12.

Nathalie Coutteure accueillit Vigo Nowak avec une mine ravagée par des cernes à la Guy Bedos. Sa mince silhouette, pressée dans un pantalon côtelé et un pull à col roulé, renforçait encore l’impression de fatigue et de lassitude dégagée par la jeune femme. Vigo s’était toujours demandé comment cette fine fleur résistait aux coups de reins sauvages d’un marteau-piqueur qui avoisinait le quintal.

— Sale tête Nathalie !

— Idem pour toi… Pas jolie jolie ton arcade…

— Oh ! Un battant de porte en pleine figure. Ça ne fait pas du bien.

Dans un recoin du séjour, un sapin naturel plus large que haut se perdait sous un feu d’artifice de couleurs. Le poids des boules et des anges en plastique arquait ses branches en une grimace de chlorophylle.

Typique du cache-misère, s’amusa Vigo. Moins on a d’argent et plus on décore le sapin de Noël.

Il s’installa dans un vieux fauteuil et désigna le feu à charbon rougeoyant.

— Pas trop risqué d’utiliser cette épave ? Je croyais que l’installation n’était plus aux normes.

Il se leva, fit le tour de la bête.

— Oh là ! Avec un conduit d’aération dans cet état, tu devrais te méfier ! Tu sais combien de personnes meurent intoxiquées au monoxyde de carbone rien que dans la région ?

— Ma mère me l’a déjà dit, ne remue pas le couteau dans la plaie. Mais la chaudière a rendu l’âme et ce n’est pas avec notre chauffage électrique qu’on va s’en sortir. Cette solution temporaire nous évitera juste de ne pas geler le soir de Noël ! Avec du bon scotch tissé, le conduit tiendra le temps qu’il faudra.

— En parlant de bon scotch, tu m’en verses un petit ? J’ai besoin de me réchauffer.

Nathalie le servit et promena ses mains au-dessus du volcan de charbon.

— Je regrette que Sylvain t’ait parlé de nos soucis, confia-t-elle à voix basse.

— Je ne suis pas votre ami que pour partager les bons moments.

— Ces bons moments sont devenus bien rares ces derniers temps. Dans moins de trois heures, le réveillon débute, et je ne me suis pas encore apprêtée pour plaire à mon homme. Avec ce qui nous tombe dessus, ce Noël n’entrera certainement pas dans le catalogue de nos meilleurs souvenirs ! Nous sommes poursuivis par la poisse !

Vigo se cala dans l’épave de cuir et croisa les jambes.

— La poisse ? Tu connais Jean-François Daraud, un coureur cycliste ? Durant sa carrière, il a eu trente-cinq accidents, quarante fractures et trois comas, ce qui lui a valu de rester presque deux mille jours à l’hôpital. Le tout sans que ce soit jamais de sa faute ! Il roulait tranquille, et des gens, des animaux venaient le percuter, comme si l’aimant de son destin attirait le malheur sans échappatoire possible. Un autre exemple ? Ray Sullivan, garde forestier américain, frappé sept fois par la foudre. Certains destins attirent le bonheur, d’autres le malheur. Vous êtes loin de ces cas de figure Sylvain et toi, non ? Alors pourquoi tu parles de poisse ?

Devant le désarroi de la jeune femme, il lissa ses cheveux vers l’arrière et demanda :

— Le réparateur est passé pour la chaudière ?

— Heu… Oui, il nous a établi un devis…

— Quand compte-t-il la changer ?

— Dans trois jours…

Vigo la vit déglutir.

— Combien ?

— Trop… Beaucoup trop…

Sylvain apparut sous l’arche donnant accès au salon. Pas rasé, en survêtement. Il arbora un large sourire.

— La petite s’est endormie… Salut Vigo !

— Sly ! Tu devrais te changer, tu sais ! Encore une heure avant que la banque ne ferme !

Nathalie leva un sourcil interrogateur en fixant son mari.

— De quoi il parle ?

Sylvain haussa les épaules en guise de réponse.

— Je possède huit mille euros à l’abri sur un PEL, expliqua Vigo. Vous me donnez le montant du chèque dont vous avez besoin et on règle l’affaire.

Avant que Nathalie ne réagisse, il s’arracha du fauteuil pour lui appliquer un index sur les lèvres.

— Tu te tais, Nat ! Cet argent dort sur un compte, il profite à des investisseurs, des banquiers qui trament leurs coups en douce, dans notre dos. J’en ai assez de donner de la confiture aux cochons ! On nous force à épargner, à souscrire à des produits financiers inutiles. Et si je meurs demain, à quoi m’aura servi tout cet argent ? Carpe diem, disait l’autre ! Ce chèque, vous allez l’accepter !

Nathalie bascula sur le côté et toisa son mari d’un œil mauvais.

— Dis quelque chose grand benêt, au lieu d’écouter ! On ne peut pas accepter !

Mais le pli sur les lèvres de Sylvain ne désépaississait pas. Finalement, le plan de Vigo était astucieux et les mettait définitivement à l’abri des soupçons. « On ne s’embête pas à racler les fonds de tiroir lorsqu’on possède deux millions d’euros. » Voilà ce que déduiraient les flics si, par on ne sait quel miracle, ils remontaient la piste des billets.

— Vous me cachez des choses vous deux ! s’énerva Nathalie. Je connais mon mari. Chaque fois que ses yeux brillent comme des lingots, c’est qu’il a des nouvelles à m’annoncer ! Tu étais au courant Sylvain, avoue !

— Absolument pas chérie ! Je te le jure !

Il lui posa un baiser sur la bouche avant d’ajouter, tout en glissant vers la salle de bains :

— En ce moment, le sort s’acharne sur nous. Même les marins les plus aguerris envoient un SOS au cœur d’une tempête dévastatrice !

— T’as sorti ça tout seul ?

Le temps que Sylvain se change, Vigo cuisina Nathalie avec sa maîtrise de baratineur et la convainquit d’accepter son aide.

Lorsque les hommes s’éloignèrent, les yeux brillant de secrets, la jeune femme voulut verrouiller la porte d’entrée avant d’aller se préparer.

Mais la clé avait disparu. Nathalie était pourtant certaine de…

Lasse de ces interrogations et parce que approchait l’heure de tous les excès, elle se rendit dans la salle de bains.

Ce soir, elle voulait remonter l’onde du temps et s’embellir comme au premier jour.

Pour une dernière danse… Sa toute dernière danse…

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