– À nous deux, Blaireau.
– Je vous écoute, monsieur le maire.
– Alors, grand nigaud, vous allez vous laisser accaparer par des intrigants qui vont se servir de vous pour embêter l’autorité, la magistrature, pour troubler l’ordre et qui, après ce beau gâchis, vous lâcheront et se moqueront de vous!
– Pourquoi se moqueraient-ils de moi?
– Parce qu’ils n’auront plus besoin de vous, parbleu! C’est clair!… Écoutez, Blaireau, il s’agit d’examiner froidement votre situation.
– Elle n’est pas gaie, ma situation, mon pauvre monsieur.
– Pas gaie? Je ne suppose pas que vous allez vous plaindre du régime de notre prison, hein? La prison de Montpaillard est bien connue pour être la meilleure du département, et vous ne tomberez pas toujours sur des directeurs comme M. Bluette.
– Je compte même ne plus jamais tomber sur aucun directeur.
– On ne sait jamais.
– Et puis, M. Bluette est bien gentil; mais, enfin, une prison est toujours une prison.
– Quand vous irez dans une autre, vous apprécierez la différence.
– Décidément, vous y tenez, à ce que je retourne en prison?
– Ne causons plus de cela. Jetons un voile sur le passé. Comment allez-vous gagner votre vie, maintenant?
– Je ne serai pas embarrassé.
– Vraiment? Et que comptez-vous faire?
– Je travaillerai.
– À quoi?
– Comme avant… Je… bricolerai.
– Vous bricolerez? Je sais ce que cela veut dire, mais on aura l’œil sur vous, mon garçon, et plus que jamais. Du travail régulier, pensez-vous en trouver facilement?
– Pourquoi pas?
– Voilà où vous vous trompez, mon pauvre ami. Les gens sauront que vous avez fait trois mois de prison. Ils n’aiment pas beaucoup cela, les gens!
– Mais, nom d’un chien, ils sauront bien que je suis innocent, les gens!
– Je le sais, Blaireau, et je ne parle pas de moi qui suis au-dessus des préjugés. Je recevrais parfaitement, moi qui vous parle, un innocent à ma table, mais vous ne rencontrerez pas les mêmes indulgences chez tout le monde, n’est-il pas vrai, Bluette?
– Hélas, oui!
– Il faut tenir compte de l’opinion publique.
– L’opinion publique? s’écria Blaireau, elle est pour moi, l’opinion publique. Tenez, voyez ce journal.
– Ah! vous lisez ces inepties!
– Un scandale à Montpaillard!
– Il n’y a pas de scandale à Montpaillard, et il n’y en aura pas, je leur montrerai bien!
– Et l’Affaire Blaireau, monsieur le maire, qu’est-ce que vous en faites?
– Il n’y a pas d’affaire Blaireau! Ah ça! supposez-vous, mon pauvre garçon, parce que le Réveil de Nord-et-Cher a imprimé votre nom en grosses lettres, que vous êtes devenu un personnage plus considérable qu’il y a trois mois, avant votre condamnation?
– J’en suis même sûr!
– Vous vous trompez, mon cher Blaireau. Avant votre condamnation, vous n’étiez pas coupable… Aujourd’hui, vous êtes innocent. C’est exactement la même chose, et votre situation n’a pas changé d’une ligne.
– Je ne trouve pas, moi, et puis, j’ai fait trois mois de prison dans l’intervalle. Il ne faut pas oublier ce léger détail…
– Voyons, nous sommes entre nous, n’est-ce pas? N’essayez pas de faire votre malin avec moi. vous avez fait trois mois de prison, c’est vrai; mais si on les additionnait, tous les mois de prison que vous avez mérités rien que pour vos délits de braconnage, ce n’est pas trois mois de prison auxquels vous auriez droit, mon cher, mais au moins à dix ans. Estimez-vous donc encore bien heureux et n’en parlons plus!
– Je suis innocent, je ne sors pas de là!
– Ma parole d’honneur, on dirait qu’il n’y a que vous d’innocent dans la commune! voulez-vous que je vous dise, Blaireau? vous êtes un mauvais esprit, un homme de désordre, voilà ce que vous êtes!
– Ça n’empêche pas que je sois innocent.
– Écoutez, Blaireau, je vais vous donner un dernier conseil, un conseil d’ami. Quittez le pays. Allez-vous-en à une certaine distance à la campagne, dans une place que je me charge de vous procurer. Là, à force de travail et de bonne conduite, vous arriverez peut-être un jour à vous réhabiliter.
– Comment, me réhabiliter? Moi, un innocent?
– Est-ce convenu?
– Jamais de la vie! Un innocent n’a pas à se réhabiliter!
– Si vous ne suivez pas mon conseil, Blaireau, je ne réponds pas de ce qui arrivera.
– Qu’est-ce qui arrivera?
– Vous le verrez bien, et peut-être alors il sera trop tard, entêté!
– Diable, diable, me voilà bien embarrassé.
Blaireau se mit à gratter son pauvre crâne perplexe. Un gardien annonça la présence d’un monsieur qui souhaitait obtenir de M. le directeur l’autorisation de visiter M. Blaireau.
Ce monsieur n’était autre que notre vieille connaissance, le baron de Hautpertuis, qui venait voir la malheureuse victime et s’entendre avec elle sur les détails de la fête en son honneur et à son profit.
– Un baron, fit Blaireau, mazette!
– Faites entrer ce monsieur, commanda le directeur.
– Est-ce qu’il n’aurait pas renoncé à cette idée saugrenue? grommelait Dubenoît. Car ce n’est pas assez des révolutionnaires, il faut que les nobles s’en mêlent maintenant, de troubler l’ordre. Quelle époque, mon Dieu, quelle époque!
En tenue élégante, mais sobre, sans fleur à la boutonnière (on ne doit pas porter de fleurs dans les visites aux détenus),
M. le baron de Hautpertuis se présenta et salua d’un style aisé mais sévère, ainsi que le comportaient les circonstances.