Je suis resté assis sur la première marche de l'escalier tout le temps qu'ont duré la conversation que maman a eue avec « Martin » et la dispute qui l'a opposée à Marie.
Le jeune homme que j'ai vu sur la photographie, dans la chambre de maman, est donc ce policier qui enquête sur la mort d'Estelle Sormand... Maman et lui étaient amants il y a dix-sept ans !
Quinze ans...
Pas à pas, je parviens à reconstituer leur histoire. Par bribes que je pioche quotidiennement çà et là, pareil à un témoin dont nul ne se soucie.
Qui pense réellement à moi dans cette maison ? C'est à se demander parfois si j'existe vraiment. Si je ne suis pas l'un de ces fantômes qui s'insinuent dans ma chambre, la nuit. Et qui me tendent les bras pour m'attirer à eux. Dans leur monde.
Mais ce monde qui cherche à me happer, n'est-il pas déjà un peu le mien ? N'ai-je pas franchi sa frontière ? J'éprouve le sentiment de m'en approcher d'un peu plus près chaque nuit.
Bien sûr, j'ai remarqué que maman fait des efforts pour partager davantage de temps avec moi ! De maigres instants qu'elle parvient à voler aux malades des Sorbiers. Ou à ses conversations avec Marie dans la serre...
Néanmoins, je la sens préoccupée. Son angoisse est aussi palpable que de la boue. Aussi poisseuse, gluante. Et l'entoure sans cesse comme une gangue invisible.
Mais qu'a voulu dire Marie quand elle a interdit à maman de « plonger » dans l'esprit de ce Cédric ?
J'ai appris que maman était parfois saisie de visions. Est-elle capable aussi de pénétrer dans l'esprit des autres ? L'aurait-elle fait avec le mien ?
Il me faut redoubler de prudence... Demeurer en permanence sur mes gardes, élever de hautes barrières de protection dans ma tête. Inviolables. Même pour ma mère !