X
Deux hommes dans l’obscurité
— Vous êtes sûr de vos gens ?
— Personne, en tout cas, ne devinera qu’ils sont de la police, pour la bonne raison qu’ils n’en sont pas. Au bar du Gai-Moulin, j’ai placé mon beau-frère, qui habite Spa et qui est venu passer deux jours à Liège. C’est un commis des contributions qui surveille Adèle. Les autres sont bien cachés, ou bien camouflés…
La nuit était fraîche et une pluie fine rendait l’asphalte visqueux. Maigret avait boutonné jusqu’au col son lourd pardessus noir et un cache-nez était enroulé jusqu’à la moitié de son visage.
Au surplus, il ne se risquait pas en dehors de l’obscurité de la petite rue, d’où l’on apercevait au loin l’enseigne lumineuse du Gai-Moulin.
Le commissaire Delvigne, dont les journaux n’avaient pas eu à annoncer la mort, n’avait pas besoin de prendre tant de précautions. Il n’avait même pas de pardessus et, quand la pluie se mit à tomber, il grommela des doléances indistinctes.
La faction avait commencé à huit heures et demie, alors que les portes du cabaret n’étaient pas encore ouvertes. Successivement, on avait vu arriver Victor, bon premier, puis Joseph, puis le patron. Celui-ci avait allumé lui-même l’enseigne au moment où les musiciens débouchaient à leur tour de la rue du Pont-d’Avroy.
À neuf heures précises, on perçut la rumeur confuse du jazz et le petit chasseur prit sa faction à la porte, en comptant les sous qu’il avait dans les poches.
Quelques minutes plus tard, le beau-frère de Delvigne pénétrait dans l’établissement, bientôt suivi par l’employé des contributions.
Et le commissaire résumait ainsi la situation stratégique :
— Outre ces deux-ci et les deux agents postés dans la ruelle pour surveiller la seconde entrée, il y a quelqu’un à la porte d’Adèle, rue de la Régence, un homme à la porte des Delfosse et un autre à celle des Chabot. Enfin la chambre que Graphopoulos occupait à l’Hôtel Moderne est surveillée.
Maigret ne dit rien. L’idée était de lui. Les journaux avaient annoncé le suicide de l’assassin de Graphopoulos. Ils laissaient entendre que l’enquête était close et que l’affaire se réduisait à des proportions très quelconques.
— Maintenant, ou bien nous en finirons cette nuit, avait-il dit à son collègue, ou bien il n’y a pas de raisons pour qu’on ne patauge pas des mois.
Et il marchait, lent et lourd, de long en large, de large en long, en tirant de petites bouffées de sa pipe, en faisant le gros dos, ne répondant que par des grognements aux essais de conversation de son compagnon.
M. Delvigne, qui n’avait pas son flegme, éprouvait le besoin de parler, ne fût-ce que pour faire passer le temps.
— De quel côté croyez-vous qu’il se passera quelque chose ?
Mais l’autre se contentait de braquer sur lui un regard ahuri qui semblait dire : « À quoi cela vous avance-t-il de remuer tant d’air ? »
Il était un peu moins de dix heures quand Adèle arriva, suivie à distance par une silhouette qui était celle d’un homme de la Sûreté. Il passa près de son chef, lança au vol :
— Rien…
Et il continua à se promener dans les environs. On voyait au loin la rue du Pont-d’Avroy, brillamment éclairée, avec les tramways qui passaient toutes les trois minutes à peine et la foule qui défilait lentement, malgré la pluie.
C’est la promenade traditionnelle des Liégeois. Dans la grande artère, la foule : des familles, des jeunes filles se tenant par le bras, des bandes de jeunes gens dévisageant les passantes et quelques élégants marchant à pas lents, aussi raides que s’ils étaient vêtus d’or.
Dans les petites rues transversales, les cabarets plus ou moins louches, comme le Gai-Moulin. Collées aux murs, des ombres. Parfois une femme jaillissant de la lumière, pénétrant dans le noir, s’arrêtant pour attendre un suiveur.
Un bref conciliabule. Quelques pas vers un hôtel désigné par une boule lumineuse en verre dépoli.
— Vous avez vraiment de l’espoir ?
Maigret se contenta de hausser les épaules. Et son regard était si placide qu’il paraissait dénué d’intelligence.
— En tout cas, je ne crois pas qu’il prenne à Chabot la fantaisie de sortir ce soir. Surtout que sa mère est au lit !
Le commissaire Delvigne n’acceptait pas ce silence obstiné. Il regarda sa nouvelle pipe, qui n’était pas encore culottée.
— Au fait, rappelez-moi donc demain que je dois vous en donner une. Ainsi, vous aurez un souvenir de Liège…
Deux clients entraient au Gai-Moulin.
— Un tailleur de la rue Hors-Château et un garagiste ! annonça M. Delvigne. Des habitués, tous les deux ! Des noceurs, comme on dit ici…
Mais quelqu’un sortait et il fallait le regarder avec attention pour le reconnaître. C’était Victor, qui avait troqué ses vêtements de travail contre un complet et un pardessus de ville. Il marchait vite. Un inspecteur le prenait aussitôt en filature.
— Tiens ! Tiens !… sifflait le commissaire Delvigne.
Maigret poussa un grand soupir et lança à son compagnon un regard assassin. Est-ce que, vraiment, le Belge ne pouvait pas se taire pendant quelques minutes ?…
Maigret avait les mains enfoncées dans les poches. Et, sans avoir l’air de rien épier, son regard saisissait les moindres changements dans le décor.
Il fut le premier à apercevoir René Delfosse, avec son cou maigre, sa silhouette d’adolescent mal poussé, qui pénétrait dans la rue, hésitant, changeait deux fois de trottoir et fonçait enfin vers la porte du Gai-Moulin.
— Tiens ! Tiens ! répéta M. Delvigne.
— Oui !
— Que voulez-vous dire ?
— Rien !
Si Maigret ne voulait rien dire, il était si intéressé qu’il perdait un peu de son flegme. Il s’avançait, avec même quelque imprudence, car un bec de gaz permettait de distinguer vaguement le haut de son visage.
Cela ne dura pas longtemps. Delfosse resta à peine dix minutes dans le cabaret. Quand il sortit, il marchait vite et il se dirigea sans hésiter vers la rue du Pont-d’Avroy.
Quelques secondes plus tard, le beau-frère de Delvigne sortait à son tour, cherchait quelqu’un des yeux. Il fallut siffler légèrement pour l’appeler.
— Eh bien ?
— Delfosse s’est assis à la table de la danseuse…
— Ensuite ?
— Ils sont allés ensemble au lavabo, puis il est sorti, tandis qu’elle reprenait sa place…
— Adèle avait son sac dans les mains ?
— Oui !… Un petit sac en velours noir…
— Allons !… dit Maigret.
Et il marcha à une allure telle que ses compagnons eurent peine à le suivre.
— Qu’est-ce que je fais ? questionna le beau-frère.
Et le commissaire entraînait M. Delvigne.
— Vous retournez là-bas, naturellement !
Rue du Pont-d’Avroy, ils ne purent apercevoir le jeune homme, qui avait cent mètres d’avance sur eux, car la foule était dense. Mais, quand ils arrivèrent au coin de la rue de la Régence, ils devinèrent une silhouette qui courait presque au ras des maisons.
— Tiens ! Tiens !… s’oublia à grommeler à nouveau M. Delvigne.
— Il va chez elle, oui ! précisa Maigret. Il est allé lui demander sa clé…
— Ce qui signifie ?…
Delfosse entrait dans la maison, refermait la porte du corridor, devait s’engager dans l’escalier.
— Qu’est-ce que nous faisons ?
— Un instant… Où est votre agent ?…
Il s’approchait précisément, en se demandant s’il devait parler à son chef ou s’il devait feindre de ne pas le reconnaître.
— Arrive, Girard ! Eh bien ?…
— Il y a cinq minutes, quelqu’un est entré dans la maison. J’ai aperçu des lueurs dans la chambre, comme si l’on se promenait avec une lampe électrique de poche…
— Allons-y ! dit Maigret.
— Nous entrons ?
— Parbleu !
Pour ouvrir la porte d’entrée, commune à tous les locataires, il suffisait de tourner un bouton, car les maisons belges n’ont pas de concierge.
L’escalier n’était pas éclairé. Aucune lumière ne filtrait de la chambre d’Adèle.
Par contre, dès que Maigret toucha la porte, qui s’entrouvrit, il distingua une rumeur confuse, comme si deux hommes étaient en train de se battre sur le plancher.
M. Delvigne avait déjà tiré son revolver de sa poche. Maigret tâta machinalement le mur, à sa gauche, trouva un commutateur électrique, qu’il tourna.
Alors, dans la lumière, on vit un spectacle à la fois comique et tragique.
Deux hommes étaient bien occupés à se battre. Mais la lumière les surprenait en même temps que le bruit et ils s’immobilisaient, encore enlacés. On voyait une main sur une gorge. Des cheveux gris étaient en désordre.
— Qu’on ne bouge pas ! commanda M. Delvigne. Haut les mains !
Il referma la porte derrière lui, sans lâcher son revolver. Et Maigret, avec un soupir de soulagement, retira son cache-nez, ouvrit son manteau, avala une grande gorgée d’air, en homme qui a eu chaud.
— Plus vite que ça !… Haut les mains !…
René Delfosse tomba, parce qu’il voulait se lever et que sa jambe droite était prise sous celle de Victor.
Le regard de M. Delvigne sembla demander conseil. Delfosse et le garçon de café, maintenant, étaient debout, pâles, déconfits, les vêtements en désordre.
Des deux, c’était le jeune homme le plus ému, le plus défait, et il ne semblait rien comprendre à ce qui lui arrivait. Mieux, il regardait Victor avec stupeur, comme s’il ne se fût pas attendu du tout à le trouver là.
Avec qui croyait-il donc se battre ?
— Bougeons plus, les enfants ! dit Maigret qui ouvrait enfin la bouche. La porte est bien fermée, commissaire ?
Il s’approcha de celui-ci, lui dit quelques mots à voix basse. Et M. Delvigne, par la fenêtre, fit signe à l’inspecteur Girard de monter, le rejoignit sur le palier.
— Autant d’hommes que tu en pourras trouver autour du Gai-Moulin. Que personne n’en sorte ! Par contre, laisse entrer tout qui voudra…
Et il revint dans la chambre où, sur le lit, une courtepointe blanche évoquait de la crème fouettée.
Victor ne bronchait toujours pas. Il avait une vraie tête de garçon de café comme les caricaturistes aiment les représenter : des cheveux rares ramenés d’habitude sur une calvitie, mais présentement ébouriffés, des traits flasques, de gros yeux chassieux.
Il tenait les épaules de travers, comme pour donner moins de prise, et il eût été difficile de déterminer ce que guettait son regard oblique.
— Ce n’est pas votre première arrestation, hein ! lui lança Maigret avec assurance.
Il en était sûr. Cela se reconnaissait du premier coup d’œil. On sentait l’homme qui s’attend depuis longtemps à se trouver face à face avec la police et qui a l’habitude de ces sortes de rencontres.
— Je ne comprends pas ce que vous voulez dire. Adèle m’a demandé de venir lui chercher quelque chose…
— Son bâton de rouge, sans doute ?
— … J’ai entendu du bruit… Quelqu’un est entré…
— Et vous avez sauté dessus ! Autrement dit, vous cherchiez le bâton de rouge dans l’obscurité. Attention ! Les mains en l’air, s’il vous plaît…
C’étaient des bras mous que les deux hommes levaient vers le plafond. Les mains de Delfosse tremblaient. Il essayait d’essuyer son visage de sa manche, sans oser abaisser un bras.
— Et vous, qu’est-ce qu’Adèle vous a chargé de venir chercher ?
Les dents du jeune homme claquèrent, mais il ne put rien répondre.
— Vous les tenez à l’œil, Delvigne ?
Et Maigret fit le tour de la pièce, où il y avait, sur la table de nuit, les restes d’une côtelette, des miettes de pain et une bouteille de bière entamée. Il se pencha pour regarder sous le lit, haussa les épaules, ouvrit un placard qui ne contenait que des robes, du linge et de vieilles chaussures aux talons tournés.
Alors, il remarqua une chaise placée près de la garde-robe, monta dessus, passa la main sur le dessus du meuble et en retira une serviette de cuir noir.
— Et voilà ! dit-il en redescendant. C’est le bâton de rouge, Victor ?
— Je ne sais pas ce que vous voulez dire !
— Enfin, c’est bien l’objet que vous veniez chercher ?
— Je n’ai jamais vu cette serviette.
— Tant pis pour vous ! Et vous, Delfosse ?
— Je… je jure…
Il oublia le revolver braqué sur lui, se jeta sur le lit, tête première, et éclata en sanglots convulsifs.
— Alors, mon petit Victor, on ne veut rien dire ? Même pas pourquoi l’on était en train de se colleter avec ce jeune homme ?
Et Maigret posait par terre l’assiette sale, le verre et la bouteille qui se trouvaient sur la table de nuit, mettait la serviette à leur place, l’ouvrait.
— Des papiers qui ne nous regardent pas, Delvigne ! Il faudra remettre tout ça au 2e Bureau… Tenez ! Voici les bleus d’un nouveau fusil-mitrailleur fabriqué à la FN de Herstal… Quant à ceci, cela ressemble aux plans de réaménagement d’un fort… Hum !… Des lettres en langage chiffré, qu’il faudra faire étudier par des spécialistes…
Dans l’âtre, sur une grille, grésillaient les restes d’un feu de boulets. Soudain, au moment où l’on s’y attendait le moins, Victor se précipita vers la table de nuit, saisit les papiers.
Maigret devait avoir prévu son geste car, alors que le commissaire Delvigne hésitait à tirer, il lança son poing en plein visage du garçon, qui chancela, sans avoir le temps de jeter les documents dans le feu.
Les feuillets s’éparpillèrent. Victor, de ses deux mains, tenait sa joue gauche qui avait rougi brusquement.
Ce fut rapide. Et pourtant Delfosse faillit en profiter pour s’enfuir. En un clin d’œil, il eut quitté le lit et il allait passer derrière M. Delvigne quand celui-ci s’en aperçut, l’arrêta de sa jambe déployée.
— Et maintenant ?… questionna Maigret.
— Je ne dirai quand même rien ! gronda un Victor rageur.
— Je t’ai demandé quelque chose ?
— Je n’ai pas tué Graphopoulos…
— Et après ?
— Vous êtes une brute ! Mon avocat…
— Tiens ! Tiens ! tu as déjà un avocat ?…
Le commissaire Delvigne, lui, observait le gamin et, suivant la direction de son regard, en arriva au-dessus de la garde-robe.
— Je crois qu’il y a encore quelque chose ! dit-il.
— C’est probable ! répliqua Maigret en montant à nouveau sur la chaise.
Sa main dut tâtonner longtemps. Enfin, elle ramena un portefeuille en cuir bleu qu’il ouvrit.
— Le portefeuille de Graphopoulos ! annonça-t-il. Trente billets de mille francs français !… Des papiers !… Tiens ! Une adresse, sur un bout de papier : Gai-Moulin, rue du Pot-d’Or… Et, d’une autre écriture : Personne ne couche dans l’immeuble…
Maigret ne s’occupait plus de personne. Il suivait son idée, examinait une lettre en langage chiffré, comptait certains signes.
— Un… deux… trois… onze… douze !… Un mot de douze lettres… C’est-à-dire : Graphopoulos. C’est dans la serviette…
Des pas dans l’escalier. Des coups nerveux frappés à la porte. Le visage animé de l’inspecteur Girard.
— Le Gai-Moulin est cerné. Personne ne sortira. Mais…
» C’est M. Delfosse, qui y est arrivé il y a quelques instants et qui a réclamé son fils… Il a pris Adèle à part… Oui, il est sorti… J’ai cru bien faire en le laissant passer et en le suivant… Quand j’ai vu qu’il venait ici, j’ai pris de l’avance… Tenez !… Le voilà dans l’escalier…
Et, en effet, quelqu’un trébuchait, marchait sur le palier en tâtant les portes, frappait enfin.
Maigret ouvrit lui-même, s’inclina devant l’homme aux moustaches grises, qui lui lança un regard hautain.
— Est-ce que mon fils…
Il l’aperçut, en piteuse posture, fit claquer ses doigts, articula :
— Allons ! À la maison !…
Cela faillit dégénérer. René regardait tout le monde avec épouvante, se raccrochait à la courtepointe, claquait des dents de plus belle.
— Un instant ! intervint Maigret. Voulez-vous vous asseoir monsieur Delfosse ?
Celui-ci examina les lieux avec un certain dégoût.
— Vous avez à me parler ? Qui êtes-vous ?…
— Peu importe ! Le commissaire Delvigne vous le dira en temps voulu. Quand votre fils est rentré chez vous, vous lui avez fait une scène ?
— Je l’ai enfermé dans sa chambre en lui disant d’attendre ma décision.
— Et quelle était cette décision ?
— Je ne sais pas encore. Sans doute l’envoyer à l’étranger faire un stage dans une banque ou dans une maison de commerce. Il est temps qu’il apprenne à vivre.
— Non, monsieur Delfosse…
— Que voulez-vous dire ?
— Je veux dire simplement qu’il est trop tard. Votre fils dans la nuit de mercredi à jeudi, a tué M. Graphopoulos pour le voler…
Maigret arrêta de la main la canne à pomme d’or qui allait s’abattre sur lui. Et, d’une poigne rude, il la tourna de telle sorte que son propriétaire dut la lâcher avec un soupir de douleur. Alors il l’examina tranquillement, la soupesa, laissa tomber :
— Et je suis presque sûr que le crime a été commis avec cette canne !
La bouche ouverte par un spasme, René essayait de hurler et n’émettait pourtant aucun son. Il n’était plus qu’un tas de nerfs, qu’un être pitoyable étranglé par la peur.
— J’espère que vous allez vous expliquer ! lui lança néanmoins M. Delfosse. Et vous, mon cher commissaire, je vous prie de croire que je transmettrai à mon ami le procureur…
Maigret se tourna vers l’inspecteur Girard :
— Allez me chercher Adèle… Prenez une voiture… Amenez aussi Genaro…
— Je crois que… commença M. Delvigne en s’approchant de Maigret.
— Oui ! Oui ! fit celui-ci comme on calme un enfant.
Et il marcha. Il marcha sans fin pendant les sept minutes qui furent nécessaires à l’accomplissement de son ordre.
Un ronronnement de moteur. Des pas dans l’escalier. La voix de Genaro qui protestait :
— Vous vous arrangerez avec mon consul… C’est inouï !… Un commerçant patenté qui… Alors qu’il y a cinquante clients chez moi !…
Quand il entra, son regard alla chercher Victor et sembla l’interroger.
Victor fut magnifique.
— Nous sommes frits ! dit-il simplement.
La danseuse, elle, à demi nue sous sa robe qui soulignait ses formes, contemplait son logis et baissait les épaules avec fatalisme.
— Répondez simplement à ma question. Est-ce qu’au cours de la soirée Graphopoulos vous a demandé de le rejoindre dans sa chambre ?…
— Je n’y suis pas allée !
— Donc, il vous l’a demandé ! Donc, il vous a dit qu’il couchait à l’Hôtel Moderne, chambre 18…
Elle baissa la tête.
— Chabot et Delfosse, installés à une table proche, ont pu entendre. À quelle heure Delfosse est-il arrivé ici ?
— Je dormais ! Peut-être cinq heures du matin…
— Qu’est-ce qu’il a dit ?
— Il m’a proposé de m’en aller avec lui… Il voulait prendre le bateau pour l’Amérique… Il m’a dit qu’il était riche…
— Vous avez refusé ?…
— J’étais endormie… Je lui ai dit de se coucher… Mais ce n’est pas ce qu’il voulait… Alors je lui ai demandé, tant il était nerveux, s’il avait fait un mauvais coup…
— Qu’est-ce qu’il a répondu ?…
— Il m’a supplié de cacher un portefeuille dans ma chambre !
— Et vous lui avez désigné l’armoire, où il y avait déjà une serviette…
Elle haussa à nouveau les épaules, soupira :
— Tant pis pour eux…
— C’est bien cela ?
Pas de réponse. M. Delfosse écrasait les assistants d’un regard de défi.
— Je serais curieux de savoir… commença-t-il.
— Vous allez savoir tout de suite, monsieur Delfosse. Je ne vous demande plus qu’un instant de patience…
C’était pour bourrer une pipe !