ÉPIGLOTTE

Le jour aux doigts d’or se lève, comme se plaît à dire un équarrisseur de mes relations, récemment primé aux Floralies de Dizimieux-les-Tronches (Isère).

J’ajouterai qu’il est triomphal.

Nous avons passé une nuit dite blanche, mais malgré mes souffrances et mon manque de sommeil, je me sens pareil à un brocheton dans du beurre blanc.

Sa note de bigophone, à Klakbitt, va atteindre des sommets. Seulement, comme il sera au trou, il obtiendra probablement des délais pour la cigler.

Curieux, tout de même, ma réaction. Avant de prévenir mes partenaires anglais du succès de notre mission, j’ai passé trois heures à tubophoner à la presse française. Cocardier, hein, le mec ! J’ai appelé le Figaro, Libé, le Parisien, Les Dernières Nouvelles d’Alsace, Ouest-France, le Progrès de Lyon, L’Ouest républicain, le Provençal, Nice-Matin, le Dauphiné libéré la Montagne de Clermont-Ferrand, plus une beurrée d’autres qui figurent dans mon carnet. J’ai contacté mes potes suisses : la Tribune de Genève, le Journal de Genève, la Liberté de Fribourg, le Matin de Lausanne et puis d’autres, et beaucoup, beaucoup d’autres. M’a fallu écluser deux boutanches d’eau minérale pour parviendre au bout de mon propos.

J’ai alerté les télés, les privées comme les officielles.

Cette rafale expédiée, j’ai demandé l’ambassade de France en Namibie. Le gazier obtenu au bout du fil venait d’arriver en poste et ignorait encore que le patelin s’appelle Namibie depuis 1966. Inutile de le brusquer. J’ai donc tubophoné à mes partenaires du Forage Office, comme l’appelle Alexandre-Benoît. Ils m’ont gratulé de partout !

— Surtout, m’ont-ils supplié, pas un mot à quiconque. Nous allons aviser.

— C’est une excellente idée, les ai-je-t-il approuvés. Que dois-je faire des receleurs d’uranium, c’est-à-dire le directeur de la mine et sa maîtresse ?

Un temps embarrassé.

— Voir et attendre ! s’oblige-t-il de traduire en français.

— Ils ont tenté de nous assassiner cette nuit, fais-je valoir, sans haine excessive.

— Oui, naturellement, dit l’autre, à des milliers de kilomètres. Néanmoins, compte tenu de… des circonstances…

— Certes, rengracié-je. Il y a aussi que l’assistant du chief des Services secrets namibiens a tenté de nous couper l’herbe sous les Pataugas en faisant trucider le principal témoin de l’affaire, une vieille dame dont l’époux était anglais.

Silence prolongé, lourd de morosité. Tu sais que, me jugeant désormais inutile, je lui pompe l’air, à cet Anglo-Normand !

Depuis son burlingue londonien que je suppose meublé d’acajou, le Rosbif se décide enfin :

— Voyez-vous, mon cher directeur, il est préférable de ne rien brusquer. Bien sûr, tous les coupables seront châtiés, mais au moment opportun, vous me comprenez ?

— Pleinement.

— En attendant, laissez l’uranium où il est ; comblez le trou afin que sa cachette reste ignorée jusqu’à ce que les instances supérieures aient arrêté leur décision. Tout cela est tellement grave, vous me comprenez ?

— Parfaitement. En somme, vous n’avez plus besoin de moi ?

— Non, mon cher, et bravo pour votre perspicacité et votre combativité ! Ah ! encore une chose. Puisque notre carte d’accréditation vous est désormais inutile, soyez gentil de nous la retourner.

— Cela va sans dire.

Cling !

Nous voici séparés.

Je souris à l’appareil enfin muet.

— Cette fois, je te conduis au dispensaire ! gronde Jérémie ; t’as une gueule qui ferait gerber un crapaud.

— Il y a plus urgent, réponds-je. Fais loquer le dirluche ; qu’il se munisse de ses papiers. Tu as pris les photos du verger contenant les caissons plombés ?

— Un vrai documentaire ; j’ai la maison aussi, le carrefour, tout !

— On passera chez le gros connard à la bite fleurie pour que sa rombiasse récupère les siens.

— Nous sommes déjà allés les chercher.

— Tu es magique, Noirpiot. Où est Béru ?

— Il finit de tirer la mère Smith. Je pense qu’elle aura eu sa dose, tu ne l’as pas entendu gueuler ?

— J’ai cru que c’étaient des coyotes.

— Donc, décarrade générale ? La grande scène du départ avec toute la troupe ?

— Direction l’Afrique du Sud, j’ai hâte d’être au Cap, où nous trouverons un vol pour Paname. Une fois là-bas, la Justice française prendra l’affaire en main si elle le souhaite ; elle disposera de tous les éléments, et même de la dame Smith et de son complice.

Il soupire :

— L’affaire ! Tu vas voir qu’elle va s’embourber dans les discussions diplomatiques !

— Probable, mais ce ne sera plus notre problo, Jéjé. Nous, nous aurons accompli la mission qui nous était confiée. Le reste n’est que déclarations fumeuses et papier hygiénique.

Voyant que je fais la grimace, il murmure :

— Tu as très mal, hein ?

— C’est un passe-temps comme un autre. Quand on sera de retour, fais-moi penser d’envoyer une babiole à Gretta Dübitsch. Un souvenir de Paris, même quand tu as la chaglatte en flammes, ça fait toujours plaisir.

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