Le test

À dix heures, le soleil claque déjà sur la place du Capitole ; il étale une large mare blanche qui noie l'étoile occitane. Les grands parasols du Café de la Place sont tous déployés et de nombreux consommateurs se prélassent dans leur ombre tiède.

Gwen et Souad viennent de s'asseoir légèrement à l'écart. C'est Florent, servant d'entremetteur, qui a organisé leur rencontre, la veille au soir, après être parvenu à convaincre la chargée de TD que Gwen pourrait devenir l'une de leurs fournisseuses...

Les deux jeunes femmes sont arrivées presque en même temps.

Gwen attaque la première en poussant trois feuilles de papier devant Souad qui y jette un coup d'œil rapide, puis éclate de rire.

– Un QCM ? Je ne m'imaginais pas que j'avais rendez-vous avec toi pour passer une interrogation écrite. C'est une blague ?

– Absolument pas, répond calmement Gwen. Ce n'est qu'un petit test qui me prouvera l'état de tes connaissances... Florent m'a rapporté votre conversation ; j'aimerais m'assurer que ce grand dadais ne s'est pas monté la tête, à ton propos.

– Tu n'as pas confiance en moi, on dirait ! ironise Souad.

– Pour l'instant, pas vraiment ! La confiance se mérite...

Souad parcourt d'un coup d'œil les feuilles couvertes de formules chimiques et de schémas, toutes accompagnées de questions comprenant des cases vierges à cocher. OUI ou NON... En moins de trente secondes, l'enquêtrice a évalué le degré de difficulté des épreuves.

– C'est un examen de passage, en quelque sorte. Combien de temps me donnes-tu ?

– Le temps qu'il te faudra ! Tu peux sauter les questions sur lesquelles tu sèches.

Souad sort un stylo d'une poche de son blouson et, prenant son air le plus nonchalant, commence avec la régularité d'un métronome à cocher les cases OUI et NON... C'est pour elle un jeu d'enfant. Elle évite néanmoins de trop le montrer. Aussi s'arrête-t-elle quelquefois pour faire mine de réfléchir en mordillant le bout de son stylo, avant de replonger dans le questionnaire, à l'instar d'une écolière appliquée.

Elle devine le regard de Gwen rivé sur elle. Elle doit s'interroger à son propos : peut-elle lui faire confiance ? Qui est cette beurette fraîchement débarquée sur le campus, qui vient leur ouvrir les portes du jardin d'Éden où poussent toutes les drogues de la Création ?

Tout en remplissant son formulaire, Souad sent une inquiétude monter en elle. Une pointe vinaigrée qui part de son estomac et lui grimpe jusque dans la gorge. Sa couverture n'a-t-elle pas été éventée ? Gwen aurait pu enquêter à son sujet...

Elle repense à l'homme qui l'a suivie l'autre jour et qui est monté dans le bus, alors que, quelques secondes auparavant, il donnait l'impression de devoir poursuivre son chemin. Un ami de Gwen ?

Cinq minutes lui suffisent pour faire le tour de tous les exercices ; sans même se relire, elle tend les documents à Gwen.

– Tu peux vérifier.

Gwen regarde en hâte toutes les cases.

Aucune erreur ! Pourquoi se doutait-elle qu'il en serait ainsi ?

– Parfait ! admet-elle avec un accent de regret. Parlons plutôt du reste...

– Comme tu veux !

Maintenant, l'enquêtrice doit avancer prudemment. Ne pas tomber toute rôtie dans les bras de la prof.

– Il faudrait que tu apportes un échantillon de ce dont tu as parlé à Florent, propose Gwen.

– Je ne lui ai pas dit grand-chose, précise Souad pour l'appâter.

– Suffisamment pour que cela éveille une certaine curiosité de ma part.

– Imaginons que tu me tendes un piège ! Tu aurais pu utiliser Florent comme sous-marin... Tu es peut-être chargée de faire le ménage parmi les étudiants qui se shootent sur le campus !

Gwen sourit en regardant Souad droit dans les yeux :

– Écoute, bébé... Tu penses ce que tu veux ; n'en parlons plus et quittons-nous bonnes amies. Tu te remettras à me vouvoyer en cours et nous ferons comme si cette conversation n'avait jamais eu lieu. Je te faisais juste une offre...

Gwen s'apprête à se lever ; Souad est satisfaite de sa manœuvre. Elle la retient par le bras en demandant :

– Quand tu parles d'offre, il s'agit bien d'euros ?

Gwen s'installe de nouveau confortablement sur sa chaise, pose un coude sur la table, cale son menton dans la paume de sa main et décoche un nouveau sourire en déclarant :

– Un gros paquet d'euros, en effet. Mais je ne signe la facture que lorsque j'ai vu à quoi ressemblait la marchandise. Florent m'a dit que tu t'étais confectionné un petit labo personnel. Dans ta cuisine ?

Souad secoue la tête de gauche à droite.

– Ne t'attends pas à ce que je te dise où je planque mon matériel. Je ne fais pas pousser que de l'herbe, je distille aussi !

– C'est ce qui m'intéresse... Quel genre ?

– Je bricole dans les acides lysergique et gamma-hydroxybutyrate.

– Le GHB ? s'étonne Gwen, se penchant un peu plus sur Souad. Tu en tires du cristal ?

– À la demande ! Cristal ou liquide. Ça dépend de l'emploi qu'on veut en faire, n'est-ce pas ?

– Ça dépend surtout du dosage, précise Gwen. On peut en extraire un merveilleux relaxant qui vous met dans un état d'ivresse et vous balance de jolis rêves psychédéliques, mais vous bousille l'hippocampe et vous ronge la mémoire, ou bien...

– Ou bien on l'utilise comme drogue du viol quand on le verse dans un verre d'alcool, par exemple ! Tu en manques, en ce moment ?

Gwen ne répond pas immédiatement. Pensive, elle hésite. Bien qu'elle commence à éprouver une réelle sympathie pour cette fille surdouée, elle ne peut chasser la légère ombre de soupçon qu'elle nourrit encore à son endroit.

– C'est possible, se résout-elle à dire.

Souad n'est pas dupe. Gwen doit effectivement en manquer... Et elle, la jeune beurette, représente une chance pour le groupe de pouvoir continuer à organiser de petites rencontres planantes.

Toutefois, il lui semble que paraître trop sûre d'elle pourrait éveiller quelque suspicion. Aussi Souad glisse-t-elle un petit mensonge pour décevoir son interlocutrice. C'est ainsi que l'on pêche : on laisse traîner la ligne, asticotant le brochet avec la cuiller dorée, l'amenant à quitter la vase, le forçant à se montrer dans l'eau claire où on le laisse mordre à l'hameçon. Et là, on ferre de toutes ses forces, d'un coup sec !

– J'ai du mal à m'approvisionner en acide lysergique, en ce moment..., dit Souad. Mon contact bosse dans un labo pharmaceutique privé et ne peut en sortir des doses qu'au compte-gouttes.

– Dans ce cas, fait Gwen en se levant brusquement, préviens-moi quand tu seras prête... Le plus vite possible.

Puis elle s'éloigne de sa démarche ondulante que rythment ses longues jambes et sur laquelle se retournent discrètement quelques hommes assis en terrasse.

Un sourire de contentement aux lèvres, Souad la regarde traverser la place. L'enquêtrice est satisfaite ; elle a réussi ses deux tests. L'écrit et l'oral ! La cuiller dorée dissimulant l'hameçon danse maintenant sous le nez de Gwen. Et Souad la fera jaillir des eaux troubles où Gwen se complaît, quand Martin l'aura décidé.

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