13 Une proposition et un départ

Épée brandie, Gawyn faisait face à deux Champions. Les rayons du soleil qui entraient par les planches disjointes éclairant la grange, on voyait voler la poussière et les brins de paille soulevés par la bagarre.

Reculant lentement, Gawyn traversa lui aussi la zone illuminée, l’air soudain plus chaud sur sa peau. De la sueur ruisselait sur son front, mais sa main ne tremblait pas alors que les Champions avançaient vers lui.

Le premier, nommé Sleete, était un type noueux aux longs bras et au visage buriné. Dans la grange mal éclairée, ses traits ressemblaient à l’œuvre encore inachevée d’un sculpteur. Des ombres masquant en partie ses yeux, son menton creusé par une fossette et son nez crochu plusieurs fois cassé et jamais guéri, il arborait une crinière noire et des favoris.

Hattori avait été ravie que son Champion arrive enfin à Dorlan, car elle l’avait perdu depuis les puits de Dumai. L’histoire de cet homme comptait parmi celles qui inspirent les trouvères et les bardes.

Blessé, Sleete était resté étendu sur le sol pendant des heures. Fiévreux et délirant, il avait réussi à saisir les rênes de son cheval, puis à se hisser en selle. Alors qu’il délirait, l’équidé, d’une exemplaire fidélité, l’avait porté jusqu’à la rue principale d’un village voisin.

Les habitants auraient voulu le vendre à une bande de ruffians locaux. Un peu plus tôt, leur chef était passé, promettant une jolie récompense en échange de chaque survivant de la récente bataille. Coup de chance, la fille du bourgmestre avait plaidé la cause du miraculé. Pour rechercher des Champions blessés, les ruffians devaient être des Suppôts des Ténèbres.

Troublés, les villageois avaient décidé de cacher Sleete. Et la fille s’était bien entendu empressée de le soigner.

Une fois assez rétabli pour voyager, le Champion avait dû filer en douce. Comme on pouvait le prévoir, sa bienfaitrice s’était amourachée de lui.

Parmi les Jeunes Gardes, on murmurait que le gaillard s’était obligé à fuir parce qu’il commençait à partager les sentiments de la jeune dame. Avisés, la plupart des Champions ne s’autorisaient pas ce genre de lien. En pleine nuit, alors que ses hôtes dormaient, Sleete s’était volatilisé. Pour remercier ses nouveaux amis, il avait traqué les ruffians, faisant en sorte qu’ils ne viennent plus jamais rançonner le village.

Le sel même des récits et des légendes, non ? Pour des gens ordinaires, en tout cas. Pour un Champion, l’aventure de Sleete, c’était presque du pain quotidien. Mais les types comme lui attiraient les légendes comme les gens ordinaires attirent les moustiques.

En digne Champion, Sleete n’avait pas voulu s’étendre sur son aventure. À grand renfort de questions, les Jeunes Gardes étaient parvenus à lui arracher détail après détail.

Encore aujourd’hui, il se comportait comme si avoir survécu était normal. Pour un Champion, résister à de terribles blessures puis tenir en selle pendant des lieues était un jeu d’enfant. Quant à exterminer une bande de ruffians en étant à peine remis, ça n’avait rien de remarquable.

Gawyn respectait les Champions, même ceux qu’il avait tués. Surtout ceux-là, en fait. Pour faire montre d’une telle loyauté et d’une telle vigilance, il fallait être un homme hors du commun. Surtout quand on songeait à l’humilité qui allait avec…

Pendant que les Aes Sedai tiraient les ficelles du monde, des monstres comme al’Thor s’appropriant toute la gloire, Sleete et ses collègues se comportaient chaque jour en héros avec une discrétion exemplaire. Sans gloire ni reconnaissance, évidemment. Quand on se souvenait d’eux, c’était en rapport avec leur Aes Sedai. Ou au sein de leur étrange confrérie. Car nul n’oubliait jamais ses semblables…

Sleete attaqua, sa lame fondant sur Gawyn à la vitesse de l’éclair. La Vipère qui Darde sa Langue, une figure simple et hardie, d’autant plus efficace que Sleete ferraillait en tandem avec le petit homme mince qui tentait de déborder Gawyn par la gauche.

Marlesh était le seul autre Champion présent à Dorlan. Son arrivée, il fallait le noter, avait été bien moins spectaculaire que celle de son homologue. Accompagnant les onze Aes Sedai qui avaient pu fuir les puits de Dumai, il était resté avec elles tout du long.

Dans un coin de la grange, la jolie Domani Vasha, son Aes Sedai, regardait distraitement le combat.

Gawyn para la Vipère qui Darde sa Langue avec un Chat qui Danse sur le Mur. Une défense et une riposte, puisqu’il visa dans la foulée les jambes du Champion.

Un coup qui n’était pas conçu pour faire mouche, cependant. En réalité, c’était une diversion, histoire de pouvoir garder un œil sur ses deux adversaires.

Marlesh tenta une Caresse du Léopard, mais Gawyn lui opposa un Plier l’Air qui dévia l’attaque et le mit en position pour faire face à celle de Sleete – l’escrimeur le plus dangereux des deux.

Sleete ne se précipita pas. Reculant jusqu’à s’adosser à un tas de ballots de paille, il se remit en garde.

Face au Colibri qui Embrasse la Rose de Miel, Gawyn répliqua par un Chat sur du Sable Chaud. Pour une attaque de ce type, le Colibri n’était pas la bonne figure. En fait, on y recourait rarement face à un défenseur, mais Marlesh semblait en avoir assez que les parades succèdent aux parades. Il perdait son calme, et Gawyn pouvait en tirer parti.

Ce qu’il ne manquerait pas de faire.

Sleete revint à la charge. Face à deux attaquants, Gawyn se mit en garde puis exécuta sans tarder une Fleur de Pommier dans la Brise. Sa lame zébra l’air trois fois, repoussant Marlesh, qui n’en crut pas ses yeux. Jurant de rage, il repartit en avant, mais Gawyn enchaîna aussitôt par un Secouer la Rosée de la Branche aussi brillant qu’inattendu.

Avançant, il décocha six coups secs et précis – trois pour chacun de ses adversaires. Déséquilibré parce qu’il n’avait pas pris le temps d’assurer ses appuis, Marlesh bascula en arrière et s’étala dans la poussière. Sa lame déviée deux fois, Sleete ne put jamais la lever de nouveau, parce que celle de Gawyn vint se plaquer sur son cou.

Les deux Champions regardèrent leur vainqueur avec des yeux ronds. C’était devenu un rituel, quand Gawyn les battait. Porteur d’une épée au héron, Sleete était une légende de l’escrime à la Tour Blanche. À l’époque où Lan Mandragoran s’entraînait encore avec ses pairs, racontait-on, Sleete avait réussi à remporter deux passes d’armes sur sept. Moins réputé que son compagnon, Marlesh, compétent et bien préparé, n’avait rien d’un adversaire facile.

Mais Gawyn avait encore gagné. Quand il s’entraînait, tout semblait si simple. Comme des baies pressées afin d’en tirer du jus, le monde se compactait pour devenir une entité facile à évaluer d’un seul coup d’œil.

De tout temps, Gawyn avait eu pour objectif de protéger Elayne et le royaume d’Andor. Et, peut-être, de ressembler un peu plus à Galad…

Pourquoi la vie n’était-elle pas aussi simple qu’une séance d’escrime ? Des adversaires nettement identifiés – et en face de soi, pas cachés dans les ombres… Et un trophée évident, la survie.

Quand des hommes ferraillaient, ils communiquaient. À force d’échanger des coups, on devenait des frères.

Gawyn éloigna sa lame du cou de Sleete et la rengaina. Puis il tendit une main à Marlesh et l’aida à se relever.

— Tu es hors du commun, Gawyn Trakand. Une créature de lumière, de couleur et d’ombre, dès que tu te déplaces. Face à toi, j’ai l’impression d’être un gosse armé d’un bâton.

Alors qu’il rengainait sa lame, Sleete ne desserra pas les dents, mais il salua son adversaire de la tête – le même signe de respect que les deux fois précédentes. Par nature, il n’était pas expansif, et Gawyn lui en savait gré.

Les trois hommes se dirigèrent vers le coin de la grange où les attendait un tonneau à demi rempli d’eau. Un des Jeunes Gardes, Corbet, y trempa une louche et la tendit à son chef.

Gawyn la fit passer à Sleete.

Le Champion miraculé hocha de nouveau la tête avant de boire. Prenant un gobelet sur le rebord poussiéreux d’une fenêtre, Marlesh se servit aussi et se désaltéra.

— Je te le dis, Trakand, fit-il ensuite, il faut que nous te trouvions une lame avec un héron dessus. Aucun adversaire ne devrait avoir à t’affronter sans savoir à quoi il s’expose.

— Je ne suis pas un maître de la lame, dit Gawyn en acceptant la louche que Sleete lui tendait.

Il but l’eau à température ambiante et se félicita qu’elle le soit. Glacée, elle vous flanquait parfois un choc…

— Tu as tué Hammar, pas vrai ? insista Marlesh.

Gawyn hésita. La limpidité du monde qu’il appréciait tant lorsqu’il combattait se dissipait déjà.

— Oui.

— Dans ce cas, tu es un maître de la lame ! Tu aurais dû prendre son épée, quand il l’a lâchée.

— Ce n’aurait pas été respectueux. Et je n’avais pas le temps d’emporter un souvenir.

Marlesh s’esclaffa alors que Gawyn n’avait pas eu l’intention de plaisanter. Du coin de l’œil, il regarda Sleete, qui l’observait sans cacher sa curiosité.

Un bruissement de jupe annonça l’approche de Vasha. Ses longs cheveux très noirs, la sœur verte avait des yeux d’émeraude qui faisaient parfois penser à ceux d’une tigresse.

— Tu as fini de t’amuser, Marlesh ? demanda-t-elle, son accent domani à peine perceptible.

Le Champion ricana.

— Tu devrais être heureuse de me voir m’amuser, Vasha. Si ma mémoire est bonne, mes petits jeux t’ont sauvé la mise une ou deux fois, sur le champ de bataille.

La sœur soupira et arqua un sourcil. Gawyn avait rarement vu une Aes Sedai et son Champion entretenir une relation si familière.

— Suis-moi, dit Vasha en pivotant sur elle-même. (Elle se dirigea vers la sortie de la grange.) Je veux voir ce qui a retenu Narenwin et les autres si longtemps à l’intérieur.

Marlesh haussa les épaules et lança son gobelet à Corbet.

— Quoi qu’ils aient décidé, j’espère que ça impliquera de filer d’ici. Je déteste croupir dans ce village avec des soldats qui nous tournent autour. Si la tension augmente encore, dans le camp, je finirai par filer et me joindre à une caravane de Zingari.

Gawyn approuva du chef. Des semaines s’étaient écoulées depuis qu’il avait osé envoyer ses hommes en maraude pour la dernière fois. Les patrouilles de Bryne approchaient de plus en plus du village, et ça incitait ses proies à s’y confiner.

Vasha était déjà sortie, ce qui n’empêcha pas Gawyn de l’entendre lancer :

— Tu parles comme un gamin, parfois.

Haussant de nouveau les épaules, Marlesh fit un petit signe à Gawyn et à Sleete avant de sortir à son tour.

Gawyn secoua la tête, plongea la louche dans l’eau et but.

— Ces deux-là me font parfois penser à un frère et sa sœur.

Sleete sourit.

Gawyn posa la louche, salua Corbet, et se prépara à partir. Ce soir, il voulait assister au dîner des Jeunes Gardes et s’assurer que tout le monde mangerait. Parmi les plus jeunes gars, certains avaient tendance à s’entraîner au lieu de se restaurer.

Alors qu’il allait s’éloigner, Sleete le retint par un bras. Très surpris, il se retourna et regarda l’escrimeur.

— Hattori n’a qu’un seul Champion, dit Sleete de sa voix douce.

— Même pour une sœur verte, ça n’a rien d’extraordinaire.

— Elle n’est pas opposée à l’idée d’en avoir plus… Il y a des années, quand elle m’a lié, elle n’a pas fait de mystère : elle voulait bien en prendre un autre, à condition que j’estime le candidat digne d’intérêt. En fait, elle m’a demandé d’en chercher un. Les détails de ce genre ne l’intéressent pas, tant elle a mieux à faire.

Pourquoi pas ? pensa Gawyn.

Mais pourquoi Sleete lui racontait-il tout ça ?

— Il a fallu dix ans, mais j’ai trouvé l’homme qu’il lui faut. Si tu es d’accord, elle te liera dans l’heure qui suit.

Gawyn en cilla de surprise. Sa cape-caméléon de nouveau sur les épaules, Sleete portait dessous du marron et du vert passe-partout. Selon certains, avec ses longs cheveux et ses favoris, il faisait trop négligé pour un Champion. Pour cet homme, « négligé » n’allait pas du tout. Brut de brut, peut-être, ou « naturel ». Comme de la pierre non taillée ou une branche de chêne noueuse mais solide.

— Sleete, je suis honoré, tu peux me croire. Mais je suis venu étudier à la tour à cause des traditions andoriennes, pas pour devenir un Champion. Ma place est auprès de ma sœur.

Et si je dois me lier à une Aes Sedai, ce sera Egwene.

— Tu es venu pour cette raison, mais elle n’a plus de sens. Tu as combattu lors de notre guerre, tuant des Champions et défendant la Tour Blanche. Désormais, tu es l’un d’entre nous. Ta place est à nos côtés.

Gawyn hésita.

— Tu es sans cesse à l’affût, continua Sleete. Comme un faucon, tu regardes à droite et à gauche, tentant de décider si tu dois te percher ou chasser. Au bout du compte, tu te fatigueras de voler. Joins-toi à nous. Hattori est une bonne Aes Sedai, tu verras. Plus sage et moins encline aux enfantillages et aux chamailleries que beaucoup de ses collègues.

— Je ne peux pas, Sleete. Andor…

— À la Tour Blanche, Hattori n’est pas une sœur influente. En fait, les autres se fichent de ses activités. Pour t’avoir, elle serait prête à se faire affecter en Andor. Tu pourrais tout avoir, Gawyn Trakand. Réfléchis à ma proposition.

Gawyn hésita de nouveau, puis il hocha la tête.

— C’est d’accord, j’y penserai.

— Que demander de plus, mon ami ? fit Sleete avant de lâcher le bras du jeune homme.

Gawyn s’éloigna, mais il se retourna pour regarder le Champion. Puis il fit un signe de tête à Corbet.

Laisse-nous et va monter la garde.

Un ordre codé facile à comprendre. Toujours heureux qu’on le charge d’une mission, le Jeune Garde alla se camper devant la porte de la grange. Si quelqu’un approchait, il le signalerait.

Intrigué, Sleete regarda le « gamin » prendre la pose, une main sur le pommeau de son épée. Retournant à côté du Champion, Gawyn baissa le ton afin que le Jeune Garde n’entende pas.

— Que penses-tu de ce qui se passe à la tour ?

Sleete plissa le front, recula et s’adossa à la cloison, non sans jeter un coup d’œil discret par une fenêtre, histoire de s’assurer que des oreilles indiscrètes ne traînaient pas dehors.

— C’est catastrophique, murmura-t-il. Des Champions contre des Champions, des Aes Sedai contre des Aes Sedai. Ça ne devrait pas arriver. Ni maintenant ni jamais.

— Certes, mais c’est arrivé.

Le Champion acquiesça.

— Et maintenant, nous voilà avec deux factions d’Aes Sedai, continua Gawyn. Et deux armées, l’une assiégeant l’autre.

— Fais profil bas, conseilla le Champion. À la tour, il y a des femmes au sang trop chaud, mais aussi des sœurs avisées. Elles finiront par faire ce qui s’impose.

— À savoir ?

— Mettre un terme à tout ça. En tuant, s’il n’y a pas d’autres solutions. Aucune querelle ne justifie une telle division. Aucune !

Gawyn hocha la tête en guise d’assentiment.

— Mon Aes Sedai n’aime pas ce qui se trame à la tour. Elle voudrait que ça cesse, parce que c’est une femme sage et expérimentée. Hélas, elle n’a aucune influence. C’est parfois comme ça, avec les sœurs. On dirait qu’elles jouent à qui a la plus grosse matraque.

Gawyn tendit l’oreille. La hiérarchie de la tour était un sujet presque tabou. On n’y portait pas un grade, comme dans l’armée, pourtant chaque femme savait d’instinct quelle sœur lui était inférieure et quelle autre la dominait. Comment était-ce possible ? Sleete semblait en savoir assez long, mais il abandonna le sujet. Pour l’instant, ça resterait un mystère.

— Hattori a saisi la première occasion de partir, continua Sleete. Elle a participé à la mission « al’Thor » sans en connaître les tenants et les aboutissants. Tout ce qu’elle voulait, c’était s’éloigner de la tour. Une femme très sage… (Il soupira, s’écarta de la cloison et posa une main sur l’épaule de Gawyn.) Hammar était un brave type.

— Pour sûr, confirma Gawyn, l’estomac noué.

— Mais il t’aurait tué sans sourciller. C’est lui qui a commencé, pas toi. Il comprenait ton choix, tu sais ? Ce jour-là, personne n’a pris une bonne décision, parce que c’était impossible.

— Je… Eh bien, merci.

Sleete retira sa main et se dirigea vers la sortie. Mais il se retourna :

— Certains disent qu’Hattori aurait dû revenir pour moi. Tes Jeunes Gardes pensent qu’elle m’a abandonné, aux puits de Dumai. C’est faux. Elle savait que j’étais vivant et que je souffrais. Mais elle était sûre que je ferais mon devoir, comme elle accomplirait le sien. Elle devait informer l’Ajah Vert de ce qui venait de se produire. Et lui révéler la véritable teneur des ordres de la Chaire d’Amyrlin au sujet d’al’Thor. Moi, il fallait que je survive. Chacun son devoir. Mais son message délivré, elle serait revenue me chercher, si elle n’avait pas senti que je la rejoignais par mes propres moyens. Pour me secourir, elle aurait pris tous les risques. Nous le savons tous les deux.

Sur ces mots, le Champion s’en alla.

Une fois seul, Gawyn réfléchit à l’ultime phrase de son interlocuteur, des plus ambiguës. Parler avec Sleete, ça n’était pas toujours facile. Escrimeur souple et délié, ce n’était pas un très bon orateur.

Haussant les épaules, Gawyn gagna la sortie et releva Corbet de sa garde.

Il était hors de question qu’il devienne le Champion d’Hattori. L’espace d’une seconde, la proposition l’avait tenté, mais parce qu’elle lui offrait une échappatoire à ses problèmes. À part Egwene, il ne serait heureux auprès d’aucune Aes Sedai.

À l’élue de son cœur, il avait tout promis, tant que ça ne risquait pas de nuire à Elayne ou à Andor. Lumière ! Il avait même juré de ne pas tuer al’Thor – en tout cas, avant d’être sûr que c’était bien lui l’assassin de sa mère. Pourquoi Egwene refusait-elle de voir que son ami d’enfance, perverti par le Pouvoir, était devenu un monstre ? Pour le bien de tous, al’Thor devait disparaître.

Gawyn serra et ouvrit plusieurs fois le poing. En route pour le centre du village, il regretta de ne pas pouvoir ressentir à tout moment le calme et la sérénité qui l’envahissaient lorsqu’il ferraillait.

Des relents de bouse de vache montant à ses narines, il mesura à quel point une ville digne de ce nom lui manquait. Minuscule et situé dans un coin perdu, Dorlan était une cachette idéale. Mais pour la Jeune Garde, Elaida aurait quand même pu choisir un endroit moins… odorant. Ses vêtements, aurait juré Gawyn, garderaient l’odeur du fumier jusqu’à la fin de ses jours – peut-être très proche, si les soldats adverses attaquaient et les massacraient, ses gars et lui.

Quand il fut en vue de la maison du bourgmestre, Gawyn remarqua à peine le bâtiment de deux niveaux au toit pointu. L’intéressant, c’était le terrain, derrière, où était cantonnée la plus grande partie des Jeunes Gardes. Naguère, des mûres y poussaient, mais un été étouffant puis un hiver glacial avaient mis à mort les buissons. Une des multiples catastrophes qui auguraient un hiver terrible, cette année.

Si ce terrain ne se révélait pas idéal pour camper – les hommes se plaignaient sans cesse des épines qui leur piquaient le postérieur –, il était raisonnablement isolé tout en restant proche du centre de Dorlan. Quelques épines dans les fesses, ça n’était pas si grave !

Pour gagner le camp, le jeune officier dut traverser la grand-place au sol en terre battue, puis le canal qui passait devant la maison du bourgmestre. En digne gentilhomme, il salua des femmes qui y faisaient leur lessive. Les Aes Sedai les avaient recrutées pour s’occuper de leur linge et de celui des officiers de la Jeune Garde. Les gages étant très chiches, Gawyn les complétait de sa poche, ce qui lui attirait les lazzis de Narenwin Sedai, mais le rendait populaire auprès des villageoises.

Les travailleurs, lui répétait souvent sa mère, étaient l’épine dorsale d’un royaume. Les briser revenait à ne plus pouvoir bouger. Si ces villageois n’étaient pas des sujets d’Elayne, ça ne justifiait pas qu’on les exploite outrageusement.

En passant devant la demeure du bourgmestre, Gawyn nota que tous les volets étaient clos. Dans la cour, Marlesh attendait tandis que sa minuscule Aes Sedai foudroyait la porte du regard, les poings plaqués sur les hanches. Apparemment, on lui avait refusé l’entrée. Pourquoi ?

Si Vasha n’était pas une Aes Sedai très importante, elle volait très au-dessus de la pauvre Hattori. Si on la repoussait, la réunion qui se tenait derrière les volets clos devait être vraiment importante.

Juste ce qu’il fallait pour éveiller la curiosité de Gawyn…

Ses hommes seraient passés sans s’arrêter. Rajar, par exemple, aurait dit que les affaires des Aes Sedai les regardaient, sans que des oreilles indiscrètes s’en mêlent et finissent par semer la confusion.

Entre autres raisons, c’était pour ça que Gawyn n’aurait pas fait un bon Champion. Aux sœurs, il n’accordait pas la moindre confiance. Sa mère n’était pas comme lui, et ça ne l’avait pas conduite bien loin. Quant à la façon dont la tour avait traité Elayne et Egwene… Bref, s’il soutenait les Aes Sedai, il s’en méfiait aussi comme de la peste.

Il contourna la demeure, en route pour une inspection très légitime de ses hommes. Au village, peu de sœurs avaient un Champion. Quelques-unes appartenaient à l’Ajah Rouge, et les autres… Eh bien, certaines étaient assez âgées pour avoir vu leur protecteur mourir de vieillesse et ne pas en choisir un nouveau. Deux malheureuses avaient perdu les leurs aux puits de Dumai. À l’instar de ses officiers, Gawyn faisait mine de ne pas remarquer leurs yeux rouges et de ne pas entendre les sanglots qui sourdaient de leurs chambres.

Comme de juste, les Aes Sedai proclamaient qu’elles n’avaient pas besoin de la Jeune Garde pour les protéger. À dire vrai, elles devaient avoir raison. Mais aux puits de Dumai, Gawyn avait vu tomber des sœurs. Elles n’étaient pas invincibles.

Le Jeune Garde en faction devant la porte côté « jardin », un certain Hal Moir, laissa bien sûr entrer son chef. Après une volée de marches, Gawyn déboula dans le couloir du second niveau. Là, il releva Berden, un jeune officier tearien à la peau noire qu’il chargea d’aller superviser la distribution du repas. Après un bref salut, l’homme s’en fut.

Devant la porte de Narenwin Sedai, Gawyn hésita un moment. S’il voulait savoir ce que se racontaient les Aes Sedai, le meilleur moyen était de coller l’oreille au trou de la serrure. Au second niveau, Berden était la seule sentinelle, et aucun Champion ne patrouillait pour éjecter les espions.

Mais épier ainsi ces femmes laisserait un goût amer dans la bouche de Gawyn. Il n’aurait pas dû y être obligé. Commandant de la Jeune Garde, il avait mis ses hommes au service des Aes Sedai. En conséquence, elles lui devaient des informations.

Du coup, au lieu d’écouter à la porte, il y toqua.

Sans obtenir de réponse. Mais le battant s’entrebâilla, dévoilant une partie du visage de Covarla. L’Aes Sedai rouge aux cheveux clairs dirigeait les sœurs avant d’être remplacée. Quoi qu’il en soit, elle restait une des femmes les plus importantes de Dorlan.

— Nous ne voulons pas être interrompues, dit-elle. Tes soldats ont ordre de tenir tout le monde à l’écart, y compris les autres sœurs.

— Ces règles ne s’appliquent pas à moi, lâcha hardiment Gawyn. Dans ce village, mes hommes sont en danger. Si vous refusez que je joue un rôle actif, j’ai au moins le droit d’écouter.

Covarla trahit un soupçon de début d’agacement.

— Ton impudence augmente chaque jour, mon fils. Un meilleur capitaine devrait peut-être te remplacer.

Gawyn serra les dents.

— Tu crois que tes hommes ne t’écarteraient pas, si une sœur le leur demandait ? En termes militaires, ils n’ont rien d’une élite, mais ils savent rester à leur place. Dommage que leur chef n’ait pas cette qualité. Retourne avec eux, Gawyn Trakand.

Sur ces mots, la harpie claqua la porte au nez de Gawyn. Un instant, il envisagea d’entrer de force, mais ç’aurait été une satisfaction éphémère – deux secondes, le temps qu’il aurait fallu aux sœurs pour le saucissonner avec le Pouvoir.

Quel coup dur pour le moral de ses gars ! Voir leur chef, le héros Gawyn Trakand, éjecté de la maison avec un bâillon d’air sur le museau.

Ravalant sa rage, il fit volte-face, reprit l’escalier, entra dans la cuisine, s’adossa contre un mur et contempla sombrement les quelques premières marches. Ayant relevé Berden, il devait monter la garde, ou envoyer une estafette chercher un autre homme. Avant, il entendait réfléchir un peu. Si la conférence s’éternisait, il aviserait.

Les Aes Sedai… Tout homme intelligent en restait aussi loin que possible. Sinon, il leur obéissait sans discuter. Gawyn avait du mal avec ces deux options. Un homme de son rang ne fuyait pas – en même temps, il n’obéissait à personne.

Au moment de la rébellion, il n’avait pas soutenu Elaida parce qu’il l’appréciait – quand elle conseillait sa mère, elle se montrait plus froide qu’un glaçon –, mais parce qu’il détestait la façon dont Siuan traitait Elayne et Egwene.

Elaida aurait-elle été plus équitable ? Et une autre Chaire d’Amyrlin ? En fait, Gawyn avait pris sa décision dans un moment d’exaltation. Contrairement à ce que croyaient ses hommes, ça n’avait rien à voir avec une froide réflexion.

À qui allait vraiment sa loyauté, du coup ?

Quelques minutes plus tard, des bruits de pas et des échos de voix, dans le couloir puis l’escalier, indiquèrent que les sœurs en avaient terminé. De rouge et de jaune vêtue, Covarla apparut.

— … ne peux pas croire que les renégates aient nommé leur propre Chaire d’Amyrlin, était-elle en train de dire.

Mince, le visage carré, Narenwin apparut aussi. Puis, surprise, ce fut au tour de Katerine Alruddin.

Gawyn se redressa, stupéfié. Katerine avait quitté le camp des semaines plus tôt, le jour où Narenwin y était arrivée. La sœur rouge aux cheveux noirs n’ayant pas appartenu au groupe originel envoyé à Dorlan, elle en avait profité pour retourner à la Tour Blanche.

Quand était-elle revenue ? Et comment ? S’ils l’avaient vue, les Jeunes Gardes en auraient parlé à leur chef. Et les sentinelles ne pouvaient guère ne pas l’avoir remarquée.

Alors que les trois sœurs passaient devant la cuisine, Katerine regarda le jeune homme, remarqua son trouble et eut un sourire espiègle.

— Oui, dit-elle en se tournant vers Covarla, c’est difficile à imaginer. Une Chaire d’Amyrlin sans trône ! Une bande de crétines ont donné un spectacle de marionnettes – un ramassis de poupées revêtues de leurs plus beaux atours ! En plus, elles ont choisi une Naturelle tout juste promue Acceptée. L’aveu de leur idiotie.

— Au moins, cette usurpatrice a été capturée, dit Narenwin.

Elle s’arrêta devant la porte de la cuisine et laissa avancer Covarla.

Katerine eut un rire de gorge.

— Capturée et forcée à couiner de douleur la moitié de la journée. Franchement, je ne voudrais pas être à la place de la fille al’Vere. Cela dit, elle a ce qu’elle mérite, après s’être laissé poser sur les épaules l’étole aux sept rayures.

Pardon ? pensa Gawyn, soufflé.

Les trois femmes étaient déjà loin dans le couloir, leurs voix presque inaudibles. Troublé, Gawyn s’en aperçut à peine. Que venait-il d’entendre ? Egwene ? Non, il avait dû mal comprendre !

Sauf qu’une Aes Sedai ne pouvait pas mentir. De plus, selon certaines rumeurs, les renégates avaient un Hall et une Chaire d’Amyrlin bien à elles. Et ce serait Egwene ? Ridicule ! Une simple Acceptée…

Mais quel meilleur choix pour un fiasco programmé ? Très certainement, aucune autre sœur n’avait voulu s’exposer en héritant du titre. Jeune et inexpérimentée, Egwene devait avoir fait une dirigeante de paille parfaite.

Se ressaisissant, Gawyn jaillit hors de la cuisine et se lança à la poursuite des sœurs.

Dehors, alors que le crépuscule tombait, il découvrit Vasha bouche bée face à Katerine. À l’évidence, il n’avait pas été seul à ignorer le retour de la sœur rouge.

Avisant l’Andorien Tando, un de ses hommes qui surveillaient la maison, Gawyn approcha et le prit par le bras.

— Tu as vu la sœur rouge entrer dans le bâtiment ?

— Non, seigneur. Un des gardes postés à l’intérieur était là quand elle a rejoint les autres sœurs – en sortant soudain du grenier, d’après lui. À part ça, aucune sentinelle ne sait comment elle est arrivée là-dedans.

Gawyn lâcha le bras de Tando, courut et rattrapa les sœurs au milieu de la grand-place.

Chacun arborant une moue agacée, trois visages sans âge se tournèrent vers lui.

Covarla semblait particulièrement furieuse. Mais à présent, il se fichait qu’elle lui retire son commandement ou qu’elle le fasse léviter la tête en bas. Les humiliations ne comptaient plus. Une seule chose importait.

— C’est vrai ? demanda-t-il. (Au dernier moment, il se souvint du protocole.) Katerine Sedai, s’il te plaît… Ce que j’ai entendu, c’est vrai ? Les renégates ont une Chaire d’Amyrlin ?

La sœur rouge regarda froidement le jeune fâcheux.

— Une nouvelle à faire circuler parmi tes soldats, oui… L’usurpatrice existe, et elle a été capturée.

— Son nom ? demanda Gawyn.

— Egwene al’Vere. Ne restons pas dans le flou des rumeurs, pour une fois. (Elle congédia Gawyn d’un geste et reprit son chemin, s’adressant à ses compagnes.) Faites bon usage de ce que je viens de vous enseigner… La Chaire d’Amyrlin veut que les raids s’intensifient. Grâce à ces tissages, vous bénéficierez d’une mobilité hors du commun. Mais ne soyez pas surprises si les renégates anticipent vos mouvements. Elles savent que nous tenons leur fausse Chaire d’Amyrlin, et se doutent que nous disposons des nouveaux tissages. Très bientôt, toutes les factions seront en mesure de Voyager. Tirez le maximum de l’avantage que vous avez encore.

Gawyn écoutait à peine. Voyager ? Une aptitude perdue depuis des lustres… C’était donc comme ça que Gareth Bryne approvisionnait son armée ?

Mais c’était secondaire. Siuan Sanche avait été calmée puis condamnée à mort alors qu’elle avait seulement été renversée. Quel sort attendait une usurpatrice, dirigeante d’une bande de renégates ?

Couiner de douleur la moitié de la journée ?

Egwene était torturée et elle serait calmée, si ce n’était pas déjà fait. Après, on la mettrait à mort.

Gawyn regarda les trois sœurs s’éloigner. Puis il fit volte-face, de nouveau très calme, et posa la main sur la poignée de son épée.

Egwene avait des ennuis.

Egwene allait être exécutée.

À qui va ta loyauté, Gawyn Trakand ?

D’une démarche étrangement assurée, le fils de Morgase traversa le village. Contre la Tour Blanche, les Jeunes Gardes ne seraient pas fiables. Impossible de compter sur eux pour monter une expédition de secours. Mais tout seul, que pourrait-il faire ? En conséquence, ça lui laissait une unique possibilité.

Dix minutes plus tard, sous sa tente, il acheva de remplir ses sacoches de selle. La plupart de ses affaires, il allait devoir les laisser.

Dans les avant-postes assez lointains, il s’était déjà autorisé des inspections surprises. Un prétexte idéal pour quitter le camp.

Il ne devait pas éveiller les soupçons. Covarla avait raison. Si ses Jeunes Gardes le respectaient et le suivaient, ils n’étaient pas vraiment ses hommes. Appartenant à la Tour Blanche, si Elaida le leur ordonnait, ils se retourneraient contre lui, comme lui avec Hammar. Si l’un d’eux devinait ce qu’il mijotait, il ne pourrait pas faire cent pas hors du camp.

Il ferma ses sacoches et les mit sur son épaule. Ce qu’il emportait devrait suffire…

Sortant de sa tente, il se dirigea vers la rangée de chevaux. D’un geste, il fit signe à Rajar de le rejoindre. Abandonnant les soldats à qui il donnait un cours d’escrime, l’officier accourut. Voyant les sacoches, il fronça les sourcils.

— Je pars inspecter le quatrième avant-poste.

— Si tard ?

— La dernière fois, j’y suis allé le matin…

Contre toute attente, le cœur de Gawyn ne battait pas la chamade. Un calme profond…

— Le coup d’avant, c’était l’après-midi… Mais le moment le plus dangereux, si on se relâche, c’est au crépuscule, quand les hommes ont l’estomac plein, mais qu’il fait encore assez clair pour une attaque.

Rajar acquiesça et marcha à côté de son chef.

— La Lumière sait que nous avons besoin de sentinelles vigilantes.

Des éclaireurs de Bryne avaient fouillé des villages, à moins d’une demi-journée de cheval de Dorlan.

— Je vais désigner une escorte…

— Surtout pas ! La dernière fois, les gars du quatrième avant-poste m’ont vu venir de très loin. En groupe, on soulève trop de poussière. Je veux savoir si ces hommes ont les yeux en face des trous, quand il y a un seul cavalier.

Rajar se rembrunit.

— Je ne risquerai rien, le rassura Gawyn. Rajar, tu le sais bien. Tu as peur que des ruffians m’enlèvent ?

L’officier se détendit.

— Toi ? Ils auraient aussi vite fait d’essayer avec Sleete. D’accord… Mais envoie-moi un messager, quand tu seras de retour. Sinon, je ne fermerai pas l’œil.

Désolé de t’imposer une nuit blanche, dans ce cas…

Rajar retourna auprès de ses élèves. Quelques minutes plus tard, pendant qu’un garçon du village – bombardé palefrenier – préparait Défi à être sellé, le jeune officier débarrassa le cheval de ses entraves.

— Tu as l’allure d’un homme qui a pris sa décision, dit une voix douce dans son dos.

Gawyn se retourna, la main volant vers son épée. Dans la pénombre, quelque chose bougeait. En plissant les yeux, il devina la silhouette d’un homme au nez crochu. Maudite cape-caméléon des Champions !

Avec Sleete, Gawyn tenta le même coup d’esbroufe qu’avec Rajar.

— Je suis content d’avoir quelque chose à faire, j’imagine…

Le palefrenier ayant terminé, il lui jeta une pièce de cuivre et lui fit signe de filer.

À l’ombre d’un grand pin, Sleete regarda le frère d’Elayne seller son destrier. Il savait, comprit Gawyn. Tous les autres n’y avaient vu que du feu, mais ce type-là était d’une autre trempe. Allait-il encore devoir tuer un Champion qu’il respectait ?

Que la Lumière te brûle, Elaida ! Toi aussi, Siuan Sanche, et ta fichue tour ! Cessez de manipuler les gens ! Cessez de m’utiliser !

— Quand dois-je dire à tes hommes que tu ne reviendras pas ? demanda Sleete.

Gawyn serra les sangles de la selle et attendit que son cheval ait expiré à fond pour leur redonner un petit coup.

— Tu ne comptes pas m’arrêter ?

Sleete ricana.

— Aujourd’hui, je t’ai affronté trois fois pour trois défaites – malgré un partenaire de valeur à mes côtés. Dans tes yeux, je vois que tu es prêt à tuer, s’il le faut. Contrairement à ce que certains pensent, je ne suis pas pressé de crever.

— Tu pourrais quand même essayer, dit Gawyn en mettant en place ses sacoches de selle.

Les trouvant trop lourdes, Défi renâcla. Un sacré caractère, ce cheval !

— Si tu le pensais nécessaire, tu serais disposé à mourir, Sleete. Et même si je te tue, des hommes viendront, et je ne réussirai pas à expliquer pourquoi j’ai abattu un Champion. Bref, si tu voulais m’arrêter, tu le pourrais.

— C’est exact.

— Alors, pourquoi me laisser partir ?

Gawyn fit le tour de son hongre et s’empara des rênes. Croisant le regard de Sleete, il crut y lire le reflet du demi-sourire qui flottait sur ses lèvres.

— Peut-être parce que j’aime voir un homme prendre les choses à cœur. Ou parce que j’espère que tu mettras un terme à tout ça. À moins que mes trois défaites m’aient ruiné le moral… Puisses-tu trouver ce que tu cherches, jeune Trakand.

Sleete se détourna, la cape volant dans son dos, puis s’éloigna dans la pénombre.

Gawyn se hissa en selle. Pour chercher de l’aide, il avait pensé à un seul endroit.

Talonnant Défi, il quitta Dorlan pour toujours.


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