CHAPITRE VIII

Elle essayait de retrouver son chemin, ne voyait rien autour d’elle, faillit traverser comme un bus arrivait à fond, se sentit tirée en arrière.

— Vous voulez vous suicider vous aussi, comme les Sanchez ?

Manuel Mothe la tenait fermement par le bras et l’entraînait sur le trottoir.

— Allons sur le port mais nous passerons au feu. Les Sanchez avaient-ils également vu Bossi, monsieur le chef du service social municipal ?

— Vous me suiviez, fit-elle presque émerveillée par sa sottise.

— Je vous ai vue sortir en coup de vent, livide, échevelée et j’ai pensé que je tenais un scoop. Mais le gros Bossi m’intéresse pas mal. Vous travaillez pour lui, pas vrai ? Tout s’éclaire désormais. Le boulot et l’appartement.

— Je suis allée rapporter le fric, dit-elle. Je ne veux plus travailler pour lui.

— Allons boire quelque chose.

Sur la terrasse au soleil aigrelet, elle fut soudain irritée par le regard attentif du garçon.

— Arrêtez de me fixer… Je veux un cognac.

— Deux si vous voulez, trois, dix, cent et vous finirez ivre morte dans un caniveau. Je ne suis pas là pour vous servir de garde-fou. Je veux aller dans le Bunker. Avec moi ce serait peut-être plus supportable, non ? Je veillerai et vous pourrez picoler. De temps en temps je vous filerai un tuyau pour le gros Bossi. Ça ira comme ça, non ?

— Vous êtes un dégueulasse !

— Je sais. Si j’ai voulu vous sauver du bus c’est uniquement pour ça. Un cognac et un Coca s’il vous plaît.

Le serveur repartit et elle essaya de voir où il prenait son cognac mais ne put à cause de la buée aux vitres.

— Vous me faites entrer discrètement, c’est tout ce que je demande. Je vous filerai cinq cents balles comme promis. Ça fait quand même pas mal de cognacs, ça ? On peut faire le coup à deux, non ?

— J’ai démissionné et…

Il prit le sac, l’ouvrit, lui flanqua sous le nez les liasses éparses :

— Et ça ? Déjà ce matin j’avais vu le pactole. Vous avez accepté de continuer, alors autant le faire du mieux possible.

— Je ne peux pas vous faire entrer, ils me surveillent.

Bossi sait tout sur moi.

— Ne soyez pas idiote. Il sait le plus évident mais il ne peut pas vous faire surveiller… À moins, oui le patron du bistrot, Bossi peut lui attirer des merdes avec les heures de fermeture, la clientèle de mineurs qui s’envoie des pastagas… Possible… On prendra des précautions. Vous me filez vos clés et vous allez téléphoner au bistrot. Il devra tourner le dos pour répondre.

— Mais moi ? Il y a Roques.

— Roques est souvent dans son magasin… Vous, vous utiliserez le concierge électronique.

— Je n’ai pas le droit.

Il se leva d’un bond alors que le garçon apportait le cognac et le Coca.

— Vous ne pourrez rien faire seule et vous le savez. Le peu que vous avez appris c’est grâce à moi.

Sans se tromper, le garçon avait posé le cognac devant elle. Brusquement, elle réalisa qu’elle n’était plus seule à se trouver une gueule d’alcoolo.

— Attendez, dit-elle, je vous suis.

Il payait, toujours debout, et elle avalait d’un coup son cognac.

— Ne vous pressez pas, c’est mauvais.

— Ne vous foutez pas de moi par-dessus le marché.

Le serveur s’éloigna mais fît semblant de passer l’éponge sur une table vide. Ce couple l’intriguait. Elle n’était pas mal et devait s’envoyer le jeune. Entre deux cognacs, évidemment.

— On va aller bouffer sérieusement et conclure notre pacte.

— Je n’ai pas faim.

— Vous boufferez un steak saignant, des frites.

— Beurk ! Fit-elle sans chiqué.

— Vous en êtes là ? La viande saignante vous dégoûte ? C’est un stade dans une vie de picoleuse.

Il lui prit le bras et elle aima cette chose vivante sous son aisselle, cette main qui aurait pu être celle d’un ami.

Mais le gosse avait de longues dents mal plantées de petit Rastignac. Capable de la violer quand elle serait fine saoule mais elle s’en foutait.

— Vous aurez droit à une semelle cuite, dit-il, et à de la purée. Et ensuite on fera comme j’ai dit pour rejoindre le Bunker.

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