IX
L’indicateur
Maigret se cala dans son fauteuil, eut une hésitation, comme c’était son habitude quand il allait commencer une longue explication, chercha le ton le plus simple.
— Vous allez comprendre comme moi et vous ne m’en voudrez plus d’avoir un peu triché. Prenons d’abord la visite de Graphopoulos à la Préfecture de Paris. Il demande la protection de la police. Il ne donne aucune explication. Dès le lendemain, il agit comme s’il regrettait sa démarche.
» La première hypothèse, c’est que c’est un fou, ou un maniaque, un homme que hante l’idée de la persécution…
» La seconde, c’est qu’il se sait vraiment menacé mais qu’à la réflexion il ne se croit pas plus en sûreté sous la garde de la police…
» La troisième, c’est qu’il a eu besoin, à un moment donné, d’être surveillé…
» Je m’explique. Voilà un homme d’âge mûr, jouissant d’une sérieuse fortune et en apparence absolument libre. Il peut prendre l’avion ou le train, descendre dans n’importe quel palace.
» Quelle menace est capable de l’effrayer au point de le faire recourir à la police ? Une femme jalouse parlant de le tuer ? Je n’en crois rien. Il lui suffit de mettre un certain nombre de kilomètres entre elle et lui.
» Un ennemi personnel ? Un homme comme lui, fils de banquier, est de taille à le faire arrêter !
» Non seulement il a peur à Paris, mais il a peur en train et il a encore peur à Liège…
» D’où je conclus que, contre lui, ce n’est pas un individu qui se dresse, mais une organisation, et une organisation internationale.
» Je répète qu’il est riche. Des bandits en voulant à son argent ne le menaceraient pas de mort et, en tout cas, il se ferait protéger efficacement contre eux en les dénonçant.
» Or, il continue à avoir peur quand la police est sur ses talons…
» Une menace pèse, une menace qui existe dans n’importe quelle ville où il ira, dans n’importe quelles circonstances !
» Exactement comme s’il avait fait partie de quelque société occulte et comme si, l’ayant trahie, il avait été condamné par elle…
» Une maffia, par exemple !… Ou un service d’espionnage !… On trouve de nombreux Grecs dans les services d’espionnage… Le 2e Bureau nous dira ce que faisait le père Graphopoulos pendant la guerre…
» Mettons que le fils ait trahi, ou simplement que, lassé, il ait manifesté son intention de reprendre sa liberté. On le menace de mort. On l’avertit que la sentence sera exécutée tôt ou tard. Il vient me trouver, mais dès le lendemain il comprend que cela ne servira de rien et, inquiet, il s’agite comme un fou.
» Le contraire est aussi possible…
— Le contraire ? s’étonna M. Delvigne qui écoutait avec attention. J’avoue que je ne comprends pas.
— Graphopoulos est ce qu’on appelle un fils à papa. Il est désœuvré. Au cours de ses voyages, il s’affilie à une bande quelconque, à une maffia ou à un organisme d’espionnage, en amateur, en curieux de sensations. Il s’engage à obéir aveuglément à ses chefs. Un jour, on lui ordonne de tuer…
— Et il s’adresse à la police ?
— Suivez-moi bien ! On lui commande par exemple de venir tuer quelqu’un ici, à Liège. Il est à Paris. Nul ne le soupçonne. Il répugne à obéir et, pour éviter de le faire, il s’adresse à la police, se fait suivre par elle. Il téléphone à ses complices qu’il lui est impossible d’accomplir sa tâche étant donné qu’il a des agents sur les talons. Seulement, les complices ne se laissent pas impressionner et lui ordonnent d’agir quand même… C’est la seconde explication… Ou bien l’une des deux est bonne, ou bien notre homme est fou et, s’il est fou, il n’y a aucune raison pour qu’il soit réellement tué !
— C’est troublant ! approuva sans conviction le commissaire Delvigne.
— En résumé, quand il quitte Paris, il vient à Liège pour tuer quelqu’un ou pour se faire tuer.
Et la pipe de Maigret grésillait. Il disait tout cela de sa voix la plus naturelle.
— Au bout du compte, c’est lui qui est tué, mais cela ne prouve rien. Reprenons les événements de la soirée. Il se rend au Gai-Moulin et il y passe la soirée en compagnie de la danseuse Adèle. Celle-ci le quitte et m’accompagne dehors. Quand je reviens, le patron et Victor s’en vont. La boîte est vide en apparence. Je crois Graphopoulos parti et je le cherche dans les autres cabarets de la ville…
« À quatre heures du matin, je rentre à l’Hôtel Moderne. Avant de regagner ma chambre, j’ai la curiosité d’aller m’assurer que mon Grec n’est pas rentré. L’oreille collée à la porte, je n’entends aucune respiration. J’entrouvre l’huis et je le trouve, tout habillé, au pied de son lit, le crâne défoncé par un coup de matraque.
« Voilà, résumé aussi brièvement que possible, mon point de départ. Le portefeuille a disparu. Dans la chambre, il n’y a pas un papier capable de me renseigner, pas une arme, pas une trace…
Mais le commissaire Maigret n’attendit pas la réponse de son collègue.
— Je vous ai parlé en commençant de maffia et d’espionnage, en tout cas d’une organisation internationale quelconque, seule capable à mon sens d’être à la base de cette affaire. Le crime est commis avec un art parfait. La matraque a disparu. Il n’y a pas le moindre semblant de piste, la moindre amorce susceptible de donner un sens raisonnable à l’enquête.
« Que celle-ci commence à l’Hôtel Moderne, dans les conditions habituelles, et il est à peu près certain qu’elle ne donnera rien !
« Les gens capables d’avoir fait ce coup-là ont pris leurs précautions. Ils ont tout prévu !
« Et, parce que je suis persuadé qu’ils ont tout prévu, je brouille les cartes. Ils ont abandonné le cadavre à l’Hôtel Moderne ? Très bien ! je le transporte, moi, dans une malle d’osier, au Jardin d’acclimatation, avec la complicité d’un chauffeur de taxi qui, entre nous, a accepté de se taire moyennant cent francs, ce qui n’est vraiment pas cher…
« Le lendemain, c’est là qu’on découvre le cadavre. Est-ce que vous imaginez la tête de l’assassin ? Est-ce que vous vous figurez son inquiétude ?
« Et n’y a-t-il pas des chances pour que, dérouté, il commette une imprudence ?
« Je pousse la prudence, moi, jusqu’à rester inconnu de la police locale. Il ne faut pas une seule indiscrétion.
« J’étais au Gai-Moulin. Selon toutes probabilités, l’assassin y était aussi. Or, je possède la liste des consommateurs de la nuit et je me renseigne sur eux, en commençant par les deux jeunes gens qui paraissaient bien nerveux.
« Le nombre des coupables possibles est faible : Jean Chabot, René Delfosse, Genaro, Adèle et Victor…
« Au pis aller, un des musiciens ou le deuxième garçon, Joseph. Mais je préfère éliminer d’abord les jeunes gens…
« Et c’est au moment où j’essaie d’en finir avec eux que vous intervenez ! Arrestation de Chabot ! Fuite de Delfosse ! Les journaux qui annoncent que le crime a été commis au Gai-Moulin même !
Maigret poussa un grand soupir, changea la position de ses jambes.
— Un instant, j’ai cru que j’avais été roulé ! Il n’y a pas de honte à l’avouer ! Cette assurance de Chabot prétendant que le cadavre était dans le cabaret un quart d’heure après la fermeture…
— Il l’a pourtant vu ! riposta le commissaire Delvigne.
— Pardon ! Il a vu vaguement, à la lueur d’une allumette qui n’a brûlé que quelques secondes, une forme étendue sur le sol. C’est Delfosse qui prétend avoir reconnu un cadavre… Un œil ouvert, l’autre fermé, comme il dit… Mais n’oubliez pas qu’ils sortaient tous les deux d’une cave où ils étaient restés longtemps immobiles, qu’ils avaient peur, que c’était leur premier cambriolage…
» Delfosse a machiné celui-ci. C’est lui qui a entraîné son compagnon. Et c’est lui qui flanche le premier en voyant un corps par terre ! Un garçon nerveux, maladif, vicieux ! Autrement dit un garçon qui a de l’imagination !
» Il n’a pas touché le corps ! Il ne s’en est pas approché ! Il ne l’a pas éclairé une seconde fois ! Tous les deux se sont enfuis, sans ouvrir le tiroir-caisse…
» Voilà pourquoi je vous ai conseillé de rechercher ce que Graphopoulos venait faire au Gai-Moulin après avoir feint d’en sortir…
» Nous ne sommes pas en présence d’un crime passionnel, ni d’un crime crapuleux, ni d’un vol banal. C’est exactement le genre d’affaire que, la plupart du temps, la police n’arrive pas à éclaircir, parce qu’elle se trouve en face de gens trop intelligents et trop bien organisés !
» Et c’est la raison pour laquelle je me suis fait arrêter. Brouiller les cartes toujours ! Faire croire aux coupables qu’ils ne risquent rien, que l’enquête dévie !
» Provoquer ainsi une imprudence…
M. Delvigne ne savait pas encore que penser. Il continuait à regarder Maigret avec ressentiment et sa physionomie était si drôle que celui-ci éclata de rire, prononça sur un ton de cordialité bourrue :
— Allons ! ne me faites pas la tête !… J’ai triché, c’est entendu ! Je ne vous ai pas dit tout de suite ce que je savais !… Ou plutôt je n’ai caché qu’une chose : l’histoire de la malle d’osier… Par contre, il y a un élément que vous possédez et que je ne possède pas…
— Lequel ?
— Peut-être le plus précieux à l’heure actuelle. Au point que c’est pour l’avoir que je vous ai dit tout ce qui précède. La malle a été retrouvée au Jardin d’acclimatation. Graphopoulos n’avait qu’une carte de visite sur lui sans adresse.
» Et pourtant, l’après-midi déjà, vous étiez au Gai-Moulin et vous saviez que Chabot et Delfosse s’étaient cachés dans l’escalier. Par qui ?
M. Delvigne sourit. C’était son tour de triompher. Au lieu de parler tout de suite, il alluma lentement sa pipe, tassa la cendre du bout de l’index.
— Naturellement, j’ai mes indicateurs… dit-il d’abord.
Et il prit encore un temps, éprouva même le besoin de remuer quelques papiers.
— Je suppose qu’à Paris vous êtes organisé également à ce sujet. En principe, tous les patrons de cabaret me servent d’indicateurs. Moyennant quoi on ferme les yeux sur certaines petites infractions…
— Si bien que c’est Genaro…
— Lui-même !
— Genaro est venu vous dire que Graphopoulos avait passé la soirée dans son établissement ?
— C’est cela !
— C’est lui qui a découvert les cendres de cigarette dans l’escalier de la cave ?
— C’est Victor qui lui a fait remarquer ce détail et il m’a prié de venir voir les traces par moi-même…
Maigret se renfrognait à mesure que son collègue reprenait de l’optimisme.
— Cela n’a pas traîné, avouez-le ! poursuivit M. Delvigne. Chabot a été arrêté. Et, sans l’intervention de M. Delfosse, les deux jeunes gens seraient encore en prison. S’ils n’ont pas tué, ce qui n’est pas encore prouvé, ils ont tout au moins tenté de cambrioler l’établissement…
Il observa son interlocuteur, retint mal un sourire ironique.
— Cela a l’air de vous troubler…
— C’est-à-dire que cela ne simplifie rien !
— Qu’est-ce qui ne simplifie rien ?
— La démarche de Genaro.
— Avouez que c’est lui que vous considériez comme l’assassin…
— Pas plus lui qu’un des autres. Et sa démarche, au surplus, ne prouve rien. Tout au plus indiquerait-elle qu’il est très fort.
— Vous voulez rester en prison ?
Maigret jouait avec sa boîte d’allumettes. Il ne se hâtait pas de répondre. Et, quand il parla, il eut l’air de parler pour lui seul.
— Graphopoulos est venu à Liège pour tuer quelqu’un ou pour se faire tuer…
— Ce n’est pas prouvé !
Et Maigret, soudain, avec rage :
— Sales gosses !…
— De qui parlez-vous ?
— De ces gamins qui ont tout abîmé ! À moins…
— À moins ?…
— Rien du tout !
Et il se leva, rageur, arpenta le bureau où, à deux, à force de fumer des pipes, ils avaient rendu l’atmosphère irrespirable.
— Si le cadavre était resté dans la chambre d’hôtel et si l’on avait pu faire les constatations d’usage, peut-être aurait-on… commença M. Delvigne.
Maigret le regarda férocement.
En réalité, ils étaient d’aussi mauvaise humeur l’un que l’autre et leurs relations s’en ressentaient. Au moindre mot, ils étaient prêts à échanger des aménités et ils n’étaient pas loin de se rendre mutuellement responsables de l’échec de l’enquête.
— Vous n’avez pas de tabac ?
Maigret disait cela comme il eût prononcé : « Vous êtes un imbécile ! »
Et il prit la blague des mains de son collègue, bourra sa pipe.
— Hé ! là, ne la mettez pas en poche, s’il vous plaît…
Ce fut la détente. Il n’en fallait pas plus. Maigret regarda la blague, puis son interlocuteur à moustaches rousses, essaya en vain de retenir un sourire, haussa les épaules.
Et M. Delvigne sourit aussi. Ils se comprenaient. Ils ne gardaient un air bourru que pour la forme.
Le Belge fut le premier à questionner d’une voix radoucie, qui avouait son embarras :
— Qu’est-ce qu’on va faire ?
— Tout ce que je sais, c’est que Graphopoulos a été tué !
— Dans sa chambre d’hôtel !
C’était la dernière pique !
— Dans sa chambre d’hôtel, oui ! Que ce soit par Genaro, par Victor, par Adèle ou par un des gamins ! Ils n’ont ni l’un ni l’autre le moindre alibi. Genaro et Victor prétendent qu’ils se sont quittés au coin de la rue Haute-Sauvenière et que chacun est rentré chez soi. Adèle affirme qu’elle s’est couchée toute seule ! Chabot et Delfosse ont mangé des moules et des pommes de terre frites…
— Pendant que vous couriez les cabarets !
— Et que vous dormiez !
Le ton confinait maintenant à la plaisanterie.
— La seule indication, grommela Maigret, c’est que Graphopoulos s’est laissé enfermer au Gai-Moulin pour y voler quelque chose ou pour y tuer quelqu’un. Quand il a entendu du bruit, il a fait le mort sans se douter qu’il ferait le mort pour de bon une heure plus tard…
Des coups pressés furent frappés à la porte, qui s’ouvrit. Un inspecteur entra, annonça :
— C’est M. Chabot qui veut vous dire deux mots. Il demande s’il ne vous dérange pas…
Maigret et Delvigne se regardèrent.
— Faites entrer !
Le comptable était ému. Il ne savait comment tenir son chapeau melon et il hésita en voyant Maigret dans le bureau.
— Je m’excuse de…
— Vous avez quelque chose à me dire ?
Il tombait mal. Ce n’était pas l’heure des politesses.
— C’est-à-dire… Je vous demande pardon… Je voulais vous remercier vivement de…
— Votre fils est chez vous ?
— Il est rentré voilà une heure… Il m’a dit…
— Qu’est-ce qu’il vous a dit ?
C’était à la fois saugrenu et pitoyable. M. Chabot cherchait une contenance. Il était plein de bonne volonté. Mais les questions brutales le désarçonnaient et il finissait par oublier le discours qu’il avait préparé.
Un pauvre discours émouvant, qui fut raté par la faute de l’ambiance.
— Il m’a dit… C’est-à-dire que je voulais vous remercier de la bonté que vous avez eue de… Au fond, ce n’est pas un mauvais garçon… Mais des fréquentations et une certaine faiblesse de caractère… Il a juré… Sa mère est au lit et c’est à son chevet que… Je vous promets, monsieur le commissaire, que désormais il ne… Il est innocent, n’est-ce pas ?…
La gorge du comptable s’étranglait. Mais il faisait un grand effort pour rester calme et digne.
— C’est mon fils unique et je voudrais… J’ai peut-être été trop faible…
— Beaucoup trop faible, oui !
M. Chabot perdit tout à fait contenance. Maigret détourna la tête, parce qu’il sentit que cet homme de quarante ans, aux épaules étriquées, aux moustaches frisées au petit fer, allait se mettre à pleurer.
— Je vous promets, à l’avenir…
Et, ne sachant plus que dire, il bégaya :
— Est-ce que vous croyez que je doive écrire au juge d’instruction pour le remercier ?
— Entendu ! Entendu ! grogna M. Delvigne en le poussant vers la porte. C’est une excellente idée !
Et il ramassa le chapeau melon qui était tombé par terre, le mit dans la main de son propriétaire, qui marcha longtemps à reculons.
— Le père Delfosse ne pensera pas à nous remercier, lui ! articula le commissaire Delvigne une fois la porte refermée. Il est vrai qu’il dîne toutes les semaines chez le gouverneur de la province et qu’il est à tu et à toi avec le procureur du roi… Allons !…
Cet « allons » était gros de lassitude et de dégoût, comme le geste par lequel il ramassa tous les papiers épars sur le bureau.
— Qu’est-ce que nous faisons ?
À cette heure, Adèle devait encore dormir, dans sa chambre en désordre, aux odeurs d’alcôve et de cuisine. Au Gai-Moulin, c’était le moment où Victor et Joseph allaient paresseusement de table en table, essuyant les marbres, frottant les glaces au blanc d’Espagne.
— Monsieur le commissaire… C’est le rédacteur de la Gazette de Liège à qui vous avez promis de…
— Qu’il attende !
Maigret était allé se rasseoir dans un coin, maussade.
— Ce qui est certain, affirma soudain M. Delvigne, c’est que Graphopoulos est mort !
— C’est une idée, riposta Maigret.
L’autre le regarda, croyant à de l’ironie.
Et Maigret poursuivit :
— Oui ! C’est encore ce qu’il y a de mieux à faire. Combien y a-t-il d’inspecteurs ici en ce moment ?
— Deux ou trois. Pourquoi ?
— Ce bureau ferme à clé ?
— Bien entendu !
— Je suppose que vous êtes plus sûr de vos inspecteurs que des gardiens de la prison ?
M. Delvigne ne comprenait toujours pas.
— Eh bien !… Donnez-moi votre revolver… N’ayez pas peur… Je vais tirer… Vous sortirez un peu plus tard et vous annoncerez que l’homme aux larges épaules s’est suicidé, ce qui constitue un aveu, et que l’enquête est close…
— Vous voulez ?…
— Attention… Je tire… Surtout, évitez qu’ensuite on vienne me déranger… On peut sortir au besoin par cette fenêtre ?…
— Qu’est-ce que vous voulez faire ?
— Une idée… Compris ?…
Et Maigret tira en l’air, après s’être assis dans un fauteuil, le dos à la porte. Il ne pensa même pas à retirer la pipe de sa bouche. Mais cela n’avait pas d’importance. Comme des gens accouraient des bureaux voisins, M. Delvigne s’interposa, murmura sans conviction :
— Ce n’est rien… L’assassin qui s’est tué… Il a fait des aveux…
Et il sortit, referma la porte à clé, cependant que Maigret se caressait les cheveux à rebrousse-poil d’un air aussi réjoui que possible.
— Adèle… Genaro… Victor… Delfosse et Chabot… récita-t-il comme une litanie.
Dans le grand bureau, le reporter de la Gazette de Liège prenait des notes.
— Vous dites qu’il a tout avoué ?… Et l’on n’a pas pu établir son identité ?… Parfait !… Je peux me servir de votre téléphone ?… Il y a l’édition de la Bourse dans une heure…
— Dites donc ! lançait de la porte un inspecteur triomphant. Les pipes sont arrivées !… Quand vous voudrez venir choisir les vôtres !…
Mais le commissaire Delvigne tiraillait ses moustaches sans enthousiasme.
— Tout à l’heure…
— Vous savez ! C’est encore deux francs moins cher que je le croyais.
— Vraiment ?
Et il trahit sa vraie préoccupation en grondant entre ses dents :
— Avec sa maffia !…