Comme l’avait dit Blaireau, il n’était que temps. Le train stoppait.
Une jolie petite femme, ébouriffée, drolichonne, à peine éveillée, sautait sur le quai, puis apercevant Bluette prenait un air cérémonieux et tout haut:
– Bonjour monsieur le directeur s’inclinait-elle.
Puis, tout bas:
– Bonjour mon vieux loup chéri. Je suis bien contente de te revoir, tu sais, bien contente!
– Et moi donc! murmurait, sur le ton de la sincérité, notre jeune et sympathique fonctionnaire.
– C’est loin, ta boîte?
– Un quart d’heure à peine.
– Allons à pied, ça me dégourdira mes pauvres petites jambettes.
– Je n’ai pas besoin, n’est-ce pas, Alice, de te recommander au moins dans la rue…
– Une tenue décente. Tiens, regarde si on ne dirait pas une vieille Anglaise.
Et Alice affecta un air de respectability de café-concert qui fit retourner les passants.
Heureusement qu’on était arrivé.
…
…
Ces deux lignes de points remplacent pudiquement les détails de l’installation de la gracieuse Alice dans la belle chambre bleue, installation à laquelle le galant M. Bluette tint à présider lui-même.
Il n’était pas loin de onze heures quand le couple descendit au cabinet directorial.
– Assieds-toi, ma petite Alice, et tiens-toi bien tranquille pendant que je vais vaquer à mes importantes fonctions.
– Vaque, mon ami, vaque.
– J’en ai pour un bon quart d’heure.
– C’est cela que tu appelles tes importantes fonctions! Il est vrai que, pour toi, c’est encore très joli… J’ai beaucoup de peine à me faire à cette idée que tu sois devenu directeur de quelque chose.
– C’est pourtant la hideuse vérité.
– Tu ne dois pas être bien sévère avec tes bonshommes.
– Sévère? À quoi bon?
– Ils sont méchants?
– Pas le moins du monde. Ce sont d’excellentes natures.
– Tu me présenteras?
– Si tu veux. Je puis me vanter d’avoir fait de la prison de Montpaillard une véritable prison de famille. Tout le monde y vit dans la concorde et la tranquillité.
– Tant mieux, mon loup.
– La vie y est seulement un peu monotone. Comme distraction, nous n’avons guère que l’entrée et la sortie d’un détenu de temps en temps. Justement, il y en a un qui finit sa peine aujourd’hui et que je vais mettre en liberté… Il ne faut pas que je l’oublie, même, comme cela m’est arrivé plusieurs fois.
– Qui est-ce?
– Un nommé Blaireau, habile braconnier un fort aimable homme, du reste. Tu vas le voir.
– Il avait commis un crime?
– Oh! non, le pauvre garçon! Un petit délit de rien du tout, une simple volée à un garde champêtre.
– On n’a donc pas le droit?
– Si, mais il ne faut pas se laisser prendre.
À ce moment, un des gardiens de la prison vint apporter le courrier de M. le directeur que celui-ci plaça négligemment sur la table.
– Rien de neuf, à part ça?
– Rien, monsieur le directeur… Ah! fit observer le gardien, est-ce que monsieur le directeur se rappelle que c’est aujourd’hui que Blaireau doit être remis en liberté?
– Oui… oui… je l’ai prévenu… D’ailleurs, vous allez me l’envoyer tout de suite. Je vais régler cette affaire-là.
– Je vous envoie Blaireau, monsieur le directeur, dit le gardien en sortant.
Bluette se retourna vers sa jeune amie.
– Sois assez gentille pour me laisser un instant, ma petite Alice. J’expédie mon homme et nous serons libres toute la journée.