« Tu dois créer le Bien à partir du Mal, car c’est le seul moyen pour le faire. »
« … Docteur Pilman, votre première découverte sérieuse est, sans doute, celle de ce qu’on appelle “radiant de Pilman”.
— Je ne le pense pas. Le radiant de Pilman n’est ni la première, ni sérieuse ni, en fait, une découverte. Et, de plus, pas tellement la mienne.
— Vous devez plaisanter, docteur. Le radiant de Pilman c’est une notion connue de tous les écoliers.
— Cela ne m’étonne pas. C’est précisément par un écolier que le radiant de Pilman a été découvert. Malheureusement, je ne me souviens pas de son nom. Regardez chez Stetson, dans son Histoire de la Visite, il raconte tout en détail. Le radiant a été découvert par un écolier, les coordonnées ont été publiées pour la première fois par un étudiant et, curieusement, c’est mon nom qu’on lui a donné.
— Oui, les découvertes ont parfois des destins étranges. Ne pourriez-vous pas, docteur Pilman, expliquer à nos auditeurs…
— Écoutez, compatriote. Le radiant de Pilman est une chose extrêmement simple. Imaginez que vous ayez fait tourner un grand globe terrestre et que vous vous soyez mis à tirer dessus à coups de revolver. Les trous sur le globe seront disposés le long d’une certaine courbe douce. Le sens de ce que vous appelez ma première découverte sérieuse, réside dans un fait tout simple : les six Zones de la Visite sont disposées sur la surface de notre planète comme si quelqu’un avait tiré de la ligne Terre-Dénèbe six coups de pistolet sur la Terre. Dénèbe, c’est l’alpha de la constellation du Cygne. Le point de la voûte céleste d’où, si l’on peut dire, on a tiré, c’est ça, le radiant de Pilman.
— Je vous remercie, docteur. Chers Harmontois ! On nous a enfin clairement expliqué ce qu’est le radiant de Pilman ! À ce propos, avant-hier, c’était exactement le treizième anniversaire de la Visite. Docteur Pilman, ne voudriez-vous pas dire quelques mots à cette occasion à vos compatriotes ?
— Que veulent-ils savoir, au juste ? N’oubliez pas qu’à l’époque je n’étais pas à Harmont…
— Il est d’autant plus intéressant d’apprendre ce que vous avez pensé quand votre ville natale a été envahie par une super-civilisation extra-terrestre…
— À vrai dire, ma première pensée a été qu’il s’agissait d’un canular. Il était difficile d’admettre que quelque chose de semblable pouvait arriver à notre vieille Harmont. Gobi, la Terre-Neuve, passe encore, mais Harmont !
— Cependant, en fin de compte, vous avez été obligé d’y croire ?
— En fin de compte, oui.
— Et alors ?
— Il m’est soudain venu à l’esprit que Harmont et les cinq autres Zones de la Visite… en fait, non, je vous demande pardon, à l’époque on n’en connaissait que quatre… que toutes, elles étaient disposées sur une courbe très douce. J’ai calculé les coordonnées du radiant et je les ai envoyées à “Nature”.
— Vous n’étiez donc pas du tout ému par le destin de votre ville natale ?
— Voyez-vous, à l’époque déjà, je croyais à la Visite, mais je n’arrivais pas à croire les informations paniquées sur les quartiers en feu, les monstres dévorant exclusivement des vieillards et des enfants, et les combats sanglants entre les visiteurs invulnérables et les unités blindées royales extrêmement vulnérables, mais infailliblement glorieuses.
— Et vous aviez raison. Je me souviens que nous autres, informateurs, nous nous sommes bien mis le doigt dans l’œil à l’époque… Mais revenons à la science. La découverte du radiant de Pilman a été la première, mais certainement pas la dernière de vos contributions à la science de la Visite ?
— La première et la dernière.
— Mais pendant tout ce temps vous deviez suivre attentivement le déroulement des recherches internationales dans les Zones de la Visite ?
— Oui… De temps en temps, je feuillette des rapports.
— Vous parlez des rapports de l’Institut international des cultures extra-terrestres ?
— Oui.
— Dans ce cas, quelle est, selon vous, la découverte la plus importante de ces treize dernières années ?
— Le fait même de la Visite.
— Je vous demande pardon ?
— Le fait même de la Visite est la découverte la plus importante non seulement de ces treize dernières années, mais de toute l’histoire de l’humanité. Il n’est pas tellement important de savoir qui étaient ces visiteurs. Il n’est pas important de savoir d’où ils sont venus, ni leur but, ni pourquoi ils sont restés si peu de temps, ni où ils sont passés après. Ce qui compte, c’est que, maintenant, l’humanité le sait avec certitude : elle n’est pas seule dans l’univers. J’ai peur que l’Institut des cultures extra-terrestres n’ait plus jamais une chance de faire une découverte aussi fondamentale.
— C’est terriblement intéressant, docteur Pilman, mais, en fait je voulais parler de découvertes d’ordre technologique. De découvertes susceptibles d’être utilisées par la science et la technique terrestres. Car plusieurs savants éminents considèrent que les trouvailles dans les Zones de la Visite sont capables de modifier tout le cours de notre histoire.
— Eh bien, je n’appartiens pas aux partisans de ce point de vue. En ce qui concerne les trouvailles concrètes, je ne suis pas spécialiste.
— Pourtant, voilà déjà deux ans que vous êtes le consultant de la commission de l’ONU pour les problèmes de la Visite…
— Oui. Mais je n’ai aucun rapport avec ceux qui étudient les cultures extra-terrestres. Mon rôle dans la COMPROVIS est de représenter, avec mes collègues, les milieux scientifiques internationaux lorsqu’il s’agit du contrôle de l’exécution des décisions de l’ONU concernant l’internationalisation des Zones de la Visite. En un mot, nous veillons à ce que personne d’autre que l’Institut International ne touche aux merveilles extraterrestres…
— Parce que quelqu’un d’autre convoite ces merveilles ?
— Oui.
— Vous parlez des stalkers ?
— Je ne sais pas ce que c’est.
— C’est ainsi que chez nous, à Harmont, on appelle ces têtes brûlées qui ; à leurs risques et périls, pénètrent dans la Zone et y volent tout ce qu’ils peuvent trouver. C’est vraiment un nouveau métier.
— Je vois. Non, c’est en dehors de notre compétence.
— Je pense bien ! C’est la police qui s’en occupe. Mais je voudrais savoir ce qui entre, justement, dans votre compétence, docteur Pilman…
— Nous sommes placés devant une fuite permanente de matériels de Zones de la Visite, qui aboutissent entre les mains de personnes et d’organismes irresponsables. Nous nous occupons des résultats de cette fuite.
— Vous ne pourriez pas être un peu plus précis, docteur ?
— Parlons plutôt d’art. Vos auditeurs ne sont-ils pas intéressés par mon opinion sur l’incomparable Gvadi Müller ?
— Oh ! certainement ! Mais je voudrais d’abord en finir avec la science. Vous en tant que savant, vous n’avez pas envie de vous occuper de miracles extraterrestres ?
— Comment dire… Peut-être.
— Donc, on peut espérer qu’un beau jour, les Harmontois verront leur célèbre compatriote dans les rues de sa ville natale ?
— Ce n’est pas exclu. »