Deux ans plus tard
Bruits. Cliquetis, craquements, crachotements en rafales. Puis des sifflets suraigus portés par l’écho de la baie, des crissements qui ressemblent à des frottements à la surface d’un ballon gonflé. Des grincements à des fréquences élevées. Et le clapotis de l’eau, des vagues.
Assis dans mon kayak, je fixe la brume. Silence. Je retiens mon souffle. Un aileron noir apparaît, deux, trois, quatre — jusqu’à sept… Mon cœur bat plus vite. Les grands prédateurs à robe noir et blanc émergent lentement, en un seul rang, comme pour une battue. Leurs ailerons arrondis fendent la surface de la mer.
29 décembre au matin.
Il a neigé et neige encore.
Les flocons tourbillonnent autour du kayak — puis ils sont avalés par la mer.
Je lève les yeux vers le drone là-haut, dans le ciel blanc.
Je sais qu’il est là même si je ne le vois pas.
À tout hasard, je fais un petit coucou vers le ciel. J’imagine Jay en train de sourire derrière son écran. Ou peut-être ne sourit-il pas. Peut-être même n’est-il pas là ; il suffit de la possibilité qu’il soit en train de me surveiller…
Pendant une seconde, l’idée m’effleure de ramer jusqu’aux orques, de me précipiter sur eux et de les provoquer jusqu’à ce qu’ils se jettent sur moi… Puis la tentation s’éloigne… J’ai la vie rêvée, non ? J’ai obtenu ce que je voulais ; je ne vais quand même pas renoncer à tout ça — pas vrai, Jay ?
C’est bizarre. J’ai tellement voulu cette vie… mais elle ne ressemble pas du tout à ce que j’avais imaginé.
Il y a les bons moments, bien sûr : les sorties avec mon père, la limousine, l’argent de poche, ma chambre et le cheval que j’ai eu pour Noël… Et puis, il y a tous les autres. Et il y a Jay. Chaque fois que j’essaie de m’aménager un petit espace de liberté, de construire quelque chose, Jay et ses sbires l’anéantissent, comme de sales gosses piétinant un château de sable.
Comme la fois où j’ai rencontré cette fille, à la fac.
Pas la plus belle, pas la plus intelligente, juste une fille normale, sympa et cool… Imaginez : vous êtes l’étudiant le plus solitaire du campus parce que quelqu’un, dans l’ombre, fait courir des rumeurs malveillantes sur vous ; et, tout à coup, vous rencontrez cette fille qui, par miracle, ne les a pas entendues et… vous vous rendez compte que vous avez désespérément besoin de compagnie, que vous souffrez atrocement de la solitude.
Cette fille, c’était comme… un rayon de soleil — vous voyez : le cliché le plus éculé. Et pourtant, c’était ça. Pendant quelques jours, j’ai eu l’impression de revivre, grâce à une fille que je n’aurais même pas regardée auparavant ! J’étais bien avec elle ; la vie, je le découvrais, pouvait être simple.
Jusqu’au soir où elle a voulu en savoir plus. On avait fait l’amour ; je savais que Jay ou quelqu’un d’autre devait être en train d’écouter, mais il y avait beau temps que ça ne me faisait plus ni chaud ni froid. Je crois même que ça m’amusait, de la faire crier dans leurs écouteurs et de les obliger à entendre. J’ai allumé un joint, je le lui ai passé et elle a dit : « Henry, je veux tout savoir de toi… » Merde, ai-je pensé. Je n’avais même pas envie de lui servir mes bobards habituels, j’en avais tellement ma claque. « Vaut mieux pas », j’ai dit. Ça ne l’a pas dissuadée, bien au contraire. Elle s’est assise sur moi, ses seins en forme de cônes blancs et roses et le piercing en zircon de son nombril juste sous mon nez. « Je ne partirai pas d’ici tant que tu ne m’auras pas tout raconté. » Je l’ai caressée. « Je veux… tout savoir… putain, oui… t’arrête pas… » Le téléphone a sonné moins de cinq minutes plus tard.
« Vire-la, a dit Jay. Fous-la dehors, dis-lui de ne jamais revenir. Gifle-la, fais-lui mal si ça t’amuse, mais vire-la.
— Sinon quoi ? j’ai répondu.
— Henry, à qui tu parles ? a demandé Amber.
— Sinon, il lui arrivera un accident, a dit Jay dans le téléphone.
— Eh bien, allez-y ! Foncez dessus avec une bagnole, jetez-la du haut d’un pont, fumez-la ! Qu’est-ce que j’en ai à foutre ? j’ai hurlé avant de raccrocher.
— Henry, qui c’était ? » a voulu savoir une Amber quasi hystérique.
Le lendemain, j’ai reçu un appel ; c’était elle au bout du fil : Espèce de sale connard de fils de pute, a-t-elle dit, je ne veux plus jamais te revoir. Je n’ai même pas osé lui demander pourquoi. Parce que je savais. D’avance, je savais que ce serait ignoble. Et que je ne pourrais pas nier. Le truc, c’est que WatchCorp dispose de logiciels qui peuvent sampler des syllabes que vous avez prononcées et reconstituer votre voix. Ils savent aussi trafiquer les vidéos. Bidouiller vos mails. Truquer des photos… Ils peuvent faire gober n’importe quoi à n’importe qui…
Mon « père » est un homme admirable. Tout en lui fait ma fierté : son autorité, son charisme, son intelligence. Mais il se comporte parfois en père distant et très occupé. Maintenant qu’il m’a pour lui tout seul, il ne fait plus autant d’efforts — sauf à l’occasion des fêtes, des anniversaires et quand l’envie lui en prend. Mais Jay… c’est comme avoir une mère abusive et paranoïaque qui passerait son temps à contrôler le moindre de vos mouvements, à anticiper tous vos écarts de conduite. Je sais que mon logement d’étudiant est truffé de micros, et aussi ma caisse, mon téléphone, mon ordinateur — et peut-être aussi ceux de mes professeurs ; je sais qu’il y a des puces dans tous mes vêtements, dans mes affaires d’étude. Peut-être m’en a-t-il collé une sous la peau après m’avoir endormi, qu’est-ce que j’en sais : je scrute mon corps dans la salle de bains, mais je ne vois rien. Je n’ai pas d’amis : Jay y veille. Il fait courir des rumeurs sur moi…
J’étudie les sciences politiques. Ce n’est pas mon choix, c’est celui de Jay — mais j’ai dû faire croire à père qu’il venait de moi, bien sûr. Je suis un bon élève, je fais des efforts, mais je ne sais pas pourquoi le prof de droit constitutionnel m’a pris en grippe. Il me déteste, ça se voit. Il fait tout pour m’humilier devant les autres. J’ai bien envie de l’attendre un soir après les cours et de lui faire ravaler sa morgue.
Les autres élèves de ma classe ne m’aiment pas non plus. Je le vois à la façon dont ils me regardent quand je passe près d’eux, à leurs ricanements, à leurs murmures… à ma solitude au restaurant universitaire.
J’ignore quels sont les bruits qui ont couru sur mon compte, mais je sais qu’il y en a eu — et je sais que c’est encore un coup de Jay. De la sorte — si je suis isolé, solitaire — il a moins de difficultés à me surveiller. Plus les gens me détestent, s’écartent de moi, plus ça simplifie son travail. Je n’ai pas le droit de chercher à savoir ce qu’ils se disent, bien sûr. Ni de pirater leurs ordinateurs… Juste de faire les recherches nécessaires à mes études… Pas le droit non plus d’aller sur des forums en ligne pour m’épancher auprès d’autres âmes esseulées : la dernière fois que je l’ai fait, mon téléphone a sonné dans les dix secondes.
Ni de parler à des filles depuis l’incident Amber.
Jay ne se montre pas. Pas souvent. Parfois, cependant, peut-être quand il sent que je vais craquer, que j’ai atteint le point de rupture, il me réveille en pleine nuit : « Descends, je suis en bas. » Je descends : « Qu’est-ce que tu veux, Jay ? Il est plus de 3 heures du matin. — Oh, j’arrivais pas à dormir, alors je me suis dit que j’allais passer voir mon vieux pote Henry… » Il pose une main sur mon épaule. « Viens, je t’emmène boire un verre dans un endroit sympa. » J’ai envie de le tuer dans ces moments-là, mais il me tient et il le sait. Il veut me faire comprendre qu’il a le contrôle. Mais il veut aussi m’empêcher de faire une connerie. Pendant quelques heures, il se comporte comme s’il était mon meilleur ami — et c’est peut-être ce qu’il est…
J’ai fini par l’apprécier, bizarrement… Jay ne fait rien gratuitement, ce n’est pas son style. Jay n’agit pas par cruauté mais par nécessité. Je me rends compte que je deviens de plus en plus dépendant de lui, matériellement et psychologiquement. Syndrome de Stockholm ? Peut-être… Mais Jay peut aussi se comporter en vrai père Fouettard. Comme la fois où je suis entré dans cette boutique, où j’ai changé tous mes vêtements pour des fringues neuves et jeté les anciens dans une poubelle avant de partir à pied me cuiter et m’offrir les services d’une pute. Le soir même, des types ont forcé ma porte et m’ont roué de coups, au milieu de la nuit. Après quoi Jay est entré dans ma piaule. « Donne-moi ta carte de crédit, Henry, a-t-il dit. À partir de maintenant, tu passes par moi pour ton argent de poche. »
Ou cette autre où Charlie m’a appelé. Je n’en suis pas revenu d’entendre sa voix au téléphone : « Salut, a dit mon plus vieil ami. Comment tu vas, Henry ? » Sur le moment, j’en suis resté coi. Il a attaqué sans préambule : « Je suis à Washington ! » Ça m’a coupé le sifflet. « Avec mes parents… pour trois jours… je me suis dit qu’on pourrait en profiter pour se voir, t’en dis quoi ? — J’en dis que c’est une excellente idée ! » j’ai répondu, le cœur soudain aussi léger qu’une bulle de savon, me rendant compte à quel point il m’avait manqué. Il a ri. « Putain, ça fait du bien d’entendre ta voix, mon pote ! » Il n’a pas vu mes yeux s’emplir de larmes sans crier gare. « Ouais… ouais… t’as carrément raison, vieux. Comment t’as fait pour avoir mon numéro ? — Il y avait un article sur toi dans le Seattle Times, où ils disaient que tu étudiais les sciences politiques à l’université George-Washington, monsieur Augustine… » Il avait appelé la fac, il avait passé des dizaines de coups de fil jusqu’à ce qu’une employée condescende à lui donner mon numéro. « Bon, ce soir 18 heures, au bar du Churchill : c’est notre hôtel, tu y seras ? — Promis… » Je me suis allongé sur le lit et, pendant de longues minutes, je me suis laissé envahir par quelques-uns de nos meilleurs souvenirs : nos kayaks glissant sur la mer, nos torses nus chauffés par le soleil et nos rires clairs réverbérés par l’eau, les réunions du Club des Inséparables d’East Harbor au Ken’s Store & Grille, le baptême dans la rivière, l’été de mes treize ans, Charlie et moi arpentant chaque mètre de cette foutue île, pédalant, courant, trébuchant, rampant, plongeant, nageant, deux âmes jumelles, deux frères — du moins le croyait-il… « Ce n’est pas une bonne idée », a dit Jay quand je lui en ai parlé. Mais j’ai tenu bon, cette fois : « Tu comptes faire quoi ? M’attacher ? J’irai, que ça te plaise ou non… » Je ne sais pas ce qu’ils ont mis dans ma nourriture ce jour-là, mais, deux heures avant mon rendez-vous, j’ai commencé à me vider par en haut et par en bas et à frissonner de fièvre. Je m’y suis traîné quand même, les cheveux collés au front par la fièvre, le corps frissonnant et l’estomac dur comme du ciment — mais j’ai dû renoncer quand j’ai vomi sur les quais du métro et qu’un flic opportunément apparu m’a ramené chez moi.
Après ça, ils ont changé mon téléphone et, quand j’ai essayé de joindre Charlie au numéro qu’il m’avait donné, une voix enregistrée m’a répondu qu’il n’était plus en service. Même chose pour celui du Ken’s Store & Grille. Est-ce qu’ils ont cramé le magasin ? Est-ce qu’ils ont utilisé leurs liens avec les compagnies du téléphone ? Je n’en ai aucune idée.
Le mois dernier, on m’a diagnostiqué un psoriasis dans le cuir chevelu, la paume des mains et la plante des pieds. « Stress », a dit le toubib. Le mois d’avant, c’était autre chose : « Baisse des défenses immunitaires, a dit le toubib. Êtes-vous stressé, monsieur Augustine ? »
Le reste du temps, Jay se fait discret. Mais je sais qu’il est là. Je le devine qui veille au grain. Même quand je dors, il est là : à croire qu’il ne dort jamais. Je suis son prisonnier. Il n’y a pas d’autre mot. Liberté. J’ignorais le sens de celui-là jusqu’à aujourd’hui. Seuls ceux qui en ont été privés peuvent comprendre. Je sais que plus jamais je n’aurai une vie normale. Plus jamais je ne pourrai aimer, respirer, vivre comme avant… Ma vie ne sera qu’une longue parodie de vie de rêve — Jay y veillera. Tu veux retrouver ta vie d’avant, Henry ? Tu veux redevenir ce petit gars sur son île ? Il fallait y penser plus tôt. Tes mamans sont mortes, je te le rappelle. Oh, à propos, laisse-moi te donner des nouvelles de Charlie, de Johnny et de Kayla… Ils vont bien. Ils se remettent, petit à petit. Quelquefois, ils parlent de toi ; pas si souvent que ça, en fait…
Il croit qu’il a le contrôle. Mais un jour, il baissera sa garde. Un jour, mon heure viendra. Sans s’en rendre compte, il m’apprend le plus important : la patience.
À moins qu’il n’ait prévu ça aussi : ma mort accidentelle, d’ici quelque temps, qui certes laissera Augustine en deuil, mais au moins il aura profité de son fils quelques années. Oui, ça doit être ça. Je suis un risque que Jay ne peut pas se permettre de courir trop longtemps.
Aujourd’hui est la peur. La peur du lendemain. La peur de Jay. Je dois être constamment sur mes gardes. Je sens la paranoïa qui me ronge à petit feu, jour après jour ; mon esprit n’est jamais en repos. À chaque pas, l’impression que quelqu’un m’observe. Et, malgré tout, je dois faire semblant devant mon père. C’est ma part du contrat : faire semblant d’être heureux, faire semblant d’avoir envie, faire semblant que tout va bien. C’est pire que l’enfer.
Finalement, je suis retourné sur l’île. Une dernière fois. Sans que Jennifer Lawrence ait eu besoin de me convaincre. Je ne sais pas pourquoi. J’en ai parlé à mon père et il m’a dit : « Tu es sûr que ça ne va pas être trop douloureux ? » Je suis encore surpris que Jay ne m’ait pas interdit d’y aller, même s’il m’a déconseillé de le faire. Mais mon père avait raison, en fin de compte : c’est douloureux.
Je donne un dernier coup de pagaie, j’arrache la jupe du kayak et je m’en extrais pour prendre pied sur la petite plage, au pied du ponton sous lequel pendent des stalactites de glace ; je retire ma combinaison ruisselante. Le ciel est si blanc, si virginal que je me sens purifié de tous mes péchés.
Les ruines noircies de la maison là-haut — au-dessus du ponton et de l’escalier — ont disparu. Elles ont été rasées par les bulldozers. Il y a un panneau « à vendre » du côté de la route ; il est là depuis plus d’un an. Ce matin, la neige s’est déposée sur le terre-plein désert comme un pansement sur une vilaine plaie. Au lever du jour, toute l’île, paralysée et léthargique, ressemblait à un gigantesque brise-glace. Les sapins eux-mêmes étaient alourdis par la neige, le toit du Ken’s Store & Grille blanc quand je suis passé devant, de même que le carrefour en haut de Main Street et d’Eureka Street, où les premières voitures avaient laissé des traces noires.
Je gravis les marches, le kayak sur l’épaule, l’autre main sur le bois froid de la rampe. Je jette un dernier coup d’œil derrière moi, au détroit, à la mer, aux autres îles qu’on devine à peine à travers les rafales de neige, et je dois retenir une vraie larme. Je contourne l’espace vide où se trouvait ma maison, et j’y vois une métaphore de ma vie actuelle. J’en ai presque la nausée. J’arrime le kayak, remonte dans la voiture de location et retourne vers East Harbor.
Mon téléphone sonne et quelqu’un en a changé la sonnerie et c’est Goodbye Yellow Brick Road d’Elton John.
Quand vas-tu redescendre ?
Quand vas-tu atterrir ?
J’aurais dû rester à la ferme.
J’aurais dû écouter mon vieux.
Jay, enfant de putain, je pense.
Bien sûr, il n’y a personne au bout du fil…
Mais le message est clair.
Il neige encore plus dru quand j’entre dans East Harbor. Je vire devant le Ken’s Store & Grille pour descendre Main Street vers le port et j’ai de nouveau cette grosse boule à l’estomac. Je ralentis dans la rue blanche. J’ai laissé pousser ma barbe, je porte un bonnet et je roule à bord d’une voiture de location aux vitres embuées autour de laquelle la neige tourbillonne : il y a peu de chances que quelqu’un me reconnaisse, mais on ne sait jamais.
Tandis que j’avance tout doucement sur la chaussée glissante, chaque détail, chaque vitrine de Noël ramène à la surface une anecdote, un souvenir.
Je débouche sur le parking et c’est là que je le vois.
Charlie.
Pour un peu, je ne l’aurais pas reconnu. Marrant : lui aussi, il s’est laissé pousser la barbe. Et il a minci. Il revient du Blue Water Ice Cream Fish Bar (« Appelez et récupérez votre commande Blue Water, 425-347-9823 »), un gobelet de café à la main, celle d’une fille dans l’autre. Ou plutôt d’une jeune femme. Très jolie. Je suis sûr de ne pas la connaître. Ils s’assoient dans un 4 × 4 flambant neuf, Charlie au volant. Il tourne la tête vers la gauche et s’adresse à l’occupante du véhicule voisin. Je devine des boucles rousses et des lèvres qui s’agitent, de là où je suis, planqué à l’arrière des voitures. Kayla… Mon regard se déplace et j’aperçois la nuque de Johnny à côté d’elle. Tous ont quelque chose de changé. Même vus d’ici. Ils ont l’air plus adultes, plus sereins…
Ils ont triomphé de la vie, ils ont triomphé du malheur.
Je les observe qui bavardent d’une voiture à l’autre — et qui rient. Comme nous avant… Mon téléphone sonne, je refuse de répondre, il insiste. Je finis par le saisir.
« Allô ?
— Beau spectacle, hein ? me dit Jay. Ne prends pas ce ferry, Henry, tu entends ? Prends le suivant… »
Puis il raccroche. Va te faire foutre, je pense, je ne suis pas à toi…
J’ai laissé les voitures monter à bord, comme Jay me l’avait demandé ; je suis resté seul sur le parking. À attendre le suivant. Dans un peu plus d’une heure… Je ne voulais pas prendre le risque de tomber sur eux, d’avoir à leur raconter ma vie aujourd’hui.
Le vent souffle sur le parking désert, avec ma voiture de location au milieu, et la silhouette du ferry s’éloigne vers l’entrée de la baie. Le drone qui tourne là-haut embrasse sans doute tout le tableau. Je les imagine à notre table habituelle. De quoi parlent-ils maintenant qu’ils sont presque des adultes ?
Il y a si longtemps que je n’ai pas parlé à quelqu’un de mon âge…