant d’arrêter la voiture et de dire à Simon d’en descendre.

« Quoi ? Ici ?

— J’ai besoin d’examiner Diane. J’ai besoin que tu ailles prendre la torche électrique dans le coffre et que tu me la tiennes. D’accord ? »

Il a hoché la tête, les yeux écarquillés.

Diane n’avait pas prononcé le moindre mot depuis la ferme. Elle était restée allongée sur la banquette arrière, la tête sur les genoux de Simon, à inspirer et expirer. Sa respiration avait constitué la principale source de bruit dans l’habitacle.

La torche à la main, Simon a attendu que j’ôte mes vêtements trempés de sang et procède à une toilette aussi minutieuse que possible – une bouteille d’eau minérale avec un peu d’essence pour décaper la saleté, une autre bouteille pour me rincer. J’ai ensuite pris dans mes bagages un Levi’s et un sweat-shirt propres que j’ai enfilés, ainsi qu’une des paires de gants en latex contenues dans ma trousse. J’ai vidé d’un seul trait une troisième bouteille d’eau. Puis j’ai dit à Simon d’éclairer Diane pendant que je l’examinais.

Elle était plus ou moins consciente, mais trop affaiblie pour prononcer une phrase vraiment cohérente. Je ne l’avais jamais vue d’une telle minceur, presque anorexique. Elle avait une fièvre dangereusement élevée, trop de tension, le pouls trop rapide, et lorsque je l’ai auscultée, ses poumons produisaient un bruit d’enfant aspirant son milk-shake par une paille étroite.

J’ai réussi à lui faire avaler un peu d’eau et une aspirine. J’ai ensuite déchiré l’emballage stérile d’une seringue hypodermique.

« Qu’est-ce que c’est ? a voulu savoir Simon.

— Un antibiotique polyvalent. » J’ai désinfecté la saignée du coude de Diane avant, non sans difficulté, d’y localiser une veine. « Il va t’en falloir aussi. » Tout comme à moi. Le sang de la génisse contenait indubitablement des bactéries du SDCV vivantes.

« Est-ce que cela va la guérir ?

— J’ai bien peur que non, Simon. Il y a un mois, peut-être que cela aurait suffi. Plus maintenant. Elle a besoin de soins médicaux.

— Tu es médecin.

— Certes, mais je ne suis pas un hôpital.

— Alors on peut peut-être l’emmener à Phœnix. »

J’y ai réfléchi. Toute mon expérience des scintillements m’amenait à penser qu’un hôpital urbain serait au mieux submergé, au pire réduit en ruines fumantes. Mais je pouvais me tromper.

J’ai sorti mon téléphone dont j’ai parcouru la mémoire pour retrouver un numéro dont je ne me souvenais plus vraiment.

« Qui appelles-tu ? a demandé Simon.

— Quelqu’un que je connaissais. »

Colin Hinz et moi avions partagé une chambre à la fac de Stony Brook et étions plus ou moins restés en contact depuis. Aux dernières nouvelles, il avait des responsabilités à l’hôpital St Joseph de Phœnix. Cela valait le coup d’essayer… tout de suite, avant que le soleil se lève et brouille à nouveau les communications pour la journée.

J’ai essayé son numéro personnel. La sonnerie a retenti longtemps, mais il a fini par décrocher en disant : « Y a intérêt que ce soit important. »

Je me suis identifié et lui ai dit me trouver à environ une heure de Phœnix avec une personne en besoin urgent de soins médicaux – une personne qui m’était proche.

Colin a soupiré. « Je ne sais pas quoi te dire, Tyler, St Joseph est ouvert, et j’ai entendu dire que la clinique Mayo à Scottsdale aussi, mais eux comme nous ne fonctionnons qu’avec un personnel minimum. Les informations que nous avons reçues sur les autres hôpitaux sont contradictoires. Mais tu n’obtiendras des soins rapides nulle part, et diable, sûrement pas ici. Nous avons des tas de gens devant nos portes, blessures par armes à feu, tentatives de suicide, accidents de voiture, crises cardiaques et tout ce que tu voudras. Avec des flics qui montent la garde à l’entrée pour les empêcher de s’en prendre aux urgences. Ta patiente est dans quel état ? »

Je lui ai indiqué que Diane se trouvait à un stade avancé du SDCV et ne devrait pas tarder à avoir besoin d’assistance respiratoire.

« Où est-ce qu’elle a chopé le SDCV, bordel ? Non, peu importe. Franchement, je t’aiderais si je pouvais, mais nos infirmières ont passé la nuit à faire du triage sur le parking et je ne peux pas te promettre qu’elles traiteraient ta patiente en priorité, même si je le leur demandais. En fait, il est même quasi certain qu’aucun médecin n’évaluerait son état avant vingt-quatre heures. Si nous vivons jusque-là.

— Je suis médecin, tu as oublié ? J’ai juste besoin d’un peu d’équipement pour m’occuper d’elle. Solution de Ringer, canules de Guedel, oxygène…

— Je ne voudrais pas avoir l’air sans cœur, mais nous pataugeons dans le sang, ici… On peut se demander si cela vaut vraiment le coup, vu les événements actuels, de s’occuper d’une patiente au stade terminal du SDCV. Si tu as ce qu’il faut pour qu’elle ne souffre pas…

— Je ne veux pas juste l’empêcher de souffrir. Je veux lui sauver la vie.

— D’accord… mais ce que tu as décrit est un stade terminal, ou alors j’ai mal compris. » En fond sonore, j’entendais d’autres voix réclamer son attention, brouhaha généralisé de misère humaine.

« Il faut que je l’emmène quelque part, ai-je dit, et j’ai besoin qu’elle y arrive vivante. J’ai davantage besoin de fournitures médicales que d’un lit.

— Nous n’avons rien dont nous pouvons nous passer. Dis-moi s’il y a quoi que ce soit d’autre que je puisse faire pour toi. Sinon, je suis désolé, mais j’ai du travail. »

J’ai réfléchi à toute vitesse. « D’accord, Colin, mais les fournitures médicales… tu ne saurais pas où je peux trouver du Ringer ? C’est tout ce que je demande.

— Eh bien…

— Eh bien, quoi ?

— Mmmh… Je ne devrais pas te le dire, mais St Joseph a passé un accord avec la ville dans le cadre du plan d’urgence civil. Il y a un grossiste médical appelé Novaprod dans la banlieue nord. » Il m’a donné une adresse et la direction approximative. « Les autorités l’ont placé sous la protection d’une unité de la garde nationale. C’est notre principale source de médicaments et de fournitures médicales.

— Ils me laisseraient entrer ?

— Si je les appelle pour leur annoncer ton arrivée, et si tu peux leur présenter des papiers d’identité.

— Fais ça pour moi, Colin. S’il te plaît.

— Je le ferai si j’arrive à obtenir une ligne extérieure. On ne peut pas compter sur le téléphone.

— Si je peux te renvoyer l’ascenseur…

— Possible. Tu travaillais dans l’aérospatiale, non ? À Périhélie ?

— Oui, mais plus depuis un moment.

— Tu peux me dire combien de temps cela va encore durer ? » Il avait presque chuchoté la question, et j’entendais soudain la fatigue dans sa voix, la peur non avouée. « Je veux dire, quelle que soit la fin ? »

Je me suis excusé en lui indiquant que je n’en avais tout simplement pas la moindre idée… et je ne pensais pas que quiconque à Périhélie en saurait davantage.

Il a soupiré. « D’accord. C’est juste que je trouve irritant de savoir qu’on risque de traverser tout ça pour brûler dans deux jours sans savoir à quoi rimait cette histoire.

— J’aimerais pouvoir te fournir une réponse. »

À l’autre bout de la ligne, quelqu’un a commencé à appeler Colin. « J’aimerais beaucoup de choses, a-t-il dit. Faut que j’y aille, Tyler. »

Je l’ai remercié avant de couper la communication.

Quelques heures nous séparaient encore de l’aube.

Simon était resté à quelques mètres de la voiture, les yeux levés vers les étoiles, à faire semblant de ne pas écouter. Je l’ai rappelé d’un geste. « Il faut qu’on y aille », lui ai-je lancé.

Il a hoché la tête avec docilité. « Tu as trouvé de l’aide pour Diane ?

— Plus ou moins. »

Il a accepté cette réponse sans demander de détails. Mais avant de se pencher pour remonter en voiture, il m’a tiré par la manche : « Regarde… qu’est-ce que c’est, à ton avis, Tyler ? »

Il désignait l’horizon à l’ouest, sur lequel une ligne argentée décrivait un arc de cercle d’environ cinq degrés dans le ciel nocturne. Comme si quelqu’un grattait l’obscurité pour former une énorme lettre C.

« Une traînée de condensation, peut-être. D’un jet militaire.

— La nuit ? Non, pas la nuit.

— Alors je ne sais pas ce que c’est, Simon. Allez, monte… on n’a pas de temps à perdre. »


Cela a été plus rapide que prévu. Quand nous avons atteint l’entrepôt de fournitures médicales, des locaux numérotés dans un morne parc industriel, il nous restait du temps avant le lever du soleil. J’ai présenté mes papiers au type nerveux posté à l’entrée, un soldat de la garde nationale qui m’a confié à un autre soldat et à un employé civil. Ceux-ci m’ont accompagné dans les rayonnages, et quand j’y ai trouvé le matériel dont j’avais besoin, un troisième soldat m’a aidé à le transporter dans la voiture, pour battre toutefois rapidement en retraite en voyant Diane haleter sur la banquette arrière. « Bonne chance à vous », m’a-t-il souhaité d’une voix mal assurée.

J’ai pris le temps d’installer un goutte-à-goutte intraveineux, dont je me suis débrouillé pour fixer la poche au crochet portemanteau de la voiture, puis de montrer à Simon comment surveiller le débit et s’assurer que Diane n’arrache pas la perfusion dans son sommeil. (Elle ne s’était pas réveillée, même quand je lui avais enfoncé l’aiguille dans le bras.)

Simon a attendu que nous reprenions la route pour demander : « Elle est en train de mourir ? »

Mes doigts se sont crispés sur le volant. « Pas si je peux l’en empêcher.

— On l’emmène où ?

— Chez elle.

— Quoi ? À l’autre bout du pays ? Dans la maison de Carol et E.D. ?

— Voilà.

— Pourquoi là-bas ?

— Parce que là-bas, je peux l’aider.

— C’est un long voyage. Je veux dire, vu la situation actuelle.

— Oui. Cela pourrait être un long voyage. »

J’ai jeté un coup d’œil sur la banquette arrière. Simon caressait doucement la tête de Diane, ses cheveux flasques collés de sueur. Il avait les mains pâles à l’endroit où il les avait nettoyées du sang.

« Je ne mérite pas d’être avec elle, a-t-il dit. Je sais que c’est de ma faute. J’aurais pu quitter le ranch quand Teddy l’a fait. J’aurais pu lui trouver de l’aide. »

Oui, ai-je pensé. Tu aurais pu.

« Mais je croyais à ce que nous faisions. Tu ne comprends sans doute pas. Cela ne se réduisait pas au veau rouge, Tyler. J’étais certain que nous nous verrions hissés à l’impérissabilité. Qu’en fin de compte, nous serions récompensés.

— Récompensés pour quoi ?

— La foi. La persévérance. Parce que la première fois où j’ai posé les yeux sur Diane, j’ai tout de suite ressenti avec force que nous ferions partie de quelque chose de spectaculaire, même si je ne le comprenais pas complètement. Qu’un jour, elle et moi nous trouverions ensemble devant le trône de Dieu… rien de moins. “Cette génération ne passera pas que tout cela n’arrive.” Notre génération, même si nous n’avons pas pris un bon départ. J’admets que pendant ces rassemblements Nouveau Royaume, il se passait des choses qui me semblent maintenant honteuses. L’ivresse, la lubricité, les mensonges. Nous avons tourné le dos à tout cela, et nous avons bien fait, mais on aurait dit que le monde rapetissait un peu quand nous ne nous entourions pas de gens essayant de construire le chiliasme, même de manière imparfaite. Comme si nous avions perdu notre famille. Je me suis alors dit, eh bien, chercher la voie la plus simple et la plus propre devrait te conduire dans la bonne direction. “Par votre persévérance vous sauverez vos âmes.”

— Le Tabernacle du Jourdain.

— Il est facile d’opposer des prophéties au Spin. Luc parle de signes dans le soleil, la lune et les étoiles. Eh bien, on y est. Les puissances des deux ébranlées. Mais ce n’est pas… ce n’est pas…»

Il a semblé perdre le fil de sa pensée.

« Comment respire-t-elle ? » En réalité, je n’avais pas besoin de poser la question : j’entendais chacune de ses inspirations, laborieuses mais régulières. Je voulais juste que Simon change de sujet.

« Pas de problèmes », a-t-il répondu. Avant d’ajouter : « Arrête-toi, s’il te plaît, Tyler. Je veux descendre. »

Nous roulions en direction de l’est. La circulation était étonnamment peu chargée sur l’interstate. Colin Hinz m’avait prévenu d’embouteillages autour de l’aéroport Sky Harbor, mais nous les avions contournés. Nous ne voyions que quelques automobiles de tourisme, même s’il y avait un certain nombre de véhicules abandonnés sur le bas-côté. « Ce n’est pas une bonne idée », ai-je répondu.

J’ai vu dans le rétroviseur Simon essuyer les larmes qui lui montaient aux yeux. Il avait, à ce moment-là, l’air aussi vulnérable et perdu qu’un gamin de dix ans à un enterrement.

« Je n’ai jamais eu que deux repères dans la vie, a-t-il expliqué. Dieu et Diane. Et je les ai trahis tous les deux. J’ai attendu trop longtemps. C’est gentil de le nier, mais elle est en train de mourir.

— Pas forcément.

— Je ne veux pas être avec elle en sachant que j’aurais pu empêcher cela. Je préférerais mourir dans le désert. Je le pense vraiment, Tyler. Je veux descendre. »

La lumière réapparaissait dans le ciel, affreuse lueur violette ressemblant davantage à celle d’une lampe fluorescente défectueuse qu’à quoi que ce soit de sain ou de naturel.

« Je m’en fiche », ai-je répliqué.

Simon m’a regardé d’un air surpris. « Quoi ?

— Je me fiche de ce que tu ressens. Il faut que tu restes avec Diane parce que nous avons un voyage difficile à faire et que je ne peux pas conduire en prenant soin d’elle. Et tôt ou tard, il faudra bien que je dorme. Si tu prends le volant de temps en temps, on n’aura besoin de s’arrêter que pour se ravitailler en nourriture et en essence. » Si on en trouvait. « Sans toi, le trajet prendra deux fois plus longtemps.

— Quelle importance ?

— Elle n’est peut-être pas en train de mourir, Simon, mais elle est bien aussi malade que tu l’imagines, et elle mourra si on ne l’aide pas. Et la seule aide que je connaisse se trouve à trois mille kilomètres d’ici.

— Le ciel et la Terre s’éteignent. On va tous mourir.

— Pour le ciel et la Terre, je n’en sais rien. Quant à Diane, je refuse de la laisser mourir tant qu’il me reste le choix.

— Je te l’envie, a doucement dit Simon.

— Quoi ? Que pourrais-tu donc m’envier ?

— Ta foi », a-t-il répondu.


Un certain optimisme était encore possible, mais seulement la nuit. Il se flétrissait à la lumière du jour.

J’ai roulé en direction de l’Hiroshima du soleil levant. J’avais cessé de m’inquiéter de la possibilité que la lumière me tue, même si elle ne pouvait guère m’être bénéfique. C’était un mystère que nous ayons survécu au premier jour… un miracle, aurait pu dire Simon. Cela incitait à faire preuve d’un certain sens pratique plutôt fruste : j’ai sorti des lunettes de soleil de la boîte à gants et j’ai essayé de garder les yeux sur la route plutôt que sur l’hémisphère de feu orangé en lévitation sur l’horizon.

La journée s’est réchauffée. L’intérieur de l’automobile aussi, malgré la climatisation surmenée. (Je la poussais au maximum pour essayer de maîtriser la température corporelle de Diane.) Quelque part entre Albuquerque et Tucumari, une grande vague d’épuisement m’a envahi. Mes paupières se fermaient toutes seules et j’ai failli percuter une borne kilométrique. Aussi me suis-je arrêté et ai-je éteint le moteur avant d’indiquer à Simon de remplir le réservoir avec les jerrycans et de se préparer à prendre le volant. Il a hoché la tête à contrecœur.

Nous avancions plus vite que je m’y attendais. La circulation avait été fluide ou inexistante, peut-être parce que les gens craignaient de se retrouver seuls sur la route. « Qu’est-ce que tu as emporté comme nourriture ? ai-je demandé à Simon qui remplissait le réservoir.

— Juste ce que j’ai pu attraper dans la cuisine. Il fallait que je me dépêche. Tu n’as qu’à regarder. »

Entre les jerrycans bosselés, les paquets de fournitures médicales et les bouteilles d’eau minérale, j’ai trouvé dans un carton trois boîtes de céréales Cheerios, deux boîtes de corned-beef et une bouteille de Pepsi light. « Nom de Dieu, Simon. »

Il a grimacé en entendant ce qu’il considérait, j’ai dû me le rappeler, comme un blasphème. « C’est tout ce que j’ai pu trouver. »

Et ni bols ni cuillères. Mais j’avais aussi faim que sommeil. J’ai dit à Simon qu’il fallait laisser le moteur refroidir, et nous en avons profité pour nous asseoir à l’ombre de la voiture aux vitres baissées, dans la brise mordante venue du désert, avec le soleil accroché dans le ciel comme en plein midi à la surface de Mercure. En guise de tasses, nous avons découpé des fonds de bouteilles de plastique vides dans lesquels nous avons mangé des Cheerios humidifiés à l’eau tiède. Cela avait l’air (et le goût) de gélatine.

J’ai donné à Simon les instructions pour l’étape suivante, lui ai rappelé de brancher la climatisation une fois en mouvement, et lui ai ordonné de me réveiller s’il voyait le moindre ennui devant nous sur la route.

Puis je me suis occupé de Diane. L’intraveineuse et les antibiotiques semblaient lui avoir redonné des forces, mais juste un peu. Elle a ouvert les yeux et prononcé mon nom après que je lui ai fait boire un peu d’eau. Elle a accepté quelques cuillerées de Cheerios mais a détourné la tête ensuite. Elle avait les joues creuses, le regard apathique et distrait.

« Tiens le coup, ai-je dit. Accroche-toi encore un peu, Diane. » J’ai ajusté son goutte-à-goutte. Je l’ai aidée à se redresser, les jambes hors de la voiture, pour expulser un peu d’urine brunâtre. Puis je l’ai essuyée et lui ai échangé sa culotte sale contre un slip en coton propre pris dans ma valise.

Lorsqu’elle a été réinstallée confortablement, j’ai fourré une couverture dans l’interstice séparant les sièges avant et arrière afin d’avoir un endroit où m’étendre sans la déranger. Simon n’avait sommeillé que brièvement pendant que je conduisais, il devait être aussi épuisé que moi… mais il n’avait pas pris de coup de crosse. L’endroit frappé par frère Aaron était enflé et j’entendais des bourdonnements dès que je posais les doigts à proximité.

Simon a observé tout cela à quelques mètres de distance avec une expression boudeuse, peut-être même jalouse. Lorsque je l’ai appelé, il a hésité et regardé le désert salant d’un air de regret, les yeux plongés au cœur de rien du tout.

Puis il est revenu à grandes foulées, s’est baissé et installé au volant.

Je me suis serré dans ma niche derrière les sièges avant. Diane semblait inconsciente mais avant de m’endormir, j’ai senti sa main presser la mienne.


Quand je me suis réveillé, il faisait nuit à nouveau et Simon s’était arrêté pour changer de place avec moi.

Je suis descendu de voiture pour m’étirer. J’avais toujours des élancements dans la tête et ma colonne vertébrale me donnait l’impression de s’être coincée dans une déformation gériatrique définitive, mais j’étais plus éveillé que Simon, qui s’est traîné à l’arrière où il s’est aussitôt endormi.

J’ignorais où nous étions, sinon en train de rouler vers l’est sur l’I-40, dans un paysage moins aride, des champs irrigués s’étendant de chaque côté de la route sous l’éclat cramoisi de la lune. Je me suis tout d’abord assuré que Diane était bien installée et respirait sans problème, puis j’ai laissé les portières avant et arrière ouvertes quelques minutes pour évacuer les mauvaises odeurs, la puanteur de maladie mêlée à un soupçon de sang et d’essence. Ensuite, je me suis mis au volant.

Les étoiles au-dessus de la route étaient d’une rareté désespérante et impossibles à identifier. J’ai pensé à Mars. Était-elle toujours entourée d’une membrane Spin ou avait-elle, comme la Terre, retrouvé sa liberté ? Mais je ne savais pas où regarder dans le ciel et même si j’avais su, je ne pense pas que cela m’aurait permis de répondre. En revanche j’ai vu – je n’ai pas pu m’en empêcher – l’énigmatique ligne argentée que Simon m’avait montrée en Arizona, celle que j’avais prise pour une traînée de condensation. On la voyait encore mieux, ce soir-là. De l’horizon à l’ouest, elle avait migré presque jusqu’au zénith, et la courbe peu accentuée était devenue un ovale, une lettre O aplatie.

Le ciel que je regardais était trois milliards d’années plus âgé que celui que j’avais vu pour la dernière fois sur la pelouse de la Grande Maison. J’ai pensé qu’il pouvait abriter toutes sortes de mystères.

Une fois en mouvement, j’ai essayé la radio de bord, restée complètement muette depuis la nuit précédente. Je n’ai rien capté de numérique, mais j’ai fini par trouver une station locale sur la bande FM – le genre de station de petite ville consacrée en général à la musique country et au christianisme, mais qui ne diffusait ce soir-là que des paroles. J’ai beaucoup appris avant que le signal finisse par se fondre dans le bruit.

J’ai appris, déjà, que nous avions bien fait d’éviter les grandes villes, devenues zones sinistrées… non à cause du pillage et de la violence (il y en avait eu étonnamment peu) mais de l’effondrement catastrophique des infrastructures. L’ascension du soleil rouge avait tellement ressemblé à la mort de la Terre, prédite depuis si longtemps, que beaucoup de gens étaient tout simplement restés chez eux pour mourir avec leur famille, si bien que les centres urbains se sont retrouvés avec des effectifs minimaux dans la police et les pompiers, et un manque cruel de personnel dans les hôpitaux. La minorité ayant cherché à mourir par l’intermédiaire d’armes à feu ou de doses excessives d’alcool, de cocaïne, d’OxyContin ou d’amphétamines, avait involontairement provoqué les problèmes les plus immédiats en laissant allumé leur four à gaz, en perdant conscience au volant ou en lâchant leur cigarette au moment de rendre l’âme. Lorsque la moquette commençait à fumer ou que les rideaux s’embrasaient, personne n’appelait les secours, et dans bien des cas, il n’y avait personne pour répondre à ces appels. Les incendies domestiques s’étaient rapidement étendus à tous les quartiers.

Quatre grandes volutes de fumée montaient au-dessus d’Oklahoma City, d’après le présentateur du journal, et les rapports téléphoniques affirmaient que la plus grande partie du sud de Chicago était déjà réduite en cendres. Chaque grande ville du pays – du moins celles dont on recevait des nouvelles – annonçait au moins un ou deux grands incendies hors de contrôle.

Mais la situation s’améliorait, au lieu de se détériorer. Dans la journée, il avait commencé à sembler possible que l’espèce humaine puisse survivre au moins encore quelques jours, si bien qu’un plus grand nombre de pompiers et autres employés des services essentiels avaient regagné leur poste. (L’inconvénient étant que les gens commençaient à s’inquiéter de leur réserve de provisions, d’où un accroissement des pillages d’épiceries.) On préconisait à toute personne non indispensable de ne pas encombrer les routes – ce message, déjà transmis avant l’aube sur le système de diffusion d’urgence et par chaque station radio ou chaîne de télé encore en fonctionnement, se voyait répété ce soir-là. Voilà pourquoi la circulation avait été plutôt clairsemée sur l’interstate. J’avais croisé quelques patrouilles militaires ou policières, mais sans qu’aucune ne nous porte le moindre intérêt, sans doute à cause de mes plaques d’immatriculation – comme la plupart des États, la Californie avait entrepris, après le premier scintillement, de fournir des autocollants de plaque « Urgence médicale » à tous les médecins.

Les actions de police restaient sporadiques. L’armée régulière n’avait pas vraiment souffert, malgré quelques désertions, mais les unités de réserve et celles de la garde nationale avaient perdu l’essentiel de leurs effectifs et ne pouvaient pas remplacer les autorités locales. Le courant électrique était tout aussi sporadique, la plupart des centrales manquant de personnel pour assurer un fonctionnement normal, et des pannes électriques commençaient à se répandre sur le réseau. La rumeur voulait que deux centrales nucléaires aient frôlé la fusion définitive, celles de San Onofre en Californie et de Pickering au Canada, mais ces incidents n’avaient pas été confirmés.

La radio a ensuite listé les dépôts de nourriture locaux désignés et les hôpitaux encore ouverts (avec le temps d’attente estimé pour le triage), puis conseillé ses auditeurs sur la manière d’effectuer les premiers soins à domicile. Elle a enchaîné avec un avis de la météorologie nationale déconseillant toute exposition prolongée au soleil. Sa lumière ne semblait pas instantanément mortelle, mais un niveau excessif d’ultraviolets pouvait provoquer « des problèmes à long terme », comme elle a dit, ce qui m’a paru aussi triste que drôle.


J’ai capté d’autres émissions de radio ici ou là, mais le soleil les a toutes noyées de bruit dès son lever.

L’aube, nuageuse, m’a permis de ne pas conduire directement dans l’éclat du soleil, mais même ce lever voilé était d’une étrangeté intimidante. Toute la moitié orientale du ciel s’est transformée en bouillon de lumière rouge, aussi envoûtant à sa manière que les braises d’un feu de camp à l’agonie. De temps en temps, les nuages s’entrouvraient pour laisser des doigts de lumière ambre venir sonder la terre. Mais à midi, la couverture nuageuse s’était épaissie et la pluie s’est mise à tomber moins d’une heure plus tard : une pluie brûlante, sans vie, qui a recouvert l’autoroute et reflété les couleurs malsaines du ciel.

Ce matin-là, j’avais vidé le dernier jerrycan d’essence dans le réservoir, et quelque part entre Cairo et Lexington, l’aiguille de la jauge a commencé à donner d’inquiétants signes de faiblesse. J’ai réveillé Simon à qui j’ai expliqué le problème en précisant que je m’arrêterai à la prochaine station-service… puis à la suivante, et ainsi de suite jusqu’à ce qu’on en trouve une qui nous vende de l’essence.

La première station était une petite franchise familiale de quatre pompes située à cinq cents mètres de l’autoroute. La partie supérette n’était pas éclairée et les pompes sans doute mortes, mais je m’y suis quand même arrêté, je suis descendu de voiture et j’ai décroché un pistolet.

Un homme coiffé d’une casquette Bengals et tenant un fusil de chasse au creux du coude est arrivé de derrière le bâtiment. « Marche pas », a-t-il annoncé.

J’ai raccroché le pistolet. « Plus d’électricité ?

— Exact.

— Pas de générateur de secours ? »

Il a haussé les épaules et s’est approché. Simon a commencé à descendre de voiture, mais je lui ai fait signe de rester à l’intérieur. L’homme en casquette Bengals – la trentaine et quinze kilos de trop – a regardé le goutte-à-goutte accroché au siège arrière avant de jeter un coup d’œil à ma plaque d’immatriculation. C’était une plaque californienne, ce qui n’a sans doute pas ajouté à mon crédit, mais l’autocollant « Urgence médicale » était tout à fait visible. « Vous êtes docteur ?

— Tyler Dupree. Généraliste.

— Excusez-moi de ne pas vous serrer la main. C’est votre femme, à l’arrière ? »

J’ai répondu oui, c’était plus simple qu’une explication. Simon m’a jeté un coup d’œil, mais ne m’a pas contredit.

« Vous avez des papiers prouvant que vous êtes médecin ? Parce que sans vouloir vous offenser, il y a eu pas mal de voitures volées ces deux derniers jours. »

J’ai sorti mon portefeuille que j’ai jeté à ses pieds. Il l’a ramassé et ouvert sur ma carte d’identité. Il a ensuite sorti des lunettes de sa poche de poitrine avant de regarder à nouveau. Il a fini par me rendre le portefeuille et me tendre la main. « J’espère que vous ne m’en voulez pas, Dr Dupree. Je m’appelle Chuck Bernelli. Si c’est juste d’essence dont vous avez besoin, je vais rebrancher les pompes. S’il vous faut autre chose, ça ne me prendra qu’une minute pour ouvrir le magasin.

— J’ai besoin d’essence. Des vivres, ce serait bien, mais je n’ai pas beaucoup de liquide sur moi.

— Au diable le liquide. Nous sommes fermés pour les criminels et les ivrognes, et la route n’en manque pas en ce moment, mais ouverts vingt-quatre heures sur vingt-quatre pour l’armée et la police des autoroutes. Et les médecins. Du moins tant qu’il nous reste de l’essence. J’espère que votre femme n’est pas trop gravement atteinte.

— Ça ira si je peux arriver à destination.

— L’hôpital Lexington V.A. ? Ou le Samaritan ?

— Un peu plus loin que ça. Elle a besoin de soins spéciaux. »

Il a jeté un nouveau coup d’œil à la voiture. Simon avait baissé les vitres pour laisser entrer de l’air frais. La pluie s’écrasait sur le véhicule poussiéreux et l’asphalte aux flaques huileuses. Voyant Diane se retourner et tousser dans son sommeil, Bernelli a froncé les sourcils.

« Bon, je vais rebrancher les pompes. Vous n’avez pas de temps à perdre. »

Nous sommes repartis avec un peu d’épicerie qu’il avait réunie pour nous : quelques conserves de soupe, une boîte de biscuits salés, un ouvre-boîtes sous son blister en plastique. Mais il n’a pas voulu approcher de la voiture.


La toux déchirante et intermittente constitue un des symptômes habituels du SDCV. La bactérie se montre presque rusée dans sa manière de préserver ses victimes, d’éviter de les plonger dans une pneumonie catastrophique, même si c’est par ce moyen qu’elle finit par les tuer… ou par une grosse insuffisance cardiaque. J’avais pris une bonbonne d’oxygène, un robinet de purge et un masque chez le grossiste de la banlieue de Phœnix, et quand Diane a commencé à trop tousser pour arriver à respirer – au bord de la panique, elle se noyait dans ses expectorations et roulait des yeux – j’ai dégagé du mieux que je pouvais ses voies respiratoires avant de lui maintenir le masque à oxygène sur le nez et la bouche pendant que Simon conduisait.

Elle a fini par se calmer et retrouver des couleurs, ce qui lui a permis de se rendormir. Je suis resté avec elle pendant qu’elle se reposait, sa tête fiévreuse nichée sur mon épaule. La pluie, désormais déluge incessant, nous ralentissait. De grandes gerbes d’eau jaillissaient dans notre sillage à chaque creux de la route. Le soir venu, la lumière s’est réduite à des charbons ardents sur l’horizon.

Il n’y avait d’autre bruit que le martèlement de la pluie sur le toit, et je me suis contenté de l’écouter jusqu’à ce que Simon s’éclaircisse la gorge pour demander : « Tu es athée, Tyler ?

— Pardon ?

— Je ne veux pas me montrer grossier, mais je me demandais si tu te considérais comme athée ? »

Je ne savais pas trop de quelle manière répondre. Simon avait été utile – indispensable – pour nous conduire aussi loin. Mais il avait aussi attelé son wagon intellectuel à une équipe de dispensationnalistes extrémistes pour qui la fin du monde ne posait d’autre problème que de défier leurs espoirs très précis. Je ne voulais pas l’offenser : j’avais encore besoin de lui… Diane avait encore besoin de lui.

« Quelle importance, la manière dont je me considère ? ai-je donc répondu.

— Simple curiosité.

— Eh bien… je ne sais pas. J’imagine que c’est ma réponse. Je n’affirme pas savoir si Dieu existe ou pourquoi Il a remonté le ressort de l’univers pour le faire tournoyer de cette manière. Désolé, Simon. Je n’ai rien de mieux à te proposer sur le plan théologique. »

Il a gardé le silence pendant quelques kilomètres. Puis il a avancé : « C’est peut-être ce que voulait dire Diane.

— À quel sujet ?

— Quand nous en avons parlé. Ce qui ne nous est pas arrivé depuis quelque temps, maintenant que j’y pense. Avant même le schisme, nous n’étions pas d’accord sur le pasteur Dan et le Tabernacle du Jourdain. Je la trouvais trop cynique. Elle disait que je me laissais trop facilement impressionner. C’est possible. Le pasteur Dan a le don de trouver la connaissance à chaque page quand il regarde dans les Écritures… une connaissance solide comme une maison, des poutres et des piliers de connaissance. C’est vraiment un don. Moi, je n’y arrive pas. J’ai beau essayer de toutes mes forces, je n’ai encore jamais réussi, en ouvrant la Bible, à y comprendre quelque chose.

— Tu n’es peut-être pas censé le faire.

— Mais je le voulais. Je voulais être comme le pasteur Dan : intelligent et, tu comprends, toujours en terrain sûr. D’après Diane, c’était un pacte avec le diable, Dan Condon avait échangé l’humilité contre la certitude. C’est peut-être ce qui me manquait. Et ce qu’elle a vu en toi, ce qui l’a poussée à se cramponner à toi toutes ces années : ton humilité.

— Simon, je…

— Tu n’as pas à t’en excuser ou à me réconforter à ce sujet. Je sais qu’elle t’appelait quand elle me pensait endormi ou quand je m’absentais de la maison. Je sais que j’ai eu de la chance d’avoir Diane aussi longtemps. » Il m’a regardé par-dessus son épaule. « Tu veux bien me rendre un service ? J’aimerais que tu lui dises que je suis désolé de n’avoir pas mieux pris soin d’elle quand elle est tombée malade.

— Tu peux le lui dire toi-même. »

Il a hoché la tête d’un air songeur et a continué à rouler dans la pluie. Je lui ai demandé de chercher des informations utiles à la radio, maintenant que la nuit était tombée à nouveau. J’avais l’intention de rester éveillé pour écouter, mais je souffrais beaucoup de la tête et ma vision voulait se dédoubler. Au bout d’un moment, il m’a simplement semblé plus facile de fermer les yeux pour m’endormir.


J’ai dormi à poings fermés, et longtemps, tandis que les kilomètres défilaient sous les roues de la voiture.

Lorsque je me suis réveillé, c’était un autre matin pluvieux. Nous nous trouvions à l’arrêt sur une aire de repos (à l’ouest de Manassas, ai-je appris plus tard) et une femme munie d’un parapluie noir déchiré toquait à la vitre.

J’ai cligné des yeux et ouvert la portière. La femme a reculé d’un pas en jetant un regard soupçonneux à Diane. « Il vous fait dire de ne pas attendre.

— Pardon ?

— Il a demandé de vous dire au revoir et qu’il ne fallait pas l’attendre. »

Simon n’était pas au volant. Et je ne l’ai vu nulle part entre les fûts servant de poubelles, les tables de pique-nique trempées et les latrines peu solides qui constituaient notre voisinage immédiat. Quelques voitures étaient garées là, en général le temps que leurs propriétaires passent aux toilettes. J’ai aperçu des arbres, des espaces verts, une petite ville industrielle et vallonnée que trempait la pluie tombant d’un ciel ardent. « Un blond très mince ? Avec un T-shirt sale ?

— Voilà. Celui-là même. Il a dit qu’il ne voulait pas que vous dormiez trop longtemps. Puis il est parti.

— À pied ?

— Oui. Le long de la rivière, pas de la route. » Elle a de nouveau dévisagé Diane, qui respirait de manière superficielle et bruyante. « Vous allez bien, tous les deux ?

— Non. Mais nous sommes presque arrivés. Merci d’avoir posé la question. Il a dit quelque chose d’autre ?

— Oui. Il m’a dit de dire Dieu vous bénisse, et qu’il trouverait son propre chemin à partir de maintenant. »

Je me suis occupé de Diane, j’ai jeté un dernier coup d’œil sur le parking pluvieux et j’ai repris la route.

J’ai dû m’arrêter à plusieurs reprises pour régler son goutte-à-goutte ou lui administrer quelques bouffées d’oxygène. Elle n’ouvrait plus les yeux… pas parce qu’elle dormait, mais parce qu’elle avait perdu conscience. Je refusais de penser à ce que cela signifiait.

La circulation était lente, la pluie incessante et on trouvait partout des signes du chaos des deux derniers jours. J’ai vu, poussées sur l’accotement, des dizaines de voitures à l’état d’épave ou incendiées, certaines fumant encore. On avait interdit quelques routes à la circulation civile afin de les réserver aux véhicules militaires ou de secours. J’ai dû rebrousser deux fois chemin à cause d’un barrage routier. La chaleur du jour rendait presque intolérable l’humidité atmosphérique, et même le vent puissant qui s’est levé dans l’après-midi n’a apporté aucun soulagement.

Mais au moins Simon nous avait-il abandonnés près de notre destination, et il restait encore un peu de lumière dans le ciel quand je suis arrivé à la Grande Maison.

Le vent avait empiré, devenant presque tempête, parsemant la longue allée des Lawton de branches arrachées aux pins alentour. La maison elle-même était obscure, ou en avait l’air dans le crépuscule d’ambre.

J’ai laissé Diane dans la voiture au pied des marches et j’ai frappé à la porte. Attendu. Frappé à nouveau. La porte a fini par s’entrouvrir, laissant Carol Lawton regarder à l’extérieur.

J’ai eu du mal à distinguer ses traits dans cet interstice : un œil bleu clair, un coin de joue ridée. Mais elle m’a reconnu.

« Tyler Dupree ! Tu es seul ? »

La porte s’est ouverte plus largement.

« Non, ai-je répondu. Je suis avec Diane. Et je pourrais avoir besoin d’aide pour la transporter à l’intérieur. »

Carol est sortie sur le grand perron et a baissé les yeux vers l’automobile. Quand elle a vu Diane, son petit corps s’est raidi, ses épaules se sont redressées et elle a laissé échapper un hoquet de surprise.

« Mon Dieu, a-t-elle murmuré. Mes deux enfants sont venus mourir à la maison ? »

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