Trois

Héradao. Alors que les vaisseaux de l’Alliance en provenance de Dilawa se matérialisaient au point d’émergence, la première pensée de Geary fut pour les trois seuls sauts qui séparaient encore la flotte de chez elle.

La seconde porta sur les difficultés qu’elle rencontrerait en traversant le système d’Héradao ; mais il aurait bien assez tôt la réponse à cette question. Assez sensibles pour détecter de petits objets à des heures-lumière de distance, les senseurs de la flotte scannaient déjà leur environnement et réactualisaient l’hologramme sous les yeux de Geary.

« Ils sont là », déclara calmement Desjani. Mais ses yeux brillaient déjà d’excitation à la perspective du combat. « Mais pas à proximité. »

Geary s’efforçait de contrôler et de ralentir sa respiration à mesure que les vaisseaux ennemis se multipliaient sur son hologramme, dans un vertigineux tourbillon de réactualisation des données. La principale flottille syndic, disposée selon la sempiternelle formation parallélépipédique, se trouvait à quatre heures-lumière et gravitait nonchalamment autour de l’étoile Héradao. Une deuxième, plus petite, orbitait un peu plus loin, à quelque cinq heures-lumière de la flotte. Relativement loin, donc, comme l’avait fait remarquer Desjani. Même si la plus importante formation syndic se dirigeait droit sur la flotte pour une interception, plus d’une journée s’écoulerait encore avant que les forces adverses n’entrent à portée d’engagement. « J’aurais cru les systèmes de défense plus fournis près de la frontière. »

Desjani eut un geste évasif. « Oui et non. Les vaisseaux affectés à ce système devraient être supérieurs, tant qualitativement que quantitativement, à ceux que nous avons rencontrés au cœur de l’espace syndic. La plus petite des deux flottilles doit se composer de ceux du dispositif de défense de ce système. Mais je ne m’étonne guère de l’inconsistance de nouvelles défenses fixes. Nous nous trouvons encore à deux sauts d’un système stellaire syndic frontalier. Ceux-ci jouissent de la priorité en matière de défenses. Je suis persuadée que l’ennemi aimerait les renforcer dans les systèmes un peu plus éloignés de la frontière, mais il doit faire face aux mêmes restrictions que nous en matière de ressources et de subsides. » Elle afficha un hologramme d’un vaste secteur de l’espace centré sur la frontière. « C’est particulièrement vrai quand on s’enfonce d’un saut à l’intérieur du territoire ennemi, parce qu’on multiplie alors considérablement le nombre des systèmes à défendre. Deux sauts et ce nombre s’accroît de manière exponentielle. La zone est tout bonnement trop étendue et les systèmes stellaires trop nombreux pour qu’on y disperse équitablement de puissants dispositifs défensifs.

— Nous avions présumé que Kalixa serait plus lourdement défendu puisque ce système est doté d’un portail et plus opulent qu’Héradao, admit Geary.

— Oui, et, quand nous atteindrons Padronis, nous n’y trouverons sans doute rien puisqu’il n’y a rigoureusement rien à défendre là-bas. Atalia risque de nous poser de plus gros problèmes. » Desjani émit un clappement agacé puis montra son hologramme d’un geste. « J’ai procédé à une simulation de la trajectoire jusqu’au point de saut pour Padronis. Les Syndics y gravitent en orbites qui leur permettront de nous intercepter si nous piquons vers ce point de saut. »

Concentrant son attention sur la principale force ennemie, Geary se rembrunit. Contre les vingt cuirassés et les seize croiseurs de combat de l’Alliance, la flottille syndic alignait vingt-trois cuirassés, vingt et un croiseurs de combat et assez de croiseurs lourds, de croiseurs légers et de destroyers pour lui procurer aussi un avantage de ce côté. L’autre, beaucoup plus légère, se composait d’une douzaine de croiseurs lourds et d’une vingtaine de croiseurs légers et de destroyers. L’engagement qui s’annonçait serait loin d’être facile et menaçait d’être encore plus désastreux que Lakota et Cavalos si jamais Geary se fourvoyait. « Qu’est-ce qui vous gène ? demanda-t-il à Desjani. Nous nous attendions à ce qu’ils nous bloquent la route du système stellaire suivant.

— Parce que, depuis leur position actuelle, ils ne pourraient pas nous interdire d’atteindre le point de saut pour Kalixa, répondit-elle. Si nos estimations sont un tant soit peu exactes, après les pertes que la flotte a infligées aux Syndics au cours des derniers mois, cette flottille devrait rassembler tous leurs principaux vaisseaux de guerre survivants. Alors pourquoi ne s’inquiètent-ils pas de nous voir gagner Kalixa ? Son dispositif défensif ne peut pas être à ce point redoutable ! »

Il comprit enfin, et se renfrogna autant que Desjani. « Kalixa est doté d’un portail. Ils envisagent peut-être de le faire sauter à notre arrivée. » Cette perspective ne manqua pas de lui arracher une grimace : il voyait déjà un autre système stellaire habité dévasté voire anéanti par l’effondrement d’un portail de l’hypernet. Compte tenu des tactiques employées par les dirigeants syndics dans le passé, ça n’avait rien d’inimaginable.

« Peut-être, admit-elle avec une réticence manifeste. Ils nous laissent la voie libre comme s’ils souhaitaient nous voir prendre cette direction. Ils pourraient nous suivre jusqu’à Kalixa dans l’intention de liquider tous ceux qui auraient survécu à l’effondrement de son portail. Mais les Syndics savent que nous avons survécu sans graves dommages à celui du portail de Lakota, et ils devraient se rendre compte que celui-là pourrait aussi épargner la flotte. S’il ne nous fait pas grand mal, cette flottille se retrouverait de nouveau lancée à nos trousses et incapable de nous rattraper, à moins que nous ne lambinions délibérément pour l’attendre. Pourquoi prendre ce risque ? »

Desjani ruminait encore le problème, et ses questions étaient désagréablement proches de celles qu’allait soulever Geary. « Qu’est-ce qui pourrait nous attendre d’autre à Kalixa ?

— Je n’en sais rien. Mais s’ils tiennent à ce que nous y allions…

—… alors il ne faut pas y aller. » Les Syndics auraient-ils passé un marché avec les extraterrestres ? Allaient-ils permettre à la flotte de l’Alliance d’emprunter le portail de Kalixa en connaissance de cause, sachant que leurs alliés la détourneraient de la destination choisie pour l’expédier dans quelque secteur reculé de l’espace syndic ? Elle serait alors incapable de se frayer de nouveau son chemin en combattant depuis un système profondément enfoui au cœur d’un territoire ennemi. « Quelle que soit l’explication, les questions que nous nous posons fournissent d’excellentes raisons de passer en force pour gagner Padronis plutôt que Kalixa.

— Je ne pourrais pas abonder davantage dans votre sens, renchérit Desjani. En outre, j’ai horreur de laisser des vaisseaux syndics en un seul morceau. Leur formation est assez inhabituelle pour une fois.

— J’avais remarqué. » Bien qu’elle dessinât grosso modo une boîte, la flottille se composait de cinq sous-formations distinctes occupant les quatre coins et le centre de ce cube. « Intéressant.

— Je me demande où ils ont bien pu apprendre ça, lâcha ironiquement Desjani.

— La question est de savoir s’ils comptent tenter de les manœuvrer indépendamment les unes des autres, ou bien s’ils se contenteront de procéder à tâtons en les laissant enchaînées à leur place respective de la boîte. » Si les Syndics tentaient effectivement de les désolidariser, leur manœuvre se solderait probablement par un fiasco, car elle exigeait une longue expérience et un entraînement durement acquis, dont Geary savait que les Syndics ne pouvaient pas les avoir déjà maîtrisés. Dans le cas contraire, ces cinq sous-formations étaient sans doute assez proches les unes des autres pour s’appuyer mutuellement, mais tout juste.

Geary cessa de faire le point sur les flottilles syndics pour évaluer la situation générale dans tout le système stellaire. « Ils ont posté des sentinelles », déclara-t-il en indiquant les points de saut pour Padronis et Kalixa, où les senseurs de la flotte avaient repéré des avisos ennemis. Plusieurs heures s’écouleraient encore avant que les ondes lumineuses portant les images de la flotte n’atteignissent un de ces bâtiments, mais, dès qu’elles leur parviendraient, quelques-uns sauteraient certainement pour rapporter la nouvelle à d’autres systèmes syndics. « Pas de corvettes “nickel” si près de la frontière, j’imagine ?

— Je n’en avais vu aucune d’opérationnelle avant Corvus », lui rappela Desjani.

À cette allusion à la première étoile qu’avait gagnée la flotte en se retirant du système mère syndic, l’esprit de Geary se reporta brusquement en arrière et son regard se focalisa sur le secteur de l’hologramme montrant la flotte de l’Alliance. Il avait vu avec horreur la flotte perdre graduellement sa cohésion à Corvus, à mesure que chacun de ses vaisseaux accélérait pour engager le combat avec ceux de la faible défense ennemie. Mais ces temps étaient révolus. La flotte de l’Alliance maintenait désormais la formation et se fiait aux instructions de Geary pour broyer une flottille ennemie. Il se demanda jusqu’à quel point certaines mesures apparemment insignifiantes, telles que la réintroduction du salut militaire, avaient contribué à forger cette discipline. Jamais on n’avait mis en doute la bravoure de ces spatiaux, mais, dorénavant, ils se battaient avec autant d’intelligence que de courage.

Le champ de bataille où s’engagerait cette fois le combat avec l’ennemi impliquait évidemment une vaste étendue de vide interplanétaire ; quant au reste, Héradao ne différait guère des autres systèmes stellaires habités : quatre planètes intérieures gravitaient autour de l’étoile, la plus proche en orbite rapide, à deux minutes-lumière seulement, comme si la petite planète s’efforçait de se soustraire à la chaleur et aux radiations qui la pilonnaient. Les trois autres orbitaient respectivement à quatre, sept et neuf minutes-lumière et demie de l’étoile. Compte tenu de la luminosité de cette dernière, celle qui s’en trouvait à sept jouissait de conditions supportables, sinon parfaites, pour le maintien de la vie humaine, et les hommes en avaient tiré profit, même si, à une telle distance de l’étoile, le bombardement de radiations était sans doute assez puissant pour engendrer des problèmes de santé supplémentaires. Villes et cités en émaillaient la surface et, si Héradao avait été évincé de l’hypernet syndic, cette troisième planète semblait assez agréable et opulente pour héberger et nourrir une population relativement importante. Assez curieusement pour un système stellaire oublié par l’hypernet, la quatrième planète, glacée, présentait une activité humaine plus développée que par le passé, si l’on en jugeait par les vieilles archives syndics récupérées à Sancerre. « Décelez-vous des signes de la présence du camp de prisonniers de guerre sur la troisième planète ? »

La vigie des opérations opina. « Oui, capitaine. Il s’y trouve encore, toujours occupé, et nous captons des communications indiquant qu’il continue d’héberger des prisonniers de l’Alliance.

— Nous devrons donc la visiter après avoir expédié ces deux flottilles syndics, semble-t-il. » Hormis quelques astéroïdes et les appareils syndics, un grand vide régnait dans la partie médiane du système d’Héradao. La planète suivante, une supergéante gazeuse, se trouvait à bien plus de trois heures-lumière de l’étoile. Avec tous ses satellites, elle évoquait un système stellaire à part entière et donnait l’impression d’être assez grosse pour avoir failli se transformer en naine brune. Elle avait manifestement aspiré tout ce qui gravitait aux confins du système stellaire. Geary se demanda si ses lunes les plus importantes, aux larges orbites, n’auraient pas été des planètes avant leur captation.

On distinguait une intense activité syndic autour de la géante gazeuse (laquelle se trouvait pour l’instant de l’autre côté d’Héradao par rapport à la flotte de l’Alliance), laissant entendre qu’on y exploitait des mines et des manufactures extraplanétaires. Mais détourner la flotte vers la géante gazeuse pour piller ses filons de minerais bruts et remplir les soutes des auxiliaires l’écarterait beaucoup trop de sa trajectoire vers le point de saut pour Padronis.

« Devons-nous absolument combattre ? s’enquit brusquement Rione. Ne pourrions-nous pas nous contenter de passer sous le nez des défenseurs syndics ? Vous m’avez dit que les vélocités supérieures à 0,2 c engendrent des distorsions relativistes si importantes que ni les systèmes de combat de l’Alliance ni ceux des Syndics ne peuvent assez les compenser pour cibler avec efficacité les vaisseaux ennemis. Si la flotte fonçait vers le point de saut pour Padronis à une vitesse assez élevée, les Syndics seraient dans l’incapacité de nous infliger des dommages.

— Ni nous à eux », marmotta Desjani, trop bas pour que Rione pût entendre.

Geary y réfléchit puis secoua la tête : « Ce serait trop facile. » Avant qu’une Rione incrédule pût répondre, il pointa l’hologramme. « Les Syndics savent que nous tenons désespérément à atteindre ce point de saut. Ils savent aussi que nous pourrions tenter de les contourner et ils ont eu le temps de s’y préparer.

— Qu’auraient-ils bien pu faire ? demanda Rione avant de se rembrunir. Poser des mines ?

— Ouais. Des mines. Regardez cette flottille, postée entre leur groupe principal et le point de saut pour Padronis. Elle est en position idéale pour déterminer notre trajectoire d’esquive de la flottille principale et placer des mines tout au long. Si nous filions assez vite pour interdire aux systèmes de visée ennemis de nous cibler, nos propres systèmes seraient aussi dans l’incapacité de repérer ces mines, ni d’autres déjà semées le long des trajectoires probables entre notre point d’émergence et le point de saut pour Padronis. Ils pourraient en disposer un champ aussi dense que possible devant nous. »

Au tour de Desjani de froncer les sourcils. « Il ne devrait pas leur en rester, mais ils pourraient avoir transbordé leurs dernières réserves sur les vaisseaux de cette flottille.

— Il n’y a pas moyen de dire lesquels de nos vaisseaux seraient touchés si nous heurtions un champ de mines, ajouta Geary. Et plus notre vélocité serait élevée lors des impacts de ces mines, plus leur puissance de destruction augmenterait. »

Rione fixa un instant un point derrière lui, le front creusé d’exaspération. Geary n’avait nullement besoin de lui dire ouvertement que l’Indomptable risquait d’être victime d’un tel impact, et l’Indomptable devait impérativement rentrer. « Quel est votre plan, en ce cas ?

— Je n’en sais rien encore.

— Vous saviez que nous risquions de tomber ici sur des Syndics. Vous avez dû prévoir quelque chose. »

Geary sentit poindre une migraine familière, tandis que Desjani levait les yeux au ciel à l’insu de Rione. « Madame la coprésidente, je savais effectivement que nous trouverions des Syndics à Héradao, mais j’ignorais leur force et leur position. Je savais donc que je ne pourrais échafauder un plan qu’après avoir évalué la situation, sauf à tomber sur eux au point d’émergence et à devoir les combattre dans l’immédiat.

— Quel délai vous faudra-t-il ?

— Vous a-t-on déjà dit, madame la coprésidente, que vous pouviez parfois vous montrer d’une folle exigence ? »

Rione lui décocha un sourire à la feinte suavité. « Merci du compliment. Nous ne parlions pas de moi mais de votre plan.

— Je vous tiendrai au courant. Nous avons le temps d’y réfléchir et je ne tiens pas à le gaspiller. » Geary se leva et fit un signe de tête à Desjani. « Nous allons garder le cap sur le point de saut pour Padronis. Si jamais une idée vous vient ou si les Syndics réagissent à notre présence, faites-moi signe.

— À vos ordres, capitaine. »

Geary lui jeta un regard soupçonneux, mais, pour une fois, ces quatre mots semblaient n’avoir que ce seul sens.

Il parcourut les coursives de l’Indomptable, retournant presque distraitement, tant il était plongé dans ses pensées, leurs saluts et leurs vœux à ses spatiaux. Le problème fondamental, c’était que les Syndics avaient appris et s’étaient adaptés à ses tactiques. Il ne pouvait donc plus espérer les voir stupidement charger bille en tête, droit sur le cœur de la formation de l’Alliance, permettant ainsi à cette dernière de concentrer toute sa puissance de feu sur les cibles qu’il lui désignerait.

Il existait sans doute des moyens de contourner cela, d’embrouiller et de manœuvrer l’ennemi, mais tous auraient exigé de gaspiller davantage de cellules d’énergie. Une flotte n’est pas censée se retrouver dans une situation où ses réserves sont si basses. Mais il était bien obligé de tenir compte de cette réalité, comme de tant d’autres facteurs imprévisibles.

Ses pas le portèrent d’une coursive à l’autre et lui firent parcourir plus d’une fois le vaisseau dans toute sa largeur, traverser des zones d’activité et dépasser des batteries de lances de l’enfer, sans pourtant lui apporter l’inspiration. Pas plus que Desjani ne l’appela pour lui faire part d’une idée efficace. Il se persuada qu’elle lui faisait encore trop confiance, convaincue qu’avec l’aide des vivantes étoiles le grand Black Jack Geary sortirait derechef un lapin de son chapeau quand le besoin s’en ferait désespérément sentir.

Il finit par s’arrêter, s’orienter et prendre la direction du seul compartiment où il pourrait profiter d’une sagesse que nul autre ne saurait lui dispenser dans la flotte.

Tout en bas, enfouies aussi profondément au cœur de l’Indomptable qu’un compartiment pouvait l’être et non moins bien protégées que le reste du vaisseau, se trouvaient les petites chambres où l’on pouvait puiser réconfort et inspiration. Geary se demandait encore pourquoi il s’y rendait à présent. Voir le commandant de la flotte faire preuve d’une piété bienvenue ne pouvait sans doute pas nuire à l’équipage, au contraire, mais Geary avait toujours trouvé embarrassant tout ce qui ressemblait à un témoignage public d’adoration. En outre, si la flotte en concluait qu’il aspirait davantage, et désespérément, à un conseil éclairé qu’il n’était poussé par la piété, cette initiative risquait de se retourner contre lui. D’autant que c’était partiellement vrai.

Il ferma la porte et s’assit sur le traditionnel banc de bois d’un des minuscules habitacles, le regard rivé sur la flamme vacillante de la chandelle qu’il avait allumée pour aider les esprits de ses ancêtres à se réchauffer. « Autant que je sache, finit-il par déclarer à haute voix, aucun de vous n’a jamais été un chef militaire légendaire. J’ignore encore pourquoi je me suis retrouvé affublé de ce titre. Tout ici se ligue contre nous : nos réserves de cellules d’énergie sont si basses que je ne peux me permettre aucune manœuvre fantaisiste pour duper les Syndics, et l’ennemi a visiblement étudié mes tactiques de combat et s’efforce de les contrecarrer. Je crains fort que l’issue la plus propice pour la flotte ne soit une victoire à la Pyrrhus. La moins favorable… »

Il haussa les épaules. « Il me faut une idée nouvelle. Inattendue. La seule qui me vienne à l’esprit et que nous autoriserait la situation logistique, ce serait de prendre l’ennemi par surprise avec une de ces attaques auxquelles cette flotte s’était habituée, en fonçant droit dans la gueule du loup. Mais, même si ça fonctionnait, le coût en serait énorme. Mes croiseurs de combat ne tiendraient pas le choc, compte tenu des dommages qui leur ont déjà été infligés, et je ne dispose plus d’assez de cuirassés pour leur servir de boucliers. »

Il patienta un instant en regardant la bougie diminuer. « Dommage que je ne puisse me contenter de jeter mes cuirassés à la tête des Syndics, mais eux aussi ont besoin de soutien contre une telle puissance de feu ennemie. Il faudrait que les croiseurs de combat se trouvent à leurs côtés, même si charger dans un tel nid de frelons serait stupide de leur part. Mais j’ai déjà constaté que les commandants de mes croiseurs de combat continuaient de le faire en dépit de mes ordres, parce qu’ils restent persuadés que l’honneur l’exige. J’ai besoin que mes croiseurs de combat évitent de charger directement l’ennemi. Je dois frapper les Syndics avec mes cuirassés et les contraindre à s’interroger sur mes intentions. Mais le moyen de faire tout cela, surtout en évitant de rendre la bataille si complexe que je me retrouverais incapable de la contrôler ? J’ai perdu les pédales à Cavalos, je me suis laissé submerger par la complexité des combats, et je suis resté trop longtemps indécis. Si cela se reproduit ici, les conséquences pourraient être encore pires. Il me faut trouver une autre approche. »

Une approche différente. Sur quoi l’appuyer ? Quels étaient ses avantages ? Ni la supériorité numérique, ni la puissance de feu, ni les munitions, ni le carburant. Aucune base alliée à proximité. Vaisseau pour vaisseau, les bâtiments syndics étaient grossièrement comparables à leurs homologues de l’Alliance, encore que leurs avisos fussent substantiellement plus petits et moins efficaces que les destroyers de la flotte. Mais, en revanche, ils tendaient à disposer de davantage d’avisos, puisqu’ils étaient moins chers et d’une taille plus réduite. Les vaisseaux de l’Alliance étaient certes dotés d’une plus grande capacité individuelle à contrôler et réparer leurs avaries, mais effectuer des réparations sur un vaisseau gravement endommagé avant que les Syndics ne le frappent à nouveau n’en exigeait pas moins un certain temps.

Mettre le doigt sur un possible avantage de la flotte lui prit une bonne minute. Mes spatiaux sont d’excellente qualité, plus chevronnés que la norme ne l’a imposé au cours des dernières décennies, où ils trouvaient souvent la mort au combat avant d’avoir pu acquérir de grandes compétences. Mais j’ai réussi à garder les miens en vie.

La plupart, en tout cas.

Et ils se battront comme de beaux diables, jusqu’à la mort. Certains de mes subordonnés sont également de bons meneurs d’hommes. Tous les commandants de vaisseau m’écouteront dorénavant. Je peux compter sur eux pour exécuter mes ordres. Dans certaines limites. Il marqua une pause pour tenter de trouver une autre idée puis se rappela la destruction du portail de l’hypernet de Lakota par la flottille de surveillance syndic, alors que la flotte s’en trouvait à plusieurs heures-lumière. Et les Syndics te craignent, reconnais-le. C’est encore un autre avantage. Ils s’attendent de ta part à une réaction imprévisible, à des exploits que nul autre ne pourrait réaliser.

Comment exploiter cet avantage ? Quelles tactiques inattendues pourraient-elles encore me permettre de vaincre, compte tenu des ressources limitées avec lesquelles je dois composer ? Dommage que je ne puisse imaginer une façon intelligente de combattre à l’ancienne mode, quand la flotte, avant que je n’en assume le commandement, chargeait encore l’ennemi comme un taureau. Maintenant qu’ils m’ont vu opérer de Caliban à Cavalos, les Syndics ne s’attendront jamais à…

Puis-je réellement le faire ?

Il regarda danser la flamme de la chandelle, tandis que les idées virevoltaient dans sa tête. Il y a peut-être un moyen. Sans doute cette méthode ne sera-t-elle pas entièrement gratuite en termes de dépense des cellules d’énergie, mais elle sera de loin moins coûteuse que toute alternative, du moins si les vaisseaux et les systèmes de manœuvre peuvent la finaliser, et si je parviens à mettre au point les instructions requises avant que nous n’atteignions les Syndics.

Et si Desjani ne me tue pas en comprenant ce que mon plan pourrait signifier pour l’Indomptable.

Merci, ô mes ancêtres. Je vous ai entendus. Geary se leva, se pencha sur la bougie pour la souffler et regagna précipitamment sa cabine. Il lui restait à procéder à de nombreuses simulations.


La besogne lui prit un bon moment. Il lui fallait sans cesse tenter différentes approches, et les manœuvres étaient beaucoup trop complexes pour qu’un homme pût les concevoir sans l’assistance des systèmes de combat. Quand il passa en revue les instructions requises, l’étourdissant tourbillon de vecteurs et de vélocités ne composa aucun tableau cohérent. Mais, lorsqu’il les passa dans le simulateur, le résultat lui parut probant, même si son expérience professionnelle et son entraînement se rebellaient à la perspective de tous ces vaisseaux louvoyant à haute vélocité juste avant le contact avec l’ennemi. Toutefois, toutes les manœuvres étaient à la portée de ses bâtiments, même des unités endommagées et des poussifs auxiliaires de la flotte, pour qui il avait réduit au minimum les modifications de cap et de vélocité exigées.

Il n’avait aucune peine à imaginer comment réagiraient ses anciens instructeurs à son plan. Le concept était beaucoup trop simpliste et son exécution trop compliquée. Toutes ses protestations, selon lesquelles c’était le meilleur choix qui s’offrait à lui, lui auraient valu de sévères sermons : il faut éviter de se mettre dans une situation où l’option la plus favorable prend un tel aspect. Conseil sans doute parfaitement valable en théorie, ou en temps de paix, mais le monde réel, un siècle de guerre et une longue retraite depuis le système mère syndic se liguaient pour lui imposer cette dure réalité pratique.

Il consulta l’heure et vérifia la position des Syndics, reconnaissant pour une fois aux longs délais exigés pour le franchissement des espaces interplanétaires. Desjani avait appelé pour lui annoncer que, dès que les Syndics avaient repéré la flotte de l’Alliance, quatre heures après son émergence au point de saut, leur flottille principale avait adopté un nouveau vecteur qui intercepterait ses vaisseaux s’ils poursuivaient leur route vers celui de Padronis. Une heure-lumière derrière elle, la plus petite des deux avait finalement effectué une manœuvre similaire. Toutes deux se maintenaient à la même vélocité de 0,08 c que les bâtiments de l’Alliance et, pendant que Geary réfléchissait et procédait à ses simulations, les trois forces avaient continué de se rapprocher. À cette allure combinée de 1,6 c, elles n’entreraient en contact que dans vingt heures environ.

Le mauvais côté de la décision des Syndics (ramener leur vélocité à 0,08 c), c’était qu’ils tentaient manifestement d’accroître leurs chances de faire mouche quand les flottes se rencontreraient. Ils étaient résolus à prendre leur temps, de façon à infliger à l’Alliance le plus de dommages possible.

Geary s’assit, afficha les instructions de manœuvres et les vérifia anxieusement avant d’appeler la passerelle de l’Indomptable. « Veuillez prévenir le capitaine Desjani que sa présence est requise dans ma cabine, s’il vous plaît. »

Il patienta en observant l’ennemi et en se demandant comment il manœuvrerait, d’abord pour opérer le contact puis au plus fort du combat, jusqu’à ce que le carillon de son écoutille retentisse et qu’il laisse entrer Desjani.

Le regard de celle-ci se posa immédiatement sur l’hologramme qui flottait au-dessus de la table. « Quel est le plan ? » demanda-t-elle. À en juger par son expression, elle avait refréné sa curiosité aussi longtemps qu’elle le pouvait.

« C’est… compliqué. » Rien n’était plus vrai. Surtout quand Desjani prit conscience de la position qu’occuperait l’Indomptable au moment du choc des deux flottes.

— Je peux le vérifier pour vous.

— Je vous en saurais gré. » Il fit la grimace, d’avance mécontent de sa réaction probable. « J’essaie quelque chose de nouveau. » Il retomba dans le silence et fixa l’hologramme.

« Très bien, capitaine, déclara-t-elle finalement. Ce n’est pas un problème. Mais, si vous voulez connaître mon opinion, il faudrait au moins que je puisse voir le plan de manœuvre. »

Comme on le lui avait déjà dit, quand Desjani se verrouillait sur une cible, elle ne lâchait pas le morceau. En outre, il tenait à connaître son avis. Autant en finir tout de suite. « D’accord. Je veux seulement vous prévenir : il s’agit d’une approche entièrement nouvelle. »

Desjani était visiblement intriguée. Geary baissa les yeux, poussa un soupir puis pressa sur les touches pour afficher les manœuvres prévues à l’occasion du premier contact avec l’ennemi. Les yeux écarquillés d’incrédulité, Desjani vit la formation de l’Alliance se dissoudre en un essaim d’apparence chaotique à quelques instants du contact. Ses vaisseaux reprenant la formation au dernier moment, elle observa intensément puis son visage se figea. « Vous êtes… » Elle donna un instant l’impression d’avoir cessé de respirer, avant de poursuivre d’une voix si blanche qu’elle semblait presque privée de vie. « Je me vois contrainte de vous demander respectueusement, capitaine, si nous avons perdu votre confiance, mon vaisseau ou moi.

— Non. Absolument pas.

— Ce plan, capitaine…

—… permettra aux cuirassés de faire ce qu’ils font le mieux. »

Desjani vira à l’écarlate. « Les croiseurs de combat ne se cachent pas derrière d’autres bâtiments. Nous menons le bal !

— Pas cette fois. » Il vit se crisper férocement les poings de Desjani. « Capitaine Desjani, je dois absolument frapper les Syndics d’une manière à laquelle ils ne s’attendent pas, sans pour autant conduire ma propre flotte à sa perte. Je n’alloue nullement un rôle secondaire aux croiseurs de combat dans cet engagement. Procédez à la simulation du deuxième jeu d’instructions. »

Elle obtempéra sans le regarder puis prit une profonde inspiration. « C’est effectivement un plan inhabituel, comme vous l’avez dit.

— C’est l’idée générale.

— Je comprends pourquoi vous ne souhaitez pas le communiquer prématurément aux autres commandants de vaisseau. Ils seront extrêmement contrariés. Tout comme moi. Mais je me plierai aux ordres, capitaine Geary. » Desjani semblait quelque peu radoucie, mais elle n’en restait pas moins morose et évitait de croiser son regard.

« Merci, capitaine Desjani. Je ne voudrais pas me trouver à bord d’un autre vaisseau que l’Indomptable, quelles que soient les circonstances. » Elle ne réagit pas, et Geary se demanda s’il devait pousser le bouchon plus loin ; mais il avait exprimé le fond de sa pensée. « Trouvez-vous mon plan solide ? »

Il se rendit compte qu’elle s’efforçait de mettre ses réactions et émotions entre parenthèses pour ne plus voir dans le plan qu’une abstraction. « Si nos vaisseaux sont effectivement capables d’exécuter ces manœuvres dans les délais requis compte tenu des distances impliquées, il surprendra effectivement les Syndics… au moins autant que les nôtres.

— Les systèmes de manœuvre affirment qu’ils en sont capables.

— En théorie. » Elle lui jeta un regard dur. « Il faudra que les pilotes automatiques se chargent de tout. Aucun navigateur humain de cette flotte ne pourrait s’y employer sans de désastreuses conséquences.

— Je comprends.

— S’il vous plaît, capitaine, permettez à l’Indomptable de rester en première ligne.

— Il s’y retrouvera quand nous éclaterons la formation. Il s’agit là d’une passe d’armes boiteuse, Tanya. Combien de combats avons-nous livrés ensemble sur ce vaisseau ? Combien de fois l’Indomptable a-t-il mené le bal et occupé le centre de la formation alors que les Syndics nous arrivaient droit dessus ? »

Desjani fixait le pont, la tête toujours baissée. « Je n’aurais pas dû m’attendre à ce que vous compreniez, j’imagine.

— Bon sang, Tanya, dans un monde idéal, je recourberais les cieux pour vous faire plaisir, mais j’ai des responsabilités envers cette flotte et l’Alliance. Ce serait foutrement plus facile pour moi si j’étais à bord d’un autre vaisseau et que je m’adressais à un autre commandant, mais je ne peux pas permettre à mes sentiments personnels de me dicter ma conduite. » Desjani se raidit et il grinça des dents. Cette dernière affirmation pouvait sans doute évoquer amitié et respect professionnel, mais aussi être comprise, malencontreusement, comme une allusion à ce que ni l’un ni l’autre ne voulaient admettre, tout comme ils refusaient d’en parler et d’en tirer des conséquences pratiques. Geary préféra recentrer son argumentation sur des considérations moins personnelles : « L’Indomptable doit impérativement regagner l’espace de l’Alliance, parce que la clé de l’hypernet syndic se trouve à son bord et qu’on ne pourra la dupliquer qu’à notre retour. Je ne peux pas le placer dans une position qui le condamnerait virtuellement à sa perte. Et je n’ai pas non plus à le faire, car nul ne saurait prétendre que ce vaisseau et son commandant ne se sont pas comportés honorablement et trouvés en première ligne lors de tous les autres combats. »

Desjani garda un instant le silence puis lui jeta un regard en biais. « Vous recourberiez les cieux ?

— Si j’en étais capable, déclara Geary en hochant la tête, sidéré.

— Je vous le rappellerai peut-être. » Elle se redressa et salua. « L’Indomptable fera son devoir, et son commandant aussi. C’est un bon plan, capitaine. Il devrait surprendre l’ennemi et, plus capital encore, il devrait lui nuire.

— Merci. » Il lui retourna son salut et poussa un soupir de soulagement en la regardant sortir. Non sans ressentir, malgré tout, une certaine appréhension quant à la signification exacte de ce « Je vous le rappellerai peut-être ».


« Je présume que vous avez un plan maintenant ? » demanda Rione.

De nouveau installé dans son fauteuil de commandement sur la passerelle de l’Indomptable, Geary se retourna pour acquiescer d’un signe de tête. « C’est une surprise.

— Fantastique. Mais autant pour nos propres vaisseaux que pour ceux de l’ennemi, à ce qu’il semble.

— Jusqu’à un certain point.

— Dans la mesure où nous ne sommes plus qu’à une heure du contact, nous devrions connaître vos intentions avant longtemps, j’imagine. » Desjani affichait un visage impassible, mais qui ne suffit pas, apparemment, à bluffer Rione. « Ceux d’entre nous, en tout cas, qui ne sont pas encore dans la confidence », précisa-t-elle, avant de se rejeter en arrière avec une nonchalance affectée.

Desjani attendit quelques minutes puis se pencha vers Geary pour parler dans sa bulle d’intimité. « Je dois vous présenter des excuses.

— Certainement pas. Je m’attendais de votre part à une réaction bien plus outrée.

— Ce n’est pas ce que je veux dire. » Elle coula un regard vers Rione. « J’avais cru que vous mainteniez l’Indomptable à l’arrière sur sa demande, afin de préserver la clé de l’hypernet syndic. J’aurais dû me rendre compte que vous ne le feriez pas. Je regrette d’y avoir seulement songé.

— Ce n’est pas grave. Maintenant, Tanya, tâchez d’avoir l’esprit au jeu. La partie va être rude. J’ai besoin de vous au mieux de votre forme.

— Vous y avez toujours droit, capitaine. » Desjani sourit et s’adossa à son fauteuil de commandant.

Une demi-heure avant le contact. Douze heures plus tôt, Geary avait sciemment redisposé la flotte en une formation reflétant celle des Syndics, avec quatre sous-formations d’angle et une centrale. Il allait bientôt devoir manœuvrer, mais pas trop prématurément. L’ennemi avait maintenu sa trajectoire et sa vélocité et, bien qu’il s’attendît certainement, de la part de Geary, à des changements de dernière minute de ses vecteurs, il continuait de fondre sur la flotte de l’Alliance, droit sur sa sous-formation centrale.

« Comptez-vous vous adresser à la flotte ? demanda Desjani sur un ton laissant entendre qu’il lui faudrait en passer par là, qu’il en fût ou non conscient.

— Excellente idée. » Geary s’accorda une brève pause pour mettre de l’ordre dans ses pensées puis activa le circuit général de la flotte. « À tous les vaisseaux de la flotte. Cette flottille syndic s’interpose entre nous et l’espace de l’Alliance. Nous compensons par l’expérience et le courage nos lacunes en ressources. » Ce disant, il ne marchait nullement sur les brisées du capitaine Falco et de ses pareils, qui croyaient l’« esprit guerrier » capable de multiplier par enchantement les aptitudes d’une force combattante. Mais il avait son importance, il pouvait faire la différence, tant qu’on ne lui attribuait pas le pouvoir d’une protection magique contre le feu ennemi. D’un autre côté, l’expérience pouvait aussi peser très lourd dans la balance. « Ces Syndics ne nous arrêteront pas ici, car nous allons inscrire aujourd’hui une nouvelle victoire dans les annales de la flotte de l’Alliance. »

Il coupa la transmission, un tantinet gêné d’avoir employé des termes aussi pompeux, puis constata que Desjani le regardait d’un air approbateur. « Vous faites toujours de très beaux discours avant la bataille, capitaine. Brefs, directs et puissants. »

Vraiment ? « Merci, capitaine Desjani. J’en pensais chaque mot », ajouta-t-il, non sans se demander si ces dernières paroles ne donnaient pas l’impression d’une justification a posteriori.

Mais Desjani parut estomaquée. « Bien évidemment. Et nous le savons tous. Vous en avez donné la preuve. Quoi qu’il en soit, nous avons tous eu plus que notre lot de longs discours. En les écoutant, il m’a toujours semblé que, s’ils croyaient sincèrement à ce qu’ils disaient, ceux qui les prononçaient auraient pu l’exprimer en beaucoup moins de mots.

— Vous marquez un point, là.

— En effet », intervint sèchement Rione, de manière assez inattendue.

Desjani fronça les sourcils sans se retourner puis, d’un geste, intima le silence à tout le monde sur la passerelle et jeta un regard à Geary.

Concentrant toute son attention sur les mouvements respectifs des forces adverses qui se rapprochaient de plus en plus, c’est à peine si ce dernier le remarqua. Les systèmes de manœuvre entamèrent le compte à rebours, mais Geary se fiait à sa propre expérience pour initier la manœuvre, à ce que lui diraient ses tripes quand se présenterait le moment idéal, en tenant compte du délai requis pour transmettre l’ordre d’entreprendre la série d’instructions qu’il avait d’ores et déjà envoyée à tous les vaisseaux.

Toujours aucun changement côté syndic. La même tactique qu’à Cavalos. Que leur commandant en chef sût ou pas qu’elle avait posé là-bas des problèmes à Geary, il la répétait ici en se réservant de modifier au tout dernier moment la trajectoire de sa flottille pour le priver du plan qu’il avait échafaudé.

Plus qu’une minute avant l’instant d’initier la manœuvre. Il fixa le compte à rebours en fronçant les sourcils, taraudé par l’intuition qu’il était un tantinet trop serré. Il fallait absolument qu’il décidât correctement du minutage, avec une précision digne non pas d’un monde parfait mais du monde réel, et cela dans l’ignorance totale de la manière dont réagirait le commandant en chef ennemi. Mais Geary avait combattu assez souvent les Syndics pour se savoir capable de le pressentir, de sorte qu’il patienta en se laissant guider par son instinct, en même temps qu’il regardait la flotte de l’Alliance et la flottille syndic se ruer l’une vers l’autre.

Attendre. Attendre.

Dix secondes avant d’en donner l’ordre, son pouce se crispa inconsciemment et activa le circuit de communication.

« Formations Indigo Deux et Trois, exécutez immédiatement la série de consignes de manœuvre numéro un. » Il marqua une pause puis transmit de nouveau : « Formation Indigo Un, exécutez immédiatement la série de consignes de manœuvre numéro un. » Attendre encore. Les secondes défilaient, tandis que la proue de l’Indomptable s’inclinait vers le haut. « Formations Indigo Quatre et Cinq, exécutez immédiatement la série de consignes de manœuvre numéro un. »

Sur son écran, Geary vit les petites sous-formations se dissoudre au-dessus et au-dessous du corps principal de la flotte puis s’effondrer vers lui, tandis qu’il montait à leur rencontre et que ses vaisseaux quittaient à leur tour leur position et altéraient leur trajectoire. Le commandant en chef ennemi n’assisterait au début de cette manœuvre que dans quelques minutes puisqu’une grande distance séparait encore les deux flottes, et il en déduirait que l’Alliance comptait se livrer à une passe de tirs au-dessus de son parallélépipède ou bien tenterait de le contourner en le survolant. Il lui faudrait alors décider d’altérer légèrement, lui aussi, sa propre trajectoire vers le haut, tout en sachant qu’il ne disposerait que de quelques minutes pour prendre sa décision.

Mais il ne s’attendrait certainement pas à voir la flotte de l’Alliance poursuivre sur sa lancée et piquer droit sur une interception de sa formation centrale. En une de ces charges héroïques visant le cœur de l’ennemi sans souci des missiles qu’avaient pratiquées les deux camps depuis que l’entraînement et les compétences nécessaires à l’exécution de manœuvres plus complexes s’étaient perdus au profit de batailles de plus en plus sanglantes. Les commandants qui ne connaissaient qu’une seule tactique avaient emprunté cette voie, comptant sur la « combativité » de leurs troupes pour triompher de la supériorité numérique et de la puissance de feu de l’ennemi. Courage et honneur étaient les mots clefs et autorisaient d’épouvantables bains de sang, où les deux camps rivalisaient stupidement de panache et où l’un d’eux finissait sans doute par l’emporter, mais au prix de pertes cruelles en hommes et en bâtiments.

Geary ne l’avait jamais fait. Il avait rapporté du passé, d’un passé vieux d’un siècle, la capacité de livrer des batailles complexes à travers de vastes étendues de vide interplanétaire, en coordonnant les mouvements de différentes formations en dépit d’écarts temporels de plusieurs secondes, minutes ou heures dans la transmission et la communication d’informations. Malgré sa réticence initiale, la flotte avait fini par se ranger derrière lui. Dans sa grande majorité, à tout le moins. La seule fois où il lui avait plus ou moins ordonné de se jeter dans la gueule du loup, c’était pendant la première bataille de Lakota, et encore n’avait-il pris cette décision qu’au terme d’une succession de manœuvres destinées à duper les Syndics en les contraignant à déployer si largement leur formation que leur centre s’en était trouvé affaibli et privé du renfort de ses flancs.

Non, les Syndics savaient que Geary n’attaquait jamais le centre au début d’un engagement. Et que, entre tous les choix qui s’offraient à lui, il évitait toujours soigneusement celui-là.

Raison précisément pour laquelle il s’y résolvait à présent.

Le corps principal de la flotte de l’Alliance et les deux sous-formations qui le surplombaient ne cessaient de se dissoudre puis de se fondre à nouveau, chacun de leurs vaisseaux quittant tour à tour sa position par rapport à l’Indomptable pour adopter une grande diversité de trajectoires et de vélocités, tandis que le vaisseau amiral lui-même continuait d’incliner alternativement sa proue vers le haut ou le bas. Les principales unités de propulsion du croiseur de combat s’activèrent brièvement, le ralentissant et permettant ainsi aux autres vaisseaux de l’Alliance de prendre position à ses côtés, plus près de l’ennemi qui fondait sur lui.

Dessous, les deux autres petites formations de l’Alliance s’étaient elles aussi dissoutes à mesure que leurs vaisseaux s’élevaient vers le corps principal pour le rallier et occuper leur nouvelle position.

« Pourrons-nous réellement y parvenir avant le contact ? s’enquit Desjani d’une voix sans timbre.

— Je l’espère.

— Pourquoi croyez-vous que la flottille syndic s’élèvera pour croiser votre trajectoire apparente ? » demanda Rione.

Geary concentrait encore toute son attention sur les mouvements des vaisseaux quand il lui répondit : « C’est dans la nature humaine. Un instinct inné. Si quelque chose tente de s’élever au-dessus de nous, nous tentons à notre tour de nous mettre à sa hauteur ou de le surplomber. » Même les hommes qui ont passé toute leur vie dans l’espace montrent cette inclination, alors que les termes de « haut » et de « bas » y sont purement arbitraires, « haut » désignant ce qui se trouve au-dessus du plan du système et « bas » ce qui se trouve au-dessous. « Si le commandant en chef syndic suit son instinct pendant le bref laps de temps qui lui sera accordé pour réagir, nous les tenons. »

Les autres vaisseaux freinant des quatre fers, les coques massives des cuirassés de l’Alliance passèrent au travers de leur essaim pour bientôt former devant la flotte un mur légèrement incurvé, tandis que s’amassaient autour d’eux une nuée de destroyers et de croiseurs lourds.

Tout autour de l’Indomptable, d’autres croiseurs de combat glissaient en position ; leurs commandants prenaient seulement conscience maintenant qu’ils étaient placés loin derrière les cuirassés. Geary n’avait aucune peine à se dépeindre la fureur qui devait régner à leur bord, mais ils n’auraient pas le loisir d’y remédier avant le contact avec l’ennemi.

Juste derrière eux, les quatre auxiliaires étaient entourés par les silhouettes des quatre croiseurs de combat les plus endommagés, d’autres vaisseaux plus ou moins touchés et de tous les croiseurs lourds.

« Délai estimé avant contact, vingt secondes. Nous recevons des transmissions en provenance du Risque-tout, du Victorieux, de l’Implacable, de l’Illustre, de l’Inspiré et de l’Aventureux pour le capitaine Geary… »

De toute évidence, Geary avait sous-estimé le courroux de ses commandants de croiseurs de combat et leur promptitude à déverser leur bile. Desjani s’abstenait visiblement d’un « Je vous l’avais bien dit » et, les yeux toujours rivés sur la formation syndic qui, dorénavant, obliquait légèrement vers le haut, comme il l’avait prévu, Geary frappa la touche de contrôle coupant la connexion. Le commandant syndic avait sûrement nourri l’espoir de déchaîner une bonne partie de sa puissance de feu sur la flotte de l’Alliance lorsqu’elle tenterait de dépasser en trombe sa formation à l’occasion d’une des fulgurantes passes de tir coutumières de Geary, en concentrant le plus nourri sur le haut de la formation, mais, au lieu de cela, les dernières manœuvres de la flotte avaient massé tous ses vaisseaux sur une trajectoire visant directement le cœur de la flottille syndic.

Et l’ennemi n’avait plus le temps de réagir.

« À toutes les unités. Nous sommes à moins de vingt secondes du contact avec l’ennemi. Que tous les cuirassés concentrent leurs tirs sur ses gros vaisseaux. Il faut abattre leurs boucliers. Les croiseurs de combat se chargeront de leur porter l’estocade. Si tous sont éliminés, engagez le combat avec les cibles à votre portée quand elles entreront dans votre enveloppe de tir, mais économisez vos missiles spectres. » Le regard de Geary se reporta vivement sur l’affichage de l’heure. Il lui faudrait donner la prochaine consigne de manœuvre avant que la flotte ne traversât la flottille ennemie, bien qu’elle ne dût être exécutée qu’ultérieurement. « À toutes les unités, exécution du jeu d’instructions numéro deux à T quatorze.

— Délai estimé avant contact, cinq secondes. »

Devant une seconde plus tôt, les Syndics se trouvaient désormais derrière eux. L’instant du contact avait été d’une brièveté inouïe. Les systèmes de visée automatisés s’étaient verrouillés sur leurs cibles et avaient tiré alors que les vaisseaux se croisaient à une vitesse combinée de près de soixante mille kilomètres par seconde. La coque de l’Indomptable vibrait encore des frappes ennemies accusées par ses boucliers. Pendant que les vigies énonçaient les rapports d’avarie, Geary s’efforça de rester concentré sur le tableau général.

Les Syndics avaient tiré sur la position prévue de la flotte de l’Alliance des rafales de missiles et de mitraille dont la majeure partie avaient survolé ses vaisseaux. En revanche, la mitraille de l’Alliance ne pouvait pas rater sa cible et elle avait frappé de plein fouet le centre, relativement plus faible, de la flottille syndic. Compte tenu de la densité de sa formation et de la courte portée de ses tirs, ce déluge de billes d’acier avait anéanti les croiseurs légers et avisos syndics qui se trouvaient sur son passage, tandis que chatoyaient des éclairs marquant la fin de ces escorteurs. D’autres fulgurèrent quand la mitraille de l’Alliance frappa les boucliers des croiseurs lourds, cuirassés et croiseurs de combat au cœur de la flottille syndic. Alors que les vaisseaux des deux flottes adverses se croisaient à une vitesse invraisemblable, les lances de l’enfer lacérèrent leurs cibles et des champs de nullité s’épanouirent hors des croiseurs de combat et cuirassés de l’Alliance pour engloutir d’entières sections des bâtiments syndics.

La riposte syndic ne tarda pas à marteler les boucliers massifs et l’épais blindage des cuirassés de l’Alliance. Ceux-ci essuyèrent les plâtres, mais les tirs ennemis, affaiblis et pourtant toujours mortellement dangereux, flagellèrent les vaisseaux suivants de la flotte.

Le tout ne dura qu’une fraction de seconde, durant laquelle les humains ne purent se fier qu’à la résistance de leurs défenses, à la précision de leurs systèmes de visée automatisés et à leur bonne étoile. À présent que la formation de l’Alliance et la flottille syndic s’éloignaient l’une de l’autre à une vitesse fulgurante, Geary regarda les senseurs de la flotte en évaluer les résultats.

Les sept cuirassés et les trois croiseurs de combat syndics qui formaient le pivot de la flottille ennemie avaient affronté trente cuirassés et croiseurs de combat. Face à une puissance de feu trois fois supérieure à la leur et privés des champs de nullité qui conféraient à la flotte un énorme avantage à courte portée contre des vaisseaux aux boucliers déjà affaiblis, les Syndics avaient inéluctablement souffert. Leurs trois croiseurs de combat et deux de leurs cuirassés avaient explosé, un troisième s’était brisé en trois énormes morceaux, et les quatre cuirassés restants partaient à la dérive, durement éprouvés, leurs coques témoignant de larges éventrations dues aux frappes des champs de nullité, tandis que bien peu de leurs systèmes restaient opérationnels.

La liste des croiseurs et avisos syndics détruits ou hors de combat était d’une longueur gratifiante. Le cœur de leur flottille avait purement et simplement disparu.

« Exécution du jeu d’instructions de manœuvre numéro deux à T quatorze », annonça Desjani, dont l’excitation, dans le feu de l’action, triomphait enfin de son énervement contre Geary.

Ce dernier contrôlait en même temps le statut de la flotte et les mouvements de la flottille ennemie. Les Syndics faisaient pivoter leur formation vers la droite pour revenir sur la flotte de l’Alliance tout en maintenant leurs quatre sous-formations d’angle enchaînées les unes aux autres, sans doute parce qu’ils s’attendaient à voir leurs adversaires poursuivre leur route vers le point de saut. Mais, au lieu de cela, leur corps principal recommença à se dissoudre, tandis que croiseurs de combat, croiseurs légers et nombre de destroyers piquaient vers le bas pour se regrouper en une nouvelle formation et que cuirassés, croiseurs lourds, auxiliaires, bâtiments endommagés et destroyers restants se rapprochaient les uns des autres pour incurver leur trajectoire vers le haut.

Geary eut soudain l’impression d’avoir avalé de la mitraille : son écran crépitait d’alarmes signalant de graves dommages ou la destruction de vaisseaux de l’Alliance. Dans le sillage de la flotte, un symbole en surbrillance marquait l’emplacement d’un champ de débris en expansion : tout ce qui restait de l’Exemplaire, son dernier cuirassé de reconnaissance. Plus petits que les cuirassés mais plus gros que les croiseurs, les cuirassés de reconnaissance avaient sans doute paru indispensables à certains, mais ils avaient souffert du compromis présidant à leur conception. À l’instar de ses congénères détruits lors d’engagements précédents, l’Exemplaire était assez volumineux pour attirer davantage le feu ennemi sur lui, mais trop petit pour le soutenir.

Aucun cuirassé de l’Alliance n’était hors de combat, mais les Syndics avaient concentré leurs tirs sur le Résolution et le Redoutable quand ils avaient engagé le combat, et ces deux bâtiments avaient essuyé de très graves dommages à l’avant. Le Résolution, qui souffrait également d’avaries à ses unités de propulsion, s’efforçait de rester à la hauteur de la flotte mais perdait progressivement du terrain sur les autres vaisseaux.

Le croiseur de combat Incroyable dérivait à la traîne de la flotte, ses unités de propulsion encore plus endommagées pendant qu’il protégeait les auxiliaires. Quelques-unes de ses armes étaient toujours opérationnelles, mais ce n’était plus désormais qu’une cible facile, dont l’équipage devait prier pour qu’il restât à l’écart des combats jusqu’à ce qu’il eût récupéré une partie de sa capacité de propulsion.

Les croiseurs lourds Tortue, Brèche, Kurtani et Tarian étaient éliminés, et il ne restait plus des deux premiers que des débris. Les croiseurs légers Kissaki, Cimier et Trunnion n’existaient plus, et les destroyers Épine, Yatagan, Fente et Arabas avaient été détruits.

Geary n’avait tout bonnement pas le temps matériel de procéder à l’inventaire des moindres dommages dont avait souffert la flotte pendant cette première passe d’armes.

Là où s’étaient télescopées les deux formations, l’espace était saturé d’essaims de modules de survie, rescapés des vaisseaux détruits de l’Alliance mêlés aux Syndics qui avaient abandonné leur bâtiment en perdition.

Pire, la seconde salve de missiles tirée par les Syndics au moment où les deux forces s’interpénétraient avait frappé très sérieusement l’un des bâtiments que Geary ne pouvait pas se permettre de perdre. « Toutes les unités de propulsion du Gobelin sont HS, rapporta la vigie des opérations. Les impacts de deux missiles ont fortement endommagé sa proue. Délai estimé pour la récupération partielle de sa capacité de propulsion, une heure au minimum. »

Geary observa la course de l’auxiliaire dans l’espace alors que le Gobelin blessé, incapable de l’altérer ni d’accélérer, épousait celle des épaves et débris consécutifs à l’engagement tout en s’écartant des autres vaisseaux de la flotte selon une trajectoire incurvée. Prolonger par simulation cette trajectoire tout en la comparant aux mouvements des Syndics débouchait sur une déplaisante constatation : « Le Gobelin n’a aucune chance de s’en tirer. Peut-on me confirmer que le délai probable avant que les Syndics ne le frappent est d’environ vingt-cinq minutes ?

— Confirmé, capitaine, répondit aussitôt la vigie des opérations. Vingt-quatre selon mon estimation. »

Beaucoup trop court, puisqu’il faudrait au moins une heure au Gobelin pour recouvrer sa capacité de propulsion ; et, de toute manière, la moitié de ses unités de propulsion se fussent-elles miraculeusement rétablies à l’instant même que le poussif auxiliaire n’aurait pas pu en réchapper. Pas plus que la flotte de l’Alliance ne pouvait revenir sur ses pas à temps pour tenter d’interdire une passe d’armes aux Syndics. Geary poussa un soupir et appuya sur une touche. « Gobelin, ici le capitaine Geary. Je recommande l’abandon sans délai du vaisseau, assorti de l’autodestruction de son réacteur dans vingt minutes. » Il comptait bien gagner cette bataille, mais l’issue restait douteuse et il ne pouvait pas prendre le risque de la capture d’un Gobelin intact.

La réponse de l’auxiliaire lui parvint trente secondes plus tard : « Nous nous efforçons de charger les cellules d’énergie qui nous restent sur des navettes cargos, capitaine. Nous pourrions y parvenir. Nos équipes de maintenance tentent de rétablir le fonctionnement d’une de nos unités de propulsion. »

Desjani laissa échapper un jappement incrédule. « Ces pigeons ne peuvent pas échapper aux Syndics. Même vides, ils ne seraient pas assez rapides. »

Geary hocha la tête. « Ces navettes sont trop lentes, Gobelin, et elles attireront immanquablement les tirs ennemis. Elles ne pourront pas s’y soustraire et tout ce qui se trouvera à leur bord sera détruit. Vous ne pourrez pas non plus sauver votre bâtiment avec une seule unité de propulsion et la flotte ne peut pas revenir en arrière pour vous couvrir. Vous êtes ingénieur, non ? Faites vos calculs vous-même. Évacuez vos gens avant qu’il soit trop tard. Considérez cela comme un ordre si ça peut vous faciliter la décision. »

La réponse du Gobelin mit une minute de plus à lui parvenir et elle semblait résignée. « À vos ordres, capitaine. J’ordonne à tout le personnel de gagner sur-le-champ les capsules de survie. Réglage de la surcharge du réacteur sur environ dix-huit minutes.

— Capitaine, le commandant de l’Incroyable nous informe qu’il a ordonné au personnel non critique d’abandonner le vaisseau.

— Très bien », lâcha Geary. La situation ne lui laissait pas le choix.

« Le Résolution ne peut plus suivre la flotte. Il annonce son intention de se rapprocher de l’Incroyable pour lui apporter son soutien.

— Approuvé. Informez le Résolution et l’Incroyable que nous allons nous efforcer d’occuper les Syndics. » Geary se concentrait sur les mouvements des Syndics et de ses deux formations, tandis que les trois groupes de vaisseaux négociaient les énormes virages requis par des vélocités voisines de 0,08 c. Alors que les Syndics revenaient par la droite, une nuée de leurs bâtiments entreprit d’accélérer pour combler le vide laissé par le cœur de la flottille puis fit apparemment halte à mi-chemin du centre et de son ancienne position.

« Ils sont déboussolés, lâcha dédaigneusement Desjani.

— C’était le but de la manipe. »

La voix de Rione lui parvint du fond de la passerelle : « Pourquoi le seraient-ils ? Vous avez disposé votre flotte en deux formations seulement au lieu de six par le passé.

— À cause de la composition de ces formations, lui apprit Geary. La première, construite autour de tous nos cuirassés, est plus lente, plus massive et manifestement conçue pour frapper de nouveau le cœur de leur flottille. Mais l’autre, qui renferme tous nos croiseurs de combat, rapides et agiles, est de toute évidence destinée à frapper ses flancs.

— Je vois. » Rione ne sourit que d’un coin de la bouche. « Ils ignorent où vous frapperez, de sorte qu’ils ne savent pas où concentrer leur puissance de feu.

— Exactement. » Il observa les Syndics en secouant la tête. Ils s’étaient attendus à voir la flotte rebrousser chemin vers le point de saut pour Padronis, mais, au lieu de cela, ils se retrouvaient confrontés à la formation de cuirassés de l’Alliance, tant sur leur flanc qu’en surplomb, tandis que ses croiseurs de combat menaçaient leur autre flanc et leur ventre. « Je ne crois pas souhaitable d’enfoncer à nouveau ma formation de cuirassés au cœur de leur flottille. Pas pour l’instant en tout cas. Si le commandant syndic réagissait assez vite et ramenait tous ses vaisseaux vers le centre, il pourrait sévèrement les endommager. »

Desjani réfléchit puis hocha la tête. « J’en conviens. Les croiseurs de combat peuvent-ils mener cette fois le bal, capitaine Geary ?

— Oui, capitaine Desjani. Allons-y, pendant que je ramène les cuirassés pour frapper les Syndics sous un autre angle.

— Le Résolution et l’Incroyable demandent que vous leur laissiez leur part de Syndics, capitaine Geary. »

Desjani éclata de rire et Geary sourit malgré la tension. « Répondez-leur que ça ne devrait pas poser de problèmes, lieutenant. »

Menés par la deuxième division du capitaine Tulev, les quinze croiseurs de combat encore opérationnels de l’Alliance et leur escorte de destroyers et de croiseurs légers piquèrent vers le haut et sur tribord, pendant que Geary ordonnait aux cuirassés de revenir par bâbord en accélérant. Leur formation se déplaçait beaucoup plus poussivement, tant en raison de la masse des cuirassés que parce qu’elle comprenait aussi les trois auxiliaires restants de la flotte.

Geary, heureusement, avait correctement compensé leur retard en donnant ses ordres.

Les Syndics continuaient de négocier leur virage en obliquant légèrement vers le bas. Geary modifia la trajectoire de sa formation de cuirassés afin de contrecarrer cette manœuvre, en augmentant son angle d’attaque de telle façon qu’elle fondait presque à la verticale sur l’ennemi.

La formation de croiseurs de combat piquait déjà en trombe sur le coin inférieur de l’arrière-garde syndic. « Ils décélèrent ! » hurla la vigie des opérations juste avant le contact, bien trop tard pour que quiconque pût réagir. Compte tenu de leur vélocité respective, les deux camps ne prirent conscience des modifications de vecteurs qu’au moment où leurs vaisseaux n’avaient plus le temps de compenser.

Au lieu de contourner le coin de la flottille syndic, les croiseurs de combat de l’Alliance le frappèrent de plein fouet. Les systèmes de manœuvre automatisés réussirent à leur éviter la collision, qui aurait instantanément volatilisé les vaisseaux impliqués, mais ils n’en essuyèrent pas moins les passes de tir à courte portée des cuirassés ennemis.

Les quatre cuirassés syndics qui servaient de pivot à ce coin de la formation ennemie déchaînèrent un tir de barrage de leurs lances de l’enfer qui déchiqueta l’Inébranlable, cribla l’Aventureux et pilonna l’Inspiré, tandis que l’Illustre se voyait infliger d’autres dommages, s’ajoutant à ceux déjà récoltés à Cavalos, et que le Courageux se mettait à tournoyer, hors de contrôle, pendant que les vaisseaux de l’Alliance se dégageaient.

« L’Aventureux croit pouvoir continuer, mais tous ses systèmes de combat sont HS, rapporta la vigie des combats. L’Inspiré dispose encore de toute sa capacité de manœuvre, mais ses systèmes d’armement ont souffert de très gros dommages. Nous voyons s’échapper des capsules de survie de ce qui reste de l’Inébranlable.

— Et le Courageux ? s’inquiéta Geary.

— Aucune communication, capitaine. Il se trouve hors du réseau de la flotte. Les senseurs déclarent que tous ses systèmes sont morts. »

En même temps qu’un nombre indéterminé de ses spatiaux.

« Roberto Duellos ne se laisse pas facilement abattre, lâcha Desjani.

— Espérons-le. » Geary s’efforça d’oublier l’inquiétude que lui inspirait le sort du capitaine Duellos pour se concentrer entièrement sur la flottille ennemie. Les croiseurs de combat de l’Alliance avaient sans doute été durement éprouvés, mais ils avaient aussi réussi à déployer une considérable puissance de feu contre le coin de la formation ennemie. Ses deux croiseurs de combat étaient désormais trop endommagés pour continuer de se battre, et un des cuirassés ennemis avait essuyé tant de frappes qu’il s’écartait de sa formation, tandis qu’un second donnait l’impression d’être aussi gravement atteint que l’Aventureux : encore capable de manœuvrer mais rudement secoué. La plupart des croiseurs légers et avisos de ce coin de la flottille avaient été détruits ou mis hors de combat, mais les escorteurs de l’Alliance manquant désormais à l’appel ou perdant désespérément du terrain sur la flotte étaient encore plus nombreux.

Fort heureusement, en permettant à l’ennemi de faire perdre leur position aux croiseurs de combat de l’Alliance, les manœuvres syndics avaient aussi autorisé sa formation de cuirassés à frapper de plein fouet un autre coin de la flottille. Cette fois, les quatre cuirassés syndics se retrouvaient non seulement en infériorité numérique localement, mais encore face à des vaisseaux au blindage et aux boucliers tout aussi massifs que les leurs. Le Galant et l’Intraitable étaient la cible d’un feu ennemi concentré, et tous deux accusèrent de lourds dommages quand leurs boucliers flanchèrent par endroits, laissant la mitraille et les lances de l’enfer syndics transpercer leur coque. Mais, quand la formation de l’Alliance reprit de la distance, elle laissait trois des quatre cuirassés syndics sur le carreau et trois de leurs croiseurs de combat en morceaux.

« Ce qui fait plus que rétablir l’équilibre », fit remarquer Desjani.

Le reste de la flottille piquait vers le Gobelin, qui, un instant plus tard, explosait en une boule de débris suite à la surcharge de son réacteur. Par-delà la position qu’il occupait une seconde plus tôt, le Résolution et l’Incroyable déchaînèrent toutes les armes encore opérationnelles sur les Syndics à l’approche.

Geary ferma involontairement les yeux quand un coin de la flottille syndic frôla ces deux bâtiments. Quand il les rouvrit, il s’étonna de les voir encore. « Ils ont survécu ? C’est…

— Incroyable ? murmura Desjani. Le Résolution a abrité l’Incroyable autant qu’il l’a pu. Il a essuyé un feu d’enfer et l’Incroyable a subi d’autres dommages, mais l’interception syndic a dû se produire assez loin de ces deux bâtiments pour les épargner. »

La chance avait sans doute joué pour ces deux vaisseaux, mais, un instant plus tard, les dieux de la guerre accordaient leurs faveurs aux Syndics. « Malédiction ! s’exclama Desjani. L’Aventureux est fichu ! » Des missiles avaient jailli de la formation syndic lors de leur dernière passe d’armes, et ils ciblaient la trajectoire prévue des croiseurs de combat de l’Alliance. En raison d’un changement de vecteur de dernière minute, la plupart s’étaient, par trop écartés de la trajectoire de la flotte pour faire mouche et avaient poursuivi leur course dans l’espace, pour l’incurver ensuite et revenir traquer ses vaisseaux. Nombre d’entre eux avaient été détruits, car leur vitesse, relativement lente lors de cette chasse, en faisait des cibles faciles pour les escorteurs de l’Alliance, mais un au moins avait réussi à passer pour atteindre un Aventureux déjà lourdement endommagé. Le croiseur de combat navré donna l’impression de se cabrer quand le missile frappa sa poupe plein pot, détruisant ses unités de propulsion. L’Aventureux fit une embardée de côté, sa structure affaiblie se gondolant visiblement sous l’impact et la brutale modification de sa trajectoire et de sa vélocité. « Il est irrécupérable, capitaine. »

La perte de l’Aventureux et du Courageux ne semblait pas avoir trop secoué Desjani, mais Geary était conscient qu’elle avait prévu bien pire. « Vengeons-le. » Il s’efforça de se détendre en observant la course et les trajectoires prévues des vaisseaux dans l’espace, et en cherchant à prendre en considération les retards de quelques secondes imposés aux images qui lui parvenaient. « Formation Indigo Un, virez de vingt-cinq degrés sur tribord et cent soixante vers le bas à T cinquante-trois. » Les croiseurs de combat de l’Alliance s’élevèrent et se retournèrent pour piquer de nouveau latéralement sur les Syndics en une nouvelle passe de tirs.

Le commandant syndic tentait de concentrer de nouveau ce qui restait de sa flottille, de rassembler ses vaisseaux jusqu’à rendre à sa formation l’aspect d’un parallélépipède, mais beaucoup plus petit qu’au début. En même temps, il s’essayait à une manœuvre serrée, en lui faisant prendre de la hauteur et pivoter vers la gauche pour affronter celle de l’Alliance.

« Piteuse manœuvre. » Desjani montra les dents. « Nous donnons l’impression de faire une cible facile, mais nous sommes plus rapides que lui. Ce n’est pas un commandant très expérimenté.

— Ni aucun de ses capitaines, apparemment », renchérit Geary en regardant les bâtiments syndics reprendre péniblement position pour s’adapter à leurs nouveaux vecteurs. Un de leurs cuirassés venait de tamponner un croiseur lourd, le volatilisant dans un éclair de lumière tandis que lui-même s’éloignait en tanguant, souffrant de graves dommages. « Un de moins. »

Le cube compact qu’aurait dû former la flottille syndic s’étira et se gauchit : elle n’avait pas réussi à négocier son virage.

« Formation Indigo Un, virez de vingt degrés sur tribord et de quinze vers le haut à T six. » La proue des croiseurs de combat de l’Alliance s’éleva légèrement en même temps qu’ils pivotaient pour intercepter latéralement la flottille syndic qui battait de l’aile. « Formation Indigo Deux, virez de quatre-vingt-cinq degrés sur bâbord et de deux cent dix vers le haut à T huit. » Les cuirassés de l’Alliance, désormais très en dessous des Syndics, remontèrent vers l’ennemi tandis que ses croiseurs de combat s’en rapprochaient de nouveau.

Cette fois, alors que les Syndics étaient victimes d’un désarroi provisoire, la formation de croiseurs de combat de l’Alliance frôla un des coins de leur flottille à portée presque idéale et déchaîna sur ses vaisseaux exposés une puissance de feu largement supérieure localement.

L’Indomptable vibra lourdement à la suite de cette passe de tirs. « Un missile syndic est passé, commandant. Dommages à la poupe. La batterie de lances de l’enfer six bravo est HS. Et la capacité de propulsion de l’unité principale alpha très réduite.

— Pouvons-nous encore épouser les manœuvres de la formation ? s’enquit Desjani.

— L’ingénierie s’efforce d’augmenter les capacités des unités principales encore opérationnelles, commandant, et les équipes de maintenance de renforcer les sections endommagées de la coque. Leur central préconise que nous évitions les manœuvres excessives pendant les dix prochaines minutes.

— Dites-leur de réduire ce délai à cinq.

— À vos ordres, commandant. Cinq minutes. »

Souffrant toujours de nombreuses avaries essuyées lors du combat de Cavalos, l’Illustre accusa encore d’autres frappes, tout comme le Vaillant et le Risque-tout. Mais les Syndics, largement surpassés en nombre dans cette partie de leur flottille, avaient perdu trois autres croiseurs de combat.

« Que diable fabriquent-ils ? explosa Geary en les voyant continuer de grimper en spirale.

— Ça me dépasse, avoua Desjani.

— Es poursuivent tout bonnement la même manœuvre… On a eu leur commandant en chef et ils se plient à ses derniers ordres parce que nul autre officier n’a été capable d’affirmer son autorité.

— Génial », murmura Desjani. Elle ronronnait quasiment. Elle regarda la formation de cuirassés de l’Alliance traverser en la laminant la flottille ennemie déjà affaiblie. Seuls dix cuirassés et croiseurs de combat syndics restèrent opérationnels, mais le Galant fut touché alors qu’il négociait son virage pour une nouvelle passe d’armes.

« Dommages au système de propulsion du Galant, mais il peut encore se défendre, grommela Desjani en approuvant à contrecœur. Ils concentrent leurs tirs et pilonnent nos cuirassés les plus endommagés. Voyez, le Redoutable a lui aussi été gravement touché.

— Malgré tout, il peut encore suivre la formation. »

Desjani se tourna vers son officier de l’ingénierie. « Les cinq minutes sont passées. Je peux manœuvrer ?

— Encore une minute, commandant, supplia l’ingénieur.

— Je n’en dispose pas !

— Paré à la manœuvre, éructa avec soulagement la vigie en recevant son rapport.

— Parfait, lâcha Geary. On y va. » Il n’avait pas fini sa phrase que la formation syndic modifiait radicalement sa trajectoire en piquant vers le bas pour revenir sur la flotte. « Où… ? »

Geary fit exécuter à ses cuirassés un virage dans sa direction, aussi serré que possible, en s’efforçant de prévoir le vecteur qu’elle conserverait. La réponse lui apparut au bout de quelques minutes. « Ils fondent sur le Résolution et l’Incroyable.

— Nous aurons droit au moins à une passe d’armes avant, fit remarquer Desjani. Tout comme nos cuirassés.

— Des nouvelles du Galant ? » s’enquit-il. Il aurait pu chercher l’information lui-même sur son écran, mais il préférait réserver sa concentration au tableau général.

« Le Galant rapporte que la moitié de ses systèmes de combat restent opérationnels, annonça la vigie des opérations. Boucliers affaiblis mais en passe de se rétablir. Plusieurs brèches sérieuses dans son blindage ont déjà été colmatées. Délai estimé pour regagner le contrôle des manœuvres, vingt minutes. »

Geary décida que le Galant était en mesure de prendre soin de lui pour l’instant ; il aligna ses croiseurs de combat pour une nouvelle interception de la flottille syndic et régla de même la trajectoire de ses cuirassés.

Cette fois, l’attente du contact fut une véritable torture. Résolution et Incroyable partaient à la dérive, réduits à l’impuissance, trop gravement atteints pour survivre à un autre assaut ennemi et trop massivement désarmés pour lui infliger des dommages. Le parallélépipède syndic, désormais nettement plus petit, incurvait déjà sa trajectoire pour fondre sur eux d’en haut et sur leur gauche. Un peu plus loin et légèrement plus haut, les croiseurs de combat de l’Alliance piquaient sur lui, tout comme, sur sa droite et à peu près au même niveau, ses cuirassés.

Il devenait flagrant pour les Syndics qu’ils n’auraient pas le temps de porter un coup mortel au Résolution et à l’Incroyable avant d’être décimés par les autres vaisseaux de la flotte. Alors que ces deux formations s’en rapprochaient, leur flottille plongea brusquement, en augmentant son angle de piqué, pour rejoindre la petite force ennemie qui, jusque-là, s’était tenue à l’écart des combats.

Geary donna quelques rapides instructions à ses cuirassés et croiseurs de combat pour contrer cette manœuvre.

Alors que les bâtiments de l’Alliance adoptaient leur nouveau vecteur, des alarmes anticollision retentirent. Geary eut tout juste le temps d’arracher son regard aux voyants qui clignotaient avant que ses croiseurs de combat ne pénètrent la flottille ennemie par-dessus et latéralement, au moment précis où ses cuirassés transperçaient son autre flanc.

Pendant un laps de temps effroyable, de nombreux bâtiments épousant tous une trajectoire différente à très haute vélocité se frôlèrent en louvoyant, tandis que les sirènes d’alarme de leurs systèmes de manœuvre protestaient par des beuglements et qu’ils s’efforçaient, dans ce maelström, d’éviter les collisions, que chacun de leurs systèmes de combat automatisés prenait soudain conscience de cet environnement riche en cibles et mitraillait tous azimuts.

Puis les trois formations se séparèrent à nouveau. Geary se rendit compte qu’il avait retenu sa respiration et il inspira longuement.

Desjani elle-même avait pâli. « Avez-vous songé à l’éventualité qu’on pouvait être trop doué pour compenser les mouvements ennemis, capitaine ?

— Pas jusqu’à aujourd’hui. » Il inspira encore, consulta son écran puis vérifia de nouveau. « Nous avons perdu quelques destroyers, mais c’est sans doute dû aux tirs ennemis. Des collisions ?

— N’empêche, capitaine. Ne nous faites plus jamais ce coup-là.

— D’accord. » Le parallélépipède syndic s’était volatilisé, désintégré par la puissance de feu de tous ces tirs croisés. Deux cuirassés poursuivaient poussivement sur leur lancée, mais ils avaient essuyé des dommages substantiels. Il ne restait plus aux Syndics aucun de leurs croiseurs de combat et leurs escorteurs avaient été décimés. À l’inverse, face à toutes ces cibles qui s’offraient en même temps à eux, ils s’étaient montrés incapables de concentrer leur feu. La flotte s’en tirait sans trop de dommages, hormis la perte de quelques croiseurs et destroyers malchanceux.

Geary poussa un soupir de soulagement. « Formation Indigo Deux, rompez et abattez-moi ces deux cuirassés syndics rescapés, ordonna-t-il. Formation Indigo Un, poursuite générale. Évitez ces deux bâtiments jusqu’à ce que nos cuirassés les aient achevés. »

La dernière chose dont il avait envie, c’était de perdre un autre Opportun.

À sa grande surprise, Desjani ne retourna pas aussitôt l’Indomptable pour poursuivre une autre cible. Elle haussa les épaules en voyant sa réaction. « Ces deux cuirassés sont les seuls qui valent la peine d’être abattus. En outre… (elle indiqua l’écran affichant la situation de son propre vaisseau) nous ne disposons plus que de trente-cinq pour cent de nos réserves de cellules d’énergie.

— Trente-cinq pour cent ? » En temps de paix, permettre aux réserves de bâtiments placés sous ses ordres de descendre à ce niveau lui aurait valu la cour martiale.

« Une chance que nous ayons sauvé le Titan, le Sorcière et le Djinn, lâcha-t-elle. Nous allons avoir besoin de toutes celles qu’ils pourront concocter entre ici et Varandal. »

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