Chapitre 1

Angélique sommeillait à demi, l'esprit agité par de joyeux projets, comme une fillette à la veille de Noël. Par deux fois elle se redressa et battit le briquet pour allumer la chandelle et contempler, disposées sur des fauteuils près de son lit, les deux toilettes qu'elle revêtirait demain pour la chasse du roi et le bal qui suivrait. Elle était assez satisfaite de la toilette de chasse. Elle avait conseillé le tailleur pour qu'il sût donner au justaucorps de velours gris perle une coupe masculine qui contrasterait avec la finesse des formes de la jeune femme. Le grand feutre mousquetaire était blanc avec une retombée neigeuse de plumes d'autruche. Mais ce qui plaisait le plus à Angélique c'était la cravate. Un nouveau détail de mode sur lequel elle comptait beaucoup pour attirer l'attention et piquer la curiosité des grandes dames de la Cour. C'était un grand nœud de linon empesé, délicatement brodé de perles minuscules, qui, après avoir fait plusieurs fois le tour de son cou, s'épanouissait en forme de papillon. L'idée lui en était venue la veille. Elle avait longuement hésité devant son miroir, avait chiffonné au moins dix cravates parmi les plus belles que le mercier de la « Boète d'or » lui avait fait porter, enfin elle avait résolu de nouer le ruban « à la cavalière », mais plus grand que celui des hommes. Elle jugeait que le visage des femmes supportait mal le collet raide du justaucorps de chasse. Cette nuageuse blancheur sous le menton redonnait un cachet de féminité au costume. Angélique se recoucha et se retourna plusieurs fois. Elle songea à sonner pour se faire apporter une tisane de verveine afin de trouver le sommeil. Il lui fallait dormir au moins quelques heures, car la journée du lendemain serait lourde. Le rendez-vous de chasse aurait lieu vers la fin de la matinée, dans les bois de Fausse-Repose. Angélique, comme tous les invités du roi qui venaient de Paris, devait se mettre en route de bon matin afin de se rencontrer à l'heure dite avec les équipages venant de Versailles au carrefour des Bœufs. Il y avait en ce lieu, situé au cœur de la forêt, des écuries où les privilégiés envoyaient à l'avance leurs chevaux de selle. Ainsi les bêtes étaient encore fraîches au moment de courre le cerf. Aujourd'hui même Angélique avait pris soin d'envoyer là-bas, accompagnée de deux laquais, sa précieuse jument Cérès, pur-sang d'Espagne qu'elle avait payée mille pistoles. Elle se redressa et ralluma. Décidément la toilette de bal était la plus réussie. De satin rose feu avec un manteau d'un « aurore » plus soutenu et un plastron rebrodé de fines fleurs de nacre rose. Pour parure elle avait choisi des perles rosés. En grappes pour les pendants d'oreilles, en sautoir de trois tours pour le cou et les épaules, en diadème « croissant de lune » pour la chevelure. Elle les avait acquises chez un joaillier qu'elle affectionnait parce qu'il lui parlait des mers chaudes d'où venaient ces perles, des longues transactions, des difficiles expertises et des longs voyages accomplis par elles, dissimulées dans des sachets de soie que se repassaient marchands arabes, marchands grecs ou marchands vénitiens. Ce commerçant quintuplait leur valeur par l'art qu'il possédait de donner à chaque perle le prix de la rareté et l'impression qu'on avait dû la ravir au jardin des dieux. Malgré la fortune qu'elle avait dû dépenser pour en devenir propriétaire, Angélique n'éprouvait aucune de ces arrière-pensées tourmentées qui suivent les trop folles acquisitions. Elle les regarda avec ravissement, posées dans leurs écrins de velours blanc, sur sa table de chevet. Pour tous les objets délicats et précieux que la vie pouvait dispenser elle se sentait gourmande. Cet appétit de possession était la revanche des années de misère qu'elle avait connues. Par miracle elle n'arrivait pas trop tard. Il était temps encore pour elle de s'orner des plus belles parures, de revêtir les robes les plus somptueuses, de s'entourer de meubles, de tentures, de bibelots sortant des mains d'artisans réputés. Tout cela très coûteux mais très choisi, avec un goût de femme expérimentée mais non blasée. Ses facultés d'enthousiasme restaient entières. Elle s'émerveillait parfois et remerciait le Ciel en secret de n'être pas sortie à jamais brisée de ses épreuves. Au contraire, son esprit restait juvénile.

Elle avait plus d'expérience que la plupart des jeunes femmes de son âge et moins de désillusion. Sa vie était parsemée de plaisirs ténus et merveilleux comme en connaissent les enfants. Lorsqu'on n'a point connu la faim, peut-on jouir de mordre dans un morceau de pain chaud ? Et lorsqu'on a marché pieds nus dans les rues de Paris et qu'un jour on finit par posséder des perles semblables à celles-ci, n'y a-t-il pas de quoi se croire la femme la plus heureuse du monde ?

Derechef elle souffla la chandelle, et s'allongeant entré les draps fins qui fleuraient l'iris, elle s'étira, songeant : « Que c'est bon d'être riche, et belle et jeune... ! »

Elle n'ajouta pas : « Et désirable »... car cela lui rappela Philippe et sa joie s'éteignit comme au passage d'un sombre nuage.

Un profond soupir gonfla sa poitrine.

« Philippe ! »

En quel mépris ne la tenait-il pas ? Elle se remémora les deux mois vécus depuis son remariage avec le marquis du Plessis-Bellière et la situation extravagante à laquelle elle se trouvait acculée par sa faute. Au lendemain du jour où Angélique avait été reçue à Versailles, la Cour retournant à Saint-Germain, elle-même avait dû regagner Paris. Logiquement, elle se devait d'habiter l'hôtel de son mari Faubourg Saint-Antoine, mais, s'y étant rendue après beaucoup d'hésitation, elle avait trouvé porte close. Le suisse, interrogé, lui avait dit que son maître suivait le roi et la Cour, et qu'il n'avait pas d'ordres à son sujet. Force avait été à la jeune femme de se reloger dans son hôtel du Beautreillis, qu'elle possédait auparavant. Elle y vivait depuis lors, attendant une nouvelle invitation du roi qui lui permettrait de trouver son rang à la Cour. Mais rien n'était venu et elle commençait à se sentir de plus en plus inquiète, lorsqu'un jour Mme de Montespan, rencontrée chez Ninon, lui avait dit :

– Que vous arrive-t-il, ma chère, vous perdez la raison ? Voici la troisième invitation du roi que vous négligez. Une fois vous aviez la fièvre tierce, une autre fois c'est votre estomac qui vous donnait des vapeurs, ou bien un bouton sur le nez gâtait votre beauté et vous n'osiez pas vous présenter. Voilà de piètres excuses et que le roi ne peut pas priser, car il a horreur des gens malades. Vous allez l'incommoder.

C'est ainsi qu'Angélique avait appris que son mari, prié par le roi de l'amener à différentes fêtes, non seulement ne l'en avait pas avertie mais encore l'avait ridiculisée aux yeux du souverain.

– En tout cas je vous préviens, avait conclu Mme de Montespan, j'ai entendu de mes oreilles le roi dire au marquis du Plessis qu'il voulait vous voir participer à la chasse de mercredi. Et tâchez que la santé de Madame du Plessis-Bellière ne la fasse pas encore négliger nos attentions, a-t-il ajouté avec humeur, sinon je me chargerai moi-même de lui conseiller par lettre de retourner dans sa province. En somme, vous êtes au bord de la disgrâce.

Atterrée, puis furieuse, Angélique n'avait pas été longue à échafauder tout un plan pour redresser la situation compromise. Elle se rendrait au rendez-vous de chasse et mettrait Philippe devant le fait accompli. Et si le roi lui posait des questions, eh bien, elle dirait la vérité. Philippe, devant le roi, ne pourrait que s'incliner. En grand mystère elle avait fait faire ses toilettes neuves, préparé l'envoi de la jument, et son départ en carrosse le lendemain à l'aube. Une aube qui ne tarderait pas à venir sans qu'elle eût fermé l'œil. Elle se contraignit à clore les paupières, à ne plus penser à rien et peu à peu glissa doucement vers le sommeil.

Soudain, son petit chien griffon Arius, roulé en boule sous la courtepointe, tressaillit, puis, se dressant subitement, commença à s'égosiller. Angélique l'attrapa et le fourra près d'elle, sous les couvertures en lui ordonnant de se taire. La petite bête continua à grommeler, frémissante. Elle consentit à se tenir tranquille quelques instants, puis de nouveau bondit avec des jappements aigus.

– Qu'y a-t-il, Arius ? demanda la jeune femme agacée, que se passe-t-il ? Tu entends des souris ?

Elle lui ferma la gueule de sa main et tendit l'oreille pour essayer de surprendre ce qui agitait ainsi le griffon. Un bruit imperceptible, qu'elle ne put définir sur le moment lui parvint. C'était comme le glissement d'un objet dur sur une surface polie. Arius grondait.

– Du calme, Arius, du calme !

Elle n'arriverait donc jamais à dormir ! Tout à coup derrière ses paupières closes, émergeant de lointains souvenirs Angélique eut la vision de ces mains sombres, de ces mains sales et rugueuses des voleurs de Paris, qui dans les ténèbres épaisses de la nuit se posent sur la surface des vitres et font glisser l'invisible diamant à découper. Elle se redressa d'un bond. Oui, c'était bien cela. Le bruit venait du côté de la fenêtre. Les voleurs !...

Son cœur battait si violemment qu'elle n'entendait plus que ses coups sourds et précipités. Arius s'échappa et se remit à pousser des aboiements aigus. Elle le rattrapa et l'étouffa presque pour le faire taire. Lorsqu'elle réussit de nouveau à tendre l'oreille elle eut l'impression que quelqu'un était dans la pièce. Elle entendit battre la fenêtre. « Ils » étaient entrés.

– Qui est là ? cria-t-elle, plus morte que vive.

Personne ne répondit, mais des pas s'approchèrent de l'alcôve.

« Mes perles ? » songea-t-elle.

Elle lança la main en avant, saisit une poignée de bijoux. Presque aussitôt le choc étouffant d'une lourde couverture s'abattait sur elle. Des bras noueux l'encerclèrent et la paralysèrent, tandis que d'une corde on essayait de la ligoter. Elle se débattit comme une anguille, hurlant à travers les épaisseurs du tissu. Elle réussit à se dégager, retrouva sa respiration pour lancer :

– Au secours ! Au sec...

Deux gros pouces meurtrirent sa gorge, étranglèrent son cri d'appel. Elle suffoqua. Il lui semblait que des éclairs rouges éclataient devant ses yeux. Les jappements hystériques du griffon devenaient de plus en plus lointains...

« Je vais mourir, songea-t-elle..., étranglée par un cambrioleur !... Oh ! c'est trop idiot !... Philippe !... Philippe !... »

Tout s'éteignit enfin.

*****

En reprenant connaissance, la jeune femme sentit un objet glisser de ses doigts et tomber à terre sur le dallage, avec un bruit de boules.

« Mes perles ! »

Engourdie elle se pencha par-dessus le bord de la paillasse où elle était étendue, et aperçut le sautoir de perles rosés. Elle avait dû le garder serré dans son poing crispé, tandis qu'on l'enlevait et qu'on l'amenait dans ce lieu inconnu. Les yeux hagards d'Angélique firent le tour de la pièce. Elle était dans une sorte de cellule où le brouillard de l'aube pénétrait lentement par une petite fenêtre en ogive grillée luttant contre la lumière jaune d'une lampe à huile dans une niche. L'ameublement comportait une table grossière et un escabeau à trois pieds ainsi que le mauvais lit, fait d'un cadre de bois et d'une paillasse de crin.

« Où suis-je ? Entre les mains de qui ? Que me veut-on ? »

On ne lui avait pas volé ses perles. Ses liens étaient dénoués mais la couverture la couvrait encore par-dessus sa légère chemise de nuit de soie rose. Angélique se pencha, ramassa le collier, qu'elle mit machinalement à son cou. Puis elle se ravisa et l'ôtant, le glissa sous le traversin.

Au-dehors, une cloche argentine se mit à tinter. Une autre lui répondit. Le regard d'Angélique accrocha, pendu au mur de chaux, une petite croix de bois noir garnie d'un rameau de buis.

« Un couvent ! Je suis dans un couvent... »

En écoutant avec attention elle pouvait surprendre les échos lointains d'un orgue et de voix psalmodiant des cantiques.

« Qu'est-ce que tout cela signifie ? Oh ! mon Dieu, que j'ai mal à la gorge ! »

Elle resta là un moment, prostrée, les pensées en déroute, voulant se persuader qu'elle vivait un mauvais rêve et qu'elle allait enfin se réveiller de ce cauchemar absurde. Des pas résonnant dans le couloir la firent se redresser. Des pas d'homme. Son ravisseur, peut-être ? Ah ! Ah ! Elle ne le laisserait pas quitte des explications. Elle ne craignait point les bandits. Elle lui rappellerait, si nécessaire, que le roi des argotiers, Cul-de-Bois, était de ses amis.

On s'arrêtait devant la porte. Des clefs tournèrent dans la serrure et quelqu'un entra. Angélique demeura un instant stupéfaite à la vue de celui qui se dressait devant elle.

– Philippe !

Elle était à cent lieues d'imaginer l'apparition de son mari. Ce Philippe, qui n'avait pas daigné depuis deux mois qu'elle était à Paris lui rendre la moindre visite, même de politesse, et se souvenir qu'il avait une femme.

– Philippe ! répéta-t-elle. Oh ! Philippe, quel bonheur ! Vous venez à mon secours ?...

Mais quelque chose de glacé et d'insolite dans le visage du gentilhomme arrêta l'élan qui la jetait vers lui.

Il se tenait devant la porte, campé dans ses hautes bottes de cuir blanc, magnifique dans son justaucorps de daim gris souris soutaché d'argent. Sur son col de dentelle en point de Venise, les boucles de sa perruque blonde tombaient, soigneusement disposées. Son chapeau était de velours gris à plumes blanches.

– Comment vous sentez-vous, Madame ? demanda-t-il. Votre santé est-elle bonne ?

On aurait dit qu'il la rencontrait dans un salon.

– Je... je ne sais pas ce qui m'est arrivé, Philippe, balbutia Angélique en plein désarroi. On m'a attaquée dans ma chambre... On m'a enlevée et amenée ici. Pourriez-vous m'expliquer quel est le misérable qui a commis ce forfait ?

– Très volontiers. C'est La Violette, mon premier valet de chambre.

– ... ?

– Sur mon ordre, compléta-t-il obligeamment.

Angélique bondit. La vérité éclatait. En chemise, pieds nus sur les dalles froides, elle courut jusqu'à la fenêtre, se cramponnant aux grilles de fer. Le soleil se levait sur le beau jour d'été qui verrait le roi et sa Cour chasser le cerf dans les bois de Fausse-Repose. Mais Mme du Plessis-Bellière n'y serait pas présente. Elle se retourna, hors d'elle.

– Vous avez fait cela pour m'empêcher de paraître à la chasse du roi !

– Comme vous êtes intelligente !

– Ne savez-vous pas que Sa Majesté ne me pardonnera jamais cette suprême impolitesse, qu'elle va me renvoyer en province ?

– C'est exactement le but que je veux atteindre.

– Oh ! vous êtes un homme... diabolique.

– Vraiment ? Sachez que vous n'êtes pas la première femme qui me fait ce gracieux compliment.

Philippe riait. La colère de sa femme semblait avoir raison de son caractère taciturne.

– Pas si diabolique que cela après tout, reprit-il. Je vous fais enfermer au couvent afin que vous puissiez vous régénérer dans la prière et les macérations. Dieu lui-même ne peut y trouver à redire.

– Et combien de temps devrai-je rester en pénitence ?

– Nous verrons !... nous verrons. Quelques jours pour le moins.

– Philippe, je... Je crois que je vous hais.

Il rit de plus belle, les lèvres retroussées sur ses dents blanches et parfaites dans un rictus cruel.

– Vous réagissez à merveille. Cela vaut la peine de vous contrarier.

– Me contrarier !... Vous appelez ça contrariété ? Effraction !... Enlèvement ! Et quand je pense que c'est vous que j'ai appelé à mon secours quand cette brute a essayé de m'étrangler...

Philippe cessa de rire et fronça les sourcils. Il s'approcha d'elle pour examiner les traces bleues qui marbraient son cou.

– Bigre ! Le pendard y a été un peu fort. Mais je me doute que vous avez dû lui donner du fil à retordre et c'est un garçon qui ne connaît que la consigne. Je lui avais prescrit de mener l'opération avec le plus de discrétion possible afin de ne pas attirer l'attention de vos gens. Il s'est introduit par la porte du fond de votre orangerie. N'empêche, la prochaine fois je lui recommanderai moins de violence.

– Car vous envisagez une « prochaine fois » ?

– Tant que vous ne serez pas matée, oui. Tant que vous redresserez votre front têtu, que vous me répondrez avec insolence, que vous chercherez à me désobéir. Je suis Grand Veneur du roi. J'ai l'habitude de dresser les chiennes féroces. Elles finissent toujours par me lécher les mains.

– J'aimerais mieux mourir, dit Angélique sauvagement. Vous me tuerez plutôt.

– Non. Je préfère vous asservir.

Il plongeait son regard bleu dans le sien et elle finit par détourner les yeux, oppressée. Le duel qui les opposait promettait d'être farouche, mais elle en avait vu d'autres. Elle le brava encore :

– Vous êtes trop ambitieux, je crois, Monsieur. Vous me voyez curieuse de savoir ce que vous envisagez pour parvenir à ce but ?

– Oh ! j'ai le choix des moyens, fit-il avec une moue. Vous enfermer, par exemple. Que diriez-vous de prolonger un peu votre séjour ici ? Ou encore... Je puis vous séparer de vos fils.

– Vous ne feriez pas cela.

– Pourquoi pas ? Je peux aussi vous couper les vivres, vous réduire à la portion congrue, vous contraindre à me quêter votre pain...

– Vous dites des sottises, mon cher. Ma fortune est à moi.

– Ce sont des choses qui s'arrangent. Vous êtes ma femme. Un mari a tous les pouvoirs. Je ne suis pas si sot que je ne trouve un jour le moyen de faire passer votre argent à mon nom.

– Je me défendrai.

– Qui vous écoutera ? Vous aviez eu l'habileté, je le reconnais, de gagner l'indulgence du roi. Mais après votre impair d'aujourd'hui j'ai bien peur qu'il n'y faille plus compter. Sur ce je vous quitte et vous laisse à vos méditations car je ne dois pas manquer le départ de la meute. Je pense que vous n'avez plus rien à me dire ?

– Si, que je vous déteste de toute mon âme !

– Ce n'est rien encore. Un jour vous supplierez la mort de vous délivrer de moi.

– Qu'y gagnerez-vous ?

– Le plaisir de la vengeance. Vous m'avez humilié jusqu'au sang mais moi aussi je vous verrai pleurer, crier grâce, devenir une loque, une malheureuse à moitié folle.

Angélique haussa les épaules.

– Quel tableau ! Pourquoi pas la salle de torture pendant que vous y êtes, le fer rouge sous la plante des pieds, le chevalet, les membres brisés ?...

– Non... Je n'irai pas jusque-là. Il se trouve que j'ai un certain goût pour la beauté de votre corps.

– Vraiment ? On ne s'en douterait guère. Vous le manifestez bien peu.

Philippe, qui se trouvait déjà près de la porte, se détourna, les yeux mi-clos.

– Vous en plaindriez-vous, ma chère ? Quelle heureuse surprise ! Ainsi je vous ai manqué ? Vous trouvez que je n'ai pas assez sacrifié à l'autel de vos charmes ? N'y a-t-il donc pas encore assez d'amants pour y rendre hommages, que vous réclamiez ceux d'un mari ? J'avais pourtant eu l'impression que vous ne vous étiez pas pliée sans désagrément aux obligations de votre nuit de noces, mais je me suis peut-être mépris...

– Laissez-moi, Philippe, dit Angélique qui le regardait avancer avec appréhension.

Elle se sentait nue et désarmée dans sa fine chemise de nuit.

– Plus je vous regarde et moins j'ai envie de vous laisser, dit-il.

Il l'enlaça, la plaqua contre lui. Elle frissonnait et une envie terrible d'éclater en sanglots nerveux lui serrait la gorge.

– Laissez-moi. Oh ! Je vous supplie, laissez-moi.

– J'adore vous entendre supplier.

Il l'enleva comme un fétu de paille et la laissa retomber sur la paillasse monastique.

– Philippe, avez-vous songé que nous sommes dans un couvent ?

– Et après ? Vous imaginez-vous que deux heures de séjour dans ce pieux asile vous font bénéficier du vœu de chasteté ? D'ailleurs, qu'à cela ne tienne. J'ai toujours pris grand plaisir à violer les nonnes.

– Vous êtes le plus ignoble personnage que je connaisse !

– Votre vocabulaire amoureux n'est pas des plus tendres, fit-il en dégrafant son baudrier. Vous gagneriez à fréquenter le salon de la belle Ninon. Trêve de simagrées, Madame. Vous m'avez rappelé, fort heureusement, que j'avais des devoirs à remplir envers vous et je les remplirai.

Angélique ferma les yeux. Elle avait cessé de résister, sachant par expérience ce qu'il pouvait lui en coûter. Passive et dédaigneuse elle subit l'étreinte pénible qu'il lui infligeait comme une punition. Elle n'avait qu'à imiter, songeait-elle, les épouses mal mariées – et Dieu sait qu'elles étaient légion – qui se font une raison, pensent à leurs amants ou disent leur chapelet, en acceptant les hommages du quinquagénaire ventripotent auquel les a liées la volonté d'un père intéressé. Ce n'était pas, évidemment, tout à fait le cas de Philippe. Il n'était ni quinquagénaire ni ventripotent, et c'était elle, Angélique, qui avait voulu l'épouser. Elle pouvait bien s'en mordre les doigts aujourd'hui. C'était trop tard. Elle devait apprendre à connaître le maître qu'elle s'était donné. Une brute, pour qui la femme n'était qu'un objet à travers lequel il poursuivait, sans nuances, la recherche d'un assouvissement physique. Mais c'était une brute solide et souple et dans ses bras il était difficile d'égarer sa pensée ou de dire des patenôtres. Il menait l'aventure au galop, en guerrier que commande le désir et qui a perdu l'habitude, dans les exaltations et les violences des soirs de bataille, de faire la place au sentiment.

Cependant au moment de la lâcher il eut un geste léger, qu'elle crut plus tard avoir rêvé : il posa sa main sur le cou renversé de la jeune femme, à l'endroit où les doigts grossiers du valet avaient laissé leurs marques bleuies et il s'y attarda un instant comme pour une imperceptible caresse.

Déjà il était debout, la couvant d'un œil méchant et goguenard.

– Eh bien, ma belle, vous voilà plus sage il me semble. Je vous l'ai dit. Bientôt, vous ramperez. En attendant, je vous souhaite un agréable séjour dans ces lieux aux murs épais. Vous pourrez y pleurer, hurler et maudire à loisir. Personne ne vous entendra. Les religieuses ont ordre de vous donner à manger mais de ne pas vous laisser mettre un pied dehors. Or, elles ont la réputation de s'acquitter fort bien de leur rôle de geôlières. Vous n'êtes pas la seule pensionnaire forcée de ce couvent. Bon plaisir, Madame ! Il se peut qu'au soir vous entendiez passer les cors de la chasse du roi. Je ferai sonner une fanfare à votre intention.

Il sortit sur un éclat de rire moqueur. Son rire était détestable. Il ne savait rire que dans la vengeance.

*****

Après son départ Angélique resta longtemps immobile, enveloppée dans la grossière couverture, où s'attardait un parfum d'homme composé d'essence de jasmin et de cuir neuf. Elle se sentait lasse et découragée. Les angoisses de la nuit jointes à l'irritation de la dispute l'avaient livrée à bout de nerfs aux exigences de son mari. Violentée, elle n'avait plus de forces et son corps plongeait dans un engourdissement proche du bien-être. Une nausée aussi subite qu'imprévisible lui monta aux lèvres et elle lutta un moment, la sueur aux tempes, contre un incoercible malaise. Retombée sur sa paillasse elle se sentit plus déprimée que jamais. Cette défaillance confirmait des symptômes qu'elle avait voulu méconnaître depuis un mois. Mais maintenant il lui fallait se rendre à l'évidence. La terrible nuit de noces qu'elle avait vécue au Plessis-Bellière et dont elle ne pouvait se souvenir sans rougir de honte avait porté ses fruits. Elle était enceinte. Elle attendait un enfant de Philippe, de cet homme qui la haïssait et qui avait juré de se venger d'elle et de la tourmenter jusqu'à la rendre folle. Un moment Angélique se sentit accablée et eut la tentation de se laisser aller et de renoncer à la lutte. Le sommeil la gagna. Dormir ! Après elle reprendrait courage. Mais ce n'était pas le moment de dormir. Après il serait trop tard. Elle aurait provoqué la colère du roi et serait bannie à jamais de Versailles et même de Paris. Elle se leva, courut jusqu'à la porte de gros bois qu'elle martela de ses poings jusqu'à s'écorcher, criant, hurlant :

– Ouvrez-moi ! Sortez-moi de là !

Le soleil maintenant pénétrait à flots dans la cellule. À cette heure les équipages du roi se rassemblaient dans la cour d'honneur, les carrosses des invités parisiens franchissaient la porte Saint-Honoré. Angélique seule manquerait au rendez-vous.

« Il faut que je sois présente ! Il faut que je sois présente ! Si je m'aliène le roi, je suis perdue. Seul le roi peut tenir Philippe en respect. Il faut que je rejoigne la chasse royale coûte que coûte ! »

« Philippe n'a-t-il pas parlé des cors de la chasse du roi que je pourrais percevoir d'ici ? Je serais donc dans un couvent aux environs de Versailles ? Oh ! il faut absolument que je réussisse à sortir d'ici. »

Mais tourner en rond dans sa cellule n'apportait aucune solution. Enfin un bruit de lourds sabots résonna dans le couloir. Angélique s'immobilisa, pleine d'espoir, puis regagna son grabat où elle s'étendit avec son air le plus doux. Une grosse clef tourna dans la serrure et une femme entra. Ce n'était pas une religieuse mais une servante en gros bonnet de percale et vêtements de futaine qui portait un plateau.

Elle grommela un « bonjour » sans aménité et commença à disposer sur la table le contenu du plateau. Celui-ci semblait maigre. Un flacon d'eau, une écuelle d'où venait une vague odeur de lentilles au lard, un pain rond.

Angélique observait la servante avec curiosité. C'était peut-être le seul contact qu'elle aurait avec l'extérieur pour la journée entière. Il fallait profiter de l'occasion. La fille ne semblait pas être une lourde paysanne comme on en trouve généralement à balayer les cloîtres. Jolie même, avec de grands yeux noirs pleins de feu et de rancune et une façon de remuer les reins sous ses cottes de futaine qui en disait long sur ses activités passées. L'œil averti d'Angélique ne pouvait s'y tromper pas plus qu'elle ne se méprit sur la qualité des jurons que la fille laissa échapper en faisant tomber par mégarde la cuillère du plateau. C'était à n'en pas douter l'une des plus accortes vassales de sa Majesté le Grand Coësre, roi des Argotiers.

– Salut, frangine, murmura Angélique.

L'autre se retourna d'un coup et ses yeux s'écarquillèrent en voyant Angélique ébaucher le signe de reconnaissance des truands de Paris.

– Ça alors ! fit-elle quand elle fut un peu revenue de sa stupéfaction, ça alors ! Si je m'attendais... On m'avait dit que tu étais une vraie marquise. Eh bien ! ma pauvre môme, toi aussi tu t'es fait piper par ces salauds de la compagnie du Saint-Sacrement ? Pas de chance, hein ! Avec ces oiseaux de malheur plus moyen de faire son boulot tranquillement !

Elle vint s'asseoir au pied de la paillasse de la prisonnière, croisant sur sa poitrine provocante son fichu de laine grise.

– Six mois que je suis dans cette turne. Tu parles si je rigole ! C'est du nanan de te voir. Ça va me distraire un peu. Dans quel quartier travaillais-tu ?

Angélique eut un geste vague :

– Un peu partout.

– Et qui est ton « barbillon » ?

– Cul-de-Bois.

– Le Grand Coësre ! Mâtin, ma belle, tu es soignée. Pour une nouvelle tu as tes grandes entrées. Car tu es nouvelle, pour sûr. J't'avais jamais reluquée avant. Comment t'appelles-tu ?

– La Belle Angèle.

– Et moi c'est La Dimanche. Oui, on m'a donné ce nom-là à cause de ma spécialité. Je ne travaillais que le dimanche. Une idée qui m'était venue comme ça pour ne pas faire comme tout le monde, et une bonne idée tu peux m'en croire. Je l'avais bien accommodé mon turbin. Rien que devant les églises que j'allais battre le pied. Et dame, ceux qu'étaient pas très décidés en entrant, ils avaient le temps de réfléchir en faisant leurs prières. Une belle fille après une bonne messe, pourquoi pas ? Ça me donnait plus de clients que je n'en pouvais satisfaire, à la sortie. Mais quel boucan chez les bégueules et les dévots ! À croire que tout Paris manquait la messe à cause de moi ! Ah ! ils s'en sont donné du mal pour me faire arrêter !

Ils sont allés jusqu'au parlement pour réclamer mon enfermement. Ce sont des suppôts de l'Enfer que ces dévots. N'empêche, ils sont forts. Voilà où j'en suis maintenant. Aux Augustines de Bellevue. C'est mon tour de chanter vêpres. Et toi, comment ça t'est arrivé ?

– Un protecteur qui voulait me chambrer pour son compte. Je l'ai fait marcher, cracher au bassinet, puis... des nèfles. Il ne me revenait pas. Seulement il a décidé de se venger en m'envoyant au couvent jusqu'à ce que je change d'avis.

– Il y a vraiment du vilain monde, quand même, soupira La Dimanche en levant les yeux au ciel. Sans parler que c'est un radin ton ami. J'ai entendu quand on discutait le prix pour te garder ici avec la Mère Supérieure. Vingt écus pas plus, comme pour moi. C'est ce que paie la compagnie du Saint-Sacrement pour qu'on me garde sous les verrous. À ce régime-là tu n'as droit qu'aux pois et aux fèves.

– Le salaud, s'écria Angélique, blessée au vif par ce dernier détail.

Pouvait-on imaginer personnage plus rebutant que ce Philippe ! Et avare avec cela. Jusqu'à la marchander au tarif d'une fille de la galanterie !

Elle saisit le poignet de La Dimanche.

– Écoute ! Il faut que tu me sortes de là. J'ai une idée. Tu vas me prêter tes vêtements et m'indiquer par où je dois passer pour trouver une porte qui donne sur la campagne.

L'autre se rebiffa :

– Rien que ça ! Et comment que je pourrais t'aider à sortir d'où j'ai pas pu me tirer moi-même ?

– Ce n'est pas la même chose. Toi, les nonnes te connaissent. Elles te repéreraient tout de suite. Moi, aucune ne m'a encore vue de près, à part la Mère Supérieure. Même si elles me rencontrent dans les couloirs je peux leur raconter n'importe quoi.

– C'est vrai, reconnut La Dimanche. Tu es arrivée ficelée comme un saucisson. Y faisait pleine nuit encore. On t'a montée tout droit ici.

– Tu vois ! J'ai de bonnes chances de réussir. Vite, passe-moi ton cotillon.

– Doucement, marquise, grommela la fille, l'œil mauvais. « Tout pour moi, rien pour les autres », c'est ta devise à ce qu'il me semble. Et qu'est-ce qu'elle gagnera là-dedans la pauvre Dimanche que tout le monde oublie derrière ses grilles ? Des em... oui-dà et peut-être un cul-de-fosse un peu plus profond encore.

– Et ceci, dit Angélique qui d'une main preste passée sous le traversin, ramena au jour le sautoir de perles rosés.

Devant ce ruissellement de splendeur couleur d'aurore La Dimanche fut tellement saisie qu'elle ne sut que pousser un long sifflement d'admiration.

– C'est du toc, ça, frangine ? souffla-t-elle éperdue.

– Non. Soupèse un peu. Tiens, prends-le. Il est à toi si tu me donnes un coup de main.

– Sans blague ?

– Parole. Avec cela, le jour où tu sortiras tu auras de quoi te nipper comme une princesse et t'installer dans tes meubles.

La Dimanche faisait passer d'une main à l'autre le bijou princier.

– Alors, tu te décides ?

– D'accord. Mais j'ai une idée meilleure que la tienne. Attends-moi. Je reviens.

Elle fit glisser le collier dans les profondeurs de sa jupe et sortit. Son absence se prolongea une éternité. Enfin elle reparut essoufflée, un paquet de vêtements sous un bras, un pot de cuivre pendu à l'autre.

– C'est la Mère Yvonne, c'te poison qui m'avait crochée, ouf ! J'ai pu l'envoyer paître. Dépêchons-nous. Parce que la traite des vaches va être bientôt finie. À cette heure les femmes viennent chercher le lait à la ferme du monastère. Tu vas mettre ces hardes de vachère, tu prendras ton pot et ton coussinet, tu descendras par l'échelle du pigeonnier que je vais t'indiquer et quand tu seras dans la cour tu te mêleras aux autres et tu t'arrangeras pour sortir avec elles par le porche. Mais prends garde que le lait te tienne bien en équilibre sur la tête.

Le plan de La Dimanche se réalisa sans encombre. Moins d'un quart d'heure plus tard Mme du Plessis-Bellière en jupon court rayé rouge et blanc, la taille prise dans un corselet noir, tenant d'une main ses souliers – trop grands – et de l'autre l'anse du pot de cuivre qui vacillait dangereusement, se retrouvait marchant sur la route poudreuse avec la louable ambition d'atteindre Paris, qu'on apercevait là-bas, fort loin dans la vallée, à travers une brume de soleil.

Elle était arrivée sur la fin de la distribution dans la cour de ferme où des sœurs converses, après avoir trait les vaches, répartissaient le lait à des femmes chargées de le porter dans Paris ou sa banlieue.

Une vieille religieuse qui présidait à l'appel s'était bien demandé d'où sortait cette dernière venue, mais Angélique avait pris son air le plus benêt et répondu à toutes les questions dans son patois poitevin, et comme elle s'obstinait à tendre quelques sous – généreusement avancés par La Dimanche – on l'avait quand même servie et laissée aller.

Maintenant il fallait se hâter. Elle se trouvait à mi-chemin entre Versailles et Paris. Après réflexion elle avait jugé que se rendre directement à Versailles était folie. Pouvait-elle se présenter devant le roi et sa Cour en jupon rayé de Margoton ? Mieux valait rentrer à Paris, retrouver ses atours, son carrosse et rejoindre au galop la chasse à travers bois.

Angélique marchait vite, mais elle avait l'impression de ne pas avancer. Ses pieds nus se heurtaient aux cailloux aigus. Lorsqu'elle mettait ses gros souliers elle les perdait et trébuchait. Le lait clapotait, le coussinet glissait.

Enfin la carriole d'un chaudronnier qui allait vers Paris la rejoignit. Elle lui fit de grands signes.

– Pourriez-vous me charger, l'ami ?

– Bien volontiers, la belle. En échange d'un bécot je vous conduis jusqu'à Notre-Dame.

– N'y comptez pas. Mes baisers je les garde pour mon promis. Mais je vous donnerai ce pot de lait pour vos lardons.

– Tope-là ! C'est une aubaine. Montez donc, fille aussi belle que sage.

Le cheval trottait bien. À 10 heures on était dans Paris. Le chaudronnier la conduisit fort avant sur les quais. Après quoi Angélique courut comme un elfe jusqu'à son hôtel, où le suisse faillit tomber à la renverse en reconnaissant sa maîtresse déguisée en bavolette des faubourgs.

Depuis le matin les domestiques s'interrogeaient sur les mystères de cette demeure. À l'effroi d'avoir constaté la disparition de leur maîtresse s'était ajouté l'étonnement lorsque le valet de M. du Plessis-Bellière, un grand escogriffe fort insolent et arrogant, s'était présenté pour réquisitionner tous les chevaux et les carrosses de l'hôtel Beautreillis.

– Tous mes chevaux ! Tous mes carrosses ! répéta Angélique, médusée.

– Oui, Madame, confirma l'intendant Roger, survenu.

Il baissait les yeux, aussi confus de voir sa maîtresse en corselet et bonnet blanc que s'il l'avait vue toute nue.

Angélique réagit vaillamment.

– Qu'importe ! J'irai quêter le secours d'une amie. Javotte, Thérèse, dépêchez-vous. Il me faut un bain. Préparez mon justaucorps de chasse. Et qu'on me fasse monter un en-cas avec un flacon de bon vin.

Le timbre clair d'une horloge égrenant les douze coups de midi la fit sursauter.

« Dieu sait l'excuse que Philippe aura inventée pour expliquer mon absence à Sa Majesté ! Que j'avais pris médecine et que j'étais au lit tordue de nausées... Il en est bien capable, l'animal ! Et maintenant sans mon carrosse, sans mes chevaux, arriverai-je seulement avant le coucher du soleil ? Maudit Philippe ! »

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